Sculptrices à la Villa Datris, l’Isle sur la Sorgue

Affiche
Si vous n’avez pas encore pris le temps de visiter l’exposition Sculptrices à la Villa Datris, il vous reste quelques semaines (jusqu’au 11 novembre) pour vous rendre à l’Isle sur la Sorgue. Il serait regrettable de manquer cet événement.

Pour sa troisième exposition à la Villa Datris, la fondation Raja-Danièle Marcovici réunit une soixantaine d’artistes et présente une remarquable sélection de 96 sculptures dont une vingtaine sont installées dans les jardins de la villa.
Danièle Kapel-Marcovici souligne :

« À travers cette « exposition-manifeste », la Villa Datris souhaite donner une visibilité et une reconnaissance aux sculptrices qui revendiquent non pas un art « au féminin », mais la sculpture par les femmes ».

Malgré le nombre important et la diversité des œuvres présentées, le parcours de l’exposition, construit avec beaucoup d’intelligence, est d’une grande fluidité. Dans des pièces de dimensions relativement réduites, la mise en espace évite toute confusion. Un soin particulier est apporté à la présentation des sculptures, les conversations entre les œuvres sont souvent très fécondes. La qualité de l’accueil, la richesse des informations disponibles et un accès gratuit montrent une attention certaine à l’égard du public.

Trois œuvres de Parvine Curie (La Porte du Regard, 1980-1981), Marta Pan (Double Porte, 2006) et Rotraut (Gipsy Red,2011)  conduisent le visiteur vers l’escalier de la villa et son hall d’accueil . Blue Goddess, Thoëris Hippolamp,1990 de Niki de Saint Phalle, divinité égyptienne, protectrice de la fécondité féminine et emblème de l’exposition y reçoit le visiteur.

« Pour moi, la sculpture, c’est quelque chose d’intime ». Germaine Richier

Dans la première salle, une fonte posthume de La Valse par Camille Claudel évoque cette figure majeure dans l’histoire de l’art au tournant du XXème siècle et dont on célèbre cette année le triste anniversaire de son internement et de sa mort. Le bronze de Camille dialogue avec Le Coureur,1955 de Germaine Richier autre figure essentielle dans l’histoire de la sculpture « par les femmes »…  Derrière ces deux œuvres, le bleu cobalt et la lumière des néons de la Porte N°10,2013 de Ciris-Vell semblent ouvrir vers une production plus contemporaine… tout en nous renvoyant notre image.

Vue de l'exposition
Vue de l’exposition : Germaine Richier, Le Coureur,1955. Camille Claudel, La Valse.
Ciris-Vell, Porte N°10,2013.

« La liberté ne nous est pas donnée, il nous faut la prendre ». Meret Oppenheim.

Dans une salle à la fois surréaliste et baroque, une petite sculpture suspendue de Louise Bourgeois (Femme, 2005) voisine avec un écureuil facétieux de Meret Oppenheim (Eichhornchen, 1969). Celui‑ci semble regarder avec malice une exubérante Beastly Flower, 2009 de Rina Banerjee. Cette sculptrice américano-indienne présente également un étrange coffre ouvert dans lequel est tapi un mystérieux « Dragonsnake » paré de bijoux…  On remarque également  State of Being (globe), 2012 de Chiharu Shiota où le globe terrestre est accroché dans un réseau de fils noirs entremêlés caractéristique de son travail. Cette pièce répond à l’œuvre suspendue de Louise Bourgois, elle évoque aussi la toile de l’araignée chère à Louise …  La délicate Régente, 2012 nous montre la collaboration des abeilles au travail de Céline Cléron.

« À l’image des beautés endormies, nous nous réveillerons pour partir à la recherche de l’intimité que nous avons toujours désirée et qui nous est nécessaire ». Ghada Amer.

Dans la dernière salle au premier niveau, on apprécie particulièrement la mystérieuse Forêt, 2012 en carton d’Eva Jospin. Elle voisine avec une œuvre cinétique de Rebecca Horn qui propose un dialogue surréaliste entre un œuf d’autruche bleu, deux écouvillons et un entonnoir (Universe in an Östrich Egg, 2008). La tête de lapin en céramique de Françoise Petrovitch (La Sentinelle Blanche, 2011) semble avoir un œil sur la Forêt d’Eva Jospin et l’autre sur 25 sphères de craie, de tissus et de fils, remplies de cendre d’Elisabetta Casella (6.06, 2012).
Une frémissante Suspension, 2008 découpée dans une feuille de papier par Eva Ramfel et un Personnage au portique, 2009 de Parvine Curie, sculpture intime aux formes très abstraites complètent cet ensemble.

La montée de l’escalier présente plusieurs œuvres sur papier de la collection Datris. Elle conduit à un couloir qui donne accès à quatre pièces et à une salle de bains transformée en un merveilleux cabinet de curiosités.

« La sculpture ne doit pas être une masse, mais un espace ouvert dont la construction intérieure est connectée avec le rythme temporel ». Katarzyna Kobro.

Côté rue, une première salle présente un ensemble d’œuvres abstraites de Katarzyna Kobro (composition spatiale,1930-1932), Louise Nevelson (Sans titre, 1957), Geneviève Claisse (Mouvement stationnaire,  1974-1999), Nathalie Elemento (Mur d’exposition, 2011), Sarah Oppenheimer (S-1013-1, 2011), Marie Morel (Construction, 2012).

Aux lignes géométriques et aux matières froides et dures de ces œuvres abstraites, s’opposent la fragilité des pièces exposées dans la salle suivante. La présentation s’organise autour de l’Éclaireuse, 2011-2012 de Françoise Vergier. Cette Grande Déesse des temps anciens veille sur les délicates et poétiques Dentelle sonore 1 et 2, 2009 d’Alice Pilastre, les moulage en papier de Zarina Hashmi (Shelter, 1983 et Flight log, 1987), les ironiques pièces en tricot de laine d’Anette Streyl (AT&T New York, 1998), et un superbe ensemble de 5 boites cinétiques de Margaret Michel (L’Inconnu, Marey en trajectoire, confrontation en bémol, Marey au galop, Dog state, 2007-2010).

Dans le couloir, deux œuvres pour lesquelles le jeu avec la lumière est essentiel assurent la liaison entre ces deux salles. Dans Hymen XIX , 2011et Hymen XX, 2011 de Caroline Tapernoux , c’est l’ombre portée qui fait œuvre. On retrouve Françoise Vergier avec L’horizontale de Leslie, 2012. Le moulage en plâtre du corps de Leslie dans la position dite de « Baigneuse » offre son corps au regard. Quelques parties peintes en rouge se fondent dans la lumière diffusée par un néon que Leslie soulève.

L’effroyable Voce Bianca, 2005 de Silvia Manazza en cire, tissus et tulle évoque l’enfance violée et provoque un inévitable malaise…

Bain, Last Night I had a Dream, 1968 de Niki de Saint-Phalle cite avec humour Luther King et place un couple mixte dans une baignoire multicolore dont la forme évoque une carte des États Unis. Ce relief fait écho à la salle de bain.

Le  cabinet de curiosités/ salle de bains renferme autour d’une bruissante fontaine de Kiki Smith (Teeth Fountain, 1995) un ensemble de sculptures délicates qui mettent en œuvre les matériaux les plus divers : Têtes d’épingles sur porte-chapeau chez Béatrice Arthus Bertrand (Tête d’Epingles,2012) ; Ciment armé, duvet, velours et fibre de verre (Maternité 1,2009) et biscuit de porcelaine (La Pompadour, 2009) chez Mâkhi Xenakis ; Résine et techniques mixtes chez Mirabelle Dors (Au sommeil d’aujourd’hui, 1962 et Le Mysterium, 1965) ; Verre de Murano chez Ursula Huber (Ego Blue,2002) ; Porcelaine dure chez Céline Cléron (No Spring Till now, 2007) ; Porcelaine de Sèvre chez Louise Bourgeois (Fallen Women, 1996) ; Biscuit de porcelaine chez Kiki Smith (Sphinx, 2004) et chez Gabrielle Wambaugh (Monticule, 2005) ; Bronze chez Meret Oppenheim ( Das Ohr Von Giacometti, 1977 et Urzeit Venus, 1978).

Dans le couloir, une sculpture en mousse de Carmen Perrin (Combineur, 2012) assemble des formes animales, sorte de vers annelés multicolores qui conduisent vers  les œuvres et les salles côté jardin…

La perspective vers l’ouest est  fermée par un Soleil, 3° quart du XXème siècle de Simone Boisecq qui doit certainement profiter de la lumière du couchant. Sa forme circulaire se retrouve dans Dinamica Circolare, 1966-2012 de Marina Apollonio, une pièce dynamique et vertigineuse, particulièrement représentative de l’engagement de l’artiste dans l’Optical Art.

« Je vaux vivre avec toutes les beautés possibles, inventer des beautés impossibles et faire qu’elles deviennent réelles, nouvelles, inconnues… ». Marta Pan.

En conversation avec un nœud de Moebius par Marta Pan (Moebius 4, 2007), une énigmatique sculpture d’acier recouverte de fil de laine et de coton rose fuchsia d’Isabel Nolan (Hot Solid Object, 2012) semble irrésistiblement attirée par les extravagantes et respirantes sculptures gonflables d’Anne Ferrer à base de manteaux imperméables, de nylon, de polyester et de ventilateurs (Peacock Raincoat, 2012 et Trench Cancan, 2012).
Deux pièces dynamiques éloignées par le temps et les matériaux montrent cependant quelques parentés :
Déplacement hélicoïdal lumineux, 1967 de Marta Boto est une des extraordinaires boîtes « luminocinétiques » qu’elle a créées dans les années soixantes. Ses disques métalliques  se mettent en mouvement dès que le visiteur s’en approche. Ils diffractent la lumière et multiplient des reflets dorés créant ainsi un jeu de lumière et de couleur fascinant.
La pièce d’Ania Borzobohaty, Structure blanche évolutive en trois dimensions 44:00 est une œuvre très récente (2013). Il s’agit d’une structure holographique en 3D en constante évolution qui reprend la série des « structures avec diagonales » dont deux exemplaires sont présentés dans le jardin.  La magie de cette pièce est cependant moins poétique que celle qui se dégage de la boîte « mécanique » de Marta Boto. La technologie devenue banale et ordinaire renvoie une image certainement un peu froide et désincarnée…

La dernière salle rassemble des œuvres baroques et aux formes parfois organiques.
De Joana Vaconcelos, Acapulco,2012 est un relief multicolore au crochet.
Par ses formes sinueuses, cette pièce entretient un certain dialogue avec l’or et le noir d’Abracadabra, 2012, une pièce mystérieuse de Gabrielle Wambaugh qui associe à la céramique, le caoutchouc  et le tissu rehaussé d’or fin 24 carats.
On retrouve des formes sinueuses, couleurs  et matériaux organiques chez Camille Herot qui cultive l’art traditionnel japonais de l’Ikebana dans sa série « Est-il possible d’être révolutionnaire et d’aimer les fleurs ? ». Dans la pièce exposée ici  (L’entretien infini de Maurice Blanchot, 2012), elle associe aux éphémères végétaux un tuyau de machine à laver…
Deux vanités complètent cet ensemble un peu disparate :
Chloe Piene présente une sculpture (Untitled CB Capius Brevis, 2010) dans laquelle un crâne semble s’écraser dans un bloc de glaise.
L’infini en plus, 2010 de Meryam Mechita nous montre un crâne traversé par quatre assiettes en porcelaine de Sèvre au décor classique. L’ensemble posé sur un bûcher représente la rencontre de l’artiste avec la Manufacture.
Une œuvre minimaliste composée d’une « pixel box » et de trois sphères lumineuses  d’Angela Bulloch  (Plastic Three Sphere Cube Triangle : RYB, 2012) s’ajoute à cet assemblage hétéroclite dont le sens nous a échappé…
La richesse de l’exposition explique vraisemblablement une perception émoussée en cette  fin de parcours.

Nous reviendrons dans une prochaine chronique sur les œuvres exposées au rez de jardin et dans le jardin de la Villa.

La mise en lumière est particulièrement soignée. Les cartels sont complets et enrichis par des commentaires pertinents que l’on retrouve dans le catalogue.  L’utilisation judicieuse de détecteurs de présence assure une bonne préservation des œuvres dynamiques, et après plusieurs mois d’exposition, toutes sont dans un parfait état de fonctionnement. Il faut saluer la très bonne qualité technique de la mise en espace, le respect du travail des artistes et le soin porté au confort du visiteur.

La direction artistique et la scénographie ont été assuré par Victoria Ville-Paris, Jean-Pierre Frimbois, Laurent Baude, François Dumont et Ciris-Vell.

Les sculptures présentées ont été prêtées par des galeries, des musées, des fondations et des collectionneurs français et étrangers ainsi que par de nombreuses artistes.

Le catalogue Sculptrices est édité par la Villa Dartis – Fondation pour la Sculpture Contemporaine.
Les textes « « ont signés par é & créativité : Fondation ean-Pierre Frimbois, Laurent Baude, François Dumont et Ciris-Vell.La sculpture vue par les femmes artistes » et « Sculptrices, liberté & créativité » sont signés par Valérie de Maulmin

Une ou plusieurs visites de cette exposition s’imposent avant le 11 novembre. Le panorama de la « sculpture par les femmes » que propose la Villa Datris complète parfaitement l’exposition Les Papesses au Palais des Papes et à la Collection Lambert en Avignon.

Liste des artistes exposées :
Ghada Amer • Marina Apollonio • Béatrice Arthus-Bertrand • Rina Banerjee • Anne Blanchet • Simone Boisecq • Ania Borzobohaty • Martha Boto • Louise Bourgeois • Angela Bulloch • Elisabetta Casella • Charlotte Charbonnel • Ciris-Vell • Geneviève Claisse • Camille Claudel • Anne Claverie • Céline Cléron • Parvine Curie • Odile Decq • Mirabelle Dors • Nathalie Elemento • Regina Falkenberg • Anne Ferrer • Aude Franjou • Odile De Frayssinet • Gloria Friedmann • Gun Gordillo • Milène Guermont • Francesca Guerrier • Pauline Guerrier • Zarina Hashmi • Camille Henrot • Rebecca Horn • Laurence Jenkell • Eva Jospin • Katarzyna Kobro • Yayoi Kusama • Sophie Lavaux • Machat • Silvia Manazza • Myriam Mechita • Margaret Michel • Marie Morel • Louise Nevelson • Isabel Nolan • Meret Oppenheim • Sarah Oppenheimer • Marta Pan • Alicia Penalba • Beverly Pepper • Carmen Perrin • Françoise Petrovitch • Chloe Piene • Alice Pilastre • Eva Ramfel • Germaine Richier • Sylvie Rivillon • Rotraut • Niki De Saint Phalle • Martha Shearer • Chiharu Shiota • Kiki Smith • Jessica Stockholder • Annette Streyl • Caroline Tapernoux • Joana Vasconcelos • Françoise Vergier • Gabrielle Wambaugh • Mâkhi Xenakis.

En savoir plus :
Sur le site de la Villa Datris
Des entretiens avec 22 artistes ont été filmés par François Castelot. Ils sont disponibles sur le site et sur la chaîne YouTube de la Villa Datris

À propos de la fondation Raja-Danièle Marcovici :
Sur le site de la fondation

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