Jimmy Richer et Katia Morel, lauréats du 3ème prix Félix Sabatier, au Musée Fabre, Montpellier

Article mis à jour le 24 mars 2016

Jimmy Richer et Katia Morel lauréats du 3ème prix Félix Sabatier au Musée Fabre, Montpellier
Jimmy Richer et Katia Morel lauréats du 3ème prix Félix Sabatier au Musée Fabre, Montpellier

Du 22 mars au 15 mai 2016, le musée Fabre accueille dans les salles voûtées, au premier étage, une exposition consacrée à Jimmy Richer et Katia Morel, lauréats du troisième prix Félix Sabatier

Jimmy Richer et Katia Morel lauréats du 3ème prix Félix Sabatier au Musée Fabre, Montpellier
Jimmy Richer et Katia Morel lauréats du 3ème prix Félix Sabatier au Musée Fabre, Montpellier

Après Zaïnab Andalibe et Nelly Monnier, en 2012, puis Mélanie Lefebvre, Gaëlle Choisne et Laura Haby, en 2013,  ce Prix Félix Sabatier destiné à soutenir les jeunes artistes a été attribué en 2014 à Jimmy Richer, diplômé de l’École Supérieure des Beaux-Arts de Montpellier Méditerranée Métropole, et Katia Morel, diplômée de l’École Nationale Supérieure des Beaux-Arts de Lyon.

Jimmy Richer et Katia Morel lauréats du 3ème prix Félix Sabatier au Musée Fabre, Montpellier

La fondation Typhaine et le musée Fabre sont associés à cinq écoles supérieures des Beaux-Arts du sud de la France:   l’École Supérieure des Beaux-Arts de Montpellier, l’École Supérieure des Beaux-Arts de Nîmes, l’ENSBA de Lyon, l’Institut Supérieur des Arts de Toulouse, l’École Supérieure des Arts d’Aix-en-Provence.

Pour cette troisième édition, le jury composé était de Michel Hilaire, directeur du musée Fabre, de Raphaële Chalié, membre du Conseil d’Administration de la fondation Typhaine, de l’artiste Stéphane Pencréac’h et de Loïc Bénetière, co-directeur de la galerie Bernard Ceysson.

Si le prix Félix Sabatier est généreusement doté, la présentation d’une sélection d’œuvres des lauréats au sein des collections du musée Fabre offre une visibilité importante à ces jeunes artistes. Le musée met  à leur disposition les moyens importants de ses équipes techniques. Les deux mois d’exposition leur donnent l’opportunité de se faire reconnaître leur travail par le public et la critique.

Le commissariat est assuré par Stanislas Colodiet, conservateur en charge du département milieu du XIXème – XXIème siècle au musée Fabre. L’accrochage a été réalisée en collaboration étroite avec les deux artistes. On perçoit une certaine complicité ou pour le moins un plaisir partagé entre les artistes et le commissaire qui appartiennent à une même génération.

L’exposition prend place à la fin des collections modernes et contemporaines, après la salle Fournier. Cependant, il est possible d’accéder directement aux galeries contemporaines depuis le hall du musée, par l’escalier Leenhardt.
Depuis la salle Fournier, le parcours commence par deux salles consacrées au travail de Katia Morel, la première offre une place majeure à « Befter #1 », 2013, la sculpture primée. Les deux salles suivantes présentent une sélection d’œuvres de Jimmy Richer. On y découvre, en premier lieu, la pièce qui a retenu l’attention du jury, « Paravent (objet du miroir) », 2013.

L’éclairage, très réussi, abandonne avec pertinence les rampes de néons, qui donnent parfois à ces salles une lumière un peu trop crue. Des projecteurs mettent particulièrement bien en valeur les œuvres sélectionnées.

On ne retrouve pas, comme l’an dernier, les panneaux où les artistes répondaient à quelques questions pour présenter leur œuvre et leur démarche. Pour cette édition, le commissaire a choisi, d’éliminer les traditionnels cartels, pour un dépliant mis gratuitement à la disposition des visiteurs. Dans ce document, Stanislas Colodiet  signe deux textes de présentation du travail de Katia Morel et Jimmy Richer. Chaque œuvre exposée bénéficie d’une reproduction accompagnée de son cartel.

Si les univers des deux artistes sont très différents, le parcours reste néanmoins très intéressant. La mise en espace très réussie des deux ensembles laisse toute la place au regardeur pour pénétrer dans les narrations qui « n’ont ni début ni fin » de l’un où  pour méditer sur les jeux d’équilibre, les tensions, les ambiguïtés et les références au Baroque de l’autre…

Le travail de ces deux jeunes artistes mérite sans aucun doute un passage par le musée Fabre.
À lire ci-dessous un compte rendu de visite.

En savoir plus :
Sur le site du musée Fabre
Sur le site de Katia Morel

Katia Morel

Katia Morel, Befter #1, 2013, Estropié #1, 2016, Estropié #2, 2015 - Musée Fabre, Montpellier
Katia Morel, Befter #1, 2013, Estropié #1, 2016, Estropié #2, 2015 – Musée Fabre, Montpellier

Trois œuvres occupent la première salle que l’exposition consacre à Katia Morel : une sculpture, un dessin et une photographie… Un ensemble qui décline les nuances de gris dans une mise en scène à la tonalité théâtrale.

L’œuvre primée, Befter #1, 2013 est inspirée de Saint Matthieu et l’ange, une huile sur toile peinte, en 1602, par Caravage pour la chapelle Contarelli de Saint-Louis des Français à Rome.
Trois éléments de la composition retiennent l’attention de Katia Morel : le tabouret sur lequel est agenouillé le saint qui semble basculer vers le spectateur, les mains de l’ange et le drapé de la tunique de l’évangéliste. Elle transpose ces détails dans une sculpture toute en déséquilibre, avec des matériaux qui lui sont propres (béton, plâtre, enduit, toile de verre, drap, gants) et en laissant voir les éléments de structure…

Cette pièce est assez emblématique du travail de Katia Morel : La précarité d’un équilibre fragile, le passage de l’image à la sculpture et l’inverse, l’ambiguïté des images et des pratiques (trompe l’œil) inspirées du Baroque et un intérêt pour les « formes incomplètes, fragmentées, ou altérées ».

Les deux œuvres qui accompagnent Befter #1  illustrent la transposition de la sculpture à l’image et l’attrait de l’artiste pour les vestiges.  Estropié #1, 2016 est un dessin au crayon à papier réalisé à partir de photographies de sculpture endommagée. Estropié #2, 2015 est une photographie d’une fontaine romaine dont les sculptures sont rongées par l’érosion.

Katia Morel, Befter #2, 2013, Mind the gap, 2014, Pause déjeuner, 2014 - Musée Fabre, Montpellier
Katia Morel, Befter #2, 2013, Mind the gap, 2014, Pause déjeuner, 2014 – Musée Fabre, Montpellier

La mise en espace de la deuxième salle s’organise autour d’une deuxième pièce de la série Befter (contraction des mots Before et After).

Befter #2, 2013 est inspiré d’une autre toile du Caravage,  La mort de la Vierge (vers 1605-1606) conservée au Louvre.  Katia Morel représente le corps en lévitation de la Vierge par un drap de béton, matériau pesant qui vient partiellement s’appuyer sur une vitre, elle-même posée sur une paire de chaussures, référence aux pieds qui ne semblent appartenir à aucun des apôtres dans l’œuvre du Caravage.

Autour de cette sculpture, le visiteur est invité à se déplacer pour multiplier les points de vue, les perspectives et percevoir les liens subtils entre les différentes pièces…

Katia Morel, Mind the gap, 2014, Hangover tree, 2014 - Musée Fabre, Montpellier
Katia Morel, Mind the gap, 2014, Hangover tree, 2014 – Musée Fabre, Montpellier

Mind the gap, 2014 est une photographie transférée à l’acétone sur des bandes de scotch de peintre collées sur une vitre éclairée par un néon. L’image montre un homme en train de se pencher sur un échafaudage. L’équilibre instable de l’homme renvoie à celui de la vitre posée sur le mur fait un écho au morceau de verre qui relie le manteau de la Vierge aux chaussures de l’inconnu.

Katia Morel, Betwixt and Between, 2013 - Musée Fabre, Montpellier
Katia Morel, Betwixt and Between, 2013 – Musée Fabre, Montpellier

Cette installation fait écho à Betwixt and Between, 2013, une photographie troublante d’une situation incertaine, intermédiaire et indécise…
Ce « ni l’un, ni l’autre » entre lui-même en résonance avec  l’incertitude du sujet que représentent les corps allongés du triptyque Pause déjeuner, 2014. Que voit-on ? Une scène de guerre, de terreur ou un moment de sieste sur un campus ? Ce trouble est renforcé par l’impression des figures sur un adhésif industriel qui imite le bois…

Katia Morel, Hangover tree, 2014, Pause déjeuner, 2014 - Musée Fabre, Montpellier
Katia Morel, Hangover tree, 2014, Pause déjeuner, 2014 – Musée Fabre, Montpellier

Cette fausse marqueterie renvoie elle-même au trompe-l’œil du Baroque, mais aussi aux tasseaux de bois qui soutiennent le manteau de béton de la Vierge et à l’arbre sans tronc photographié par l’artiste qui est accroché sur une poutre verticale maintenue en équilibre à l’aide de deux serre-joints ( Hangover tree, 2014 ).

Toutes les pièces exposées dans cette salle renvoient à la question de l’équilibre :  au sens propre autour de la stabilité des œuvres, au sens figuré avec la photo de l’homme sur un échafaudage, la lévitation de la Vierge ou l’arbre sans tronc et au sens métaphorique avec l’équilibre des œuvres dans l’espace de l’exposition.

Pour éviter toute paraphrase, on reproduit cet extrait d’un texte de Katia Morel, issus de son site web, où elle évoque les enjeux de son travail :

« (…) Je travaille avec le poids, la masse et la pesanteur. J’instaure des situations d’attentes figées dans l’indétermination d’une construction ou d’une déconstruction afin de mettre en scène leurs résistances dans l’espace.
J’assemble mes éléments en fonction des différents mécanismes de la mémoire auxquels ils font appel. Par l’enchevêtrement de références à l’histoire de l’art ou à des pratiques passées (la composition de peintures baroque, la posture de statues, la marqueterie, le vitrail) que je combine à des formes et objets toujours actuel et familiers. Il s’agit de mettre en évidence le déplacement, la transformation, ou la circulation d’un état à un autre dont l’absurdité me questionne tant. Nait alors un dialogue entre une figure et son support, entre une histoire de l’art passée et nos regards contemporains, entre une illusion et sa propre déconstruction. Je joue avec les contextes culturels auxquels ils se réfèrent : les territoires historiques et les signes culturels communiquent et débordent les uns dans les autres. Tout ces éléments prennent acte dans l’espace d’exposition comme une scène ou l’attente est théâtralisée
 ».


Jimmy Richer

Jimmy Richer, Paravent (objet du miroir), 2013. Photo The Cornelius Arts Foundation
Jimmy Richer, Paravent (objet du miroir), 2013. Photo The Cornelius Arts Foundation

Dans la première salle consacrée au travail de Jimmy Richer, Paravent (objet du miroir), 2013, l’œuvre primée s’impose au regard du visiteur et fait écran aux autres pièces exposées.
Sur les trois feuilles de ce paravent, le dessin sans perspective de Jimmy Richer ( que l’on avait pu découvrir à l’Espace Saint Ravy, en 2014) propose une logique de lecture proche de celle des  peintures extrême-orientales. Le regard doit se promener pour (re)construire une narration qui entremêle les références à Platon (?), à Jérôme Bosch, au surréalisme d’un Max Ernst, mais aussi à des traditions populaires comme la fête des fous…

Il faut passer au-delà du paravent (de l’autre côté du miroir ?) pour découvrir, au centre de la salle, une des « étagères » vue récemment à la galerie Chantiers BoîteNoire. Elle présente d’étranges sculptures de carton et ruban adhésifs Opium en fond de cale et Toth Koropos ropotopo barak’h, personnage énigmatique qui nous affirme : « Bientôt vos têtes seront recapotées. Quelle chance ! ».

Jimmy Richer, Opium en fond de cale, Toth Koropos ropotopo barak’h, Les passes murailles, La bande de Flint - Musée FAbre Montpellier
Jimmy Richer, Opium en fond de cale, Toth Koropos ropotopo barak’h, Les passes murailles, La bande de Flint – Musée FAbre Montpellier

Au sol, sont posés des boîtes, des coffres et une cage à oiseau de la série Les Aventures encoffrées, 2015. Jimmy Richer revendique ici clairement ses références et ses emprunts à la littérature ou à l’histoire : L’Île au trésor de Stevenson ( La bande de Flint), les Mille et Une Nuits (Les passes murailles), le trafic d’opium au temps de la Compagnie des Indes Orientales (Opium en fond de cale) ou encore les graines de cacao que Christophe Colomb jette par-dessus bord, persuadé que ce sont de crottes ( Kakaw, Cacahuait, cacao… Jetez moi ça à la mer ! ).
Ces boîtes en carton semblent receler des trésors et des mystères… et constituent un appel vers de surprenantes aventures fantastiques.

Jimmy Richer, Kakaw, Cacahuait, cacao… Jetez moi ça à la mer !, 2015 - Musée Fabre Montpellier
Jimmy Richer, Kakaw, Cacahuait, cacao… Jetez moi ça à la mer !, 2015 – Musée Fabre Montpellier

Aux murs, on découvre un ensemble de dessins à l’aquarelle et au stylo, dont une série « Carême, les yeux grands ouverts », 2014, inspirées des gravures qui illustraient les pièces montées du cuisinier Antonin Carême dans son ouvrage « Le pâtissier pittoresque » publié en 1842.

Chaque objet, chaque dessin évoque une histoire et peut devenir pour le visiteur le point de départ de récits imaginaires.

Il y a chez Jimmy Richer une attraction singulière pour les boîtes que l’on retrouve dans la deuxième salle. Une étrange lumière provient d’un coffre de verre transpercé par des néons… L’ installation est intitulée Mon corps, c’est le lieu sans recours auquel je suis condamné (plaidoyer pour des cadavres) !

Jimmy Richer, Kakaw, Mon corps, c’est le lieu sans recours auquel je suis condamné (plaidoyer pour des cadavres), 2015 - Musée Fabre Montpellier
Jimmy Richer, Kakaw, Mon corps, c’est le lieu sans recours auquel je suis condamné (plaidoyer pour des cadavres), 2015 – Musée Fabre Montpellier

Jimmy Richer avoue s’intéresser à l’apparition du cercueil en Europe au XVIIème siècle et à l’abandon des fosses communes pour des raisons d’hygiène. Il confie être particulièrement intrigué par le paradoxe qui apparaît alors entre la volonté d’échapper à son corps pour accéder à une autre vie et l’enferment de ce corps dans une boîte. Comment s’échapper de cette boîte ?
Par ailleurs, il considère le vitrail comme une manière de transformer le corps à travers la lumière…

Pour cette installation, il conçoit donc une boite en verre peint qui évoque un cercueil mais aussi une boite de magicien transpercée par des lames de lumière. Seul un tour de magie ou un sortilège peut faire disparaître le corps…

Jimmy Richer, Tributaire de l’idéogramme, 2015 - Musée Fabre Montpellier
Jimmy Richer, Tributaire de l’idéogramme, 2015 – Musée Fabre Montpellier

Aux murs, trois dessins (Tributaire de l’idéogramme #1, #2 et #3) représentent divers états de ce sarcophage/ boîte de magicien… qui semble songer, si on en croit la bulle de BD qui le surmonte,  à  ces objets impossibles (triangle et pentagone de Penrose, cube de Necker), illusions d’optique qui peuvent être dessinées mais qu’il est impossible de construire en volume.

Jimmy Richer, Tributaire de l’idéogramme, 2015 et Creation In Situ - Musée Fabre Montpellier
Jimmy Richer, Tributaire de l’idéogramme, 2015 et Creation In Situ – Musée Fabre Montpellier

Le dernier dessin semble être arraché par un squelette dessiné directement sur le mur de la galerie, très inspiré des gravures moyenâgeuses des danses macabres. Jusqu’au début du XVIème siècle et donc avant l’apparition du cercueil, ce thème était fréquemment peint sur les murs des églises et dans les cimetières d’Europe du Nord. Chacun trouvera ici ce qu’il voudra trouver entre la sarabande moyenâgeuse qui mêle morts et vivants, et qui moque la vanité des distinctions sociales et l’individualisme, le rationalisme qui s’affirment à l’époque moderne…

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