Les parfaites imperfections d’Erik Kessels aux Rencontres d’Arles

Parfaites imperfections - Rencontres Arles 2016 - Vue de l'exposition
Parfaites imperfections - Rencontres Arles 2016 - Vue de l'exposition

Avec ces « Parfaites imperfections » sous titrées «  L’art d’embrasser le hasard et les erreurs », Erik Kessels présente une des expositions les plus réussies de ces 47ème Rencontres de la Photographie à Arles et sans aucun doute une des plus réjouissantes.

Ruth Van Beek et Annegien Van Doorn - Parfaites imperfections - Rencontres Arles 2016
Ruth Van Beek et Annegien Van Doorn – Parfaites imperfections – Rencontres Arles 2016

Dans l’ambiance plombée dans laquelle on vit depuis plusieurs mois, cela fait du bien de voir une proposition où l’humour, la dérision, l’absurde et la fantaisie s’imposent…
Avec l’exposition « Hara Kiri Photo » proposé par Thomas Mailaender et Marc Bruckert, à la Grande Halle et les « Toiletpaper » de Cattelan et Ferrari qui s’affichent sur des bâches à l’Atelier des Forges, les « Parfaites imperfections » d’Erik Kessels proposent, au palais de l’Archevêché, d’autres regards, d’autres points de vue sur un monde chaotique où résonne le bruit des guerres et des conflits.

Fondateur et directeur artistique d’une agence de publicité active à Amsterdam, à Londres et Los Angeles, Erik Kessels, photographe et collectionneur, a publié récemment, aux éditions Phaidon, un petit ouvrage à la mise en page déroutante et au titre provocateur : «  Parfaites imperfections : Comment transformer ses erreurs en idées géniales pour se planter en beauté ».

De fait, cet essai « éloge au courage d’échouer en beauté pour échapper à une assommante conformité » apparaît comme le programme et le « catalogue » de l’exposition présentée à Arles.
À son propos, Erik Kessels écrit :

« Ce livre est dédié à l’art accidentel de l’erreur […]. Les erreurs nous libèrent. Elles nous permettent de porter un regard différent. Elles nous guident pour résoudre les problèmes. Elles nous permettent d’aller au-delà de la perfection. »

Failed It - Parfaites imperfections - Rencontres Arles 2016
Failed It – Parfaites imperfections – Rencontres Arles 2016

Logiquement, il ouvre le parcours de l’exposition, suspendu à un câble à l’entrée de la première salle. Dans son texte d’intention, le commissaire résume très clairement son propos :

« De nos jours, la majeure partie de l’art, du design et de la photographie s’attache à représenter la perfection. Cette perfection mise en scène, impeccable et sous contrôle semble être le reflet de notre éternelle quête de clarté et de calme et fonctionne comme un antidote au chaos de nos vies. Les techniques numériques ont créé une abondance d’images : nous prenons des photographies encore et encore, jusqu’à avoir la bonne. Les photographies imparfaites sont supprimées tandis que les bonnes se voient retouchées. Dans notre culture obsédée par la perfection, nous fuyons les erreurs, ce qui est à mon humble avis une catastrophe. De plus en plus d’artistes et de photographes prennent pour sujet de leur travail les échecs heureux. Cette exposition offre un large panorama des parfaites imperfections les plus réussies créées dans la photographie, le design et l’art contemporain. Elles sont l’œuvre d’artistes qui aiment combattre la perfection, embrasser le hasard et chercher de fabuleuses erreurs. »

Pour illustrer son projet, Kessels a rassemblé un ensemble très pertinent de photographies, vidéo et installations signés par :
Timm Ulrichs • André Thijssen • Joan Fontcuberta • Joachim Schmid • Paul Bogaers • Peter Piller • Heike Bollig • Kent Rogowski • Helmut Smits • Matt Stuart • Barry Van Der Rijt • Daniel Eatock • Putput : Stephan Friedli & Ulrik Martin Larsen • Ruth Van Beek • Lucas Blalock • Thomas Mailaender • Annegien Van Doorn

La scénographie, remarquable, exploite avec humour et dérision les éléments de décor du palais de l’Archevêché.
Une moquette à l’imitation du pavement d’une des cinq salles unifie l’ensemble de l’espace. Dans le dernier salon, à droite des appartements, elle laisse place aux carreaux originaux. Certains disjoints rendent le sol instable, surprenant ainsi les visiteurs.
« Parfaites imperfections » exploite avec humour et à propos cette future surprise, en proposant dès la première salle une vidéo de Annegien Van Doorn ( Jeu de marches, 2014) dans laquelle une ombre joue avec les sons émis par des dalles décollées… Ailleurs l’accrochage joue subtilement avec les moulures des encadrements, les niches ou les couloirs.

Au fil du parcours, on découvre des cimaises posées négligemment au sol ou contre les murs, dans un fatras qui remet en cause, avec humour et dérision, les pratiques habituelles de la scénographie d’exposition.

L’accrochage est aussi iconoclaste : Ici, les photographies sont suspendues au plafond. Là, elles s’appuient, en équilibre instable, contre un mur, un radiateur, une fenêtre ou sur le manteau d’une cheminée. Un peu plus loin, elles participent à une installation précaire maintenue par quelques bouts de planche ou par un balai de chantier…

Les installations semblent être abandonnées en plein montage… On rencontre un moniteur vidéo encore posé sur un diable, un écheveau de câbles électrique, un escabeau oublié…
L’instable, l’accidentel et l’inachevé semblent construire l’exposition.

Erik Kessels réussit parfaitement à mettre sa scénographie en cohérence avec son propos. En offrant au visiteur un joyeux bazar, en bousculant les codes de l’exposition, en proposant un parcours qui multiplie les surprises, les changements de rythmes, il utilise avec humour et sans prétentions ce que lui proposent les décors un peu défraîchis du palais archiépiscopal.

En dépit des apparences, tout est ajusté avec précision, aucun détail n’est négligé, à l’image des cartels, imprimé sur des planches, reprenant code couleur et typographie de l’ouvrage et qui semblent négligemment posés çà et là.

L’accrochage multiplie les rapprochements audacieux et imprévus, toujours avec humour, dérision et pertinence…

Il est impossible de citer une proposition artistique, un dialogue entre elles, un clin d’œil à l’architecture ou au décor… L’ensemble des œuvres choisies, leur accrochage et le parcours proposé constituent projet très cohérent. L’exposition illustre parfaitement le propos de son commissaire, sans jamais trahir les œuvres utilisées.

Avec ce joyeux bazar, Erik Kessels s’amuse avec les règles et les outils de l’exposition, mais il offre aussi de beaux espaces aux artistes qu’il a choisi, pour lesquels on perçoit une réelle empathie de sa part.
Il propose aux visiteurs, des perspectives inédites, un parcours où l’œil sans cesse mis en alerte et les certitudes souvent bousculées.

Sans pédanterie, les textes sont rédigés avec élégance, simplicité et avec une volonté d’impliquer le lecteur dans une « conversation» aimable.

Dans ces « Parfaites imperfections », il y a un indiscutable plaisir de découverte et de partage. Si la construction de l’exposition est très rigoureuse, tout semble léger et ouvert, rien n’apparaît comme contraint ou obligé. Les regards et les sourires échangés par les visiteurs se transforment parfois en éclats de rire et en conversations… Cette complicité réussie entre artistes, commissaire et regardeurs, est suffisamment rare pour être ici soulignée.

N’en déplaisent aux pisse-vinaigre, aux esprits chagrins, aux experts de la photographie qui vénèrent les tirages vintage, les images parfaitement construites, les accrochages orthogonaux qui alignent les séries avec rigueur, « Parfaites imperfections » est un moment de plaisir, une des expositions de ces 47ème Rencontres d’Arles qu’il ne faut pas manquer.

En savoir plus :
Sur le site des Rencontres de la Photographie
Sur la page Facebook des Rencontres de la Photographie
Erik Kessels sur la médiathèque des Rencontres

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