Nuage au musée Réattu, Arles : Impressions de visite (1)

Michèle Moutashar devant Nuage IV de Jaume Plensa. Présentation de presse.
Michèle Moutashar devant Nuage IV de Jaume Plensa. Présentation de presse.

Avec Nuage, présenté au musée Réattu, Michèle Moutashar nous offre, une nouvelle fois, une exposition remarquable, d’une grande richesse, pleine de sensibilité et l’intelligence…

Pour cette dernière exposition, comme directrice du musée, elle a rassemblé un peu plus de 120 œuvres produites par 57 artistes, après avoir pratiqué une miraculeuse pêche à la palangrotte, sur les conseils de Jean Arp.

Le projet de cette exposition trouve son origine à la suite d’un cambriolage vieux de trente ans… C’est avec un humour malicieux que  Michèle Moutashar raconte, au micro d’une radio locale d’Arles (3DFM[1]),  pourquoi  la disparition d’une indispensable machine à café italienne la conduisit à Parme… Au hasard d’une déambulation dans la ville, elle découvre dans les nuages des fresques du Corrège au Duomo,  de multiples aspects.  Leur sensualité, voire  leur érotisme  transforment ces « objets de peinture en objets métaphysiques [2]» qui font alors émerger l’idée d’un sujet d’exposition…

Encore fallait-il trouver comment attraper ces « objets d’émerveillement, véritables ascenseurs pour l’imaginaire »[3]…
C’est le sculpteur Jean Arp qui lui fournit un guide pour concevoir cette exposition avec en particulier  cette phrase extraite de son journal :

« Celui qui veut abattre un nuage avec des flèches épuisera en vain ses flèches. Beaucoup de sculpteurs ressemblent à ces étranges chasseurs. Voici ce qu’il faut faire : on charme le nuage d’un air de violon sur un tambour ou d’un air de tambour sur un violon. Alors il n’y a pas long que le nuage descende, qu’il se prélasse de bonheur par terre et qu’enfin, rempli de complaisance, il se pétrifie. C’est ainsi qu’en un tourne-main, le sculpteur réalise la plus belle des sculptures » [4].

Une évidence s’affirmait alors, « l’exposition Nuage n’était pas dans le ciel, mais sur la terre. Il fallait donc partir à la recherche de nuages incarnés[5] »…

Michèle Moutashar ajoute un fil rouge essentiel à son propos : la Chine, où le nuage est la manifestation du principe fondamental de l’univers et du souffle vital, le qi[6].
On retrouve de multiples manifestations de ce souffle dans les œuvres présentées, même si les objets chinois sont peu nombreux …

Dans un entretien accordé au journal Zibeline, elle affirme : « Pour moi il y a deux manières de faire des expositions. La première, la plus fréquente : vous avez une théorie et vous allez chercher des œuvres qui confirment votre théorie. C’est la meilleure façon d’empêcher le spectateur d’entrer en contact avec l’œuvre d’art. Pour moi une œuvre d’art est un corps vivant qui parle, le minimum est de pouvoir lui donner la possibilité de s’exprimer [7]».

Michèle Moutashar rappelle dans un très beau texte « Géographies », publié par Actes Sud, que les « œuvres d’art, y compris les peintures sont avant tout des corps : choses mentales incarnées […] Elles ont par conséquent une façon de questionner l’espace que seul un autre corps est à même d’entendre […]  et les turbulences qu’elles opèrent dans les lieux où on les pose sont l’élixir du parcours.  […]Tout accrochage […]est (devrait être) la mise en composantes égales de trois corps, celui de l’œuvre, celui de l’espace autour et celui du visiteur qui fait couture[8] ».

Elle souligne, selon une expression exprimée par Jocelyne Alloucherie, que la conception de cette exposition et son accrochage, fidèle à ce qui avait été élaboré par le passé, échappe « au principe de la continuité pour adopter celui de contiguïté [9]».

Tout commence dans la cour du Gleditsia, avec  une figure récurrente de Jaume Plensa, méditative, assise ici sur un rocher (Nuage IV)… Que cherche-t-elle à nous dire avec les lettres de divers alphabets qui forment  son enveloppe, « la mémoire de son volume, la trace laissée par son passage[10] »… Peut-être que « les pierres sont les racines des nuages[11] » ?
Quels secrets sont échangés avec Les Génies de Jean-Blaise Picheral ? « Ces Génies sont issus de l’empreinte digitale,qui est l’ancêtre de l’ADN […]. Les  empreintes ne sont jamais pareilles, l’ADN ce n’est jamais le même, comme les nuages… […] De plus, les formes des Génies sont un peu des génies volants, presque des formes de nuages[12] ».

Après avoir fait retentir les deux gongs de Matter-Spirit de Jaume Plensa, puis avoir lu la « seule vraie partition céleste de l’exposition[13] » avec  la Carte des vents de Jacqueline Salmon, on percevra le délicat dialogue entre la pierre de médiation d’un lettré chinois et une très belle image d’Edward Weston des Dunes d’Oceanao.

Les silver clouds d’Andy Warhol viennent refléter les lumières du ciel et du fleuve dans l’ancien atelier de Jacques Réattu. Selon leur humeur, ils n’hésitent pas à poursuivre nonchalamment le visiteur dans la pièce suivante… Dans laquelle, Michèle Moutachar a réussi à réaliser le rêve de réunir le Nuage de Spilliaert et l’Ombre de nuage de Arp, mais aussi un très sensuel Ciel Postiche de Brassai.

Un peu plus loin, les œuvres de  Brigitte Garcia, Dora Maar, Man Ray et Meret Oppenhein entretiennent des conversations pleines de charme…

Si Magritte n’a pu être extrait de coffres-forts surréalistes, Pol Bury, Anselm Kiefer et Chema Madoz proposent « les clés des innombrables portes de l’acenseur à nuages… »[14]

Dans une ambiance lumineuse propice à la médiation et au rêve, deux superbes diptyques de Jean-Baptiste Huynh de sa série Intime Infini  voisinent avec une étrange météorite de sa collection qui a pris forme de nuage… Un peu plus loin, un appui-tête chinois de la dynastie Song en forme de nuage côtoie chapeaux et coiffe de mariée de Yohji Yamamoto.

Puis c’est la découverte inattendue chez Manzoni de deux Achromes, proches des nuages du Corrège… et un souffle d’artiste, un des éléments pneumatiques qui courent à travers l’exposition. Une curieuse Histoire de la peinture de Jordi Alcaraz voisine avec une photographie de la suite Blank conservée par le musée.

Piero Manzoni, Achrome, 1961. Coll. Heart-Herning Museum of Contemporary Art, Danemark - Fondation Manzoni. Photo D.R. © ADAGP, Paris 2013 Laine et tissu – 55 x 46 x 2,5 cm
Piero Manzoni, Achrome, 1961. Coll. Heart-Herning Museum of Contemporary Art, Danemark – Fondation Manzoni. Photo D.R. © ADAGP, Paris 2013
Laine et tissu – 55 x 46 x 2,5 cm

La conservatrice qui se déclare volontiers un peu joueuse et facétieuse, a rassemblé dans une même salle, autour du coton, un pêchage Man Ray, encadré à sa droite  et à sa gauche par des photos de Susanna Hesselberg et de Martin d’Orgeval. Dans la série des mannequins photographiés par Raoul Ubac, lors de  l’Exposition internationale du surréalisme à la Galerie des Beaux-Arts en 1938, celui de Maurice Henry présentait une coiffure suffisamment  cotonneuse pour trouver sa place ici. Une Machine à poèmes et un Coup de fil à Pierre Restany de Marcel Broodthaers  à la ouate surréaliste accompagnent ce « laboratoire du rêve ».

Juste à côté, le coton a disparu, mais le rêve se prolonge… Cacahuète, cintres, microsillon se transforment en nuages avec Marina Abramovic, Man Ray et Cornelia Parker. Le collectif Présence Panchounette nous offre un Ciel sans nuage mais aussi un Nuage sans ciel

L’exposition démontre ensuite avec les Cuerpos celestes (ADN Kerry James Marshall et de Lisa Lee) de  Iñigo Manglano-Ovalle que nous ne sommes que Nuage ! Une explosion de coléoptère photographié par Yves Trémorin le confirme… Les sceptiques pourront examiner la chose à l’aide du néphoscope mis à leur disposition…

À l’instant où le parcours quitte la Commanderie de Saint-Pierre avant de se poursuivre dans les salles du Grand Prieuré de l’Ordre de Malte, nous suspendons ces impressions de visite que nous poursuivrons dans un billet ultérieur.

En savoir plus :
Sur le site du musée Réattu
Sur la page Facebook  du musée Réattu
Sur le site Marseille-Provence 2013
Sur la page Arles de Marseille-Provence 2013

Le musée propose sur son site une remarquable documentation a props des artistes. Dans ce billet, un lien sur le nom de chaque artiste conduit au fichier pdf qui fait l’inventaire des documents disponibles à la bibliothèque du musée et à quelques références en ligne. L’ensemble est consultable à cette adresse : http://www.museereattu.arles.fr/actualit%C3%A9s-du-nuage.html


Reportage France 3


[1] Émission  Info culture, culture info 13/05/13 : « lundi des nuages » sur 3DFM : http://www.radio3dfm.com/content/info-culture-culture-info-2
[2] Ibid
[3] Ibid
[4] Jean Arp, Jours effeuillés, poèmes, essais, souvenirs, 1920-1965, Paris, Gallimard, 1966
[5] Émission  Info culture, culture info 13/05/13 : « lundi des nuages » sur 3DFM
[6] http://fr.wikipedia.org/wiki/Qi_(spiritualit%C3%A9)
[7]Entretien avec Michèle Moutasha « Le corps du nuage », Propos recueillis par Claude Lorin : http://www.journalzibeline.fr/le-corps-du-nuage/
[8] Nuage, « Geographies » Arles, Actes Sud, 2013
[9] Ibid
[10] Entretien entre Gilbert Perlein et Jaume Plensa, à l’occasion de l’exposition au MAMAC en 2007 : http://www.mamac-nice.org/francais/exposition_tempo/musee/pensa2007/entretien.html
[11] Michèle Moutashar « A pas contés », petit guide distribué au visiteur.
[12] Entretien entre Jean-Blaise Picheral et Juliette Lageyre. Dossier de presse.
[13] Michèle Moutashar « A pas contés », petit guide distribué au visiteur.
[14] Ibid

 

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