Collections et collectionneurs au Carré Sainte Anne, L'œil et le cœur #2 à Montpellier

Oeil et le Coeur 2 - AffichePour le premier opus de L’oeil & le cœur, Curiosités et chefs-d’œuvre dans les collections montpelliéraines, en 2012, Numa Hambursin nous avait fait découvrir  l’univers des collectionneurs montpelliérains d’art moderne et contemporain. Il précisait alors qu’il ne s’agissait pas de présenter des « ensembles cohérents tels qu’ils peuvent exister,[ mais de privilégier] une approche hétérogène et pour tout dire ludique ».

Pour ce deuxième épisode, intitulé Traits d’esprit dans les collections montpelliéraines, il prend le contre-pied de la proposition précédente : « Nous avons choisi pour cette nouvelle édition de concentrer notre attention sur quelques ensembles très cohérents, entièrement voués à l’art contemporain et répondant en écho à la formule de Jean Baudrillard : « Collectionner, c’est aussi collectionner une part de soi-même ». Il faut un vrai courage pour accepter de livrer ainsi au public cette part de soi-même, de son intimité. Ils étaient treize, ils sont quatre, tous absents du premier opus, qui ont joué le jeu sans restriction ».

Pour trois mois, jusqu’au 27 avril,  le Carré Sainte Anne nous propose de découvrir les collections de Jacques Arnaudiès et de trois « anonymes » (L.G., Fernand, Tranber),  d’entrevoir leur personnalité, mais aussi de remarquer  comment ces collections peuvent dialoguer.
Les couleurs choisies pour les cimaises permettent d’identifier les quatre collectionneurs ; deux nuances de bleu et de gris indiquent leurs proximités.

Oeil et Coeur #2

L’accrochage tente de restituer celui qui est en place dans l’intimité de leurs appartements. Ce choix  montre combien la présentation d’un collectionneur est différente de celle du galeriste, du commissaire d’exposition ou du conservateur de musée. Ici, c’est avant tout l’œil et le cœur qui détermine la place de chaque œuvre, qui choisit les proximités, qui perçoit des dialogues…
On est loin des préoccupations de l’histoire de l’art, de la pédagogie, de la communication…
Bien entendu, le choix de cette présentation a quelques inconvénients. L’accrochage tapissier est souvent dense. Il n’offre pas toujours la meilleure visibilité, en particulier pour les œuvres placées  en hauteur. Aux heures d’affluence, ces espaces sont vite embouteillés, ce qui  doit donner quelques sueurs froides au personnel de surveillance.

Plus de 230 œuvres sont  exposées, c’est beaucoup…  La richesse de l’exposition impose pratiquement plusieurs visites si on veut accorder l’attention que mérite chaque collection.

Ancien  galeriste, Numa Hambursin connaît bien le monde des collectionneurs montpelliérains. Il sait que ce sont eux qui permettent aux artistes dont ils sont les contemporains de vivre et de se faire connaître. Bien entendu, on oublie ici les collectionneurs-speculateurs qui ont d’autres préoccupations. Numa Hambursin sait aussi que les collections rejoignent parfois les cimaises de nos musées. Le musée Fabre en est  une des plus belles expressions, car c’est avant tout un musée de collectionneurs passionnés  avec Fabre, Valedeau et Bruyas. Le musée Atger, trop méconnu, en est une autre illustration, avec l’extraordinaire collection dessins d’Atger qu’il conserve.

Indépendamment de la qualité des œuvres exposées, il faut remercier le travail du commissariat qui  valorise le rôle essentiel du collectionneur dans la vie artistique contemporaine et, parfois, dans l’enrichissement des collections publiques.

Dans la suite de cette chronique, nous évoquons les collections Arnaudiès et L.G.
Les jeunes collectionneurs de Street Art, Fernand et Tranber  feront l’objet d’un prochain billet.

Collection Jacques Arnaudiès

Collection Arnaudies_1
Carré Sainte-Anne, l’oeil et le coeur 2 – Collection Arnaudiès

Psychanalyste et pédopsychiatre exerçant à Paris, Jacques Arnaudiès est une figure de Montpellier et dans la Région. Étudiant à la fin des années 60, il côtoie les artistes alors présents en ville.

ABC Production et Supports/Surfaces

En 1969, Tjeerd Alkema, Jean Azémard,Vincent Bioulès  et Alain Clément créent le groupe ABC Production dont l’objectif est de montrer l’incapacité des structures traditionnelles de diffusion de l’art face à l’art contemporain. En mai 1970, la manifestation  « 100 artistes dans la ville », organisée par le groupe, marque fortement  certaines mémoires montpelliéraines.
Ces années  sont aussi celles où le groupe Supports/Surfaces remet en cause la peinture et son histoire.

Jacques Arnaudiès a entretenu des amitiés fécondes avec plusieurs de ces artistes qu’il collectionne. À plusieurs occasions, il mettra sa plume à leur service.
Tous les fondateurs d’ABC production sont présents à Sainte-Anne, et en particulier Alain Clément avec trois peintures dont un petit triptyque et un volume.  Pour ce dernier, Arnaudiès rédige un texte de quatre pages pour accompagner  une exposition à la salle Saint Ravy Demangel de Montpellier, à l’été 1993.
À l’exception de Toni Grand, tous les « fondateurs » de Supports/Surfaces sont représentés dans la collection Arnaudès : André-Pierre Arnal, Vincent Bioulès, Louis Cane, Marc Devade, Daniel Dezeuze, Noël Dolla, Jean-Pierre Pincemin, Patrick Saytour, André Valensi, Bernard Pagès et Claude Vialla… Si on ajoute à cette liste Pierre Buraglio et François Rouan, proches du mouvement, l’ensemble compte un total de 23 œuvres sur les 77 présentées à Sainte-Anne.
Pour Claude Viallat, il écrit « La peinture dans tous ses états » pour la plaquette qui accompagnait l’exposition 68-93 à la Galerie Fournier, en 1993. Puis pour l’exposition Objets à l’École Nationale des Beaux-Arts de Paris, il signe « Pas plus peintures que sculptures ». Pas moins sept œuvres de Viallat sont exposées, dont deux volumes de bois et tissus, une forme de pochoir et une rare œuvre figurative, datée de 1963, époque à laquelle Viallat était aux Beaux-Arts. C’était  avant son passage à l’abstraction et encore loin de la rupture de Supports/Surfaces.

La Galerie Fournier

La collection Arnaudiès est  aussi marquée par les artistes défendus par la Galerie Jean Fournier.  Les visiteurs des galeries contemporaines du musée Fabre seront ici en terres connues. On apprécie un bel ensemble de quatre oeuvres de Shirley Jaffe, une huile de Bernard Piffaretti, une autre de Simon Hantaï ou encore une œuvre sur papier de François Rouan.

Pour le peintre Dominique Gauthier, Jacques Arnaudiès écrit « La peinture allant vers… » pour l’exposition Peintures et dessins 1987-1992 au Musée d’Art Moderne de Céret, en 1992.
En 2004, le Carré Sainte Anne expose le peintre dans Ce que parler veut peindre (pour ainsi dire) et Jean-Paul Guarino le montre dans L’Hostinato, l’autre chose et la manière  à la galerie Vasistas. Cette même année, Dominique Gauthier expose De la Collection Jacques Arnaudies (1979-2003), chez M. Arnaudies, Paris.
En 2008, la Galerie Vasistas à Montpellier présente L’autre-deux chose, Oratorios. Correspondances en une collection montpelliéraine. En regard d’une sélection d’œuvres de Dominique Gauthier, allant des Opéras de 1979 aux Présences de 2007, sont proposée de nombreuses pièces issues de la collection Arnaudiès, dont un grand nombre se retrouvent aujourd’hui sur les cimaises de l’œil et le cœur #2.
Le collectionneur propose ici deux œuvres de Dominique Gauthier dont une huile de la série Contre-Raison qui ouvre l’exposition.

En 2002, c’est dans l’appartement parisien de Jacques Arnaudiès que Julien Gardair fait sa première exposition personnelle  Chez Jacques .
En 2003, il participe à une exposition collective 4 vérités + 1 à la galerie Jean Fournier . Jacques Arnaudiès écrit pour l’occasion « Les yeux comme le ventre… ». En 2007, l’exposition inaugurale pour la réouverture du musée Fabre La couleur toujours recommencée, hommage à Jean Fournier, expose une œuvre de Julien Gardair, proche de celle que Jacques Arnaudiès a prêtée au Carré Sainte-Anne. Ce grand format est accompagnée par deux œuvres plus modestes, un collage sur papier et un acrylique sur toile.

On ignorera, ici, certaines de prises de position du psychanalyste, mais elles montrent que l’homme ne craint pas la provocation et qu’il n’est pas vraiment adepte de la langue de bois. C’est donc sans surprise que l’on découvre son intérêt pour des artistes comme Erik Dietman ou du collectif Taroop & Glabel.

L’abstraction et la couleur chères à Fournier et les amitiés nouées  à Montpellier autour des avant-gardes de la fin des années 60 dominent sans aucun doute la collection Arnaudiès. Il achète la peinture d’artistes qu’il rencontre, avec lesquels il échange. Pour certains il écrit et parfois il n’hésite pas à transformer son appartement parisien en lieu d’exposition.

Un portrait signé Derain qui accompagne le tableau figuratif de Claude Viallat dans la dernière salle nous interrogent. Doit-on voir des œuvres anecdotiques dans la collection, ou un intérêt longtemps caché pour la figure ?

Collection Arnaudies - 2_1
Collection Arnaudiès : Mohamed Bouroussia – Georges Tony Stoll – Piero Gilardi – Hippolythe Hentgen – Véronique Ellena – Laurent Goumarre

Comment interpréter les photographies et les dessins exposés dans la nef ?  Ces œuvres font écho pratiquement pièce à pièce celles de la collection L.G. et qui leur font face. Images d’une amitié qui lie les deux hommes ? Signes d’une évolution de la collection ou simple dialogue entre deux collectionneurs ? Une chose est évidente : Ces sept pièces font rupture avec le reste de la collection exposée.

Collection L.G.

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Carré Sainte-Anne, l’oeil et le coeur 2 – Collection L.G.

Si l’abstraction et la couleur marquent la collection Jacques Arnaudiès, ici la figure humaine ou animale est presque toujours présente. Le corps, le désir mais aussi la douleur dominent  la majorité des sujets dans des univers qui oscillent entre expressionnismes ou surréalisme .
Photographies, dessins, céramiques et taxidermie se mêlent dans un accrochage très dense, presque étouffant et quelquefois oppressant.
Les œuvres peintes sont les plus rares.
De Marlène Mocquet, trois petites huiles et un format moyen nous entraînent dans son univers si particulier.
De David Wolle, on retrouve Tyétyé, 2008 et Tchétché, 2008, deux huiles sur toile vues lors de l’exposition Pour ainsi dire à la Galerie Vasistas dans le cadre de La dégelée Rabelais, en 2008. En fin de parcours, St. Épur, une autre huile sur toile présentée par Vasistas lors de Programme Libre,en 2010, est accompagnée par une énigmatique tête de chevreuil empaillée.
De Guillaume Pinard, L.G. a choisi d’associer un dessin monochrome d’un être poilu à trois œuvres colorées à l’esthétique enfantine et volontiers provocantes issues de l’exposition Tomate à la Galerie Anne Barault, en 2010. Au travail de Pinard, il rapproche une huile d’Amélie Bertrand, représentée par la Galerie Semiose. On sait la fascination de cette artiste pour l’image numérique, sa composition sur Photoshop, son goût pour l’absurde pour des sujets toujours figuratifs.
On note aussi une toile de Dominique Gauthier de la série des Arlequinades II, artiste que l’on trouve aussi chez Arnaudiès.

L.G. semble avoir des affinités avec les artistes représentés par  Galerie Semiose. Sur les cimaises, on remarque la présence de Piero Gilardi (Ibiscus rossi e cipresso, 2008) et d’Hippolyte Hentgen (Solitaire I, 2010 – Gisant, 2009). L’intérêt pour ces deux  artistes est partagé avec Jacques Arnaudiès. D’Hippolyte Hentgen, on découvre aussi un dessin ( L’hermite, la bête et le mort, 2012) vu à l’exposition Les cousines à l’Iconoscope, à Montpellier.

La Galerie Vasistas, à Montpellier, on l’a vu, a fourni au collectionneur plusieurs tableaux de David Wolle. L.G. qui montre un penchant marqué pour la photographie, s’est naturellement intéressé aux photographes exposés par Jean-Paul Guarino, et tout particulièrement à Laurent Goumarre (La poire, 2012 – série Arthur, 2008 – Accrochage, 2012) et Fiorenza Menini (Links (Intern Factor), 1999-2012). Ces épreuves étaient présentées dans l’exposition collective This is my Life, en 2012. De Fiorenza Menini, on remarque aussi El Sueno, 2011 montré dans son exposition personnelle La Ballade Infernale, en 2011, toujours à la Galerie Vasistas.

Parmi les nombreuses photos exposées, on note aussi la présence de plusieurs tirages de Georges Tony Stoll, de Véronique Ellena et encore d’Hervé Guibert.

Les œuvres de la collection L.G. présentées au Carré Sainte Anne, leur diversité technique, les proximités choisies par un accrochage particulièrement dense évoquent un univers complexe dans lequel  le corps et les désirs sont toujours présents.

Lire sur ce blog  : Street Art dans les collections au Carré Sainte Anne,  Montpellier

Du 24 janvier au 7 avril 2014
Ouvert du mardi au dimanche, de 10h à 13h et de 14h à 18h
Commissariat : Numa Hambursin

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