Esprit de famille au FRAC LR à Montpellier

Jusqu’au 7 mars prochain, le FRAC présente Esprit de famille, une exposition conçue avec l’Éducation nationale. Si l’objectif est de confronter les élèves de l’académie à une sélection d’œuvres issues de la collection du FRAC, l’exposition intéressera également amateurs et curieux. C’est avec plaisir que l’on retrouve plusieurs pièces vues récemment et que l’on (re)découvre des œuvres moins souvent montrées. Cet Esprit de famille rassemble Benoît Broisat, Belkacem Boudjellouli, Gérard Collin-Thiébaut, Daniel Firman, Joan Fontcuberta, Filip Francis, Anne-Marie Jugnet et Alain Clairet, Man Ray, Javier Tudela, Patrick Van Caeckenbergh.

Daniel Firman, Trafic, 2002
Daniel Firman, Trafic, 2002, plâtre, vêtements, objets divers, 200 x 130 x 80 cm. Collection Frac Languedoc-Roussillon. Photo Christian Perez. Collection Cnap, Paris, dépôt au Frac Languedoc-Roussillon

L’accrochage est naturellement construit sur des objectifs pédagogiques, mais ces derniers n’entravent jamais la fluidité, la cohérence et l’intérêt du parcours. Il offre d’agréables surprises, et laisse au regardeur une large place pour construire ses propres conversations avec les œuvres.

Une large cimaise coupe opportunément l’immense salle d’exposition et ménage ainsi une zone d’accueil.

Planté au milieu de ce mur, Trafic, de Daniel Firman, un autoportrait grandeur nature, dont la tête semble disparaître dans un amas d’objets hétéroclites, attire immédiatement le regard.

De chaque côté, on retrouve avec intérêt quatre des témoins de Benoît Broisat. Cette collection de diptyques associe un article de presse à un objet visible sur la photographie que l’artiste a récupéré après un étonnant travail d’enquête et de négociation. Ces associations interrogent sur la « réalité » des produits médiatiques et interpellent le visiteur sur les histoires qui accompagnent la quête de ces objets, sauf  à mettre en doute leur authenticité.

Seul un visiteur particulièrement attentif repérera Tu m’adores, tu m’énerves, copie d’après tu m’… de Marcel Duchamp, une toile de Filip Francis, installée en hauteur, au dessus des rayonnages, face à l’accueil… D’autres oeuvres « jouissent » d’un accrochage aussi inattendu. On conseille donc de prendre la fiche qui permet d’identifier les œuvres… et de les localiser !

Gérard Collin-Thiébaut, Gustave Courbet, Un enterrement à Ornans, 1997
Gérard Collin-Thiébaut, Gustave Courbet, Un enterrement à Ornans, 1997, bois, photographie sur PVC, 313 x 664 x 120 cm

Dans la vaste salle d’exposition, la reproduction photographique d’un enterrement à Ornans, de  Gérard Collin-Thiébaut, aux dimensions exactes du tableau de Gustave Courbet ( 313 x 664 cm ), attire comme un aimant. Dans un face à face tendu,  les trois jeunes de quartiers de Belkacem Boudjellouli semblent jauger les personnages sans visage de Courbet.

Belkacem Boudjellouli, Sans titre, 1997
Belkacem Boudjellouli, Sans titre, 1997, diptyque, fusain et acrylique sur toile, 2 x (200 x 120 cm)

Il faut un peu d’énergie pour quitter ce champ  de forces et pour revenir aux œuvres de taille plus modeste…  et ne pas oublier les petits habitacles bricolés de Javier Tudela.

Dansé 1 §,  une étonnante photographie d’un personnage en lévitation de Daniel Firman, entretient un curieux dialogue avec deux pièces d’Anne-Marie Jugnet et Alain Clairet.

Si le danseur paraît être en apesanteur, Nuage #3, sculpture en marbre blanc, reproduction en 3D d’un détail d’une peinture vénitienne de la Renaissance, semble peser lourdement sur son socle. Les bandes de couleurs acidulées de Sunset 14S font écho au revêtement du sol sur lequel  plane le danseur de Firman.

Le fond de la salle est occupé par plusieurs échanges entre les œuvres de Gérard Collin-Thiébaut et celles de Filip Francis, autour des figures de Duchamp et de Courbet.


Du premier, le Gustave Courbet, Un enterrement à Ornans, de sa série des Défigurations critiques, rappelle, par bien des aspects, le L.H.O.O.Q.de Duchamp. Il était donc logique de rapprocher cette grande « machine de foire » de la Vélodie amoureuse, une sculpture par métaphore, évocation humoristique du tabouret et de la roue de bicyclette, premier ready-made duchampien…

Filip Francis, utilise la figure de Duchamp pour deux toiles (Profil de M.D.et Broyeuse de chocolat de M.D) qui jouent avec les limites de la perception…
En face, il convoque Courbet, et, avec sa Copie de « La rencontre » de Courbet dans le champ de vision périphérique, il interroge les limites de la vision. Pour les toiles de cette série, dans le champ de vision périphérique, « au lieu de fixer son regard au centre du sujet, il le déplaçait pour situer ce dernier dans les zones périphériques du cône de vision, acceptant la perte de contrôle que le procédé implique tout en faisant apparaître aussi bien les distorsions engendrées au niveau de la forme que les implications non visuelles de l’acte de peindre, comme le rôle du geste, de l’intelligence et de la mémoire ».

Joan Fontcuberta, Man Ray / Duchamp, de la série « Orogenèse », 2006
Joan Fontcuberta, Man Ray / Duchamp, de la série « Orogenèse », 2006, tirage argentique viré au sélénium, 75 x 100 cm. Collection Frac Languedoc-Roussillon. © Adagp, Paris 2015

Un peu plus loin, on retrouve avec plaisir, les Orogenèses de Joan Fontcuberta,  que le FRAC nous avait présenté l’été dernier. Le catalan utilise un logiciel de cartographie 3D qui traduit n’importe quelle image par une combinaison d’éléments de paysage : montagnes, vallées, fleuves, roches, nuages… Il produit ainsi des paysages plus ou moins fantastiques. Si ces images sont des produits numériques, réalisés sans appareil-photo, les épreuves exposées sont des tirages argentiques virés au sélénium.

L’une des deux Orogenèses est intitulée Man Ray / Duchamp, elle conduit logiquement à une série de dix photographies de Man Ray. Bien entendu, on y retrouve deux portraits de Duchamp Tonsure et  Rrose Sélavy !

Entre les paysages numériques de  Fontcuberta et les épreuves de Man Ray, Arboretum, l’installation de Patrick Van Caeckenbergh est une étonnante et merveilleuse découverte. Boîte à enchantement, herbier improbable, album de timbres qui rassemble des photographies extravagantes, classification saugrenue et  abracadabrante, délicieuse machine à divaguer et à rêver… entre collage et bricolage.

Esprit de famille est une proposition qui mérite sans aucun doute un passage par la rue Rambaud.
Attention, c’est jusqu’au 7 mars.

Le commissariat est  assuré par Cyril Bourdois, Inspecteur d’académie-Inspecteur pédagogique régional Arts plastiques et Julie Six, enseignante d’Arts plastiques. On lira ci-dessous la présentation de leur projet.

En savoir plus :
Sur le site du FRAC LR
Télécharger la fiche pédagogique
Sur les sites de Benoît Broisat, Belkacem Boudjellouli (Vasistas), Gérard Collin-Thiébaut, Daniel Firman (Galerie Perrotin), Joan Fontcuberta (àngels barcelona), Filip Francis (Galerie Jean Brolly), Anne-Marie Jugnet et Alain Clairet, Man Ray, Javier Tudela, Patrick Van Caeckenbergh (Galerie InSitu Fabienne Leclerc et Zeno X Gallery)
Les œuvres de la collection du FRAC LR sont visibles en ligne, avec le module Navigart de Videomuseum.

À noter :
Rencontre avec Belkacem Boudjellouli au Frac, le jeudi 5 mars 2015 à 10h
Atelier relaxation avec la chorégraphe Maud Chabrol, dans l’exposition, le vendredi 6 mars 2015 de 13h à 14h

« Le titre de cette exposition est révélateur du lien ténu qui unit les collections du Frac Languedoc – Roussillon aux préoccupations des enseignants d’Arts plastiques et de leurs élèves. Parmi ces derniers, ceux qui se confrontent à l’issue de leur année de terminale aux épreuves du Baccalauréat ont été progressivement sensibilisés à  l’art contemporain et  à  ses  problématiques les  plus  actuelles, sous la double forme de la pratique et de la culture artistiques. Qu’ils aient suivi une option facultative, un enseignement de spécialité ou cumulé les deux, leur regard est aiguisé, parfois déjà engagé et souvent très précis. Parmi les trois questions limitatives inscrites au programme du Baccalauréat, une change chaque année ; les œuvres présentées ici ont été sélectionnées « en famille » avec ce programme, y renvoyant directement ou indirectement.

Les élèves de l’académie ont la chance d’être ainsi confrontés aux œuvres de Joan Fontcuberta qui, comme d’autres artistes exposés ici, inscrit sa pratique en filiation duchampienne : précieuses photos de Man Ray, citations directes de Gérard Collin-Thiébaut qui joue aussi avec Courbet, nuages et couchers de soleil superbement superficiels d’Anne-Marie Jugnet et Alain Clairet, surprenante lévitation dansée de Daniel Firman… La banalité transcendée de Belkacem Boudjellouli rejoint étonnamment l’esprit dada de Patrick Van Caeckenbergh, de Filip Francis, de Javier Tudela, de Benoît Broisat et de l’exposition en général… À nous, et aux élèves surtout, de découvrir avec malice les liens qui unissent ces œuvres comme autant de cousins éloignés composent une famille. »
Cyril Bourdois, Inspecteur d’académie-Inspecteur pédagogique régional Arts plastiques

« L’art contemporain est jalonné de reprises, de réinterprétations, de détournements d’œuvres passées. Ces filiations croisées font de l’art une grande famille dans laquelle les artistes s’influencent et s’inspirent les uns les autres. C’est en partant de ce constat que le Frac a construit sa prochaine exposition constituée d’œuvres de la collection.
Parfois les références sont ouvertement annoncées, comme étant le point de départ du travail de l’artiste.
C’est le cas avec Nuage #3 d’Anne-Marie Jugnet et Alain Clairet, qui matérialise en une sculpture en marbre un nuage extrait d’une peinture vénitienne du 16e siècle, ou avec les grandes photographies de Joan Fontcuberta, réalisées par un logiciel de topographie à partir de scans d’œuvres majeures comme Élevage de poussière de Man Ray. On retrouve également cette démarche chez Gérard Collin-Thiébaut, dont sont présentées deux œuvres créées à partir de l’Enterrement à Ornans de Courbet, et du premier ready-made de Marcel Duchamp, une roue de bicyclette fixée sur un tabouret.
À chaque fois, ces artistes apportent une vision toute contemporaine des œuvres de référence qui ont marqué l’histoire de l’art.
Marcel Duchamp, qui est considéré comme le père de l’art contemporain, sera cité à plusieurs reprises dans Esprit de famille. Il est en effet aisé de trouver un lien entre son œuvre et une grande partie de la collection du Frac. Il a donc fallu opérer des choix en présentant les oeuvres de trois artistes : Filip Francis, qui questionne les limites de la perception en détournant des images iconiques issues de l’œuvre de Duchamp, Benoît Broisat, qui associe chaque objet « ready-made » exposé à une histoire, et une série de photographies de Man Ray, partenaire artistique de Duchamp.
Pour compléter cette photographie de famille, une série de petites sculptures habitacles en matériaux pauvres, de Javier Tudela, qui font écho aux travaux de plus grande ampleur de Tadashi Kawamata et au courant italien de l’Arte povera ; et Trafic, de Daniel Firman, un autoportrait hyperréaliste dont la tête disparaît dans un amas d’objets disparates aux couleurs vives. Comme les artistes du Pop Art avant lui, Firman questionne la relation de l’homme avec l’accumulation d’objets produits par notre société de consommation.
Avec Esprit de famille, le Frac a regroupé les enfants terribles de Duchamp, Courbet, Oldenburg (entre autres !), pour redire que les oeuvres d’aujourd’hui, aussi déroutantes qu’elles puissent être parfois, résultent d’une filiation qui les inscrit immanquablement dans la grande Histoire de l’art. »
Julie Six, Enseignante d’Arts plastiques, rattachée au Service éducatif du Frac

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