Les Rencontres d’Arles 2015 – Premières impressions

Après le marathon  de la semaine d’ouverture, voici nos premières impressions sur ces Rencontres 2015.
Globalement l’ambiance de ces « nouvelles » Rencontres 2015, sous la direction de Sam Stourdzé, se déroulent dans une ambiance apaisée. Les liens avec la ville et les autres institutions, en particulier la Fondation Luma, semblent à la fois plus simples et plus fructueuses. L’organisation le même soir de la Nuit de l’Année et  de la Nuit de la Roquette montre la volonté de renforcer les liens avec la ville. Cette initiative aura été l’occasion de découvrir la friche industrielle des Papeteries Etienne à Trinquetaille, de l’autre côté du Rhône, face au Musée Départemental  Arles Antiques. Ce site devrait être investi par les Rencontres 2016 à la place des Ateliers qui seront alors entièrement occupés par la Fondation Luma. Pour les années suivantes, l’avenir reste encore incertain, mais la volonté affirmée par Sam Stourdzé et ses interlocuteurs conduiront certainement à offrir aux Rencontres la visibilité sur le moyen terme souhaitée par son directeur.

Total Records - Les Rencontres de la photographie, Arles 2015
Total Records – Les Rencontres de la photographie, Arles 2015

La réduction du nombre des expositions d’une cinquantaine à 35, loin de nuire au Festival, lui donne au contraire plus de cohérence et  force. La programmation autour de grandes thématiques (Relecture, Résonances, Je vous écris d’un pays lointain, Les plateformes du visible, Étranges collectionneurs et Émergences) offre à l’ensemble une lisibilité simple et claire…

Du côté des expositions, on trouvera ci-dessous nos premières impressions. Au cours de l’été, des comptes-rendus de visite viendront éventuellement  compléter cette chronique.

Coup de cœur pour « Congo » d’Alex Majoli et Paolo Pellegrin et dans une moindre mesure pour « Total Records ».
Mentions pour « Duck, une théorie de l’évolution » d’Olivier Cablat, « Tourisme de la désolation » d’Ambroise, « Affaires Privées » de Thierry Bouët et « Les paradis, rapport annuel » de Paolo Woods et Gabriele Galimberti  .
Grosse déception avec « MMM » de Matthieu Chedid et Martin Parr.

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Premières impressions

Relecture

Sous ce titre les Rencontres proposent de « revisiter les grands maîtres en se concentrant sur des aspects méconnus de leur œuvre, ou en montrant, pour la première fois, l’intégralité de leur carrière ».

Stephen Shore - Les Rencontres de la photographie, Arles 2015
Stephen Shore – Les Rencontres de la photographie, Arles 2015

À l’espace Van Gogh, une importante rétrospective est consacrée à Stephen Shore.  L’exposition montre l’approche et le parcours du photographe américain en enchaînant de manière chronologique des séries souvent emblématiques (« Uncommon Places », « American Surfaces »… L’évocation de ces premières années et de ses séries conceptuelles (« Avenue of the Americas »,  « 4 Part Variation », « 24 Hours », « Circle #1 »…), au tournant des années 70, est particulièrement intéressante.

Les images de Shore sont souvent captivantes, mais, malheureusement, le parcours et l’accrochage offrent peu de respirations et donne à l’ensemble un aspect un peu indigeste…
On conseille donc de commencer sa journée arlésienne par cette exposition très (trop) généreuse, ou d’interrompre sa visite par quelques poses…
Pas de commentaires sur « Walker Evans, Anonymous » au Musée Départemental  Arles Antiques que nous n’avons pas encore vu.

Résonances

L’ambition de cette thématique pour les Rencontres 2015 est de « mette en dialogue la photographie avec l’architecture, la musique et le cinéma » .

Cette approche avait particulièrement attiré notre attention et nous en attendions beaucoup… On y a parfois trouvé notre bonheur et plus souvent un peu d’ennui.
Pour le dialogue avec l’architecture, on passe rapidement sur les expositions Las Vegas Studio (« Images d’archives de Robert Venturi et Denise Scott Brown »), Toon Michiels  (« American Neon Signs by Day and Night ») ou encore sur les « Facades » de Markus Brunetti. Peu d’émotions particulières dans ces trois expositions, à part un léger ennui et la recherche d’un peu d’air dans la chaleur accablante de la Grande Halle.

Olivier Cablat - Les Rencontres de la photographie, Arles 2015
Olivier Cablat – Les Rencontres de la photographie, Arles 2015

Par contre, le projet « Duck, une théorie de l’évolution », d’Olivier Cablat, lui aussi à la Grande Halle du parc des Ateliers, nous a particulièrement intéressée. Ce photographe arlésien, ancien de l’ENSP d’Arles reprend un concept imaginé par un fermier américain dans les années 30 qui inspirera, dans les années 70, Robert Venturi, Denise Scott Brown et Steven Izenour dans la définition de concepts d’une architecture dont la forme exprime le contenu fonctionnel ou commercial du bâtiment.

Dans cette exposition, Olivier Cablat réactive ce concept et nous propose, dans une scénographie simple et efficace, une archive « composée de ses propres photographies, de publications numérisées et d’images collectées sur Internet. (…)Cette archive numérique constitue la matière première du projet « Duck, Une théorie de l’évolution ».

Pour ce qui est des « résonances » de la photographie avec la musique, nous avons particulièrement été déçu par le projet  « MMM ». Cette collaboration de Matthieu Chedid et Martin Parr, avec la complicité de Sam Stourdzé nous a semblé inaboutie, pour ne pas dire bâclée… Bien entendu, il reste le travail toujours passionnant de Parr et la musique de M qui resonne sous les voûtes de l’église des Frères-Prêcheurs, mais la magie est absente et les deux univers ne font que coexister. C’est une réelle déception, nous attendions beaucoup (trop) de cette rencontre.

Total Records - Les Rencontres de la photographie, Arles 2015
Total Records – Les Rencontres de la photographie, Arles 2015

À l’inverse, coup de cœur pour « Total Records , La grande aventure des pochettes de disques photographiques » à atelier des Forges au parc des Ateliers. Inutile de faire ici la liste des photographes ou la liste des musiciens et chanteurs que rassemble Total Records… On vous laisse le soin de découvrir la richesse du contenu et du propos lors de la visite de cette passionnante exposition.
L’accrochage, particulièrement soigné et varié, le séquencement du parcours donnent le rythme nécessaire à cette imposante proposition (600 pochettes de disques), imaginé par Antoine de Beaupré, Serge Vincendet et Sam Stourdzé, avec la complicité de Jacques Denis.

Total Records - Les Rencontres de la photographie, Arles 2015
Total Records – Les Rencontres de la photographie, Arles 2015

Le parcours particulièrement bien construit débute par un ensemble de cimaises qui rassemble les pochettes par photographes. L’exposition « A Vision of Jazz : Francis Wolff and Blue Note Records », consacrée au label Blue Note et produite par festival Kyotographie s’intègre parfaitement au projet.

Total Records - Les Rencontres de la photographie, Arles 2015
Total Records – Les Rencontres de la photographie, Arles 2015

Avec pertinence, cette présentation par photographes s’interrompt pour un regroupement d’albums par labels pour les maison qui ont créé une forte identité visuelle (ECM, Elenco, ESP).
Le parcours enchaîne ensuite une approche plus thématique avec « Transartistique ». Un focus sur la rupture des Beatles. L’opposition des univers artistiques et photographiques Paul et Linda McCartney / John Lennon et Yoko Ono était certainement inévitable… La confrontation de la cimaise McCartney, sévèrement surveillée par un gardien attitré (photo interdite) et celle Lennon/Ono est remarquable…

Total Records - Les Rencontres de la photographie, Arles 2015
Total Records – Les Rencontres de la photographie, Arles 2015

On revient ensuite sur les thèmes plus généraux : « L’arme à l’œil, propagande et slogans », « Riverside, Bluesville, Yazoo : l’Amérique, face B », « La voix des maîtres », « Le choc des photos, le poids de la censure »,  « Photo-copie », « Années érotiques », « Assemblages antillais »…

Les derniers espaces s’intéressent plus particulièrement aux détournements avec « Les amateurs du désir au délire ». On y trouve la discographie imaginaire de Patrice Caillet, vue au MIAM à Sète ou encore la série « Live » de Hatim el Hihi et Jean-Marie Delbes qui effacent les artistes morts des pochettes d’albums emblématiques…
L’exposition se termine avec « Make your Sleevefaces ! » projet participatif proposé par les Rencontres .

« LP Collection,les trésors cachés de la musique underground » occupe, comme Total Records, les espaces rénovés de l’atelier des Forges.
Si la scénographie, l’accrochage et la mise en lumière sont tout aussi soignés, l’exposition nous a moins enthousiasmés. Sur le papier, le projet semble pourtant très cohérent et apparaît comme potentiellement très intéressant…

LP Collection - Les Rencontres de la photographie, Arles 2015
LP Collection – Les Rencontres de la photographie, Arles 2015

Au cours de l’été, on reviendra voir ce travail de LP Company (Laurent Schlittler et Patrick Claudet). Il n’est pas impossible que par leur proximité, ces deux expositions se cannibalisent.

Je vous écris d’un pays lointain

« Martin Gusinde, l’esprit des hommes de la terre de feu »
Le missionnaire allemand Martin Gusinde a rapporté plus de 1200 clichés des quatre voyages de en Terre de Feu qu’il a effectué entre 1918 et 1924. Ces photographies constituent un témoignage rare  sur les sociétés Selk’nam, Yamana et Kawésqar. Christine Barthe et Xavier Barral ont sélectionné un ensemble de portraits et mystérieux qui passionnera certainement les amateurs d’ethnologie et d’anthropologie sans laisser indifférent le simple visiteur. C’est au cloître Saint-Trophime, l’exposition est rigoureuse et la mise en espace est un peu conventionnelle, mais on n’imagine pas qu’il puisse en être autrement…

 « Another Language, huit photographes japonais »
L’exposition présentée par Simon Baker à l’église Sainte-Anne rassemble plus de 200 tirages. À chaque chapelle, son artiste… Si le travail de ces photographes mérite sûrement attention, la mise en espace de l’ensemble donne une impression de surabondance et d’éclectisme… On peine à comprendre ce qui rassemble ces auteurs, si ce n’est leur nationalité et le fait qu’ils exposent des tirages en noir et blanc… Il n’est pas flagrant que le pari d’avoir entièrement libéré le centre de l’église soit pertinent et que ce dispositif  donne une lisibilité à l’ensemble. À revoir pour apprécier le travail de chaque artiste…

Les plateformes du visible

Avec cette section, les Rencontres souhaitent nous proposer « un observatoire de la photographie documentaire pour une pratique en pleine mutation ».
Parmi les cinq expositions de cette section, seul le « Coup de foudre » de Natasha Caruana nous a laissé assez indifférent.

Le projet d’Ambroise Tézenas sur le « Tourisme de la désolation » – « dark tourism » pour les anglo- saxons- nous renvoient  à cette curiosité ambiguë, malsaine chez certains, mais dont personne ne peut honnêtement se déclarer indifférent.

Thierry Bouët - Les Rencontres de la photographie, Arles 2015
Thierry Bouët – Les Rencontres de la photographie, Arles 2015

« Affaires Privées » de Thierry Bouët,  l’ancien directeur artistique du studio Harcourt, est une des très bonnes surprises de ces Rencontres 2015. Cette exposition sur les objets insolites proposés sur Le Bon Coin est un vrai moment de bonheur. Les soixante photographies de la série sont d’étonnantes histoires de rencontres autour d’objets improbables mis en vente. Elles sont racontées avec humour dans de courts textes délicieux.  À découvrir absolument !

Thierry Bouët, Avion ailes hautes, série Affaires privées
« Avion ailes hautes – 32 000 € – Sartrouville – Constructeur vend son avion : modèle Lucas L7 métallique, moteur Lycoming O-320 à carburateur de 160 CV, triplace avec soute (largage possible) 650-930 kg, croisière 180-200 km/h, VNE 250 km/h. CNRA depuis 2005 et revalidé en 2014 pour 3 ans. 60 heures. Primé RSA à Vichy en 2006. Tableau de bord bien équipé (cadrans ronds), radio. Transpondeur contrôlé et revalidé pour 2 ans. Basé aux Mureaux, LFXU. Prix : faire une offre pour négociation. Contact uniquement par téléphone. »« Avec un CAP de fraiseur et une carrière de technicien en mécanique de précision, Pierre a mis douze ans à construire son propre avion avec lequel il a volé soixante heures. Parti d’un plan, sans la moindre vis, ce modèle est pensé pour la brousse. Il est le seul de son espèce à voler. Grâce à sa soute inférieure, il permet les sauts en parachute. Pierre s’en sépare à cause des nouvelles réglementations communautaires. Son brevet de base qui lui permettait de voler dans un rayon de trente kilomètres n’est plus reconnu. Il se donne désormais quatre ans pour construire un ULM. »

Paolo Woods et Gabriele Galimberti  - Les Rencontres de la photographie, Arles 2015
Paolo Woods et Gabriele Galimberti – Les Rencontres de la photographie, Arles 2015

« Les paradis, rapport annuel », proposition de Paolo Woods et Gabriele Galimberti  trouve naturellement sa place dans les salons d’apparat du palais de l’Archevêché.
Traduire en images ce que sont les paradis fiscaux, les places offshore, l’évasion fiscale ou les secrets bancaires n’était pas très évident…  sans tomber dans les clichés.
Il faut reconnaître que les deux photographes italiens s’en sortent très bien avec un tel sujet .

Une mention particulière pour la galerie d’images des produits qui font notre consommation quotidienne et qui sont produits par ces multinationales qui utilisent à merveille ce paradis fiscal, membre fondateur de l’Union Européenne, qu’est le Luxembourg…
À l’évidence, c’est un moment fort de ces Rencontres 2015.

Alex Majoli et Paolo Pellegrin - Les Rencontres de la photographie, Arles 2015
Alex Majoli et Paolo Pellegrin – Les Rencontres de la photographie, Arles 2015

Comme l’an dernier, c’est au Magasin électrique que nous attendait notre plus belle découverte du festival, avec « Congo » d’Alex Majoli et Paolo Pellegrin.
Les deux photographes italiens de l’agence Magnum  nous offre un impressionnant reportage sur le Congo. Un voyage émouvant à travers les villes, les campagnes, les forêts et les cours d’eau du Congo… Paysages, portraits, scènes du quotidien, de jour comme de nuit se succèdent avec intelligence avec une mise en espace et un accrochage très réussis…

On ne peut que reproduire cet extrait du texte d’Alain Mabanckou qui introduit l’exposition : « Alex Majoli et Paolo Pellegrin confirment que la vraie photographie est, au fond, celle qui redonne une existence autonome ou un sens particulier à ce qui nous paraît lointain, voire sans intérêt. La vraie photographie sait composer avec la pudeur sans pour autant s’adonner à l’autocensure. C’est ce juste milieu que l’on ressent dans ce travail. Le résultat ne trompe pas : l’émotion est présente, et elle est souvent poignante ».
S’il n’y a qu’une exposition à voir, c’est celle-là !

Pour terminer rapidement, dans la section « Étranges collectionneurs », « Vernaculaire ! » à la  chapelle de la Charité souffre d’une scénographie, d’un accrochage et d’un éclairage assez funeste qui contraste furieusement avec l’Arlésienne de Lacroix, l’an dernier…

La Fondation Luma propose « Impondérable » une exposition et un projet de recherche dédié à la collection de Tony Oursler. La proposition s’articule autour d’un film et d’un ouvrage à propos 0 d’archives  « inspirées par l’histoire de la science, l’optique, le spectacle et la religion » qui explore les systèmes de croyances nourris de surnaturel. Nous n’avons pas eu le temps de voir le film, mais la « salle d’attente » et un survol de l’ouvrage sont particulièrement attractifs. On en reparle.

On reviendra éventuellement sur la section « Émergences » traversée au pas de course.

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