Made in Algeria – Genealogie d’un territoire au MuCEM

Article mis à jour le 4 mars 2016

Made in Algeria - Genealogie d'un territoire au MuCEM
Made in Algeria - Genealogie d'un territoire au MuCEM

Jusqu’au 9 mai 2016, le MuCEM (Musée des Civilisations de l’Europe et de la Méditerranée) présente à Marseille « Made in Algeria, généalogie d’un territoire ».

Made in Algeria - Genealogie d'un territoire au MuCEM
Made in Algeria – Genealogie d’un territoire au MuCEM

L’exposition présentée par le musée marseillais en collaboration avec l’Institut national d’histoire de l’art (INHA), la Bibliothèque nationale de France (BnF) est incontestablement une exposition réussie, originale, captivante, d’une très grande richesse et particulièrement bien mise en scène.
La guerre d’Algérie n’en est pas le sujet.  Made in Algeria s’intéresse à ce qui s’est passé en amont de cette guerre.

Le propos riche et dense passionnera les amateurs d’histoire, de géographie et bien entendu de cartographie.
Précédée par séminaire bimensuel à l’INHA en 2015, Made in Algeria montre l’évolution du regard sur le territoire de l’Algérie à travers un ensemble de cartes et de documents, depuis le XVIème siècle jusqu’à l’indépendance en 1962, en passant par le débarquement à Sidi-Ferruch en 1830, la conquête militaire et l’organisation administrative et économique du pays.
Il faut saluer la qualité du travail scientifique et l’engagement des deux commissaires Zahia Rahmani, responsable du domaine Arts et mondialisation à l’Institut national d’histoire de l’art et Jean-Yves Sarazin, directeur du département des Cartes et plans de la Bibliothèque nationale de France.

Pour les amateurs moins avertis, la scénographie discrète et très efficace conçue par Cécile Degos offre un parcours clair et évident qui joue discrètement, mais efficacement  sur les ruptures de rythme et sur d’habiles perspectives. Les textes de salles et les cartels enrichis offrent des aides précises et précieuses à la compréhension des documents et à l’articulation du propos de l’exposition.
Cependant, la densité du propos impose une attention particulière et un certain « engagement » du visiteur. Made in Algeria n’est pas une exposition que l’on traverse rapidement avec fantaisie et laisser-aller… En dehors des visites guidées, le MuCEM offre comme toujours d’excellents outils pour préparer, accompagner et enrichir la visite individuelle.

Made in Algeria - Affiche

Sans aucun doute, Made in Algeria est une exposition qui mérite un passage au MuCEM. Une déception, toutefois, sur l’utilisation des œuvres contemporaines qui jalonnent le parcours. Indépendamment de leurs qualités propres, elles ne nous ont pas apparu comme le contrechamp annoncé, ni être particulièrement valorisé par celui-ci (Cf. la conversation avec Zahia Rahmani, publiée dans le numéro de janvier d’Art Press).

Made in Algeria : Un parcours dense et passionnant

Le parcours chronologique s’articule en quatre grandes parties.
Les deux premières (Vue de loin – Un territoire vu du large avant 1830 et  Tracer le territoire – De la conquête à la colonisation – Après 1830) sont particulièrement réussies à la fois par les documents  exceptionnels qui y sont présentés mais aussi  par la scénographie qui sait leur donner une réelle force explicative et narrative.

Made in Algeria au MuCEM - Vue de loin - Vue du large
Made in Algeria au MuCEM – Vue de loin – Vue du large

Vue de loin montre avec intelligence comment la représentation du territoire se précise à mesure que l’intérêt des occidentaux devient de plus en plus important.  Le regard s’approche du littoral, sa représentation sous un angle guerrier s’enrichit peu à peu de données géographiques nécessaires à la navigation et au commerce. Progressivement, le vide qui règne dans l’arrière-pays se comble… Cette cartographie qui s’enrichit et se précise servira aux militaires français pour la conquête de l’Algérie en 1830…

La deuxième séquence Tracer le territoire débute par La prise d’Alger. Autour d’un plan-relief restituant Alger en 1830 et d’un tableau  de où Théodore Gudin (Attaque d’Alger par terre et par mer, 29 juin 1830, 1831), l’exposition multiplie vues et plans d’Alger, cartes des environs de la ville et croquis réalisés par l’armée d’Afrique.

La carte est clairement un des outils essentiels de la conquête. On voit peu à peu se construire une cartographie moderne…
La toile de Gudin avec ses décalages entre les faits historiques et leur représentation est une belle image de propagande, un genre qui se multiplie dans la suite du parcours…

Dans la salle suivante (Avancer dans le territoire),  les cartes et les images de propagande se multiplient et se « complètent » dans une volonté de renforcer le contrôle et la maîtrise du territoire conquis .

En Algérie, les relevés topographiques réalisés sous la protection de l’armée permettent de multiplier les levés du relief pour établir les feuilles de la carte de l’Algérie. Les blancs disparaissent peu à peu en fonction de la poursuite de la conquête, des itinéraires de colonnes militaires qui organisent la cartographie du territoire.
En France, les images de propagande, et en particulier les tableaux de Jean Antoine Siméon Fort et Pierre Justin Ouvrié, montrent de vastes paysages, vides de présence humaine,  ou font l’apologie de cette campagne d’Afrique.

Made in Algeria au MuCEM - Tracer le territoire, Occuper le territoire 01
Made in Algeria au MuCEM – Tracer le territoire, Occuper le territoire 01

Dans la dernière salle (Occuper le territoire), le tableau de Jean Antoine Siméon Fort et les aquarelles d’Adrien Dauzats, peintre attaché à l’expédition militaire, évoquent le défilé dit des Portes de Fer entre Alger et Constantine, l’héroïsme du corps expéditionnaire et la reprise des hostilités avec Abd el-Kader, jusqu’à sa reddition en 1847. Deux croquis et un plan manuscrits de Constantine montrent une connaissance qui se précise pour parvenir à conquérir et à occuper la ville.

La troisième section (Capter l’Algérie – De l’excès de l’imagerie à la fin de L’Algérie française) est plus inégale.
La première salle, Effacer pour contrôler, reste passionnante par son propos et pas les documents exposés. La transformation du tissu urbain d’Alger et l’expérimentation d’un nouvel urbanisme, comme les bouleversements liés à l’arrivée massive des colons à partir de 1842 sont questions particulièrement bien traitées.

Dans les trois salles suivantes (La science au service de la colonisation, Traverser le Sahara et La fabrique de l’Algérie), le discours nous a semblé moins percutant. Cependant, il est difficile de formuler de réelles critiques sur le contenu comme sur la  présentation des documents.

L’attention  fléchit peut-être à ce moment du parcours… La narration passe ici plus qu’ailleurs par une lecture attentive et exigeante des cartels et des textes de salle. Dans ces salles en enfilade, les perspectives sont moins audacieuses et l’accrochage manque peut-être de quelques changements de rythme…

Ironiquement introduite par une carte scolaire, légendée du côté La fabrique de l’Algérie et muette du côté La fin de l’Algérie française. La dernière salle de cette troisième séquence marque une rupture forte avec une ambiance plus sombre. Les images et les regards du côté algérien dominent face une dernière carte, la Carte imprimée de l’Algérie, parue en 1957, aux éditions Pierre Vrillon, qui compile lieux communs, stéréotypes et les exagérations d’une présence coloniale.

Made in Algeria au MuCEM - Capter l’Algérie - De l'excès de l'imagerie à la fin de L'Algérie française
Made in Algeria au MuCEM – Capter l’Algérie – De l’excès de l’imagerie à la fin de L’Algérie française

Les images de l’instituteur Gaston Revel, expulsé en 1956 parce qu’il militait pour l’indépendance, répondent aux photographies de Mohamed Kouaci, chronique de la guerre du côté de l’armée de libération et elles laissent toute sa place à l’émouvante vidéo de Zineb Sedira, Les Terres de mon père

La dernière partie, Au plus près, réduite à une seule salle, rassemble des photographies, des vidéos et des peintures contemporaines. Les œuvres ne manquent pas d’intérêt et  leur accrochage est plutôt réussi, mais l’ensemble n’offre pas le contrechamp attendu aux images qui précèdent… à l’exception de l’ironique série Map Monde d’ Hellal Zoubir et, dans une moindre mesure, de l’installation restituée de Mostafa Goudjil .
On a un peu l’impression que cette salle répond à une figure imposée.

Made in Algeria : Une scénographie et un accrochage très réussi

On a déjà dit plus haut tout le bien que l’on pensait de la scénographie de Cécile Degos, dont on avait pu apprécier le travail l’été dernier au musée Fabre à Montpellier.

Made in Algeria au MuCEM - Vue de loin - L'intérieur se précise
Made in Algeria au MuCEM – Vue de loin – L’intérieur se précise

Pour Made in Algeria, elle a choisi une gamme de couleurs mates issue de la terre, qui se déploient tout au long du parcours sous forme d’un dégradé allant du vert foncé jusqu’au blanc de la dernière salle. Le vert dense de la première salle est repris comme fond des textes de salles et des cartels. La signalétique a été construite à partir d’une composition de fines lignes blanches qui font écho aux codes cartographiques et à la rose des vents. Ce jeu de lignes structure et fixe agréablement les titres et les textes.
Les cimaises,volontairement non jointives, créent des perspectives intéressantes sur les différentes salles.

Expédition d’Alger, théâtre des opérations de l’armée, 1830 - Made in Algeria au MuCEM
Expédition d’Alger, théâtre des opérations de l’armée, 1830 – Made in Algeria au MuCEM

Pour l’encadrement des cartes, la présentation entre deux feuilles de plexi est particulièrement réussie. Elle trouve un écho dans l’accrochage sans cadre des tableaux prêtées par Musée national des châteaux de Versailles et de Trianon, après leur retour des ateliers de restauration.
L’éclairage très soigné utilise intelligemment la réflexion par le sol pour réduire au maximum les reflets sur les documents protégés par des vitres et pour assurer les conditions de conservations préventives imposées pour le papier.

Made in Algeria : Préparer et enrichir sa visite de l’exposition

Un dépliant disponible gratuitement offre quelques repères essentiels pour une visite individuelle. Il peut être utilement complété par l’audio guide qui propose des regards particuliers autour de 15 œuvres ou documents, avec le commentaire de Zahia Rahmani.
Les textes de salle et les cartels souvent enrichis par des textes issus du catalogue permettent une bonne compréhension des documents et de l’articulation du parcours de l’exposition.

Pour préparer la visite, le site du MuCEM offre des informations utiles et quelques ressources. Un dossier pédagogique très complet est à la disposition des enseignants. Il est disponible en ligne.

Des visite guidées et filmées de Made in Algeria avec Zahia Rahmani et Jean-Yves Sarazin (commissaires de l’exposition, avec  Nadira Laggoune (commissaire d’exposition et critique d’art) et avec  Zineb Sedira et Katia Kameli (artistes) seront disponibles  sur le site internet et les réseaux sociaux du MuCEM.

catalogueLe catalogue de l’exposition est  coédité par Hazan et le MuCEM, sous la direction des deux commissaires. Les textes de Nacéra Benseddik, Hélène Blais, Daho Djerbal, François Dumasy, Nadira Laggoune, Zahia Rahmani, Jean-Yves Sarazin, Nicolas Schaub, Todd Shepard, Fouad Soufi et Sylvie Thénault sont souvent très enrichissants.
Par contre, la qualité des reproductions est parfois décevante.

Le blog Made in Algeria, généalogie d’un territoire, hébergé sous forme d’un carnet de recherche sur le site hypotheses.org, créé à l’occasion du séminaire bimensuel à l’INHA en 2015, apporte des éclairages complémentaires.

Enfin, une programmation importante accompagne et prolonge l’exposition. Les événements, rencontres et journées scientifiques sont présentées sur le site du MuCEM.

En savoir plus :
Sur le blog Made in Algeria, généalogie d’un territoire hébergé par hypothese.org
Sur le site du MuCEM
Sur la page Facebook du MuCEM
Sur le site de la BnF
Sur le site de l’INHA
Sur le site de Cécile Degos

http://dai.ly/x3lsk92

 

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