La peinture à l’huile c’est bien difficile… au FRAC à Montpellier

Jusqu’au 21 janvier 2017, le FRAC Languedoc-Roussillon présente, avec « La peinture à l’huile c’est bien difficile… », une exposition jubilatoire qui impose un passage par le 4 de la rue Rambaud à Montpellier.

C’est un plaisir rare de (re)découvrir, dans de remarquables conditions, la cinquantaine de peintures qui « tapissent » les murs de l’espace d’exposition.
On y retrouve des œuvres parfois vues in situ ou hors les murs de Luc Andrié • Jean-Pierre Bertrand • Fabien Boitard • Bruno Carbonnet • Denis Castellas • Jean-Marc Cerino • Nina Childress • Alain Clairet et Anne-Marie Jugnet • Jean Degottex • Dominique Figarella • Jacques Fournel • Filip Francis • Bernard Frize • Simon Hantaï • Tania Mouraud • Jules Olitski • Bernard Piffaretti • Samuel Richardot • Alain Séchas • Sigurdur Arni Sigurdsson • Walter Swennen • Julien Tiberi • Jens Wolf • David Wolle

L’accrochage dense, sur deux registres, évoque avec un brin de malice les « accrochages tapissiers » des Salons d’un autre siècle… Ne peut-on y voir aussi une légère moquerie ou plutôt une interrogation sur la galerie contemporaine et les espaces sanitaires prescrits par le « White Cube » pour laisser les œuvres « respirer » ?

La peinture à l’huile c’est bien difficile… au FRAC à Montpellier. Vue de l'exposition
La peinture à l’huile c’est bien difficile… au FRAC à Montpellier. Vue de l’exposition

Le texte de présentation affirme une « envie d’initier entre les œuvres des rapprochements formels inédits et de faire réfléchir sur certaines “contraintes” d’un art pictural polymorphe ». Malgré sa densité, l’accrochage parvient à éviter toute cannibalisation d’une peinture par une autre. À n’en pas douter, les grincheux contesteront l’absence d’organisation chronologique ou thématique… et ils s’agaceront de tableaux trop haut perchés. Laissons-les à leurs humeurs et profitons avec gourmandise du plaisir qui nous est offert !

« La peinture à l’huile c’est bien difficile… » propose huit murs, huit compositions ou associations entre des « morceaux » de peinture… huit moments de délectation. Chacun peut être vu comme un « tableau » ou une « scène »… Au visiteur d’y faire circuler son regard, de découvrir ou d’imaginer les conversations, les désaccords et les controverses entre œuvres « figuratives » ou « abstraites »… de s’attarder sur l’une ou l’autre… de revenir sur celle que l’on a négligée.
Ces histoires, ces dialogues se poursuivent de « mur » en « mur » au fil d’une libre déambulation dans l’espace de la galerie… L’enchaînement d’œuvres d’artistes plusieurs fois présents pourrait éventuellement esquisser des schémas narratifs… D’autres seraient alors susceptibles de ponctuer avec vigueur ces intrigues.

La peinture à l’huile c’est bien difficile… au FRAC à Montpellier. Vue de l'exposition
La peinture à l’huile c’est bien difficile… au FRAC à Montpellier. Vue de l’exposition

Comme le suggère très justement le texte de présentation : « [l’]ouverture des significations et sentiments possibles existe à condition de ne pas anticiper le sens et l’effet de l’œuvre (…). Autrement dit, le regard est en rapport avec la liberté d’esprit et la capacité d’accueil de ce celui qui reçoit ».

La cimaise qui dissimulait la vue depuis la rue a été opportunément supprimée. La verrière au plafond n’est plus occultée. Le sol de béton est couvert par le revêtement lumineux et souple que Bruno Peinado avait utilisé pour « reconstruire l’Hacienda » dans les dernières salles du MRAC, cet été.
Ces initiatives heureuses produisent un éclairage homogène, à la fois diffus et soutenu. L’ensemble procure une sensation kinesthésique agréable et confortable propice à la contemplation des œuvres, à la divagation et à l’ébauche de rapprochements ou d’oppositions… Bref, tout concourt à la construction par le visiteur de sa propre histoire et à l’expérience du plaisir de l’œil et du spectateur.

« La peinture à l’huile c’est bien difficile… » offre réellement les possibilités d’exercer « sa liberté d’esprit et sa capacité d’accueil ».
Il faut donc remercier le FRAC et ses équipes pour cette généreuse proposition. Saluons le commissariat d’Emmanuel Latreille et soulignons la qualité des documents qui accompagnent l’exposition.

La peinture à l’huile c’est bien difficile… au FRAC à Montpellier. Vue de l'exposition
La peinture à l’huile c’est bien difficile… au FRAC à Montpellier. Vue de l’exposition

L’exposition a été imaginée et conçue dans le cadre d’un partenariat avec le rectorat de Montpellier.

Un texte de présentation et la liste des œuvres sont à la disposition des visiteurs individuels.
Un dossier pédagogique, téléchargeable sur le site du FRAC Languedoc-Roussillon, réalisé par Cyril Bourdois et Agnès Vrinat-Jeanneau (Inspecteurs pédagogiques régionaux – Inspecteurs académiques), propose un focus sur une œuvre de chacun des huit « murs » et des propositions d’exploitation pédagogique.
Un cahier de visite, également disponible sur le site du FRAC Languedoc-Roussillon, reproduit pour chaque œuvre un extrait de la présentation par la galerie, d’une notice de musée ou d’institution, d’article de presse ou de critique.

La peinture à l’huile c’est bien difficile… au FRAC à Montpellier. Vue de l'exposition
La peinture à l’huile c’est bien difficile… au FRAC à Montpellier. Vue de l’exposition

À lire, ci-dessous, la présentation de l’exposition, le texte d’Emmanuel Latreille, directeur du FRAC Languedoc-Roussillon et commissaire d’exposition et le propos d’Agnès Vrinat-Jeanneau et Cyril Bourdois, inspecteurs pédagogiques régionaux et inspecteurs académiques.

En savoir plus :
Sur le site du FRAC Languedoc-Roussillon
Sur la page Facebook du FRAC Languedoc-Roussillon
Les collections du FRAC Languedoc-Roussillon sur Navigart.fr
Télécharger le dossier pédagogique sur le site du FRAC Languedoc-Roussillon
Télécharger le cahier de visite sur le site du FRAC Languedoc-Roussillon

La peinture à l’huile c’est bien difficile…
(FRAC Languedoc-Roussillon, 2016)

Le titre de cette exposition joue sur l’ambivalence : la peinture à l’huile c’est bien difficile, car ce n’est pas à la portée de tous ; mais il ne s’agit pas pour autant de la prendre trop au sérieux, en référence à la célèbre chanson de Boby Lapointe, auteur-interprète populaire au verbe fantaisiste.

Toujours est-il que sous cette sentence populaire sont réunies une cinquantaine des 258 peintures de la collection du Frac Languedoc-Roussillon. Il n’est, bien sûr, pas question d’embrasser la diversité des pratiques, des problématiques et des enjeux de cette noble forme artistique mais, d’une manière construite et subjective, de donner au spectateur quelques repères et une grande liberté d’appréciation, de faire « jouer » ensemble ce que l’on appelle communément des « tableaux » (c’est-à-dire une convention de médium et de « format » à laquelle l’huile demeure nécessairement attachée, quand bien même elle est souvent remplacée sur la toile par l’acrylique). Ainsi, des « morceaux » de peinture sont réunis par murs selon des associations formelles, des parentés, affranchis de toute distinction illusoire entre abstraction et figuration. L’accrochage, dense, s’apparente moins à celui des salons classiques qu’il ne répond à l’envie d’initier entre les œuvres des rapprochements formels inédits et de faire réfléchir sur certaines « contraintes » d’un art pictural polymorphe.

L’occasion est ainsi donnée de voir qu’à l’instar des modernes, et bien que les enjeux ne cessent de se déplacer, les artistes contemporains interrogent toujours les questions de cadre, de dimension, de matière, de surface, mais aussi de geste, d’image, de sujet… voire les conditions d’existence sociales de la peinture, ou encore la notion d’auteur. La peinture n’est pas morte, « elle ne cesse de ressusciter ! » diront certains, mais en s’allégeant du poids de la tradition comme en refusant tout nihilisme, porteuse qu’elle semble d’une liberté « totale ». C’est sans doute à cet endroit que la peinture réaffirme qu’elle résulte d’un élan vital, quel qu’en soit le motif, tout autant que les autres formes d’expression contemporaines. Car il s’agit au fond d’un outil parmi d’autres, qui du reste n’appartient pas qu’aux peintres : les artistes l’amènent vers d’autres champs et d’autres perspectives dans lesquels le médium n’est généralement plus revendiqué en tant que tel. Mais, même s’il est largement désacralisé, il conserve ses propres caractéristiques et demeure un terrain de jeu pour les artistes qui s’y frottent avec plus ou moins de bonheur et selon différents usages, procédés ou processus.

La peinture est une modalité d’accès au réel. La singularité de chaque toile met en évidence qu’il s’agit d’un combat entre des contraires, entre une esthétique (des apparences) et un dessaisissement (de soi), ou ce que Roger Caillois nomme « une concurrence entre l’art et la vie* », afin que les forces en action s’organisent en figures et en formes. Chaque artiste joue, lutte, négocie, pour dessiner des configurations nouvelles du visible et par voie de conséquence du pensable.

Pour le spectateur, il en va de même : cette ouverture des significations et sentiments possibles existe à condition de ne pas anticiper le sens et l’effet de l’œuvre, et si aucun genre de discours ne s’impose à lui a priori. Autrement dit, le regard est en rapport avec la liberté d’esprit et la capacité d’accueil de celui qui reçoit.

Bien sûr, elle ne va pas de soi, cette liberté à laquelle nous invite Boby ! Il faut se détendre, il faut même aimer rire de tous ces excès de l’art ! Cela n’est pas simple à une époque où – sous l’emprise d’une crise des valeurs qui bat en brèche les conventions mais persiste à sacraliser toute forme de « marchandise », et donc les tableaux – la peinture paraît placée entre le marteau et l’enclume ! Il faut donc prendre un peu de temps, autoriser une rencontre, voire parfois s’abandonner à la contemplation, en un mot jouer le jeu pour accéder à une expérience intime du plaisir esthétique. Cette exposition vous y invite. Le lieu de l’œuvre est multiple, il appelle au voyage.

*Roger Caillois, Babel, 1948

La peinture à l’huile c’est bien difficile
(Emmanuel Latreille, Directeur du Frac Languedoc-Roussillon)

Le Fonds régional d’art contemporain Languedoc-Roussillon a constitué, en près de 35 ans, une collection de peintures représentant des artistes désormais inscrits dans l’histoire de l’art et des plus jeunes qui tentent d’ouvrir de nouvelles voies. Avec 461 numéros sous le domaine « peinture » de son inventaire, il est évidemment difficile pour le Frac LR de restituer la diversité des enjeux artistiques proposés par sa collection picturale. C’est pourtant ce que voudrait essayer de faire l’exposition La peinture à l’huile c’est bien difficile, en sélectionnant une cinquantaine d’œuvres, et en couvrant largement les murs de son espace d’exposition à Montpellier (4, rue Rambaud).

La peinture étant, dans la tradition européenne, configurée par des limites qui en font un « objet autonome », ce que l’on appelle « tableau », le premier choix de l’exposition a été de privilégier cette forme artistique, en écartant les artistes – nombreux dans l’art contemporain et dans la collection du Frac – qui ont cherché à ouvrir la peinture à des espaces et des supports différents (notamment les murs eux-mêmes). L’exposition ne sera pas pour autant un accrochage de tableaux à la façon des galeries des beaux-arts du XXe siècle, dans lequel le lien des œuvres entre elles n’était pas essentiel (les tableaux étant fermés par leur cadre) : les tableaux contemporains ne se définissent pas comme des « totalités », mais sont plutôt des morceaux de peinture dont les caractéristiques sont produites par un processus créatif lié aux matériaux eux-mêmes (les types de peintures et leurs états, les supports et les outils employés, les protocoles ou règles que se donnent les artistes, etc.).

Il est donc possible d’opérer des associations formelles entre ces « morceaux », et de composer des muraux qui obéissent à des parentés entre des créateurs de générations différentes. Or, de même que la limite des peintures-tableaux contemporains n’est pas aussi nette que dans les tableaux anciens, permettant des circulations du regard de différentes natures, une autre opposition peut être ignorée : celle qui fait le partage, depuis le début du XXe siècle entre « figuratif » et « abstrait ». En effet, les matériaux de la peinture produisent inévitablement des « figures », fussent-elles des signes qui, initialement abstraits, finissent, du fait de leur répétition, par être identifiables comme des « images » (on pourrait alors parler des images de la peinture elle-même, et des codes que les artistes ont inventés pour lui donner forme).

L’exposition La peinture à l’huile c’est bien difficile, entend suggérer que, si les tableaux contemporains ne sont pas des objets fermés sur eux-mêmes (qu’il faudrait alors déconstruire afin d’ouvrir la peinture sur l’espace et le monde où se tient le spectateur), ils obéissent toutefois à des problématiques formelles qui sont liées à l’objet lui-même, à ses dimensions, à ses contraintes, en un mot à son « objectité ». Une objectité qui est la résultante d’une histoire qui court encore… Quant au titre, emprunté à une fameuse chanson de Boby Lapointe, il ne doit évidemment pas laisser croire que seules des peintures « à l’huile » seront effectivement exposées : il s’agit plutôt de rappeler que l’art pictural contemporain est, malgré des apparences parfois dénoncées par un regard souvent rapide et superficiel (« je peux en faire autant »), un métier et un savoir-faire souvent difficiles à mettre en œuvre, au moins de manière véritablement singulière.

Des images et des mots
(Agnès Vrinat-Jeanneau et Cyril Bourdois, inspecteurs pédagogiques régionaux – inspecteurs académiques)

Les collections du Frac Languedoc-Roussillon couvrent un champ historique contemporain très vaste, offrant aux élèves, à travers divers dispositifs, la chance de se confronter régulièrement aux œuvres. Ainsi, dans de nombreux établissements scolaires, le Frac Languedoc-Roussillon rend possible le contact direct avec la création contemporaine, ce qui en fait un partenaire privilégié du rectorat dans la construction du parcours d’éducation artistique et culturelle de l’élève qui repose sur les trois champs indissociables : fréquenter, connaître et pratiquer.

Après des expositions respectivement consacrées aux œuvres de la question limitative du Baccalauréat puis aux liens entre Arts plastiques et enseignement de la Philosophie, le Frac Languedoc-Roussillon poursuit son partenariat avec le rectorat de Montpellier et propose cette année une sélection d’œuvres pensée pour les professeurs de Lettres et d’Arts Plastiques de l’académie. Le dispositif a vocation à faire naître des projets dans les classes de la troisième à la terminale. En effet, les œuvres présentées engagent vers des pistes transversales, supports de questionnements liés aux enjeux disciplinaires. En Arts plastiques, l’exposition invite à penser les questions liées à la matérialité et à la forme, à la mimesis et à ses corollaires liées à l’écart et à la ressemblance, à la figuration et à l’abstraction… qui sont au cœur des problématiques portées par les programmes. En Lettres, c’est l’occasion d’interroger le rapport du texte et de l’image, de susciter des projets d’écritures variés qui permettent d’explorer les champs féconds de l’écriture créative, de la réécriture, du dialogue des langages artistiques ou encore de questionner le genre antique de l’ekphrasis. Nous nous réjouissons de cette nouvelle collaboration, porteuse de sens pour les élèves et leurs professeurs.

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