Plus c’est facile, plus c’est beau au FRAC LR à Montpellier

Après l’exposition « La peinture à l’huile, c’est bien difficile… », le Frac Languedoc-Roussillon invite, jusqu’au 25 mars 2017, l’artiste Éric Watier pour « Plus c’est facile, plus c’est beau ».

Ce projet reprend partiellement le titre un ouvrage de Watier, publié en 2015 : « Plus c’est facile, plus c’est beau : prolégomènes à la plus belle exposition du monde ».
Les courtes descriptions que l’artiste fait des processus de création d’œuvres contemporaines « faciles », se terminent chaque fois de manière identique par :
« [X] l’a fait, et tout le monde peut le refaire. »

Si l’on suit Emmanuel Latreille, l’ambition de l’exposition est de vérifier le syllogisme implicite de son bouquin : « Si beaucoup d’œuvres d’art contemporain sont incontestablement “faciles”, alors en réunir un certain nombre peut-il manquer de produire une exposition “belle”, et même “plus belle” ».
Autrement dit : Interroger le visiteur sur « le lien entre “facilité” et “beauté” (…), par le plus ou moins grand degré de facilité ou de difficulté qu’une œuvre d’art lui propose et même, lui oppose ».

Si l’intention est séduisante, la réalisation laisse un peu perplexe…

Plus c’est facile, plus c’est beau au Frac Languedoc-Roussillon - Vue de l'exposition. Photo Pierre Schwartz
Plus c’est facile, plus c’est beau au Frac Languedoc-Roussillon – Vue de l’exposition. Photo Pierre Schwartz

La salle d’exposition du Frac Languedoc-Roussillon donne l’impression d’être dévoré par l’installation d’Ange Leccia, « Nou camp, 1986 ». L’accolade chaleureuse de ces deux buts de foot, si elle ne bloque pas le regard, impose sa forte présence et semble renvoyer les autres œuvres… dans leurs buts.
La place occupée par l’œuvre paraît « contraindre » les mouvements du visiteur et « imposer » un parcours de visite…
Il faut donc un peu de temps et d’engagement pour trouver ses marques, s’approprier l’espace, regarder les œuvres, apprécier leurs dialogues éventuels et comprendre le propos du commissaire.

Aucun cartel ou texte de salle n’accompagnent les œuvres exposées. Pour « enrichir » son expérience, le visiteur individuel dispose d’un livret, également téléchargeable depuis le site du Frac.
Chacune de ses 12 pages page reprend une des formules de l’ouvrage d’Éric Watier qui a servi de point de départ à l’exposition. On peut citer par exemple :

« Prendre trois socles, poser sur chaque socle une feuille de papier, saupoudrer le tout avec de la poussière, enlever les feuilles et laisser leurs spectres, c’est facile. Erwin Wurm l’a fait et tout le monde peut le refaire ».

Erwin Wurm, Montaigne, Descartes, Kant, 1998 - Plus c’est facile, plus c’est beau au Frac Languedoc-Roussillon
Erwin Wurm, Montaigne, Descartes, Kant, 1998 – Plus c’est facile, plus c’est beau au Frac Languedoc-Roussillon

Ou encore…

« Recouvrir tout le sol d’une galerie avec une feuille de papier et faire une boule avec cette même feuille, c’est facile. Julien Nédélec l’a fait et tout le monde peut le refaire ».

Plus c’est facile, plus c’est beau au Frac Languedoc-Roussillon - Vue de l'exposition. Photo Pierre Schwartz. Julien Nédélec, 1:1, 2012
Plus c’est facile, plus c’est beau au Frac Languedoc-Roussillon – Vue de l’exposition. Photo Pierre Schwartz. Julien Nédélec, 1:1, 2012

D’une lecture agréable, ces textes proposent une approche renouvelée des classiques cartels et donnent sa cohérence au projet curatorial.

Sont-ils suffisants pour « enrichir » l’expérience du visiteur et pour permettre une réelle compréhension des intentions du commissaire et de l’institution qui l’accueille ? Évidemment oui, pour les amateurs d’art contemporain. Mais est-ce certain pour le regardeur moins avertis ou pour celui qui a quelques difficultés avec les approches conceptuelles ?

La manière très « protocole de production » de ces descriptions d’œuvres offre-t-elle les clés nécessaires pour interroger celui qui privilégie avant tout la valeur du savoir-faire, la virtuosité, l’idée du « beau » et la primauté de la réalisation sur la création ?

Un second document, plus dense, présente chaque artiste avec un texte d’une vingtaine de lignes. Le cartel (classique) de l’œuvre est accompagné de liens vers les galeries qui représentent l’artiste et un rappel de ses expositions récentes. Ces textes, rédigés par les institutions prêteuses ou extraits de critiques de presse, n’ont pas été écrits pour être lus debout, face aux œuvres, dans une situation inconfortable… La manipulation de ce fascicule finit par embarrasser le visiteur sans lui donner, avec simplicité, quelques clés de compréhension sur les pièces exposées.
Les cartels « Du Verbe à la Communication », à Carré d’Art, ont su le faire… « Plus c’est facile, plus c’est beau » aurait-elle pu le refaire ?

On perçoit assez nettement que cette exposition est un prolongement du travail de l’artiste commissaire…
Individuellement, les œuvres sélectionnée par Éric Watier illustrent sans aucun doute son propos. Mais leur réunion suffit-elle à produire « une exposition « belle », et même « plus belle » » ?
« Plus c’est facile, plus c’est beau » atteint-elle réellement l’ambition d’interroger le visiteur sur le lien entre « facilité » et « beauté » ou entre « faire » et créer » ?

Commissariat : Éric Watier
Avec des œuvres de Claude Closky, Guy de Cointet, IKHÉA©SERVICES, Bertrand Lavier, Ange Leccia, Erwin Wurm et Samuel Buckman, Roberto Martinez, Julien Nédélec, artistes invités – Prêts des Abattoirs-Frac Midi-Pyrénées, Frac Languedoc-Roussillon, Frac PACA, Frac Bourgogne, et du Centre national des arts plastiques – Cnap

À écouter :
L’émission De Visu sur Radio-FM Plus du 22 février 2017. Lise Ott est entourée : Eric Watier et les artistes Samuel Buckman, Jean-Baptiste Farkas, Roberto Martinez et Julien Nédélec, parlent de leur travail et des œuvres.

À lire ci-dessous :
Le texte de présentation d’Emmanuel Latreille, directeur du Frac Languedoc-Roussillon.
La présentation des artistes extraite du dossier de presse (textes disponibles en salle).

En savoir plus :
Sur le site du Frac Languedoc-Roussillon
Sur la page Facebook du Frac Languedoc-Roussillon
Sur le site d’Eric Watier

« Plus c’est facile, plus c’est beau », présentation par Emmanuel Latreille

En 2015, l’artiste Éric Watier publie aux éditions Incertain Sens un petit livre intitulé Plus c’est facile, plus c’est beau : prolégomènes à la plus belle exposition du monde. Il s’agit de courtes descriptions des processus de création d’oeuvres contemporaines, prétendument « faciles », que Watier conclut chaque fois de manière identique par : « [X] l’a fait, et tout le monde peut le refaire ».
Suite à l’exposition « La peinture à l’huile, c’est bien difficile… », le Frac Languedoc-Roussillon lui propose de vérifier si le syllogisme implicite de son ouvrage pouvait contenir quelque valeur de vérité. Autrement dit : Si beaucoup d’oeuvres d’art contemporain sont incontestablement « faciles », alors en réunir un certain nombre peut-il manquer de produire une exposition « belle », et même « plus belle » ?
Ainsi, le lien entre « facilité » et « beauté », dont la phrase originale du lettriste Gil J Wolman reprise par Éric Watier a ouvert la problématique, paraît devoir faire un détour par l’exposition afin de permettre à chacun d’en vérifier la pertinence. C’est en effet que « chacun » est concerné, presque intimement, par le plus ou moins grand degré de facilité ou de difficulté qu’une oeuvre d’art lui propose et même, lui oppose. N’admire-t-on pas d’abord ce qui nous paraît difficile ? Ne sommes-nous pas « captivés » par les prouesses techniques que démontrent les oeuvres classiques, peintures ou sculptures ? Il suffit de très peu de temps d’atelier pour savoir qu’un tableau de Rembrandt ou de Picasso, « n’importe qui ne peut pas le refaire… ». Et c’est, étrangement, cette limitation que nous intériorisons tous, et que nous valorisons d’une façon quelque peu « masochiste » !
Pourtant, l’art contemporain propose des mises en forme « faciles », qui incitent chacun, par-delà technique, talent ou travail, à se confronter à la question de sa propre créativité, à examiner les moyens, souvent très sommaires, qui permettent des voies pour la création. Et puis, est-ce que l’art ne pourrait pas être une « facilité partagée », au lieu d’être une « difficulté solitaire » ? De nombreuses techniques (ou technologies) actuelles ne permettent-elles pas de créer autrement, en opérant davantage sur des relations entre les « choses », à condition, bien entendu, de tenter avec elles d’autres façons de « faire » ? Ce sont des hypothèses de cet ordre qu’en tant qu’artiste, Éric Watier explore depuis de nombreuses années, hypothèses porteuses, plus qu’il n’y paraît, de valeurs subversives, émancipatrices, c’est-à-dire libératoires des formes de « captivation » qui empêchent de se risquer aux nouvelles idées :

« L’art contemporain est souvent suspect. Parmi les reproches qui lui sont faits, il y a souvent l’absence de talent, de virtuosité ou pire de travail. Pourtant la facilité de certains travaux devrait être libératrice. Nous devrions chaque fois que cela se présente être épatés par l’audace et la liberté des artistes. Refaire c’est toujours facile. Mais faire, inventer, oser, même la chose la plus simple (surtout la plus simple) demande un effort sur soi et sur l’ordre normal des choses qui est tout simplement inimaginable. C’est le propre de l’invention que d’être inimaginable, de ne pas avoir d’antécédent et donc pas d’anticipation possible. On ne remerciera jamais assez l’inventeur de la roue, du livre, du trombone, du paysage ou du Carré blanc sur fond blanc : toutes ces choses si évidentes et qu’il a pourtant fallu inventer. Certains des objets présentés dans l’exposition ont été pensés, d’autres sont apparus dans une spontanéité incalculable mais soigneusement préparée. Contrairement à ce qu’on croit il faut du temps pour imaginer et admettre un carré blanc sur fond blanc (y compris pour Malevitch !).

L’exposition « Plus c’est facile, plus c’est beau » tire son nom d’une citation de Gil J Wolman, on y présentera un ensemble d’oeuvres des collections publiques qui apparaîtront sans doute trop faciles à certains. Pour vérifier cette simplicité apparente, un workshop mené avec des étudiants en art et en architecture ouvrira l’exposition. On verra bien ce qu’il en est… » (Éric Watier, 5 juillet 2016).

Emmanuel Latreille

Présentation des artistes exposés (extrait du dossier de presse)

Claude Closky

Plus c’est facile, plus c’est beau au Frac Languedoc-Roussillon - Vue de l'exposition. Photo Pierre Schwartz. Claude Closky, Toutes les façons de fermer une boîte en carton, 1989
Plus c’est facile, plus c’est beau au Frac Languedoc-Roussillon – Vue de l’exposition. Photo Pierre Schwartz. Claude Closky, Toutes les façons de fermer une boîte en carton, 1989

Toutes les façons de fermer une boîte en carton, 1989
16 cartons d’emballage disposés au sol. 40 x 60 cm (chacun). Frac PACA

Claude Closky est né en 1963 à Paris où il vit et travaille.
Il est représenté par les galeries :
Galerie Laurent Godin, Paris.
Galerie Mehdi Chouakri, Berlin.
Galerie Mitterand + Sanz, Zurich.
Site de l’artiste et www.sittes.net/

L’univers de Claude Closky est celui du quotidien – mots, chiffres, figures géométriques, images… – traité le plus souvent sur un mode ludique et léger. Par emploi de plusieurs médiums (dessins, écritures, installation, vidéo et son), il questionne les polarités, le simple et le complexe, le semblable et le dissemblable, les lois de l’évolution des micro-évènements et les automatismes, les glissements entre sens et non-sens…
Selon Olivier Zahm, « toutes les façons de fermer une boîte en carton, c’est épuiser aussi : (1) toutes les possibilités d’un volume (= la sculpture), (2) toutes les possibilités d’un vocabulaire (= la pliure), (3) toutes les possibilités de l’art (objet emballé, entassé, stocké), (4) toutes les possibilités d’ironie conceptuelle d’une circularité qui va de l’art comme transport (émotionnel) à l’art du transport (le carton) ». […]
« L’oeuvre de Claude Closky couvre presque tous les domaines des arts plastiques, depuis le dessin et la peinture jusqu’à la création de papiers peints en passant par la photographie. Déconstructeur des médias, des « belles images » et des slogans publicitaires, il les fait imploser dans leurs supports mêmes qu’il intègre dans ses installations. Ses autoportraits, ses interventions ironiques dans la presse, le montrent paradoxalement aliéné au monde qu’il décrit. Ce goût pour l’autocritique et la dérision apparaît également dans les séries de classements rationalisés jusqu’à l’absurde qu’il réalise : « Les 1 000 premiers nombres classés par ordre alphabétique », par exemple, ou encore « Tableaux comparatifs », publié par Point d’Ironie, qui reprend les tableaux comparatifs de la Fnac pour leur seule valeur plastique. À ses expositions nombreuses et ses publications, s’ajoute une activité artistique proliférante sur le web, à la fois pour son « portail » et des sites web de commande. »

Source : Frac PACA

Guy de Cointet

Guy de Cointet, Sans titre, vers 1971 - Plus c’est facile, plus c’est beau au Frac Languedoc-Roussillon
Guy de Cointet, Sans titre, vers 1971 – Plus c’est facile, plus c’est beau au Frac Languedoc-Roussillon

Sans titre, vers 1971, stylo feutre sur papier, 21,6 x 28 cm. Les Abattoirs – Frac Midi-Pyrénées

Guy de Cointet est né en 1934 à Paris et mort en 1983 à Los Angeles.
Il est représenté par la Galerie Air de Paris.
Site de l’artiste

« Les pièces de Guy de Cointet jouent avec plusieurs langues, avec le langage poétique, le chant et une étrange disharmonie entre décors et acteurs dans une forme parfois qualifiée de « performance théâtrale ». C’est à la croisée des arts visuels et du théâtre que se construit son oeuvre.
Si les performances de Guy de Cointet ont été représentées au sein d’institutions et d’enseignes prestigieuses lors du vivant de l’artiste (galerie Sonnabend à Paris, Forth Worth Art Museum, Texas, MoMA, NY), c’est plusieurs années après son décès que son importance a vraiment été actée. Guy de Cointet est aujourd’hui présent dans les plus grandes collections, ses archives sont déposées au Centre Pompidou/ Bibliothèque Kandinsky et son travail a fait l’objet d’importantes rétrospectives et présentations (Biennale de Venise, 2010). Cette reconnaissance s’explique par son influence directe sur les artistes Paul McCarthy, Richard Jackson et Allen Rupersberg. Celle-ci est considérable, et par rebond c’est tout un pan de la création contemporaine qui s’inscrit dans sa généalogie directe qui emporte avec elle un héritage complexe : « Chaînon manquant de l’histoire de l’art conceptuel, passeur entre un Surréalisme à la Raymond Roussel, le Futurisme et l’art conceptuel de la côte Ouest des États-Unis, l’oeuvre de Guy de Cointet est à la croisée d’enjeux artistiques majeurs », explique ainsi Marie de Brugerolle dans l’ouvrage qu’elle a consacré à l’artiste en 2011. »

Olivier Michelon

IKHÉA©SERVICES

Activation de l’IKHÉA©SERVICE N°13, Répliques : « Plutôt deux fois qu’une ! », 2001 manifestations variables.Centre national des arts plastiques – Cnap

IKHÉA©SERVICES a été créée en 1998.

IKHÉA est une entreprise fictive qui, en détournant le nom d’une célèbre marque mondiale, « trouve son origine dans un geste d’usurpation symbolique ». Jouant sur le principe développé par le fondateur de l’entreprise suédoise, IKHÉA se propose d’impliquer son « client » (son public…) dans la réalisation d’une oeuvre, d’une exposition (« Viens m’aider à réaliser le contenu de mon exposition ! », 2001). En 2004, dans une volonté de radicalisation du principe mis en place, IKHÉA est rebaptisée IKHÉA©SERVICES : l’artiste, « bazardant » toute trace de réalisation matérielle, se fait prestataire, en proposant ses services au public par la diffusion d’un manuel qui regroupe un ensemble de modes d’emplois à mettre en pratique.
Modes d’emplois, protocoles, partitions ? Quoi qu’il en soit, ces formules ne se réalisent pleinement que dans leur passage à l’acte. Cet art prestataire veut s’inscrire dans le cours du monde : il cherche à saboter, aussi peu que ce soit, le réel, en s’appliquant à « rompre l’enchaînement des actions efficaces ». La contre-productivité est bien au rendez-vous, quand les modes d’emploi invitent par exemple à rendre impraticable l’usage d’une partie d’un appartement en l’annulant avec du scotch ou en l’encombrant d’objets (IKH(S).N°4, « L’annulation d’espaces »), ou quand l’artiste s’engage par contrat à faire servir avec une lenteur exagérée et mal supportable, lors d’un vernissage, les boissons proposées aux personnes présentes (IKH(S).N°24, Slowmo : « Le ralentisseur »).
En proposant l’activation, lors de l’exposition, du service IKH(S).N°13 (Répliques : « Plutôt deux fois qu’une ! ») ou de l’une de ses variantes, IKHÉA©SERVICES applique avec maestria sa stratégie d’infiltration : sa prestation, discrète jusqu’à en être insidieuse, met en abîme le propos qui y est développé, par la remise en question de l’originalité de l’oeuvre d’art, de sa duplication à sa reproductibilité, voire sa généralisation.

Source : Centre national des arts plastiques

Bertrand Lavier

Bertrand Lavier, Omnium n°1, 1990 - Plus c’est facile, plus c’est beau au Frac Languedoc-Roussillon
Bertrand Lavier, Omnium n°1, 1990 – Plus c’est facile, plus c’est beau au Frac Languedoc-Roussillon

Omnium n°1, 1990 acrylique sur métal, 207 x 260 x 10 cm. Frac Languedoc-Roussillon

Bertrand Lavier est né en 1949 à Châtillon-sur-Seine (Côte-d’Or) ; il vit et travaille à Aignay-le-Duc (Côte-d’Or).
Il est représenté par Almine Rech Gallery, Paris.

« Omnium n°1 fait partie d’un « chantier » que Bertrand Lavier poursuit depuis la fin des années 1970, un objet (piano, panneau de signalisation, boîte, etc.) est recouvert d’une couche de peinture. Pour cette oeuvre entre peinture et sculpture, l’artiste utilise comme support un battant de garage avec son cadre. L’objet est mis en évidence, tandis que la peinture se représente, et qu’un nouvel espace, un troisième objet se matérialise.
Bertrand Lavier s’approprie les objets pour leur qualité plastique et esthétique, hors de leur valeur d’usage et de marchandise. Le réel constitue pour lui un vaste réservoir de formes. L’objet s’affirme en tant que ready-made, et la peinture lui attribue une spécificité esthétique.
Dans Omnium n°1, la peinture se montre, dépourvue d’alibi et d’image. Le geste du peintre sur l’objet « défigure » le visible ; la représentation est pensée avec son opacité et sans cachotterie. L’acrylique se répand sur la surface comme un nappage savoureux, homogène et brillant. Les coups de pinceaux laissent dans leur chute des surplus de matière, des empâtements qui accrochent la lumière et créent du mouvement. La peinture a une épaisseur, une présence, celle de la matière. Mais l’usage d’une seule couleur, le gris, renvoie aussi au caractère générique et impersonnel du monochrome.
Bien que le titre donne une image à la pièce, le mot « omnium » ne fait plus partie du langage courant et laisse le spectateur dans l’expectative. Peut-être une métaphore, sans doute un moyen de dire « ceci n’est pas un ready-made », n’est pas de la peinture, ni de la sculpture mais oscille de l’un à l’autre.
Dans les écarts entre la forme, la matière et le titre se joue l’ambiguïté du travail de Bertrand Lavier, quelque chose qui échappe sûrement à l’origine du trouble du spectateur face à l’oeuvre. Les objets repeints, superposés, Frigo sur coffre-fort : Brandt/Haffner, découpés, Photo-relief, recadrés, Walt Disney productions, montrent que chez Bertrand Lavier « la mise à l’épreuve du concept est la condition sine qua non de la représentation* ».
Hors des catégories et des frontières, Bertrand Lavier se sent aussi proche de Duchamp que de Brancusi, de Léger que de Picabia ou de Jasper Johns pour n’en citer que quelques-uns. Fidèle à la tradition de rupture, son art n’en finit pas de surprendre et de poser des questions, jusqu’à parfois soulever des polémiques. »

Céline Mélissent

* Catherine Francblin citée par Alain Coulange, « Objets de l’art et objets d’art », Art press n°90, mars 1985, p. 36.

Ange Leccia

Plus c’est facile, plus c’est beau au Frac Languedoc-Roussillon - Vue de l'exposition. Photo Pierre Schwartz
Plus c’est facile, plus c’est beau au Frac Languedoc-Roussillon – Vue de l’exposition. Photo Pierre Schwartz

Nou Camp, 1986 installation, 256 x 746 x 512 cm. Les Abattoirs – Frac Midi-Pyrénées

Ange Leccia est né en 1952 à Minerviu en Corse ; il vit et travaille à Paris.
Il est représenté par la galerie Jousse-Entreprise, Paris.

« « L’objectivité dans les relations entre les hommes, qui fait place nette de toute enjolivure idéologique, est déjà devenue elle-même une idéologie qui nous invite à traiter les hommes comme des choses. » (Theodor W. Adorno, 1944)
Dans sa froideur laconique, Nou Camp* amuse puis surprend puis interroge. La littéralité des deux objets réveille une énergie singulière, celle d’une coupe du monde, celle du sport international le plus fédérateur. Plus encore, le contact des deux cages de but rappelle le tendre jeu qui consiste à toucher le plus possible le corps de l’autre, rappelle dans sa frontalité archaïque Le Baiser total de Brancusi. Pourtant, la force de cette union tient en quelques lignes symétriques qui structurent et sensibilisent un nouvel espace pris dans « l’ancien champ ».
À partir des années 80, Ange Leccia dédouble ses figures ou objets issus de la technologie quotidienne (projecteurs, automobiles…) pour un face-à-face du différent dans l’identique, où l’affrontement se mue en une introspection préalable au dialogue. L’artiste préfère au terme installation trop pratique, celui d’arrangement plus sage et plus disposé à ouvrir sur l’oeuvre d’art. Par la pause fusionnelle mais pudique du vis-à-vis, les objets issus d’une société de consommation individualiste, rétablissent une relation primordiale, un transport étrangement humain. Cet arrangement improbable, abrupt, se délivre de sa fonction technique pour s’épanouir dans une tendresse virile. Dégagé de toute critique « historique », ce faux ready-made réveille la chaleur interstitielle de deux corps serrés, captive l’imagination de chacun. D’une nature inchangée, juste « arrangée », l’oeuvre s’exauce.
Lorsque Ange Leccia quitte la Corse et ses beaux paysages sauvages pour le continent, il influe la poésie lucide de son art dans la « nature » même des objets, objets urbains, de médiation. Loin de l’implication sociologique du Pop art, proche de la générosité de l’Arte Povera, il révèle l’aura d’un objet devenu presque vierge dans sa mise en situation environnementale, pour provoquer une réceptivité à la fois sobre et pulsionnelle. »

Bernadette Morales, 2000

* Camp Nou (Nouveau Champs) est le nom du stade de foot de Barcelone en Espagne. Ange Leccia joue de l’inversion relative des mots.

Erwin Wurm

Erwin Wurm, Montaigne, Descartes, Kant, 1998 - Plus c’est facile, plus c’est beau au Frac Languedoc-Roussillon
Erwin Wurm, Montaigne, Descartes, Kant, 1998 – Plus c’est facile, plus c’est beau au Frac Languedoc-Roussillon

Montaigne, Descartes, Kant, 1998 3 socles en bois peint, poussière, 80 x 60 x 60 cm et 100 x 60 x 60 cm (x 2). Frac Bourgogne

Erwin Wurm est né en 1954 ; il vit et travaille à Vienne (Autriche).
Il est représenté par les galeries :
Galerie Thaddaeus Ropac, Salzbourg, Autriche.
Galerie Thaddaeus Ropac, Paris.
Lehmann Maupin, New York.
König Galerie, Berlin.
Site de l’artiste

« Qu’elle utilise les objets du quotidien (les habits notamment), la vidéo, le dessin, la photographie, l’oeuvre d’Erwin Wurm s’inscrit incontestablement dans le champ des questionnements de la sculpture contemporaine : une sculpture qui aurait délaissé les moyens et les techniques traditionnels (taille, modelage de la matière…) pour interroger les formes et l’espace avec la plus grande fluidité. Très informé, dès ses années d’étude à la Kunstakademie de Vienne, des démarches des artistes Fluxus, Erwin Wurm se tient cependant à distance d’un mouvement qui tend souvent selon lui à une fétichisation pauvre de l’objet d’art. Son travail conserve toutefois l’inspiration majeure de Fluxus qui invite à chercher l’art dans le mouvement même de la vie et dans les conditions de l’existence singulière.
Réalisée pour l’exposition « Poussière (dust memories) » en 1998 (Frac Bourgogne), Descartes, Montaigne, Kant utilise trois socles pris directement dans les réserves de l’institution. Un mince voile de poussière est saupoudré autour d’une forme carrée posée sur chacun d’eux, simulant ainsi après son retrait la disparition de bustes classiques. Enfin la disposition des trois socles autour d’un espace central obéit à l’idée d’une proximité de l’oeuvre avec le spectateur, celui-ci pouvant venir prendre place au milieu de la conversation hypothétique de trois « philosophes » et parfois, par négligence, inscrire sa propre trace dans un débat qui, sans autre forme d’autorité, lui est ouvert. […] »

Emmanuel Latreille

Samuel Buckman

Samuel Buckman, AH !, 2005-2017 - Plus c’est facile, plus c’est beau au Frac Languedoc-Roussillon
Samuel Buckman, AH !, 2005-2017 – Plus c’est facile, plus c’est beau au Frac Languedoc-Roussillon

AH !, 2005-2017 tréteau, 75 x 75 x 4 cm. . Artiste invité

Samuel Buckman est né en 1972 ; il vit et travaille à Caen.
Site de l’artiste

« Samuel Buckman est un promeneur solitaire. Il s’immerge dans son sujet en en prenant la mesure de ses propres pas, arpente les espaces, débusque ce que personne d’autre que lui ne voit. Il collecte des objets, formes hétéroclites, fragments de matières, bouts de chaos, silex, clous rouillés, tessons… À la recherche de l’écume du temps, faire le plein de sensible, comme une membrane exposée aux soubresauts du monde, aux échos des bombes, à l’air qui en retient encore le souffle. L’artiste collecte, opère des rapprochements, mises en perspectives, recoupements, comme tous ceux qui cherchent à comprendre – comme les écrivains qui construisent leurs histoires autour d’un mystère. Il enquête un peu à la manière d’un ethnographe, un peu comme un archéologue aussi…
Mais Samuel n’est ni ethnologue, ni archéologue. Il reconstruit librement à partir de morceaux de réel glanés çà et là, sans pour autant que ce ne soit n’importe où. Et s’il fait figurer des objets que l’archéologue écarterait de son corpus, ce n’est guère pour grimer une discipline sérieuse en loisir d’enfant irresponsable. Si les objets qu’il intègre à ses installations seraient pour beaucoup d’entre eux, et selon les critères de la science, tout simplement des « faux », ils revêtent chez Samuel Buckman, une pure authenticité, qui est celle de l’oeuvre. Et, à travers elle, l’artiste saisit une vérité qui n’est pas moindre que celle des hommes de science. Ce faisant, Samuel Buckman, en « honnête homme », dit aussi tout son amour romanesque pour l’histoire, sans en faire exactement pour autant.
Samuel Buckman fait beauté de l’énigme du monde, de la question qui restera toujours en suspens. »

Florence Calame-Levert, directrice du Musée d’Art, d’Histoire et d’Archéologie d’Évreux

L’œuvre AH ! n’avait pas été réactivée depuis sa création pour l’exposition Affinités organisée par Le Pavé dans La Mare à la Saline royale d’Arc-et-Senans en 2005.

Roberto Martinez

Plus c’est facile, plus c’est beau au Frac Languedoc-Roussillon - Vue de l'exposition. Photo Pierre Schwartz. Julien Nédélec, 1:1, 2012 et Roberto Martinez, Allotopies - Collages (série), 1993-2017
Plus c’est facile, plus c’est beau au Frac Languedoc-Roussillon – Vue de l’exposition. Photo Pierre Schwartz. Julien Nédélec, 1:1, 2012 et Roberto Martinez, Allotopies – Collages (série), 1993-2017

Allotopies – Collages (série), 1993-2017 poster mural (images collées), dimensions variables. Artiste invité

Roberto Martinez est né en 1956 ; il vit et travaille à Paris. Il est représenté par la galerie du jour/Agnès b, Paris.
Site de l’artiste

Pratique artistique multimédiums (édition, photographie, vidéos, installations) questionnant la production, la circulation des images, le rapport politique et social de leur inscription dans les différents flux actuels. Aime confronter l’art et l’espace public (jardin, affichage, tract’eurs, actions urbaines). Commissaire de plusieurs expositions autour de la notion de Populaire et d’Allotopie.
« Roberto Martinez interroge notre système de perception à travers une mise en place de la photographie, cette gigantesque « Machine de vision » qui a façonné le regard du monde. Un monde d’images. En flots ou en ligne elles sont constamment renouvelées pour être traitées dans leur état le plus récent. D’une durée de vie de plus en plus courte, toujours prêtes à être remplacées par une autre, ces images n’existent que dans l’urgence de l’instant…
… L’instant et l’image qui sont liés se trouvent comme fossilisés, absorbés par leur support, comme s’ils ne pouvaient résister à cette temporalité. Comme si l’arrêt sur image faisait corps avec l’écran sur lequel elle était apparue au point d’en être la configuration. Comme si cet arrêt sur image comprenait le poids de toutes les images en fil inscrivant le corps des images dans les mailles de l’écran. Roberto Martinez dessine une analogie entre l’image et le corps. Il rappelle que l’oeuvre ne dure pas. Elle est, elle ouvre une nouvelle temporalité. Geler un instant, capter, piéger, fixer une image du geste artistique, de ce besoin de l’homme à fixer les images du monde qui l’entoure et à exprimer sous des formes durables. »

Jérôme Sans

Pour cette exposition est réactivé un principe de Collage d’une image murale débuté en 1993, anonyme (sans auteur), dont le format et la technique d’impression sont déterminés industriellement, et le cadrage par l’espace.

Julien Nédélec

Plus c’est facile, plus c’est beau au Frac Languedoc-Roussillon - Vue de l'exposition. Photo Pierre Schwartz. Julien Nédélec, 1:1, 2012
Plus c’est facile, plus c’est beau au Frac Languedoc-Roussillon – Vue de l’exposition. Photo Pierre Schwartz. Julien Nédélec, 1:1, 2012

1:1, 2012 papier pour traceur de plans, 1267 x 596 cm. Artiste invité

Julien Nédélec est né en 1982 ; il vit et travaille à Nantes.
Il est représenté par la Galerie Praz-Delavallade, Paris et Los Angeles.
Site de l’artiste

« En sculpteur habile, Julien Nédélec manipule et modèle les échelles avec délectation : distension, condensation, pour nous ramener les pieds sur terre, au coeur du réel, au pays de la mesure avérée. Avec 1:1, il conçoit une feuille blanche immaculée, de la dimension de la salle d’exposition. Un plan à l’échelle 1 – clin d’oeil à Borges et Lewis Carroll – impraticable, démesuré, sorte de double de l’existant, peau presque invisible superposée au réel. Un immense terrain de possibles, la page blanche d’une exposition à composer. Mais le déploiement de cette feuille est de courte durée, la main de l’artiste, son geste intervient – faisant écho à l’ensemble des oeuvres antérieures qui chacune expérimente la question du faire. Ici le geste est rapide, on compacte, on comprime, comme on le ferait pour un brouillon qui terminerait dans une corbeille à papier. À une exception près, la dimension de cette feuille qui déployée mesure près de 13 mètres par 6. Le papier est un support privilégié par l’artiste que ce soit dans ses dessins, ses volumes, ses éditions et publications nombreuses. Matériau quotidien, courant et neutre par excellence, il est une matière première aisée à transformer. Dans ses méthodes de détournement, l’artiste affectionne le passage de la deuxième à la troisième dimension et pour le mettre en oeuvre, la technique du pliage – notamment dans la tradition japonaise de l’origami – a souvent été piratée par Julien Nédélec. La méthode ici est tout autre, il ne s’agit pas de précision dans la géométrie des découpes ni dans le geste du pliement mais d’une foudroyante montée en volume, une impétueuse flambée en épaisseur. Imaginez le fracas d’une feuille d’une telle ampleur que l’on compresse. Dans sa silencieuse présence, 1:1 a joué un court temps le rôle de sculpture sonore fracassante. »

Vanina Andréani, « Monter le volume » (extrait)

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