Vies d’Ordures au MuCEM, Marseille

Jusqu’au 14 août 2017, le MuCEM présente « Vies d’ordures – De l’économie des déchets », une exposition au contenu dense et souvent original, dont le parcours de visite est très bien organisé.

« Vies d’ordures » rassemble plus de 450 objets, documents, installations, films, cartes et schémas. Plus de 50 % de ces documents sont issus des campagnes d’« enquêtes / collectes » initiées par le MuCEM. C’est sans doute une des singularités majeures de cette exposition.

Exposition « Vies d’ordures » au Mucem – 2017 © François Deladerriére - Mucem
Exposition « Vies d’ordures » au Mucem – 2017 © François Deladerriére – Mucem

Dès 2014, des équipes de chercheurs, photographes et vidéastes ont été mandatées par le MuCEM pour documenter les pratiques liées aux déchets et à leur transformation dans plusieurs grandes villes du bassin méditerranéen. Des enquêtes ethnographiques ont été ainsi réalisées en Turquie, en Albanie, en Égypte, en Italie, en Tunisie, au Maroc et dans le Sud-est de la France.

À ces documents de « première main » se sont ajoutés des objets issus des collections du MuCEM et des musées d’ethnographie comme le musée du Quai Branly ou le musée de Guatelli dans la région de Parme.
Des dispositifs pédagogiques ont également été spécialement imaginés pour enrichir l’exposition : cartes, tableaux de classification des déchets, maquettes, etc.

Seconde originalité de « Vies d’ordures » : L’association, très en amont, dans la conception de l’exposition, d’acteurs chargés de la direction artistique et de la scénographie avec les deux commissaires, Denis Chevallier (docteur en ethnologie et conservateur général du patrimoine au MuCEM) et Yann Philippe Tastevin (docteur en anthropologie et chargé de recherche au CNRS).

Les équipes de Encore Heureux, bkCLUB Architectes et Urbain, trop urbain ont ainsi pu concevoir, en étroite collaboration avec des scientifiques, un parcours de visite et une mise en espace qui transposent la richesse des matériaux rassemblés dans un discours clair, limpide, ponctué de moments forts et parfois émouvants. L’ensemble offre plusieurs niveaux de lecture, s’adressant en conséquence à des publics divers.

Exposition « Vies d’ordures » au Mucem – 2017 © François Deladerriére - Mucem
Exposition « Vies d’ordures » au Mucem – 2017 © François Deladerriére – Mucem

Signalons aussi le choix pertinent d’une scénographie conçue pour être démontée et réemployée après l’exposition afin de produire le moins de déchets possible.

Le parcours s’organise en six sections (voir ci-dessous) :

  • Nommer – Mesurer – Classer : dis-moi ce que tu jettes !
  • Réparer – Jeter : petite histoire du déchet
  • Ramasser – Collecter – Transporter – Stocker – Trier : les gestes des déchets
  • Réemployer – Réutiliser – Recycler : l’atelier du déchet
  • Réduire – Enfouir – Composter – Incinérer : quelles solutions pour une société « zéro déchet » ?
  • Se mobiliser : les citoyens au défi des déchets

Les trois dernières sections de l’exposition occupent un vaste espace ouvert sur la méditerranée.
Évoquant des expériences concrètes, il constitue une forme d’agora sur les questions du réemploi, du recyclage, de l’engagement collectif et individuel.

Ce plateau s’articule autour de trois micro-architectures créées à partir d’enquêtes sur des filières particulières. Le tri de la fripe en Tunisie est présenté sous une tente de tee-shirts multicolores. La récupération et le recyclage par les zabbalin du Caire est illustré dans une hutte composée de tresses de plastique. L’impasse des éco-balles est racontée par Franck Pourcel dans une pyramide à degrés, sous cette même bâche noire qui recouvre ces montagnes d’ordures le paysage à Naples et dans la Campanie.

Trois œuvres contemporaines, particulièrement bien choisies, ponctuent ce parcours de visite. Il débute par « Sixty », une intrigante installation de Nils Völker et la respiration de 60 sacs poubelle. Il se termine avec une « Unité de purification d’eau » imaginée par Lucy et Jorge Orta et qui s’inscrit dans leur série initiée lors de leur exposition OrtaWater à la Biennale de Venise (2005). Ces deux pièces ont été produites par le MuCEM. Entre temps, le visiteur aura fait la rencontre du « Loup d’avril » (2012) de Lionel Sabatté, fabriqué à partir de moutons de poussière.

Avec « Vies d’ordures – De l’économie des déchets », le MuCEM signe une nouvelle fois une exposition riche et pédagogique qui interroge avec discernement les visiteurs sur nos modes de vie, nos modèles de consommation. Certains auraient sans doute souhaité une approche plus « militante », en particulier sur certains dossiers « chauds » dans la région marseillaise. Est-ce bien le rôle du musée ?

Cette exposition démontre une fois de plus que le MuCEM est bien un musée qui s’intéresse « aux civilisations de l’Europe et de la Méditerranée dans leur dimension contemporaine et [qui] a l’ambition d’aider le visiteur à mieux comprendre le monde où il vit ».

Comme pour toutes les expositions, une très importante programmation culturelle accompagne « Vies d’ordures – De l’économie des déchets », dont le détail est disponible sur le site du MuCEM.

Le catalogue (coédition Mucem /Artlys), sous la direction de Denis Chevallier et Yann Philippe Tastevin réunit des contributions de : Caroline Barbary et Saker El-Nour, Tatiana Benfoughal, Flore Berlingen, Gérard Bertolini, Martine Bergues, Philippe Bihouix, Philippe Chamaret, Axelle Brodiez-Dolino, Jean-Paul Demoule, André Donzel, Marie-Charlotte Calafat, Antoine Compagnon, Julia Ferloni, Bénédicte Florin, Jamie Furniss, François Galgani, Pascal Garret, Isabelle Laffont-Schwob, Bernard Laponche, Serge Latouche, Jade Lindgaard, Vittorio Martone, Baptiste Monsaingeon, Franck Pourcel, Mario Turci, Bernard Vigne, Denis Woronoff et Marina Zveguinzoff.

« Vies d’ordures – De l’économie des déchets » a bénéficié du soutien de L’Ademe et de deux industriels de la filière, Suez et Pellenc ST.

Un partenariat avec le musée national d’ethnologie de Séoul permettra de montrer certains éléments de l’exposition au public coréen, à partir de l’été 2017.

Exposition « Vies d’ordures » au Mucem – 2017 © François Deladerriére - Mucem
Exposition « Vies d’ordures » au Mucem – 2017 © François Deladerriére – Mucem

À lire, ci-dessous, un entretien avec Denis Chevallier, commissaire général de l’exposition et une présentation du parcours de l’exposition (extraits du dossier de presse)

En savoir plus :
Sur le site du MuCEM
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Dossier pédagogique 
téléchargeable sur le site du MuCEM
A voir ci-dessous « Vies d’ordures », genèse d’une exposition. Une conférence avec Denis Chevallier enregistrée il y a quelques mois par Image de ville

 

Entretien avec Denis Chevallier, commissaire général de l’exposition

Pourquoi le Mucem a-t-il choisi d’aborder la question de l’économie des déchets pour cette nouvelle exposition  ?

A travers les déchets, il s’agit de questionner nos modes de vie, nos modèles de consommation et de production. Un musée de société comme le Mucem peut, à sa manière et à son niveau, jouer un rôle dans la cité. Avec cette exposition nous aimerions que le visiteur ressorte un peu plus conscient que des actes aussi quotidiens et banals que consommer et jeter ont des conséquences sur la planète et donc pour nous tous.

L’exposition Vies d’ordures. De l’économie des déchets a la particularité de présenter un grand nombre d’objets acquis récemment par le Mucem dans le cadre de campagnes d’enquêtes-collectes…

Pendant trois ans, grâce à un travail d’équipe, nous avons constitué une documentation de première main sur les manières dont, autour de la Méditerranée, les déchets sont collectés, transformés, traités. Des équipes associant chercheurs et vidéastes/photographes ont effectué des enquêtes à Casablanca, Naples, Marseille, Tirana, Istanbul, Le Caire et Tunis, d’où nous avons pu rapporter objets, témoignages, images et enregistrements. Cette documentation originale constitue le cœur de l’exposition : près de 50 % des objets et documents présentés sont issus d’enquêtes-collectes.
Un musée n’est pas seulement un lieu de restitution. C’est aussi un lieu de fabrication d’un savoir. Aller chercher un objet là où il a été produit et utilisé permet de recueillir des informations sur son contexte de fabrication, de circulation ou d’usage. C’est à cette seule condition que cet objet pourra nous aider à comprendre les sociétés, les cultures ; ce qui est bien la mission principale d’un musée de société.

Que montrez-vous dans cette exposition ? Comment s’organise t-elle ?

Le visiteur constatera d’abord que les déchets sont partout. L’autopsie de la poubelle-monde à laquelle nous nous livrons en introduction dévoilera la part cachée, maudite peut-être, de nos modes de vie. Ce que l’on ne veut pas voir et qui pourtant est bien là et s’impose à nous.
Dans la partie suivante on se demandera comment on en est arrivé là : en effet, une telle quantité de déchets avec de tels impacts sur l’environnement, c’est une affaire récente. Disons que nos grands-parents, nos arrières grands-parents, n’avaient sûrement pas la même appréhension du déchet que nous, car il y en avait beaucoup moins. Pour montrer cela, nous effectuerons un petit retour en arrière, grâce aux collections d’ethnographie, dans le monde qui précède la société de consommation ; cette période qui commence avec la diffusion massive du plastique et qui correspond à la multiplication des emballages et au règne du « tout jetable ». On montrera ici des objets assez insolites, parce qu’ils arborent cicatrices et réparations, pour dire qu’avant le « tout jetable », on réparait beaucoup. A coté, on exposera des emballages plastiques pour évoquer la société de consommation.

La troisième section de l’exposition s’organise à partir de gestes simples : « ramasser, collecter, transporter, stocker, trier »…

Des gestes que nous illustrons à travers quelques objets et vidéos révélant les différents mode de traitement des déchets dans les villes étudiées : c’est dans cette section, par exemple, qu’est présenté le fameux triporteur du Caire, ou encore une spectaculaire machine de tri optique prêtée par l’entreprise Pellenc ST 3. L’acte du tri est central car c’est lui qui va donner de la valeur à ces déchets : à partir du moment où ceux-ci sont triés, ils deviennent des matières premières secondaires. Balles de carton, de plastique ou d’aluminium ont une valeur fixée par des cours mondiaux. Ils sont l’objet d’un commerce relativement important et lucratif, compte tenu des quantités énormes que tout cela représente.
Dans la section suivante, nous donnons des exemples de réemploi et de recyclage. Nous verrons par exemple, comment un pneu usagé peut devenir un seau, ou comment des cannettes sont transformées en lingots d’aluminium. Dans certaines régions de Méditerranée, le réemploi a pris une ampleur considérable ; c’est le cas du secteur de la fripe en Tunisie, qui sera présenté dans une sorte de tente conçue avec des fripes qui nous sont fournies par l’un des nombreux partenaires de cette exposition : la communauté d’Emmaüs de la Pointe Rouge.

La part des déchets réemployés ou recyclés reste toutefois encore relativement faible…

En effet, cela concerne au maximum 20 % de ce qu’on jette. Le reste, qu’est ce qu’on en fait ? On le transporte vers un lieu où il sera soit enfoui, une décharge, soit brulé, un incinérateur. Nous présenterons par exemple une maquette de l’usine de traitement des déchets du territoire de Marseille-Provence qui se trouve à Fos sur Mer. L’exposition va aussi mettre le doigt sur les controverses, les conséquences de mauvaises gestions qui ont parfois des origines criminelles. Autour de la Méditerranée, les scandales associés aux déchets ne manquent pas : on parlera de Naples, de Beyrouth, des calanques… Mais l’idée que nous voudrions surtout faire passer, c’est que le meilleur déchet c’est celui que l’on ne produit pas. Et qu’il nous faut donc changer nos modes de vie… Moins gaspiller (plus du tiers de la nourriture finit dans une poubelle !), transformer nos restes en compost, inciter les fabricants à faire des objets réparables, etc.
Nous aurons à la fin de l’exposition un dispositif qui permettra à chaque visiteur de faire des propositions : car nous pensons en effet que chacun peut contribuer à son niveau à faire en sorte que notre planète ne devienne pas totalement inhabitable.

« Vies d’ordures – De l’économie des déchets ». Présentation du parcours de l’exposition (extraits du dossier de presse)

Nommer – Mesurer – Classer : dis-moi ce que tu jettes !

Nos déchets façonnent notre environnement à l’échelle planétaire, ils constituent un milieu privilégié pour en observer la transformation. Les pollutions émergentes, leur nature, leur composition, leur dangerosité, leur circulation, leur transformation sont présentées dans cette section et les grandes catégories de déchets sont quantifiées pour donner à comprendre leur provenance, leur distribution. En effet, le déchet domestique ne pèse guère face aux quantités de déchets produits par l’industrie, l’agriculture ou le bâtiment. La parole est également donnée à ceux qui se mobilisent pour nous alerter sur les pollutions créées par les rejets industriels comme à Fos sur Mer ou sur de l’étang de Berre dans la région de Marseille, comme plus globalement en Méditerranée, où circulent des millions de tonnes de micro-déchets qui contaminent à moyen terme toute vie, végétale ou animale.

Réparer – Jeter : petite histoire du déchet

L’histoire économique et sociale du déchet est rappelée grâce à un ensemble d’objets évoquant le passage d’un système où la ressource est rare et doit être entretenue et valorisée à un modèle de consommation fondé sur le tout jetable.

Cette économie de la réparation et du réemploi donne naissance à des spécialisations, petits métiers des villes ou des champs. Des objets réparés ou réemployés, issus des collections ethnographiques, mis en regard avec des emballages, en plastiques contemporains évoquent cette évolution, et les choix qui ont déterminé cette accélération de la production.

Ramasser – Collecter – Transporter – Stocker – Trier : les gestes des déchets

La section commence dans la rue avec les gestes les plus simples : balayer, ramasser, elle se poursuit avec d’autres gestes essentiels : transporter, trier, compacter. Objets des collections et vidéos issues des enquêtes ethnographiques révèlent les technologies, manuelles ou industrielles, mises en oeuvre pour traiter les déchets dans les villes étudiées : Le Caire, Istanbul, Casablanca, Marseille et sa région, Tirana, Naples.

Dans cette section, on découvre des objets insolites, parfois spectaculaires, comme des crochets et plaques de chiffonniers, un diable acquis à Istanbul, un tricycle à moteur, une presse à papiers utilisée par les chiffonniers d’Emmaüs dans les années 1950 et une machine de tri optique des déchets en capacité de fonctionner prêtée par l’entreprise Pellenc ST. Le tri occupe une place centrale dans l’économie des déchets. C’est par le tri que le déchet intègre les circuits mondiaux d’échanges économiques, qu’il acquiert une valeur en tant que matière première secondaire et donc comme nouvelle ressource.

Réemployer – Réutiliser – Recycler : l’atelier du déchet

Le réemploi consiste à donner une nouvelle vie à ce qui a été considéré comme un déchet, soit en l’utilisant pour un même usage, comme dans le cas de la fripe, soit en lui donnant un usage nouveau.

En Méditerranée, le réemploi recouvre d’importants secteurs d’activités artisanaux ou industriels : tissage de tapis à partir de restes textiles, tentures faites de pièces de tissus découpées, comme les patchworks ou les appliqués, réemploi de pneus usés ou de boîtes de conserve, d’emballages plastiques. Dans certaines régions de la Méditerranée le réemploi a pris une ampleur considérable. C’est le cas du secteur de la fripe en Tunisie.

Le recyclage consiste à traiter un déchet pour en faire une matière première secondaire utilisable pour un nouvel usage. L’exposition présente les filières de recyclage au Caire et celles des déchets électriques et électroniques en France.

Réduire – Enfouir – Composter – Incinérer : quelles solutions pour une société « zéro déchet » ?

En 2016, en France, sur 35 millions de tonnes des déchets produits par les ménages, seulement 20 % sont remis en circulation pour être réemployés ou recyclés. Ainsi, plusieurs millions de tonnes de déchets doivent faire l’objet de traitement souvent couteux et parfois polluants malgré les progrès récents des installations qui se préoccupent de valoriser les déchets en produisant du compost et du méthane avec les déchets organiques ou de l’énergie par l’incinération des déchets non organiques.

Dans cette section on découvre l’histoire de décharges plus anciennes comme celle d’Entressens où furent stockés pendant plus d’un siècle les déchets de l’agglomération marseillaise comme des installations modernes avec la maquette du centre de valorisation multi filière de Fos Evéré qui traite les déchets de l’agglomération marseillaise.

La section s’arrête aussi sur les solutions alternatives permettant de limiter les déchets résiduels. Elles sont relayées par d’actifs réseaux citoyens comme « ZeroWaste », du nom du célèbre mouvement international, qui propose de réduire nos déchets à la source et de favoriser le réemploi, le recyclage et la transformation en compost des déchets organique.

Se mobiliser : les citoyens au défi des déchets

Les déchets font l’objet de mobilisations de tous ordres : techniques, scientifiques mais, avant tout, politiques et citoyennes. Les écoballes de Campanie, les ordures qui obstruent les rues de Beyrouth, les roms de Tirana voués à vivre sur les déchets de la ville sont autant d’exemples qui racontent les luttes que suscitent les gestions parfois scandaleuses des déchets.

Cette section met également en avant des actions exemplaires pour donner au visiteur l’envie d’agir à son tour. En effet, souvent, les populations se mobilisent pour nettoyer une rue, une plage, et aussi pour moins jeter en produisant et en consommant mieux.

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