Supports/Surfaces : Les origines 1966-1970 – Carré d’Art, Nîmes

Article mis à jour le 17 novembre 2017.

Jusqu’au 7 janvier 2018, Carré d’Art présente « Supports/Surfaces : Les origines 1966-1970 ». L’exposition a pour ambition de porter un regard sur les pratiques des artistes et le contexte dans lequel ils évoluèrent au cours des quelques années qui précèdent la formation du « groupe » Supports/Surfaces, en 1970 au Musée d’Art Moderne de la Ville de Paris.

L’exposition rassemble une sélection pertinente d’œuvres de de André-Pierre Arnal, Vincent Bioulès, Louis Cane, Marc Devade, Daniel Dezeuze, Noël Dolla, Toni Grand, Bernard Pagès, Jean-Pierre Pincemin, Patrick Saytour, André Valensi et Claude Viallat.

Le parcours chronologique est particulièrement bien articulé.

Les trois premières salles (« Crise du tableau », « Processus » et « Confrontations ») exposent clairement comment ces artistes réinventent leurs pratiques en multipliant recherches et rencontres à travers les enjeux culturels et politiques, jusqu’à Mai 68. Quelques œuvres de Pierre Buraglio, François Rouan et Michel Parmentier qui ont été plus ou moins proches du groupe complètent l’accrochage dans la première salle.

Avec une passionnante sélection de documents (affiches, tracts, catalogues, textes des artistes), les deux petites salles qui complètent cette première partie évoquent les premières expositions collectives, les rapprochements et la cohérence d’un ensemble de démarches qui conduisent à la création du groupe Supports/Surfaces.

Les salles suivantes (« Le plein air », « Déploiement ») montrent comment ces artistes s’affranchissent des conditions classiques de l’exposition. Leurs interventions dans le sud de la France (dans les rues du village de Coaraze, en 1969, puis lors d’une itinérance entre Nice et Perpignan à l’été 1970) évoquent à la fois l’engagement dans des pratiques autogestionnaires propres à l’époque, mais aussi la difficulté d’exposer.

De manière magistrale, l’avant-dernière salle qui est un peu l’acmé du parcours montre comme alors les œuvres se détachent en partie du mur pour investir l’espace.

Avec « Intelligence de la main », l’exposition s’achève par un regard pertinent sur l’intérêt du groupe Supports/Surfaces, accompagné par des artistes comme Jean-Michel Meurice et Christian Jaccard, pour des « gestes simples de transformations comme teindre, ligaturer, nouer, tresser, ou coudre »… L’expression probable d’une remise en cause de la société de consommation des trente glorieuses ?

L’accrochage, très bien construit, illustre avec justesse le discours de l’exposition. Il suggère d’intéressantes perspectives et des rapprochements habiles qui piquent la curiosité du visiteur et accompagnent son regard sans jamais le contraindre.

Une fiche d’aide à la visite propose des textes clairs et concis qui donnent les repères nécessaires pour comprendre l’articulation du propos de « Supports/Surfaces : Les origines 1966-1970 ».

Après la remarquable exposition «A different way to move – Minimalismes» de cet été, Carré d’Art nous offre à nouveau un regard historique passionnant sur un moment intense et singulier qui a marqué la fin des années 60. Souvent qualifié d’une des dernières avant-gardes, Supports/Surfaces a sans aucun doute transformé les pratiques artistiques en France.

Le commissariat de « Supports/Surfaces : Les origines 1966-1970 » est assuré par Romain Mathieu.

Deux journées de réflexion autour de l’exposition sont programmées :
Le 14 décembre avec Daniel Dezeuze, Bernard Pagès, Patrick Saytour et Claude Viallat et le lendemain avec Éric de Chassey, Karim Ghaddab, Larisa Dryansky, Barbara Satre, Pierre Wat et Romain Mathieu, commissaire de l’exposition.

À ne pas manquer !

À lire, ci-dessous, une présentation de l’exposition par Romain Mathieu, commissaire de l’exposition et une description du parcours avec les textes de chaque salle (extraits du dossier de presse).

En savoir plus :
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« Supports/Surfaces : Les origines 1966-1970 » – Présentation par Romain Mathieu, commissaire de l’exposition.

En septembre 1970 a lieu au Musée d’Art Moderne de la Ville de Paris une exposition dont les artistes sont regroupés sous le nom de Supports/Surfaces. Ce nom, choisi par les artistes et aujourd’hui fameux, va désigner un groupe qui transformera durablement les pratiques artistiques en France. Sous cette appellation exposent ensemble au début des années soixante-dix André-Pierre Arnal, Vincent Bioulès, Louis Cane, Marc Devade, Daniel Dezeuze, Noël Dolla, Toni Grand, Bernard Pagès, Jean-Pierre Pincemin, Patrick Saytour, André Valensi et Claude Viallat.

Les artistes ainsi rassemblés vont incarner une des dernières avant-gardes, contemporaine des mouvements comme l’Arte Povera en Italie ou le Land Art américain pour ne citer que quelques exemples. Singularité du mouvement durant cette période, les artistes se réclament pour la plupart du champ pictural – à l’exception de Bernard Pagès et de Toni Grand – bien que les œuvres déstabilisent le spectateur alors habitué aux toiles tendues sur châssis.

L’exposition Supports/Surfaces : Les origines 1966-1970 montre la constitution de ces démarches au cours des années soixante, jusqu’à l’apparition du groupe. Comprendre ce mouvement à la fois important et éphémère que fut Supports/Surfaces nécessite de se replonger dans ces années de recherches, de confrontations et d’oppositions. Ces quatre années sont celles d’une formidable effervescence artistique au sein d’une période de contestations sociales et politiques puisque marquée en son milieu par mai 68.

« Supports/Surfaces : Les origines 1966-1970 » – Parcours de l’exposition

Salle 1 -1966, Crise du tableau

Peu après leur sortie de l’École des Beaux-Arts, les artistes qui formeront Supports/Surfaces opèrent une mise en crise, voire une mise en pièce littérale du tableau de chevalet. Ils rompent ainsi avec l’héritage de l’École de Paris dont les compositions abstraites se rapportent à cet espace clos et conventionnel du tableau. Ils s’intéressent en revanche aux abstractions américaines alors peu connues en France. Cette remise en cause est alors partagée par différents artistes comme Pierre Buraglio, Jean-Michel Meurice, ou encore François Rouan et Michel Pannentier dont les travaux resteront proches du groupe pour les premiers ou s’éloigneront vers d’autres directions pour les seconds. Cette « déconstruction » du tableau s’opère contre un savoir appris par les artistes. Elle porte sur leur propre pratique comme le montrent les tableaux des artistes réalisés durant leurs années de formation. Moment significatif, l’exposition Impact en 1966 organisée par Claude Viallat à Céret réunit notamment Pierre Buraglio, Daniel Buren, Michel Parmentier et François Rouan. Tous ces jeunes artistes partagent une volonté de situer leur travail dans un « degré zéro de la peinture ». Néanmoins, ce degré zéro ne se conçoit pas pour les futurs membres de Supports/Surfaces comme une fin ou un ressassement comme chez Michel Parmentier. Il constitue on nouveau développement de la pratique picturale. Lors de cette exposition, Claude Viallat retourne le tableau qu’il a réalisé et présente son verso, dernière toile sur châssis de l’artiste avant qu’il n’adopte, durant les semaines qui suivent, la forme répétitive d’une empreinte sur des toiles libres. L’Agrafage de Pierre Buraglio est constitué de chutes de ses propres tableaux découpés et assemblés, « la peinture s’édifie sin ses ruines » écrit-il.

Salle 2 – Processus

La crise du tableau est aussi une crise de la forme, de ce qui peut faire forme par la projection de l’artiste à l’intérieur d’une surface, le langage abstrait apparaît comme une rhétorique vide. Le châssis de Daniel Dezeuze exhibe l’absence d’une image, le regard traverse le plan et s’ouvre sur le mur. La déconstruction du tableau s’accompagne d’un retrait de l’artiste au profit des mécanismes de sa réalisation matérielle. L’œuvre donne à voir un processus le répétitif, l’empreinte ou le pliage. Cependant, la réduction analytique de la peinture s’accompagne immédiatement d’une dynamique des variations ouvertes par de tels processus. Chez les artistes de Supports/Surfaces, le répétitif signifie moins le même que le différent dans l’actualisation de chaque œuvre et sa relation à l’espace. Vincent Bioulès ou Marc Devade conservent le tableau, mais orientent lems démarches vers une simplification des formes au profit d’une expression de la couleur pure. Chez Bernard Pagès, briques et voliges, bois et grillage, horizontalité et verticalité montrent aussi une déconstruction du langage sculptural à partir de ces différents couples.

Salle 3 – Confrontations

Noël Dolla, Bernard Pagès, Patrick Saytour, André Valensi et Claude Viallat pendant un temps résident à Nice ; Louis Cane est originaire de la région. Ils fréquentent Arman, Martial Raysse mais aussi Ben ; Yves Klein a séjourné dans cette ville. Les démarches des artistes se construisent alors dans une confrontation avec le Nouveau Réalisme dont le premier manifeste de Pierre Restany déclare la fin de la peinture. Les tampons de Louis Cane, affirmant « artiste peintre », répondent à ceux d’Arman. Alors que le Nouveau Réalisme et le Pop Art dominent la scène de l’art et que le multiple sérigraphique d’Andy Warhol apparaît comme un dépassement de la peinture, les artistes de Supports/Surfaces opèrent une forme de renversement qui inscrit l’objet dans le champ pictural chez Daniel Dezeuze, Noël Dolla, Patrick Saytour, et dans le champ sculptural chez Bernard Pagès. La forme répétitive de Claude Viallat, exactement à l’inverse du papier peint d’Andy Warhol, ne sert pas une production industrielle et uniforme mais devient la matrice d’un processus pictural qui met en jeu l’unicité de chacune des œuvres dans la relation entre la forme, la couleur et le support.

Salles 3b & 3c

Symbolique de la relation dialectique avec le Nouveau Réalisme, l’affiche de l’exposition Impact en 1966 que réalise Claude Viallat est d’abord un monotype réalisé avec les formes de palettes données par Arman. Les artistes se trouvent intégrés à une École de Nice qui associe des pratiques très hétérogènes, mais où dominent Fluxus et le Nouveau Réalisme. Dès 68, les premières expositions collectives montrent une volonté de rapprochements et la conscience d’une cohérence d’un ensemble de démarches dont émerge le groupe Supports/Surfaces. Confrontés à la difficulté d’exposer, les artistes vont montrer leurs travaux en extérieur et s’affranchir des conditions classiques d’expositions. La constitution du groupe est traversée par les enjeux politiques qui animent cette période et qui renouvellent les aspirations traditionnelles des avant-gardes. Comme pour toute une génération, la première rencontre avec la politique est d’abord violente et subie : c’est la guerre d’Algérie. Certains sont mobilisés, d’autres militent contre. Elle est le ferment d’une remise en cause de la société qui traverse les années soixante et éclate en mai 68. Durant le mois de mai, Pierre Buraglio et Louis Cane participent aux ateliers populaires des Beaux-Arts de Paris et des Arts Décoratifs. Daniel Dezeuze, présent à la Sorbonne, rédige un tract qui en appelle à une « dissolution culturelle ». Marc Devade participe aussi à mai 68 avec le comité de rédaction de la revue littéraire d’avant-garde Tel Quel dont il est membre. Durant cette période, la révolution politique semble s’accompagner de la transformation des sciences sociales avec le structuralisme. Les écrits de Roland Barthes, Jacques Derrida, Michel Foucault, Jacques Lacan et la relecture de Marx par Louis Alésasses suscitent l’intérêt des artistes. Ces auteurs sont alors tous proches de la revue Tel Quel emmenée par Philippe Sollers. Marcelin Pleynet, également membre de cette revue, publie à son retour des États-Unis une série d’articles sur l’art américain qui interpelle les artistes. Dans ce moment d’effervescence intellectuelle, les intérêts et les lectures se croisent et nouent un réseau de solidarités. Les textes des artistes associent alors théorisation de leurs démarches et dimension politique. Le catalogue de la première exposition Supports/Surfaces à l’ARC en 1970 témoigne de cette intrication. Sur un mode différent, les expositions en plein air dans le sud de la France présentent une forme d’activisme autogestionnaire. Au sujet des rencontres entre artistes et poètes qui se déroulaient à Coaraze, Claude Viallat déclare « tout nous intéressait en définitive, pourvu que cela remît en cause un ordre établi. Nous prenions conscience des immenses possibilités qui s’ouvraient à nous entre la peinture et la sculpture, entre le dur et le souple, entre l’écrit et la toile : de véritables boulevards de liberté… »

Salle 4 – Le plein air

Après la participation aux festivals de poésies visuelles dans les rues des villages italiens d’Anfo et de Novarra en 1968, Daniel Dezeuze, Bernard Pagès, Patrick Saytour et Claude Viallat décident d’exposer l’année suivante à Coaraze, petit village situé dans l’arrière-pays niçois. La même année, à Montpellier, le groupe ABC Productions constitué de Jean Azémard, Tjeerd Alkema, Vincent Bioulès et Alain Clément expose dans la ville, ils sont invités l’année suivante à Coaraze. Durant l’été 1970, Dezeuze, Pagès, Saytour, Valensi et Viallat déposent leurs travaux dans la nature sur une plage, dans le lit d’un torrent, dans une carrière, au gré d’une itinérance entre Nice et Perpignan. « Déposer » car il ne s’agit pas de réalisations in situ, mais de confronter un processus pictural, un travail, à sa mise en situation. A chaque fois se modifient la disposition et la perception des œuvres. Ces « dépositions » passent le plus souvent inaperçues, mais suscitent parfois des réactions ambiguës, entre ironie et mimétisme, comme l’exposition réalisée par des femmes de Coaraze qui suspendent leur linge dans les rues après l’intervention des artistes.

Salle 5 – Déploiement

Dès les premières expositions collectives qui réunissent les artistes du groupe, comme à Montpellier en 1970 puis au Musée d’Art Moderne, les œuvres se détachent en partie du mu, elles investissent pleinement l’espace, l’intègre à la manière du Filet de Claude Viallat. La peinture se déploie : Tarlatane de Noël Dolla qui traverse la salle suspendue au plafond, d’où descend également le tissage de cordes d’André Valensi tandis que les Enrubannés de Patrick Saytour s’appuient contre le mur. Ce passage à la tridimensionnalité se manifeste à l’intérieur des œuvres elles-mêmes avec le Sol-Mur de Louis Cane ou l’Echelle de Daniel Dezeuze, ici disposée au sol, qui s’enroule sur elle-même.

Salle 6 – Intelligence de la main

Confrontation avec le Nouveau Réalisme, expositions dans la nature, Supports/Surfaces se révèle à l’opposé de la fascination industrielle et urbaine des trente glorieuses. Le groupe, et au-delà avec Jean-Michel Meurice et Christian Jaccard, présente un mouvement à rebours qui s’accompagne d’issu intérêt pour des gestes premiers de transformations teindre, ligaturer, nouer, tresser, coudre… Au sein de ces pratiques « buissonnières », le dessin se fait inventaire des multiples combinaisons qui procèdent de ces gestes, à la massière d’un savoir primitif. La peinture ou la sculpture ne se réinventent donc pas simplement en revenant sur elles-mêmes et ses constituants, mais à travers ces « petits gestes » constitutifs de notre rapport au monde.

À propos de Romain Mathieu, commissaire de l’exposition :

Romain Mathieu est né en 1980. Il enseigne à l’Ecole Supérieure d’Art et Design de Saint Etienne et au département d’Arts Plastiques de l’Université Aix-Marseille.
Docteur en histoire de l’art contemporain, il a soutenu en 2013 une thèse intitulé « Supports/Surfaces pris au mots – Stratégies discursives d’une avant-garde picturale ».
Il a notamment publié des articles sur Marc Devade, Pierre Buraglio, la revue de poésie TXT, Michel Parmentier lecteur de Maurice Blanchot et Bernard Lamarche-Vadel critique de l’abstraction analytique.
Il a, en outre, codirigé les publications des colloques sur les revues d’art au vingtième siècle et sur les censures à l’époque contemporaine.
Son activité critique l’a amené à devenir un contributeur régulier d’Art press, de la revue Critique d’art et de la collection Beautés dirigée par Eric Suchère et Camille Saint-Jacques. Il s’intéresse en particulier aux pratiques picturales contemporaines, il a ainsi écrit sur Gilgian Gelzer, Stéphane Bordarier, Christophe Cuzin, Didier Demozay, Marie-Claude Bugeaud ou sur de jeunes artistes comme Claire Colin-Collin.
Texte extrait du site de l’AICA 

On se souvient de son commissariat pour la très belle exposition « Les unes avec les autres… hommage à Shirley Jaffe » à Galerie du 5e, Marseille et de sa participation à la monographie consacrée à Jean-Louis Delbès.

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