Yann Dumoget « Avec de vrais morceaux de gens à l’intérieur » à Montpellier

Jusqu’au 2 décembre 2018, Yann Dumoget investi l’Espace Dominique Bagouet à Montpellier pour une exposition « Avec de vrais morceaux de gens à l’intérieur »…

On sait que l’artiste ne manque pas d’humour mais aussi de générosité et que sa plume comme ses pinceaux est alerte. Dans les textes qu’il a produits autour de ces « 20 ans de peinture partagée », il n’hésite pas ici à convoquer avec malice Marcel Duchamp et ses incontournables « regardeurs qui font les tableaux » ou à évoquer avec espièglerie l’Esthétique relationnelle…

Yann Dumoget, Peintures partagées
Yann Dumoget, Peintures partagées

C’est en 1998 que Yann Dumoget a l’idée de proposer d’abord à ses amis puis à son public d’écrire ou de dessiner sur ses propres peintures. Ceux qui ont vu son exposition et qui ont participé à sa performance « Peindre quotidiennement / 366 toiles pour l’an 2000 » au Carré Sainte-Anne en gardent certainement le souvenir…

Exposition  Peindre quotidiennement - 366 toiles pour l’an 2000 au Carré Sainte-Anne, Montpellier 2000 - crédit photo Christophe Lecoq
Exposition  Peindre quotidiennement – 366 toiles pour l’an 2000 au Carré Sainte-Anne, Montpellier 2000 – crédit photo Christophe Lecoq

Vingt ans plus tard, Yann Dumoget revient pour cette exposition à l’Espace Dominique Bagouet sur « une pratique qu’il considère toujours comme un pilier important de son travail ».

Yann Dumoget - Avec de vrais morceaux de gens à l’intérieur - Espace Bagouet - Montpellier
Yann Dumoget – Avec de vrais morceaux de gens à l’intérieur – Espace Bagouet – Montpellier

Il y expose quelques œuvres de ses débuts ainsi que neuf de peintures récentes réalisées dans le cadre d’un projet préparatoire à l’exposition qu’il a intitulé « Collectionner les gens » pendant « quinze sessions de graffitage ».

Elles ont commencé le 21 mai 2017 devant la N°5 Galerie de Montpellier et s’y sont terminées le 16 juin 2018, après être passées par Mécènes du Sud, la parade Métèque, l’assemblée générale des Amis du Musée Fabre, la foire Art-Montpellier et plusieurs maisons pour tous de la ville.

Pour Yann Dumoget, « en donnant la possibilité à plusieurs centaines de montpelliérains de différents quartiers d’investir symboliquement l’espace d’exposition avec lui, c’est un portrait singulier de la ville [qu’il souhaite proposer] à travers l’expression spontanée de ses habitants ».

Un passage par l’Espace Bagouet s’impose pour découvrir ce projet d’un artiste dont on a
pu apprécier le travail ces dernières années à La Panacée version 1.0, au CRAC et à la Galerie Annie Gabrielli.

Yann Dumoget - Avec de vrais morceaux de gens à l’intérieur - Espace Bagouet - Montpellier
Yann Dumoget – Avec de vrais morceaux de gens à l’intérieur – Espace Bagouet – Montpellier

Avec une scénographie sobre et une lumière assez réduite, l’accrochage évoque un peu l’ambiance d’un édifice religieux.

Yann Dumoget - Avec de vrais morceaux de gens à l’intérieur - Espace Bagouet - Montpellier
Yann Dumoget – Avec de vrais morceaux de gens à l’intérieur – Espace Bagouet – Montpellier

Huit toiles carrées de même dimension, disposées sur les côtés de la salle, conduisent le regard vers une cimaise centrale peinte d’une couleur prune qui pourrait rappeler le violet évêque… On y voit en majesté un tableau qui selon son auteur pourrait faire penser au Cri de Munch… Une mosaïque de portraits des gens qui sont à l’intérieur des toiles de Yann Dumoget recouvre entièrement le mur du fond de l’espace Bagouet…

Yann Dumoget - Avec de vrais morceaux de gens à l’intérieur - Espace Bagouet - Montpellier
Yann Dumoget – Avec de vrais morceaux de gens à l’intérieur – Espace Bagouet – Montpellier

Au centre de la salle, deux tables qui ressemblent à des sarcophages ou à des gisants attendent l’intervention des visiteurs. Sur la première, un « portrait de l’artiste en chaman », grand ordonnateur du monde représenté sur les cimaises de l’Espace Bagouet. Il attend d’être recouvert par un plexiglas où seront reproduits les graffitis des internautes (http://graffiter.dumoget.com/). La deuxième toile horizontale attend l’expression des visiteurs chaque mercredi à 17 h, en compagnie de l’artiste.

Yann Dumoget - Avec de vrais morceaux de gens à l’intérieur - Espace Bagouet - Montpellier
Yann Dumoget – Avec de vrais morceaux de gens à l’intérieur – Espace Bagouet – Montpellier

À regarder, cet entretien de Yann Dumoget avec Ludovic Allabert, pour la N° 5 Galerie, en juin 2018 où il explique sa pratique de la peinture partagée.

À lire, ci-dessous, la note d’intention qui accompagne le projet, un texte savoureux extrait du site de Yann Dumoget et quelques repères biographiques.

Pendant l’exposition à l’Espace Dominique Bagouet, du 26 octobre au 3 novembre, la N°5 galerie accueillera Yann Dumoget pour « Envisager la suite », un accrochage de ses dernières créations.

En savoir plus :
Sur la page de l’Espace Dominique Bagouet sur le site de la Ville de Monpellier
Suivre l’actualité de l’Espace Dominique Bagouet sur Facebook
Sur le site de Yann Dumoget

En 1998, puisant son inspiration dans la pratique du graffiti autant que dans une idée particulière de l’art nommée esthétique relationnelle, Yann Dumoget eut l’idée de proposer à son entourage d’écrire ou de dessiner sur ses propres peintures avec de petits feutres indélébiles.
Peu après, tandis qu’il peignait une toile par jour pendant un an, les visiteurs se succédaient dans son atelier pour graffiter cet ensemble de 366 pièces et prendre part à ce qui fut sa première exposition personnelle importante, en l’an 2000, au Carré Sainte-Anne de Montpellier.

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Exactement 20 ans plus tard, après bon nombre de pérégrinations artistiques autant que géographiques, l’artiste a souhaité revenir pour l’Espace Dominique Bagouet sur cette pratique initiale qu’il considère toujours comme un pilier important de son travail.
Mises en regard d’une petite partie de la série réalisée en 1999, l’exposition comprend ainsi neuf peintures récentes que l’artiste a proposées aux contributions du public lors d’événements s’étant tenus dans la ville préalablement ainsi que deux peintures que les visiteurs sont invités à finaliser soit directement pendant la visite, soit via Internet.
En donnant la possibilité à plusieurs centaines de montpelliérains de différents quartiers d’investir symboliquement l’espace d’exposition avec lui, c’est un portrait singulier de la ville que propose Yann Dumoget à travers l’expression spontanée de ses habitants.

J’ai toujours aimé le célèbre aphorisme de Marcel Duchamp : « Ce sont les regardeurs qui font les tableaux ». J’y vois une manière percutante d’énoncer qu’aucun acte artistique ne peut se penser indépendamment de son contexte de réception. Et se revendiquer peintre au début du 21e siècle se résume tout compte fait à s’entendre avec ses contemporains sur une idée de l’art et des artistes. Dans mon cas, l’expression est même à prendre au sens littéral, car j’ai tenté dès le début de traduire justement cette discussion en formes, de me servir de mes peintures autant pour initier une expérience de rencontre que pour garder ensuite les traces de ces moments d’échange et de partage.

Exposition  Peindre quotidiennement - 366 toiles pour l’an 2000 au Carré Sainte-Anne, Montpellier 2000 - crédit photo Christophe Lecoq
Exposition  Peindre quotidiennement – 366 toiles pour l’an 2000 au Carré Sainte-Anne, Montpellier 2000 – crédit photo Christophe Lecoq

Dès 1998, j’ai utilisé ce qui me semblait le moyen le plus simple, le plus direct pour introduire de l’hétérogène dans mes productions : le graffiti. Car je soupçonnais que quelque chose d’intéressant pouvait se jouer dans la confrontation entre le territoire particulier de mes toiles et cette pratique universellement répandue qui renvoyait pour moi au tag, à cette occupation symbolique de l’espace public à laquelle se livrait un nombre grandissant de personnes. Car plus que l’expression d’un individualisme sauvage poussant les masses au narcissisme compulsif, j’y voyais la confirmation que nul n’avait plus à présent le sentiment d’exister dans le champ social sans la possibilité d’y prendre part de manière spectaculaire.

Ne restait plus au fil des années qu’à comprendre – c’est-à-dire non seulement à prendre avec moi, mais à essayer de rendre intelligible – ce qui s’y donnait à voir.

Il y a vingt ans, la révolution numérique et le développement de l’Internet exerçait sur moi une espèce de fascination. J’étais plein d’enthousiasme face à ce futur désirable, face à cette cyberculture universaliste dans laquelle les hiérarchies dépassées devaient laisser la place à un modèle d’échange horizontal et réticulaire valorisant la contribution et la co-construction. Mes premières peintures s’en faisaient naïvement l’écho comme celles présentées en introduction de cette exposition.

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Aujourd’hui, je constate que résonnent aussi dans les plus récentes les craquements d’un monde en plein doute, laissant trop souvent la place à la peur et au repli. Mes préoccupations d’artiste y rejoignent alors celle du citoyen, tentant de construire son œuvre autant que lui-même en négociant tant bien que mal avec ses pulsions contradictoires d’hospitalité et d’hostilité, entre un désir d’altérité et la crainte de l’altération. Je continue de rêver malgré tout à un partage raisonné du commun. Je continue à produire jour après jour quelques mètres carré d’utopie colorée en gardant à l’esprit qu’à l’heure où le totalitarisme paraît de plus en plus séduisant à certains, la démocratie n’est rien d’autre qu’une fragile tentative d’inventer des espaces permettant à chacun de donner de la voix. Alors, à mon échelle minuscule, je fais ma part.

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Mais sorti du gouvernement des pinceaux, que peut l’artiste à l’ère Anthropocène, face à la consumation du monde, face à la disparition redoutée de tout à commencer par celle inéluctable de lui-même ? Rien ou presque, bien sûr. Voilà pourquoi, dans une pirouette dérisoire, j’ai fait mine dans cette exposition de me prendre pour un chaman, pour cet être dont la magie lui permet d’intercéder auprès des esprits du temps et de la nature. Et si mes toiles sont comme autant de stations chargées de votre présence comme pourraient l’être des statues animistes, autant dire qu’elles sont également des écrans qui cachent hélas la vacuité de mon pouvoir. L’artiste est nu, l’art n’est en définitive que ce que nous y mettons, que ce que nous voulons bien y voir. Rien de plus, mais rien de moins.

En vous souhaitant une bonne visite de cette exposition, je vous invite à n’en retenir qu’une seule chose : un jour, nous étions ici, ensemble.

Comme un souvenir que nous pourrions évoquer à nouveau dans très longtemps.

Un jour, nous étions ici, ensemble. Et c’était beau…

Portrait Yann Dumoget par © Bénédicte Deramaux
Portrait Yann Dumoget par © Bénédicte Deramaux

Né à Calais en 1970, Yann Dumoget entame son activité artistique au milieu des années 80. À cette époque, il emprunte des panneaux routiers de signalisation qu’il peint avant de les remettre en circulation. Début des années 90, parallèlement à ses études d’histoire de l’art, il devient musicien et s’investit dans un groupe de rock pour lequel il réalise décors, pochettes de disques et supports publicitaires. Dès 1998, il décide de se consacrer exclusivement à la peinture, mais une peinture fortement influencée par la culture graffiti. Lors de sa première exposition, les visiteurs sont ainsi invités à commenter directement les toiles en utilisant celles-ci comme livre d’or. Suivent deux expositions inespérées en Allemagne et au Japon. Mais c’est dans son atelier qu’il passe l’année 1999 pour une performance consistant à peindre une oeuvre par jour pendant un an sur laquelle il invite également le public à intervenir.

Installé ensuite à Berlin, le graffitage de ses œuvres se structure autour de différents protocoles de rencontre qui assument une modestie d’ambition autant que de moyens. Cet art de proximité étant pour lui le contrepoint du marché mondialisé de l’art et des grandes expositions-événements.

En 2002, il investit ainsi par dérision les WC des lieux d’exposition de la prestigieuse Documenta 11 de Kassel et propose une version pirate du site Internet officiel, Doklomenta, où un module expérimental permet aux visiteurs de graffiter ses peintures à distance, ce qui constituera l’un des premiers outils de graffiti virtuel de l’histoire du net.

De 2004 à 2007, jeux de société, cadavres exquis picturaux, actions humanitaires, peintures en DIY (Do It Yourself), lui permettent de multiplier les expérimentations sociales au point d’en éprouver de moins en moins le besoin de recourir au prétexte initial de la peinture.

En 2008, il abandonne celle-ci provisoirement avec Le chant des pistes, une errance autour du monde qui se poursuit jusqu’en 2010.

En 2011, l’historien de l’art Paul Ardenne, l’invite à présenter le Compte-rendu de son voyage à l’Espace Vuitton à Paris. Marqué par la crise financière, il y propose une installation qui inaugure une série d’œuvres minimalistes dans lesquelles le texte tient une place prépondérante et qui constituent une façon poétique de négocier avec les réalités d’un monde en mutation.

À partir de 2010, il se rend ainsi dans de nombreux pays : Islande, Grèce, Portugal, Espagne, Italie pour réaliser dans une grande sobriété de moyens des œuvres multiformes qu’il expose ensuite en galeries et centres d’art.

La peinture est pour un temps une pratique annexe. Mais dans cette relation d’amour haine engagée dès le début avec elle, se joue quelque chose qui le dépasse et continue à le fasciner. Dès 2012, il découpe ses toiles, les coud, les colle, les recompose. De 2013 à 2015, en clin d’œil à sa peinture partagée, il en inverse le procédé pour inoculer son Pictovirus aux œuvres de ses voisins d’ateliers avant de repartir en 2017 à la rencontre du public pour l’exposition à l’Espace Bagouet.

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