Téquaté LO Niktété – Le Wonder/Liebert à Montpellier

Après 3 semaines de résidence à Montpellier, Le Wonder/Liebert expose ses productions jusqu’au 23 novembre dans l’espace de Mécènes du sud Montpellier-Sète au 13 rue des Balances.

Pour la « carte blanche » que les Mécènes du sud lui a confiée, Ingrid Luquet-Gad a choisi d’inviter le bouillonnant Artist-Run-Space actuellement installé à Bagnolet.

 Ingrid Luquet-Gad et quelques membres du collectif - Téquaté LO Niktété - Le Wonder-Liebert à Montpellier - Mécènes du Sud - Photo © Elise Ortiou-Campion
Ingrid Luquet-Gad et quelques membres du collectif – Téquaté LO Niktété – Le Wonder/Liebert à Montpellier – Mécènes du Sud – Photo © Elise Ortiou-Campion

Paroles gelées, cristallisations sensibles de vins régionaux, brouette friteuse, papier de fenouillette et encre de figues (ou l’inverse), mais aussi « Hologramme de crypto rats qui mangent des chichis échangistes » selon une formule du Wonder/Liebert

Décrire ou qualifier une telle exposition n’est pas facile… En effet, il est rare de découvrir un projet aussi dense et détonnant qui dégage une impressionnante énergie positive.

S’il est souvent troublant et parfois perturbant, on conseille à tous les curieux d’art d’aller voir cet incontournable et stupéfiant « Téquaté LO Niktété » proposé par Le Wonder/Liebert.

À lire, ci-dessous, une tentative de compte rendu que l’on essayera d’enrichir ultérieurement. Les notes biographiques sont extraites du dossier de presse. Le texte d’intention d’Ingrid Luquet-Gad est reproduit à la fin de cet article.

Il faut remercier les Mécènes du Sud pour leur accueil du collectif pendant 3 semaines de résidence et de leur avoir offert les moyens matériels d’une telle production…

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Les quelques lignes qui suivent sont une transcription hasardeuse de quelques souvenirs des échanges avec Andy Rankin, Louis Danjou, Guillaume Gouerou, Jérôme Clément-Wilz et Nelson Pernisco un samedi midi, lendemain du vernissage, au moment où le collectif préparait son départ de Montpellier… Ce compte-rendu approximatif a été corrigé et précisé après quelques échanges avec plusieurs artistes du collectif.

Le visiteur lira avec intérêt le texte manuscrit qui introduction l’exposition.
Un petit livret, imaginé pendant la résidence et pour l’exposition, donne un aperçu du Wonder/Liebert. Il est disponible à l’entrée de la galerie.

Rencontre entre deux brouettes, un extincteur, quelques bouts de tubes et divers produits locaux pour un travestissement montpelliérain de « La Cuisine Sauvage »…

François Dufeil est la cheville ouvrière de cet assemblage imaginé avec Louis Danjou.
Pour François Dufeil, « Cette cuisine fragmentée est une proposition autour de la notion d’accueil et d’hospitalité du public ».
A propos de ses interventions, il ajoute : « J’ai abordé cette exposition collective en proposant une collaboration. Certaines nécessités m’ont amené à penser des outils, qui se fixeraient comme une greffe au projet global. Produire une encre pour Basile, produire des churros pour Louis… »

Tékaté LO Niktété - Le Wonder-Liebert à Montpellier - Mécènes du Sud - François Dufeil
Tékaté LO Niktété – Le Wonder/Liebert à Montpellier – Mécènes du Sud – François Dufeil

Une « boudineuse » surmonte les brouettes friteuses de Louis. De cette sculpture génératrice de beignets, qu’on appelle chichis fergi à L’Estaque et qu’il ne faut pas confondre dans ce village marseillais avec le churro, François Dufeil raconte :

« C’est une nouvelle version d’une boudineuse que j’ai fabriquée précédemment, avec comme base un extincteur, cette dernière se fixait au mur.
Celle présente dans l’exposition est autonome, la fonction a déterminé sa forme élancée. Le motif des churros est la forme du Wonder/Liebert vu en plan. Ainsi, s’extrude le bâtiment jusqu’à l’huile bouillante ».

Louis Danjou, acteur de « La Cuisine Sauvage », expérimentale et aventureuse du Wonder/Liebert, a mis au point pendant la résidence du collectif à Montpellier (entre autres) une recette de pâte à frire à partir d’ingrédients locaux.

À l’aide de moules constitués de morceaux de tuyaux soudés, il frit d’étonnantes et savoureuses fleurs vertes qu’il sert sur des papiers réalisés avec des fibres de fenouillette. On y devine un dessin (le plan du Wonder/Liebert) imprimé avec de l’encre de figue… Pour le vernissage, il proposait un café extrait d’une décoction de ces mêmes fruits…

Un étrange tétrapode de bouteilles de gaz

À côté de cette cuisine ambulante, qui nous a rappelé les « Grandes Carrioles » de la Friche de la Belle de Mai, on découvre une intrigante sculpture imaginée par François Dufeil. Évoquant les tétrapodes de béton, ces éléments brise-lame que l’on rencontre parfois dans les digues en bord de mer, cette sculpture joue un rôle essentiel dans le projet.

Tékaté LO Niktété - Le Wonder-Liebert à Montpellier - Mécènes du Sud - François Dufeil
Tékaté LO Niktété – Le Wonder/Liebert à Montpellier – Mécènes du Sud – François Dufeil

François Dufeil précise ainsi ses fonctionnalités :

« Le mélangeur, producteur d’encre, est un outil qui nécessite une manipulation.
Il possède la forme d’un tétrapode, forme géométrique parfaite. La caractéristique de cette dernière permet une manipulation qui retombe toujours dans la même position. Je la vois comme une sphère. Le mélangeur roule et malaxe les produits qui sont à l’intérieur des bouteilles.
Un ingrédient par bouteille macère pendant plusieurs jours :
 – Un acide : Acide tartrique issu de la pièce de Guillaume
 – Un Tanin : Figues torréfiées par Louis pour le cocktail
 – Un épaississant : Gomme de cerisier récolté dans le parc de Bagnolet
 – Eau de rivière prélevée à le source du Lez.
Ils se rejoignent tous ensembles le dernier jour dans la bouteille supérieure. Une jauge fixée au mur indique ce qui se passe à l’intérieur des bouteilles ».

À propos de Louis Danjou :
Louis Danjou porte le projet «La Cuisine Sauvage», basé au Wonder/Liebert. La Cuisine Sauvage est une cuisine expérimentale audacieuse. Elle s’essaie, avec générosité, à la découverte de nouveaux produits et de nouvelles saveurs. Cette cuisine aventureuse est tenue par les artistes du collectif et se travestit constamment. Plusieurs fois par mois, La Cuisine Sauvage se dénude lors d’événements publics pour vous dévoiler ses nouveaux trésors gustatifs…

À propos de François Dufeil :
Fonderie, pilon à vapeur, boudineuse, taloche: Il est nécessaire que l’outil soit à la recherche d’une insurrection formelle. Haie défensive, maison carcérale ou maquette prospective, ces instruments sont des indices sur nos conditions. L’outil et l’instrument sont révélateurs d’un environnement inapproprié; Où les dysfonctions et désintégrations du paysage urbanisé exacerbent les degrés de violence qui nous sont imposés.
Revenir à l’origine de l’apparition de la forme et des matériaux est une tentative de leurs compréhensions. Que les recherches soient architecturales ou sculpturales, elles fondent leur regard sur les méthodes de production de notre environnement.
Après tout, c’est avec les outils que l’on s’attaque à la restauration. Alors peut-être que leurs griffes, leurs pilons, leurs pressions, leurs combustions serviront un tant soit peu à panser l’animosité architectonique.
Parce qu’il y a nécessité, ces sculptures génératrices ne s’arrêtent pas sur la production en tant que finalité, mais elles sont les moyens d’obtenir cette production. Désormais, la sculpture devient son propre producteur.

Cristallisations sensibles de vins régionaux…

Tékaté LO Niktété - Le Wonder-Liebert à Montpellier - Mécènes du Sud - Guillaume Gouerou -Cristallisations sensibles
Tékaté LO Niktété – Le Wonder/Liebert à Montpellier – Mécènes du Sud – Guillaume Gouerou -Cristallisations sensibles

Lors de cette résidence montpelliéraine, Guillaume Gouerou s’est particulièrement intéressé aux vins de la région :

« La région de Montpellier était historiquement un des plus gros producteurs d’acide tartrique (appelé tartre rouge de Montpellier). Acide naturellement produit par la vigne et responsable de l’acidité du raisin. L’idée de départ était d’extraire cet acide du vin produit dans la région pour qu’il rentre dans la composition de l’encre réalisé par François Dufeil comme fixateur, ainsi que dans le cocktail de Louis Danjou comme acidifiant. Les processus de cristallisation qui sont inhérents à cette extraction m’ont donné envie de mettre en perspectives les débats actuels concernant la viticulture biodynamique (et l’agriculture en générale).»

Guillaume Gouerou présente ainsi une série de cristallogrammes de divers vins. Les cristallisations organisées sont celles de vins « naturels » de producteurs… à l’inverse, les cristallisations anarchiques indiquent des produits d’assemblage trouvés en grande surface.
Ils sont exposés dans une enceinte où température et hygrométrie sont contrôlées. Bizarrement, celle-ci est installée sur ce qui semble être un chariot de brancard d’hôpital…

Tékaté LO Niktété - Le Wonder-Liebert à Montpellier - Mécènes du Sud - Guillaume Gouerou -Cristallisations sensibles
Tékaté LO Niktété – Le Wonder/Liebert à Montpellier – Mécènes du Sud – Guillaume Gouerou -Cristallisations sensibles

On ne sait trop si les cristallogrammes de Guillaume Gouerou révèlent une adhésion à l’anthroposophie, une simple curiosité intellectuelle, un attrait pour les pratiques viticoles alternatives ou une fascination pour les « images » produites par la cristallisation sensible…

Tékaté LO Niktété - Le Wonder-Liebert à Montpellier - Mécènes du Sud - Guillaume Gouerou - Cristallisations sensibles
Tékaté LO Niktété – Le Wonder/Liebert à Montpellier – Mécènes du Sud – Guillaume Gouerou – Cristallisations sensibles

Voici son point de vue sur la la cristallisation sensible, un procédé « pseudo-scientifique » de caractérisation utilisé en biodynamie et par les partisans de l’anthroposophie, doctrine spirituelle fondée par Rudolf Steiner et qui fait souvent débat :

«  (…) Les différents produits issus de la viticulture (jus de raisin, vin, acide tartrique…) de cette “bibliothèque” conservant un certain état des lieux sensible de la viticulture du pays de Montpellier sont mis en perspective avec cette méthode d’analyse dite pseudo-scientifique et de son interprétation esthétique subjective (car sans base de données comparative et sans savoir qui est qui). Au-delà des questions actuelles d’écologies, d’agriculture raisonnée, biologique, biodynamique ou naturelle, l’idée n’est pas de juger, ni de dire que ceci et mieux que cela, ni même de donner une leçon, mais plutôt de proposer au spectateur de se poser la question et de le laisser libre de sa propre interprétation.

Au même titre que la remise en question de la mémoire de l’eau ou de l’homéopathie, ces morphochromatographies interrogent le jugement esthétique sensible que l’on peut porter sur des phénomènes méconnus rejetés par la communauté scientifique actuelle. On dit que les émotions s’opposent à la raison, mais en quoi certaines de nos intuitions sensibles seraient elles inférieures dans la hiérarchie des idées à des interprétations pragmatiques vis-à-vis d’un monde dont on ne sait rien ? »

Tékaté LO Niktété - Le Wonder-Liebert à Montpellier - Mécènes du Sud - Guillaume Gouerou - Cristallisations sensibles
Tékaté LO Niktété – Le Wonder/Liebert à Montpellier – Mécènes du Sud – Guillaume Gouerou – Cristallisations sensibles

À propos de Guillaume Gouerou :
On pourrait dire que Guillaume Gouerou travaille dans un registre complexe qui mêle références minimalistes, géométrie pythagoricienne et bricolage expérimental. Sa pratique fonctionne comme une sorte de condensateur, chargé à la fois d’expérimentations de la matière, des phénomènes physiques qui lui sont inhérents et d’expériences du voyage. Ce condensateur se déchargeant sous forme sculpturale, où les formes pures de la matière dérivent vers des formes empreintes d’un certain onirisme, au croisement de la «science» et de la «fiction». Le temps est à apprécier ici comme une variable d’ajustement de l’espace et surtout des différents éléments qui constituent cet espace. La matière, les molécules, les atomes, les choses, les objets, se déplaçant d’un état vers un autre, d’un coin de l’espace vers un autre. Les objets et les choses comme figés dans un temps hypothétique. Leurs passés nostalgiques en opposition avec leurs présents actifs. Sorte de disjonction fonctionnelle. Instant où toutes les réalités potentielles se retrouvent en puissance. La trace, l’indice, l’empreinte parfois sensible, parfois scientifique. Gestuelle d’un fanatique dans un temps complexe, souvent limité, cyclique, entropique, infini mais surtout hypothétique.

Aspirateur, bâche plastique et plis résiduels d’une performance…

Tékaté LO Niktété - Le Wonder-Liebert à Montpellier - Mécènes du Sud - Jérôme Clément-Wilz
Tékaté LO Niktété – Le Wonder/Liebert à Montpellier – Mécènes du Sud – Jérôme Clément-Wilz

Le soir du vernissage, Jérôme Clément-Wilz et son complice du duo Épectase ont produit une performance, dont il reste quelques traces sous forme d’une bâche légèrement plissée et d’un aspirateur couvert de film plastique noir…

L’un était enfermé dans la housse respirant par une paille pendant que l’autre aspirait l’air de l’enveloppe « en latex », sculptant, semble-t-il, des plis « harmonieux » dans une pratique de « domination-soumission »… Si chez les chrétiens, l’épectase est un progrès de l’homme vers Dieu, c’est aussi, un mot qui désigne le décès pendant l’orgasme…

À propos de Jérôme Clément-Wilz :
Membre du duo Epectase
Projet artistique et photographique, Epectase évolue depuis 2013 en totale liberté au sein d’un monde punk et dada, bondissant, habité par une fantaisie profonde, iconoclaste et explosive. Corentin Fohlen et Jérôme von Zilw, photojournaliste pour l’un et documentariste pour l’autre, se réinventent en marge d’une réalité souvent grave, celle du monde dans lequel ils sont inscrits de plain-pied, en créant au sein d’Epectase des œuvres sérielles. L’un sera derrière l’objectif, l’autre devant; ils choisiront pour décor l’architecture étriquée des petites zones pavillonnaires, la nature morne et domestiquée des champs de betteraves ou des forêts alignées, l’environnement balisé des centres commerciaux; ils installeront au coeur de cet univers banal et statique, d’où l’homme semble à la fois absent et omniprésent, l’extravagance de leur imaginaire absurde. L’agent constant de ce joyeux dynamitage est un corps, en monstration, en tension, en traction, en suspension, en imminence de chute, un corps que nul artifice ou trucage ne vient seconder. Au coeur de ces rencontres la poésie s’installe, la vie surgit, l’imaginaire se déploie.

« Emmêlé dans la roue, le temps soumis, nourrit les plantes et les rats »…

Tékaté LO Niktété - Le Wonder-Liebert à Montpellier - Mécènes du Sud - Nelson Pernisco
Tékaté LO Niktété – Le Wonder/Liebert à Montpellier – Mécènes du Sud – Nelson Pernisco

L’installation de Nelson Pernisco interroge singulièrement sur ce que sont nos quotidiens et leur intérêt… La « soumission » qu’il nous présente donne un éclairage particulier à la pièce du duo Épectase.
De manière étonnante, elle fait aussi écho au chapitre 2 de « Supercellulaire » que Paul Souviron avait installé au même endroit l’an dernier après une quasi-résidence de deux semaines…

Tékaté LO Niktété - Le Wonder-Liebert à Montpellier - Mécènes du Sud - Pierre Gaignard et Thomas Teurlai
Tékaté LO Niktété – Le Wonder-Liebert à Montpellier – Mécènes du Sud – Nelson Pernisco

À propos de son installation, Nelson Pernisco précise :

« Le titre de la pièce est Téquaté Lo Niketété comme le reste de l’exposition, car elle a été pensée et crée pour cet espace et cette intervention collective.
En tout premier lieu, il s’agissait pour moi de trouver une alternative aux moteurs électriques, que nous avons l’habitude d’utiliser dans nos installations, qui demandent souvent la création d’un programme compliqué et tombent souvent en panne.
Cela fait quelque temps que je concentre ma pratique vers un retour à des matières brutes.

Téquaté LO Niktété - Le Wonder-Liebert à Montpellier - Mécènes du Sud - Nelson Pernisco - Photo © Elise Ortiou-Campion
Téquaté LO Niktété – Le Wonder-Liebert à Montpellier – Mécènes du Sud – Nelson Pernisco – Photo © Elise Ortiou-Campion

(…) Ici, avec les rats, il s’agissait pour moi de continuer l’expérimentation d’un équilibre précaire entre monde végétal, minéral, et animal, tout en faisant écho à l’autonomie d’un monde Wonder miniaturisé.
La vie de la plante dépend maintenant de la volonté des rats à courir dans leur roue, mais à contrario s’il venait à trop s’exercer la plante souffrirait d’un surarrosage. Le temps de l’exposition est vu comme l’objet d’une expérience à but non scientifique, ou de jeunes rats grandissent durant ces trois mois d’ouverture, aussi bien que la plante qu’ils entretiennent.
Il s’agit pour moi de penser le temps de l’exposition, de la même manière que nous pensons systématiquement l’espace aujourd’hui. Grâce aux rats, cette sculpture devient vivante dans le sens où on ne peut l’arrêter, quand les humains s’en vont les rats peuvent toujours choisir de tourner dans la roue et arroser la plante, cela se passe dorénavant sans nous. »

Téquaté LO Niktété - Le Wonder-Liebert à Montpellier - Mécènes du Sud - Nelson Pernisco - Photo © Elise Ortiou-Campion
Téquaté LO Niktété – Le Wonder-Liebert à Montpellier – Mécènes du Sud – Nelson Pernisco – Photo © Elise Ortiou-Campion

À propos de Nelson Pernisco :
Nelson Pernisco est artiste plasticien et président de l’association en charge du projet Wonder/Liebert.
« L’œuvre de Nelson Pernisco s’aborde à l’image des tiers-lieux qu’il investit, comme un espace de libre indiscipline où la réflexion critique motive la production de nouvelles utopies. De squats urbains en friches industrielles, le plasticien s’est sensibilisé aux moyens d’occuper des territoires, de bâtir des habitats et à la façon dont ils catalysent des ordres politiques.
Son esthétique sèche, dans une certaine mesure brutaliste, tient à la récupération de matériaux pauvres et récupérés, présentés comme les pierres de touche d’un monde peut-être déjà en ruines, au mieux en constant chantier. Empruntés à l’environnement urbain, au mobilier industriel ou à l’univers technologique, ces fragments disent dans son oeuvre la précarité de l’époque et l’urgence d’en repenser les formes.» Florian Gaité

Voûte tatouée…

Avec l’encre concoctée par François Dufeil et Guillaume Gouerou, Basile Peyrade a imaginé et réalisé un décor « sensible » pour la voûte de l’espace d’exposition des Mécènes du Sud…

À propos de Basile Peyrade :
Médiatisées, anonymes, en marge ou sous la révolte, la violence, l’hérésie ou le silence, les voix discordantes de la contre-culture ont toujours eu ce besoin d’ancrer le rêve dans le réel et créer leur propre société. Un mirage, Basile. Plus on essaie de le saisir plus il nous échappe… Ancrer le rêve dans le réel sans se borner à l’opposition ou à la réforme. Artiste itinérant et sans frontières, tant dans sa définition de l’art que de ses limites géographiques sans limite aucune. «Pendant 4 ans j’ai pas passé plus de 3 semaines dans la même ville, j’allais à la gare et prenais le premier train grande ligne qui passait». Bratislava, Trip, Conflits, Istanbul, la bouffe, les Free Party, Berlin, Sarajevo, impacts de balles, Polaroïd, Rush Rush Rush, Croatie, la Slovénie, Squats, Hardcore, Autriche, Les centres d’arts contemporain, Espace Schengen, Italie, un Camion, les States, Graff train rails fraude, Guerre, France, Amour et nomade.

Paroles gelées…

En haut des escaliers, on découvre une petite armoire frigorifique. Derrière la vitre, on distingue quelques haut-parleurs partiellement couverts de givre que Marie Limoujoux y a installé… Ils diffusent les craquements mêlés à d’étranges paroles gelées…

Tékaté LO Niktété - Le Wonder-Liebert à Montpellier - Mécènes du Sud - Marie Limoujoux
Tékaté LO Niktété – Le Wonder-Liebert à Montpellier – Mécènes du Sud – Marie Limoujoux

Au sujet de ces « Paroles Gelées », Marie Limoujoux raconte :

« Cette recherche est née d’une lecture du quart livre de François Rabelais. Pantagruel entend des voix, ce sont les corps des morts sur le champ de bataille qui dégèlent au soleil. Faire geler un son jusqu’à son emprisonnement. Garder le son au cœur de la glace comme un trésor. J’expérimente énormément dans mon travail de plasticienne sur le support sonore qu’il soit celui de la prise de son ou celui de l’écoute. Pour le moment, ce travail est encore au stade de la recherche, mais il était important pour moi de montrer ce travail en cours pour l’exposition à Montpellier. Il est très lié au grand travail d’archives sonores que je mène au Wonder/Liebert depuis un an avec Viziradio

Tékaté LO Niktété - Le Wonder-Liebert à Montpellier - Mécènes du Sud - Marie Limoujoux
Tékaté LO Niktété – Le Wonder-Liebert à Montpellier – Mécènes du Sud – Marie Limoujoux

Le texte qui va se congeler pendant tout le temps de l’exposition est celui écrit sur le mur en bas. Un texte écrit avec Laura Offrere et Celia Richard pendant notre résidence à Montpellier. Tentative d’archivage de l’exposition. »

Téquaté LO Niktété - Le Wonder-Liebert à Montpellier - Mécènes du Sud - Photo © Elise Ortiou-Campion
Téquaté LO Niktété – Le Wonder-Liebert à Montpellier – Mécènes du Sud – Photo © Elise Ortiou-Campion

L’intervention de Marie Limoujoux dans l’exposition se prolonge à l’étage où elle accompagne les installations de Pierre Gaignard et Thomas Teurlai
Sur cette pièce sonore sans titre, elle confie : « les sons sont issus du Wonder/Liebert. Sons des vidéos hologrammes, archives de Viziradio, sons enregistrés au Wonder : voix, machineries… J’ai traité les sons avec un effet de ralentissement pour créer une sorte d’éloignement. Trace fantôme de la voix ou des voix du Wonder… »

À propos de Marie Limoujoux :
Marie Limoujoux est diplômée des Beaux-Arts de Nice, la Villa Arson. Elle a développé pendant 5 ans une recherche autour de la matière sonore.
C’est le moment « de la capture » des sons qu’elle a toujours aimé développer, allant jusqu’à fabriquer ses propres dispositifs de captation.
On l’entend souvent déambuler et sélectionner en direct les sons, pour créer une composition de l’instant, un « plan séquence » où la prise de son est pensée comme un moment de montage.
Dans son travail il y a toujours eu l’idée de rendre compte d’une action en temps réel, et d’une réflexion sur la question de l’expérience.
Elle se prend d’affection pour le médium radiophonique et réalise en 2016 ses premières créations radio : « Le cheval 51 a disparu » avec le soutien de France Culture, (création documentaire sur la disparition des bars PMU), et « Rendre la prison sonore ». Puis, en 2017, elle crée Viziradio : une plateforme d’expérimentation sonore et radiophonique en même temps qu’un outil d’archive et de mémoire au cœur des ateliers du Wonder/Liebert à Bagnolet. Construite en collaboration avec tous les correspondants de la radio, la plateforme Viziradio se pense comme une pièce plastique et sonore, qui constitue l’un des méandres de sa pratique de plasticienne. https://viziradio.com

Hologrammes et « télécrans »… Regards sur l’histoire et les lieux du Wonder/Liebert ?

Téquaté LO Niktété - Le Wonder-Liebert à Montpellier - Mécènes du Sud - Pierre Gaignard et Thomas Teurlai - Photo © Elise Ortiou-Campion
Téquaté LO Niktété – Le Wonder/Liebert à Montpellier – Mécènes du Sud – Pierre Gaignard et Thomas Teurlai – Photo © Elise Ortiou-Campion

« Ce travail est une mise en commun de matière filmique et digitale réalisée dans et autour du Wonder/Liebert, un data center cristallin qui compresse le temps, une ziggourat crypto-pepax qui parle du feu et du béton, le long râle distordu d’une usine-funéraire dont on tombe amoureux, une communauté sur bande magnétique. » Thomas Teurlai

À l’étage dans la pénombre, on distingue une série de serveurs empilés les uns sur les autres. On ne sait trop s’ils sont en train de multiplier les itérations pour calculer des images numériques en temps réel où s’ils appartiennent à une sculpture…

Au bas de cette tour de serveur, une flamme semble danser, alimentée par une étrange combustion… Au sommet, une femme flotte en tournant sur elle-même…

Au milieu de l’espace, deux pyramides de verre s’opposent par leur sommet. Entre elles, un mille-feuille d’écrans évoque un recyclage des « télécrans » du Big Brother d’Orwell ou de ceux du Brazil de Terry Gilliam. D’étranges images surgissent au centre des tétraèdres. On ne sait trop d’où elles viennent…

Téquaté LO Niktété - Le Wonder/Liebert à Montpellier - Mécènes du Sud - Pierre Gaignard et Thomas Teurlai - Photo © Elise Ortiou-Campion
Téquaté LO Niktété – Le Wonder/Liebert à Montpellier – Mécènes du Sud – Pierre Gaignard et Thomas Teurlai – Photo © Elise Ortiou-Campion

Le troisième dispositif composé d’un simple film-écran presque transparent placé à 45° montre des images en « relief » des espaces occupés par le Wonder/Liebert…

Téquaté LO Niktété - Le Wonder/Liebert à Montpellier - Mécènes du Sud - Pierre Gaignard et Thomas Teurlai - Photo © Elise Ortiou-Campion
Téquaté LO Niktété – Le Wonder/Liebert à Montpellier – Mécènes du Sud – Pierre Gaignard et Thomas Teurlai – Photo © Elise Ortiou-Campion

Ces trois installations imaginées par Pierre Gaignard et Thomas Teurlai mettent en œuvre la technique des pseudo « hologrammes ». Mais cela importe peu… Ce « data center cristallin », cette « ziggourat crypto-pepax » créent une ambiance étrange, un peu envoûtante et inquiétante que l’on pourrait comprendre comme une sorte d’archive du collectif, une interrogation sur sa fragilité et son futur… «  le long râle distordu d’une usine-funéraire dont on tombe amoureux » ?

À propos de Pierre Gaignard :
Si le travail de Pierre Gaignard s’apparente à une ethnologie sauvage, c’est avant tout parce que ses films, sculptures, ou performances, sont des objets d’études qui ne prennent pas de distance à l’égard de leur sujet: lorsqu’il s’intéresse par exemple au rap d’Atlanta, il le fait sur un mode documentaire qui se charge d’une énergie capable de traduire l’absorption maximale de ce que cette musique transmet. Ainsi, la magie et le rituel ne sont jamais loin de sa pratique, tant il s’agit de créer les conditions d’une cosmogonie personnelle où les bigs data rencontrent les bals populaires, où la technique est heureusement dévoyée au service du barbecue. Pierre Gaignard assume une esthétique du bricolage qui n’a rien de rétro mais ouvre sur une poétique dystopique où le jus de viande est l’égal d’une peinture abstraite. Son chamanisme urbain (qui prend souvent place dans le contexte de l’admirable Wonder/Liebert) est l’expression d’un vitalisme schlag, soit l’un des moyens de faire résistance à l’ordre capitaliste dans sa capacité dansante à investir des formes en déshérence. Son programme peut se lire alors comme le fait de prendre soin de la mauvaise herbe. Fabien Danesi

À propos de Thomas Teurlai :
De prime abord, les sculptures et les installations de Thomas Teurlai inspirent la prudence, sinon donnent de l’attention à l’espace qui nous entoure tant elles affichent les signes d’un désordre physique ou l’odeur du danger. Ainsi, un alambic artisanal – de contrebande, devrait-on dire – bricolé au moyen d’un système rudimentaire et empirique agençant bec benzen, bombonne de gaz et extincteurs, distille de l’alcool pour en laisser échapper les vapeurs. Cette sculpture enivrante est significative des différents régimes qui sous-tendent le travail de Thomas Teurlai, reposant aussi bien sur l’idée de présence de la sculpture qui met en tension des phénomènes physiques, l’espace et le spectateur, que sur les notions «voisines» de clandestinité, d’effacement ou encore de perte irréversible qui font image. Ici, un mandala explosif reprend à la poudre à canon la photographie aérienne d’une ville bombardée. Là, le circuit électrique de l’espace d’exposition, celui qui alimente l’éclairage instable des pièces au travail, est détourné de telle sorte que sa mise sous tension, c’est-à-dire le contact électrique, se fait au moyen d’une fuite d’eau – un goutteà- goutte de fortune irriguant le travail jusqu’à sa complète évaporation. Elfi Turpin

Ingrid Luquet-Gad et quelques membres du collectif - Téquaté LO Niktété - Le Wonder-Liebert à Montpellier - Mécènes du Sud - Photo © Elise Ortiou-Campion
Ingrid Luquet-Gad et quelques membres du collectif – Téquaté LO Niktété – Le Wonder-Liebert à Montpellier – Mécènes du Sud – Photo © Elise Ortiou-Campion

Une ville en banlieue, une ville dans la ville, une ville à l’échelle d’un bâtiment. Le Wonder/Liebert est tout cela.

Le Wonder/Liebert n’est pourtant pas une ville, mais bien un collectif mobile qui essaime de toutes parts.
Un artist-run space, pour reprendre un terme en vogue et néanmoins le seul à mettre le doigt sur une réalité sociologique: celle de l’auto-organisation d’artistes qui décident d’inventer l’économie de production, les formes de sociabilité et les conditions de monstration qui leur conviennent le mieux.
Le phénomène dit beaucoup de la redéfinition des structures qui secoue actuellement le monde
de l’art français. Les modèles centralisés et les instances de validation grippées qui tenaient jusqu’ici le haut du pavé se voient désormais débordés par une lame de fond, celle de modèles alternatifs inspirés des artist-run space du monde anglo-saxon ou les Kunstverein de nos voisins germaniques.
C’est un fait, la scène artistique parisienne se renouvelle par ses marges indisciplinées, une nébuleuse jeune, internationale et au-delà du périphérique.

Le Wonder/Liebert y occupe une place incontournable et pourtant ne s’y réduit pas. Après trois ans passés entre les murs de l’ancienne usine Wonder à Saint-Ouen, un noyau dur de neuf âmes créatives en investit d’autres, ceux de la tour Liebert à Bagnolet. Ils y passeront un an et demi, de février 2017 à juin 2018. Au Wonder/Liebert, il y a d’abord l’organisation interne de l’occupation et de la gestion du bâtiment, de ses ateliers, ses studios de musique, ses machines, sa galerie d’exposition, sa résidence internationale, sa cantine et son bar. Un ilot donc, dressé en hauteur depuis l’interzone de l’outre-périphérique parisien; mais également un hub connecté avec les milieux de l’art, de la musique et des scènes alternatives proches et lointaines.

C’est d’abord l’architecture des cinq étages du Liebert qui fait venir l’évocation de la ville. Mais la ville c’est aussi une référence plus métaphorique, entraînant des associations avec la post-ville, la néo-ville, celle d’un futur proche mais semi-utopique qui se laisse aussi mal attraper dans les rets du concepts qu’une constellation de jeunes artistes. Il n’empêche que l’évocation que distille Rem Koolhas dans son livre Junkspace (2011) des réseaux la Ville Générique fait mouche. «La densité dans l’isolation», telle serait selon lui la caractéristique des bâtiments de la ville moderne, où s’invente à l’échelle d’un gratte-ciel un modèle de sociabilité autonome et pourtant en interconnexion permanente avec d’autres bâtiments semblables à l’échelle du globe. On retrouve l’esprit du Wonder/ Liebert, dont les noms des deux lieux d’occupation successifs sont restés par sédimentation pour désigner le collectif, quand bien même celui-ci ne les occupe plus.

Téquaté LO Niktété - Le Wonder-Liebert à Montpellier - Mécènes du Sud - Photo © Elise Ortiou-Campion
Téquaté LO Niktété – Le Wonder-Liebert à Montpellier – Mécènes du Sud – Photo © Elise Ortiou-Campion

Déplacer le Wonder/Liebert à Montpellier, le rendre non pas nomade mais l’attacher temporairement à une autre écologie s’est alors imposé comme une évidence. On se doute que dans les revers de vestes et les ourlets de pantalons des artistes subsisteront quelques graines d’herbes folles du parking de Bagnolet. Qu’il faudra faire de l’espace de Mécènes du sud une nouvelle terre où les faire croître, et sans doute inventer aussi de nouvelles manières de le faire. Inviter le Wonder/Liebert, c’est aussi déplacer les termes mêmes de ce vers quoi doit tendre l’art: non pas produire mais s’interroger sur comment produire; non pas exposer dans un lieu mais ériger l’occupation et l’être-présent en fin. Dans cette optique, le monde de l’art reste un noyau, mais un noyau dont on cultive intensément les potentiels de croissance – ces frondaisons, racines et rhizomes qui ne manqueront pas de pousser, si tant est qu’on leur en donne le temps et l’espace.

Ingrid Luquet-Gad

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