Georges Henri Rivière. Voir, c’est comprendre au Mucem

Du 14 novembre 2018 au 4 mars 2019, le Mucem présente au J4 « Georges Henri Rivière. Voir, c’est comprendre ».

En prenant la vie de Georges Henri Rivière comme fil constitutif de cette histoire, l’exposition montre avec beaucoup d’intelligence « l’étonnante contemporanéité de son parcours et de sa pensée » et la place essentielle qu’il prit dans ce qui fut une véritable révolution des musées…

Georges Henri Rivière Voir, c’est comprendre au Mucem - L’homme orchestre - Vue de l'exposition
Georges Henri Rivière Voir, c’est comprendre au Mucem – L’homme orchestre – Vue de l’exposition

Comme le souligne Jean-François Chougnet, Président du Mucem, dans son avant-propos au catalogue, il s’agissait aussi dans ce projet de rechercher « les fulgurantes intuitions qui trouvent dans le projet actuel du Mucem nombre de prolongements : l’exploration des relations entre arts plastiques et arts populaires, l’intérêt affirmé pour des formes peu étudiées comme la littérature populaire, la chanson et l’art forain… ».

La réalisation de cette exposition s’imposait « pour mieux assurer son développement, de questionner son histoire, ou plutôt sa préhistoire  ».

« Georges Henri Rivière. Voir, c’est comprendre » rassemble 600 documents et objets (œuvres d’art moderne, pièces d’arts populaires, objets ethnographiques, photographies, sculptures, dessins, archives audiovisuelles, etc.), issus du Centre Pompidou, du musée du quai Branly-Jacques Chirac, du musée d’Orsay, des Archives nationales et principalement du Mucem qui conserve les collections diverses et signifiantes du musée des Arts et Traditions populaires créé la par Georges Henri Rivière.

Le commissariat très inspiré de « Georges Henri Rivière. Voir, c’est comprendre » est assuré par Germain Viatte, conservateur général du patrimoine et par Marie-Charlotte Calafat Adjointe du département des collections du Mucem et responsable du pôle documentaire et du secteur Histoire du musée.

Olivier Bedu (Struc Archi), scénographe - Marie-Charlotte Calafat et Germain Viatte, commissaires de « Georges Henri Rivière
Olivier Bedu (Struc Archi), scénographe – Marie-Charlotte Calafat et Germain Viatte, commissaires de « Georges Henri Rivière

On ne présente plus Germain Viatte qui a laissé un souvenir fort de son action à Marseille à la direction des musées de la ville et des expositions qu’il y a organisées. Quelques mots à propos de Marie-Charlotte Calafat pour souligner sa place essentielle dans les commissariats très réussis au Mucem avec Document bilingue (juillet-novembre 2017) et Roman-Photo (décembre-avril 2017).

Marie-Charlotte Calafat c-commissaire de « Georges Henri Rivière. Voir, c’est comprendre » au Mucem
Marie-Charlotte Calafat c-commissaire de « Georges Henri Rivière. Voir, c’est comprendre » au Mucem

Le scénographie a été confiée à Struc Archi, agence marseillaise qui avait su imaginer un dispositif efficace, souple et polyvalent pour les expositions au bâtiment Georges Henri Rivière au Fort Saint-Jean.
Olivier Bedu a su construire pour « Georges Henri Rivière. Voir, c’est comprendre » une scénographie qui réussit à lier naturellement les 34 modules d’un parcours à la fois chronologique et thématique. Particulièrement inspirée, elle sait recréer sans afféterie l’esprit scientifiquement rigoureux et en même temps « poétique » des recherches muséographiques de celui que l’on surnommait « le magicien des vitrines ».

Georges Henri Rivière Voir, c’est comprendre au Mucem - L’intérieur d’un buron d’Aubrac - Vue de l'exposition
Georges Henri Rivière Voir, c’est comprendre au Mucem – L’intérieur d’un buron d’Aubrac – Vue de l’exposition

Les méandres du parcours savent alterner rétrécissements et larges « calmes ». Ils offrent ainsi une déambulation qui joue habilement sur les perspectives, les changements de rythme et qui relancent avec adresse et pertinence l’intérêt du visiteur.

Georges Henri Rivière Voir, c’est comprendre au Mucem - L’homme orchestre - Vue de l'exposition
Georges Henri Rivière Voir, c’est comprendre au Mucem – L’homme orchestre – Vue de l’exposition

L’accrochage très abouti et toujours très cohérent multiplie différents niveaux de lecture sans jamais créer de confusion. Cimaises et vitrines à fond noir s’enchaînent harmonieusement.

« Georges Henri Rivière. Voir, c’est comprendre » est un équilibre magique et rare entre un projet scientifique parfaitement maîtrisé et une scénographie accomplie.

L’exposition est accompagnée par un catalogue passionnant coédite par le Mucem et la RMN. Sous la direction de Germain Viatte et Marie-Charlotte Calafat, les contributions scientifiques sont signées par Anaïs Avossa, Sophie Bernillon, Michèle Coquet, Claire Dufour, Julie Durin, Aude Fanlo, Camille Faucourt, Dominique Ferriot, Florence Gétreau, Danièle Giraudy, Zeev Gourarier, Nancie Herbin, Jean Jamin, Laurent Le Bon, Jean-François Leroux-Dhuys, Alexandre Mare, Liliane Meffre, Laure Ménétrier, Pascal Ory, Sabrina Paumier, Marie Robert, Martine Segalen, Frédérique Servain-Riviale, Fabienne Tiran.
L’iconographie rassemblée dans cet ouvrage est remarquable.

« Georges Henri Rivière. Voir, c’est comprendre » est prolongé par une importante programmation artistique, culturelle et scientifique (voir détail sur le site du Mucem).

Exposition majeure, « Georges Henri Rivière. Voir, c’est comprendre » est absolument incontournable. C’est une des propositions les plus abouties produites par le Mucem.

À lire ci-dessous, une présentation du projet sous la forme du traditionel entretien avec les commissaires et une description du parcours de l’exposition avec les textes de salle et un compte rendu de visite photographique.

En savoir plus :
Sur le site du Mucem
Suivre l’actualité du Mucem sur Facebook, Twitter et Instagram

En quoi Georges Henri Rivière est-il l’inventeur du musée moderne ?

Germain Viatte : Très attaché à l’enrichissement des collections, Rivière les envisage en ethnologue, comme un tout résumant une culture, refusant toute hiérarchie mais incluant leur dimension sociale, inventive et esthétique. Il est très soucieux d’offrir aux publics un instrument de connaissance ouvert, comparatif, créatif, contemporain, interdisciplinaire. Il craint « l’effet musée » solennel et distancié, et préfère privilégier une vision narrative et poétique en dialogue avec la sensibilité de chacun. Il accepte la dimension économique de l’institution mais craint les dérives de l’argent : ses mécènes sont des partenaires et des agents de diffusion et faction du musée.

Georges Henri Rivière Voir, c’est comprendre au Mucem - L’homme orchestre - Vue de l'exposition
Georges Henri Rivière Voir, c’est comprendre au Mucem – L’homme orchestre – Vue de l’exposition

Qu’est-ce qui, dans sa jeunesse et sa formation, a nourri son regard de muséologue ?

Germain Viatte : Alors qu’il est déjà âgé, Rivière retrouve dans ses souvenirs d’enfance les contrastes stimulants des milieux qui l’entouraient, rural et naturel du côté maternel, citadin et artistique du côté paternel. Adolescent, il s’accommode de ces contrastes, apprenant à voir et à comprendre, attaché aux savoir-faire artisanaux et artistiques, découvrant leur diversité et la force des expressions populaires. Jeune musicien, c’est aussi un instrumentiste praticien. Il apprend beaucoup de son oncle et de ses amis collectionneurs. Il aime le spectacle sous toutes ses formes et apprend à considérer l’objet comme partenaire et élément constitutif essentiel du récit patrimonial. Il est « moderne » auprès des artistes d’avant-garde.

Tout en étant proche des avant-gardes de son temps, peut-on dire qu’il est l’inventeur de la notion d’« art populaire » ?

Marie-Charlotte Calafat : Georges Henri Rivière est certainement le plus grand défenseur des arts populaires. Il s’attache à décloisonner les arts et les musées pour leur donner une place. Il affirme que ces objets communs traduisent un savoir du peuple. Au-delà d’une simple curiosité ou de leur valeur esthétique, ils sont les signes matériels du vivant, de savoir-faire, de coutumes et de croyances… Ces objets fascinent, intriguent, témoignent avec richesse et humanité d’où l’on vient et qui on est. Georges Henri Rivière est proche des avant-gardes de son temps (Éluard, Aragon, Picasso, Masson…).

Andre Masson, Portrait de Georges Henri Riviere, 1930. © ADAGP, Paris 2018 ; cliche © Centre Pompidou, MNAM-CCI, Dist. RMN-Grand Palais / Bertrand Prevost
Andre Masson, Portrait de Georges Henri Riviere, 1930. © ADAGP, Paris 2018 ; cliche © Centre Pompidou, MNAM-CCI, Dist. RMN-Grand Palais / Bertrand Prevost

On a souvent oublié qu’au cours du XXe siècle, les arts populaires, au même titre que les arts dits « primitifs », ont aussi inspiré les artistes modernes. Il faut, dans son sillon, faire preuve d’ouverture d’esprit en mettant de côté les oppositions obsolètes entre tradition et modernité. Dans les expositions qu’il réalise, il traite avec autant de considération une esquisse de L’homme au mouton de Pablo Picasso et un cadran solaire de berger.

Quelle était la particularité du musée national des Arts et Traditions populaires, qu’il crée en 1937, et dont les collections ont depuis rejoint les fonds du Mucem ?

Marie-Charlotte Calafat : La première particularité du MnATP est sa longue gestation : 35 ans. Né en 1937 pendant le Front populaire, sa création témoigne d’un contexte politique favorable à la notion d’« art populaire ». Sur le plan culturel, une vive attention est alors portée à l’éducation et aux loisirs de tous. Le musée est d’abord hébergé provisoirement dans une aile du palais de Chaillot en attendant un lieu propre. Mais le provisoire s’éternise…

Georges Henri Rivière Voir, c’est comprendre au Mucem - Enfin mon musée ! - Vue de l'exposition
Georges Henri Rivière Voir, c’est comprendre au Mucem – Enfin mon musée ! – Vue de l’exposition

La Seconde Guerre mondiale va retarder l’ouverture du musée qui sera effective seulement en 1972 ! Pendant toutes ces années, Georges Henri Rivière lutte pour continuer à promouvoir son musée. Il propose des expositions temporaires dans lesquelles il expérimente des pratiques muséographiques et les galeries du MnATP en seront les ultimes témoignages. La seconde singularité est le bâtiment lui-même, œuvre commune de l’architecte Jean Dubuisson et du muséographe Rivière. Autre spécificité : le MnATP est pensé comme un musée de synthèse qui associe un réseau de musées en régions, musées de société et écomusées.

Il est aussi l’initiateur de la pratique des « enquêtes-collectes », perpétuée aujourd’hui par les équipes scientifiques du Mucem…

Marie-Charlotte Calafat : GHR a théorisé la notion de « musée laboratoire » et défini une méthodologie d’enquête sur le terrain. Dès son entrée en musée, sous la direction de Paul Rivet au musée d’Ethnographie du Trocadéro, Rivière programme des enquêtes, trouve des financements et valorise ces recherches dans des expositions qui font date. De la mission Dakar-Djibouti (1931-1933) à l’enquête pluridisciplinaire de l’Aubrac (1963-1966) en passant par les Chantiers intellectuels (1941-1946), Rivière a le souci de la méthode.

Georges Henri Rivière Voir, c’est comprendre au Mucem - Un bel enjeu patrimoines en péril - Vue de l'exposition
Georges Henri Rivière Voir, c’est comprendre au Mucem – Un bel enjeu patrimoines en péril – Vue de l’exposition

Lui et son équipe s’intéressent aux gens, les écoutent, les photographient et collectent avec soin leurs témoignages. Le terrain de l’ethnologue est social, politique et historique. Rivière l’a bien démontré en mai 1968, lorsqu’il est allé chercher les affiches produites dans les ateliers des Beaux-Arts. Il a non seulement su collecter le patrimoine rural en cours de disparition mais a aussi compris les mutations de la société de son temps. Le Mucem a hérité de ces collectes mais aussi de ce modèle unique d’acquisition sur le terrain. L’équipe scientifique du Mucem le poursuit.

Comment s’organise l’exposition ? En quoi sa scénographie s’inspire-t-elle des enseignements de Georges Henri Rivière ?

Germain Viatte : L’exposition s’organise, ce qui est rare, peut-être même unique, autour de l’aventure humaine d’un être qui va incarner les musées en refusant tout enfermement disciplinaire. Elle s’organise en modules, comme autant de facettes illustrant sa famille, ses curiosités, ses contacts, ses collègues, ses réalisations, son humour et son rayonnement. Au travers de ces facettes très documentées et des exemples donnés, on découvre la diversité des recherches entreprises et la mise en place progressive d’une méthode développée en expositions spécialisées qui constitueront le musée national des Arts et Traditions populaires. Plusieurs de ces entrées sont des reconstitutions exactes de celles qui y furent établies par Rivière. Une évocation qui voudrait se dérouler telle un spectacle très dense, inattendu et festif. À revoir !

Georges Henri Rivière Voir, c’est comprendre au Mucem - Établir et loger les arts et traditions popluaires - Vue de l'exposition
Georges Henri Rivière Voir, c’est comprendre au Mucem – Établir et loger les arts et traditions popluaires – Vue de l’exposition

Héritier du musée des ATP et du musée de l’Homme, peut-on dire que le Mucem, inauguré à Marseille en 2013, perpétue l’esprit et la vision de Georges Henri Rivière ?

Marie-Charlotte Calafat : Les collections du MnATP et le fonds Europe du musée de l’Homme ont été transférées au Mucem au sein du Centre de conservation et de ressources. Lieu vivant et accessible, il perpétue l’ambition de Rivière de s’adresser à tous. La force et la richesse de cet ensemble est un vivier, et une manne sur laquelle les équipes du musée s’appuient. Les collections alimentent une programmation très diversifiée, capable d’éclairer le présent à la lumière des questions et réalisations du passé. Dans son esprit, un musée vivant est aussi un musée qui poursuit des acquisitions et des collectes soulevant des faits contemporains qu’il est utile d’étudier et de valoriser. Georges Henri Rivière nous l’a bien enseigné.

Georges Henri Rivière Voir, c’est comprendre au Mucem - Nous donnons, ils donnent ! - Vue de l'exposition
Georges Henri Rivière Voir, c’est comprendre au Mucem – Nous donnons, ils donnent ! – Vue de l’exposition

Pourquoi un tel titre ?

Germain Viatte : Il peut sembler énigmatique, ce qui est l’un des ressorts de la communication. Le nom du héros de cette exposition, après avoir été célébré, est aujourd’hui presque inconnu. Georges Henri Rivière a consacré près de cinquante ans au phénomène des musées, en France comme à l’étranger. Il a fortement contribué à l’expansion de leurs collections et à leur transformation comme lieu d’éveil, d’interrogation et de révélation. Pour lui, le donner à voir est essentiel, quel que soit l’objet du regard, sans l’enfermer dans une spécialisation ni dans une hiérarchie de valeurs.
« Voir, c’est comprendre » : ce sont là les premiers mots d’un poème de Paul Éluard. Ce qui est donné à voir au Mucem et dans l’exposition, l’essentiel des immenses collections du musée des Arts et Traditions populaires, a résulté de ses choix personnels et de ceux de ses collaborateurs directs. Il ne s’agit pas d’accumuler des objets mais de réaliser, au moment où ils disparaissent, qu’ils peuvent constituer une chaîne de compréhension de la complexité d’un monde vivant, passé et présent, d’un monde en constante évolution. Pour Rivière, apprendre à voir est l’un des fondements essentiels de l’intelligence du monde.

1895-1915 : Enfance et formation

L’homme orchestre

Réalisé en 1900, le film L’Homme orchestre de Georges Méliès résume les dons de son auteur, dessinateur, illusionniste, homme de théâtre, acteur, producteur et toujours poète. Il témoigne de sa capacité à faire entrer le spectateur dans un espace abstrait, frontal, avec un seul point de vue, pour un récit dont les figures s’animent selon un déplacement latéral.

Georges Henri Rivière Voir, c’est comprendre au Mucem - L’homme orchestre - Vue de l'exposition
Georges Henri Rivière Voir, c’est comprendre au Mucem – L’homme orchestre – Vue de l’exposition

On retrouve là les qualités de Georges Henri Rivière. C’est l’une des références de son enfance puis de toute une vie éblouie par les spectacles de la scène et du vivant. Le plus simple objet, une chaise, devient, sous l’autorité du chef d’orchestre, l’acteur de toutes les situations et propositions.

Du berceau à la tombe

La galerie culturelle du musée des Arts et Traditions populaires est ouverte au public en 1975. Cette vitrine est novatrice puisqu’elle tente de résumer « au premier regard », avec une cinquantaine d’objets soigneusement choisis, les étapes de la vie humaine. Elle fait une référence implicite à l’ouvrage du folkloriste Arnold Van Gennep Les Rites de passage (1909).

Georges Henri Rivière Voir, c’est comprendre au Mucem - Du berceau à la tombe - Vue de l'exposition
Georges Henri Rivière Voir, c’est comprendre au Mucem – Du berceau à la tombe – Vue de l’exposition

Construite selon une lecture de gauche à droite, la vitrine déploie en séquences une vie par étapes, « les objets ayant la parole sans aucun appareil décoratif indiscret ». Sa composition est parfaitement rythmée sur l’abstraction d’un fond noir. Chaque objet y trouve sa place et sa signification, tout étant ici documenté par des textes et des cartels détaillés.

Mes enfances

Enfance doublement orientée, côté campagne par sa mère et côté ville par son père, sous-directeur des parcs et jardins de la ville. Il apprend à voir : travaux des champs, civilisation rurale et vie urbaine artisanale, artistique et populaire. Usages, dictons et chansons enchantent cet enfant très éveillé.

Georges Henri Rivière Voir, c’est comprendre au Mucem - Mes enfances - Vue de l'exposition
Georges Henri Rivière Voir, c’est comprendre au Mucem – Mes enfances – Vue de l’exposition

Les spectacles sont différents et fascinants : labours et moissons dans l’Oise, premiers films, foires et cirque autour de Montmartre. Après la mort de son père en 1912, l’adolescent se passionne avec son ami Jean Vergnet, futur inspecteur général des musées de province et conservateur du château de Compiègne, pour les livres et les monuments.

Seurat - etude pour un dimanche apres midi 1884© RMN-Grand Palais (musee d’Orsay) / Herve Lewandowski
Seurat – etude pour un dimanche apres midi 1884© RMN-Grand Palais (musee d’Orsay) / Herve Lewandowski

Cette étude a été donnée à l’État par Georges Henri et Thérèse Rivière en hommage à leurs parents. Marguerite Dacheux, leur mère, l’avait reçue des mains de la compagne de Georges Seurat en remerciement des soins prodigués lors de l’agonie du peintre. Ensuite employée de maison chez les Rivière, elle y rencontra Jules, le père de G.H. Rivière.

Poussé par sa grand-mère et par son oncle Henri Rivière, il engage des études de musique. Henri Rivière, excellent graveur japonisant et collectionneur, lui apprend ce qu’est un regard d’artiste attentif à la vie sociale. Avec la guerre et la conscription se nouent de nouvelles amitiés, notamment celle de Louis Aragon, qui vont l’orienter désormais vers les recherches de l’art vivant.

Seurat - etude pour un dimanche apres midi 1884© RMN-Grand Palais (musee d’Orsay) / Herve Lewandowski
Seurat – etude pour un dimanche apres midi 1884© RMN-Grand Palais (musee d’Orsay) / Herve Lewandowski

La famille de Georges Henri est installée dans le quartier de Montmartre où s’est établi le cirque Médrano en 1897. Les enfants y sont emmenés régulièrement. G.H. Rivière développe dès lors une passion pour le cirque qui le conduira à mener, une fois au musée, des acquisitions et des expositions sur cet art à la fois populaire et moderne.

L’esprit de collection

« Je voyais défiler des choses japonaises : kakémonos, déroulés de leurs baguettes, céramiques, ôtées de leurs boîtes à onglets d’ivoire ; gardes de sabre, coulants et boîtes médicinales, sur leurs plateaux. » G.H. Rivière

Georges Henri Rivière Voir, c’est comprendre au Mucem - L’esprit de collection - Vue de l'exposition
Georges Henri Rivière Voir, c’est comprendre au Mucem – L’esprit de collection – Vue de l’exposition

Georges Henri retint de son oncle la capacité à voir et à toucher les objets, la conviction d’une confrontation des cultures, du plus ancien passé au présent, de toutes techniques sans spécialisation académique. Il est heureux de participer aux recherches approfondies de son oncle sur la céramique dans l’art musulman ou l’art d’Extrême-Orient.

Les donations faites par Henri Rivière au musée Guimet et à la Bibliothèque nationale illustrent la profusion et la diversité de ce que son neveu pouvait admirer à l’occasion des réunions d’amateurs auxquelles il assistait chez lui : bel apprentissage du regard, et échanges érudits qui abordaient plusieurs civilisations.

Dans le livre de souvenirs d’Henri Rivière Les Détours du chemin, se croisent ceux que les objets attirent : marchands tels Siegfried Bing, Charles Vignier ou Ching Tsai Loo, responsables de collections publiques, comme Louis Metman ou Pierre d’Espezel, collectionneurs, avec Jacques Doucet ou David David-Weill, et enfin artistes, Auguste Rodin ou Edgar Degas…

Au temps du Chat noir

« Inspirateur explicite d’une carrière musicale refoulée, inspirateur implicite d’une carrière muséale développée, il a marqué ma vie. » G.H. Rivière

Georges Henri Rivière Voir, c’est comprendre au Mucem - Au temps du Chat noir - Vue de l'exposition
Georges Henri Rivière Voir, c’est comprendre au Mucem – Au temps du Chat noir – Vue de l’exposition

L’oncle, Henri Rivière, collabore au cabaret Le Chat noir, ouvert à Montmartre en 1881 par Rodolphe Salis. « musée picaresque et baroque de toutes les élucubrations de la bohème », écrira le poète Jean Lorrain. Il y devient secrétaire de rédaction du journal de cet établissement, chronique des événements artistiques et le café devient vite le rendez-vous des artistes, des poètes et des chansonniers.

Le 1er juin 1885, Salis inaugure avec une cérémonie burlesque et nocturne un nouveau lieu sur la butte. Henri Rivière y met au point un théâtre d’ombres en couleurs. La première représentation, L’Épopée, sur des dessins de Caran d’Ache remporte un très grand succès.

1890 est l’année de La Marche à l’Étoile et des aquarelles préparatoires aux gravures sur bois japonisantes des Paysages bretons. Après la mort de Salis, le Théâtre-Libre d’André Antoine, créé en 1887, accueille plusieurs spectacles d’ombres et présente ses gravures et lithographies.

Airs du temps

« On va fonder, on en jase / Une usine à jazz » G.H. Rivière

S’il est un domaine qui illustre l’étendue des goûts de Georges Henri Rivière, c’est bien la musique : savante ou populaire, vulgaire ou d’avant-garde, et de tous les temps, avec une prédilection pour les airs du moment, qu’il s’agisse d’Igor Stravinsky, de George Gershwin ou de Darius Milhaud comme du jazz ou des airs du music-hall.
Pendant trois mois, en 1917, avant de partir pour le service militaire, il est maître de chapelle de l’église Saint-Louis-en-l’Île. Pianiste doué et musicien sans prétention, il ne cessa d’improviser à toute occasion, s’attelant pour une fois, en 1925, à composer une Petite cantate sur des vers de Jean Racine pour le mariage de cousins de son ami Georges Salles, petit-fils de Gustave Eiffel. Devenu muséologue, il nourrira toujours l’espoir de constituer un musée de la Chanson et, à la fin de sa vie, il soutient la réalisation à Paris du musée de la Musique.

Les trente-six vues de l’oncle Henri

Adolescent, Georges Rivière reçoit beaucoup de son oncle Henri, à tel point qu’il ajoutera Henri à son prénom, sans doute en hommage. L’aventure du Chat noir est close, mais il en reste de vifs souvenirs.

Georges Henri Rivière Voir, c’est comprendre au Mucem - Les trente-six vues de l’oncle Henri - Vue de l'exposition
Georges Henri Rivière Voir, c’est comprendre au Mucem – Les trente-six vues de l’oncle Henri – Vue de l’exposition

Henri Rivière documente la vie des travailleurs. Il décrit les durs travaux des champs et la vie harassante des pêcheurs. Photographe, il saisit dans Paris, avec une acuité audacieuse, les labeurs de la rue et le charme populaire de ses spectacles.

Henri Riviere, En haut de la tour, Les Trente-Six Vues de la tour Eifel, 1888-1902. © ADAGP, Paris 2018 ; cliche © RMN-Grand Palais (musee d’Orsay) / Rene-Gabriel Ojeda
Henri Riviere, En haut de la tour, Les Trente-Six Vues de la tour Eifel, 1888-1902. © ADAGP, Paris 2018 ; cliche © RMN-Grand Palais (musee d’Orsay) / Rene-Gabriel Ojeda

Il suit la construction de la tour Eiffel, phare de l’aventure industrielle et témoignage extraordinaire de l’effort humain. Les cadrages très modernes de ses photographies sont repris dans l’album d’estampes qu’il réalise, Les Trente-Six Vues de la tour Eiffel.

1915-1935 De l’esthète musicien au musée

Rencontres au lendemain du désastre

« Et soudain, en 1921, parachuté dans ce fascinant petit milieu social, snob comme pas un : cette république de prénoms : starred by Winnie (la princesse de Polignac), les Étienne (le comte et la comtesse Étienne de Beaumont), Bébé (Christian Bérard), Francis (Francis Poulenc), Jean (Jean Cocteau), Léon Paul (Léon Paul Fargue), pour citer les morts. Et pour citer les immortels, Igor (Igor Stravinsky) et Marie-Laure (la vicomtesse de Noailles). » G.H. Rivière

Georges Henri Rivière Voir, c’est comprendre au Mucem - Rencontres au lendemain du désastre - Vue de l'exposition
Georges Henri Rivière Voir, c’est comprendre au Mucem – Rencontres au lendemain du désastre – Vue de l’exposition

Quand G.H. Rivière écrit cela, ce temps des mondanités snobs est déjà révolu ; il insiste sans se faire d’illusion sur ce petit monde qui l’a aidé à se définir tout en n’y appartenant pas. La décennie qui suit la guerre est vécue à toute allure par G.H. Rivière. Au-delà des mondanités éclairées, elle s’engage dans la fréquentation d’Aragon et, en 1923, avec l’éblouissement de La Création du monde, ballet réunissant Blaise Cendrars, Darius Milhaud, Jan Börlin et Fernand Léger. En 1926, Rivière introduit Gershwin chez G. Salles.

Andre Masson, Portrait de Georges Henri Riviere, 1930. © ADAGP, Paris 2018 ; cliche © Centre Pompidou, MNAM-CCI, Dist. RMN-Grand Palais / Bertrand Prevost
Andre Masson, Portrait de Georges Henri Riviere, 1930. © ADAGP, Paris 2018 ; cliche © Centre Pompidou, MNAM-CCI, Dist. RMN-Grand Palais / Bertrand Prevost

Il fréquente aussi, au musée Guimet, les « thés du jeudi » du conservateur Joseph Hackin, avec les grands orientalistes de l’époque, Paul Pelliot, Jacques Bacot, René Grousset. Parmi les écrivains, le voici avec Jouhandeau et auprès des surréalistes, ami de Robert Desnos, René Crevel et Tristan Tzara, et bientôt de Michel Leiris qui lui présente le peintre André Masson et le grand marchand Daniel-Henry Kahnweiler…

Au Boeuf sur le toit

« N’en déplaise aux épouses, aux magistrats, aux coeurs timorés, aux foules nationalistes que ce temps rebute, l’esprit de religion ne hante plus les cathédrales gothiques, dont il vomit les psaumes et cantiques. C’est au music-hall, parmi vingt paires de jambes, au son d’un air de Christiné, en un ballet conventionnel et magnifiquement ordonné de tout ce qui fait l’objet de nos désirs charnels, qu’il faut aller chercher, enfin rendu à l’érotisme, cet esprit de religion. » G.H. Rivière

Georges Henri Rivière Voir, c’est comprendre au Mucem - Au Boeuf sur le toit - Vue de l'exposition
Georges Henri Rivière Voir, c’est comprendre au Mucem – Au Boeuf sur le toit – Vue de l’exposition

De nuit, Rivière suit chez Ada Bricktop le « tumulte noir » des Afro-Américains de Paris, il compose une chanson, Joséphine, pour Joséphine Baker qui restera longtemps sa complice. Passionné de jazz, il en devient chroniqueur dans les Cahiers d’art puis dans Documents.

Francis Picabia, L’oeil cacodylate, 1921. © ADAGP, Paris 2018 © Centre Pompidou, MNAM-CCI, Dist. RMN-Grand Palais / Georges Meguerditchian
Francis Picabia, L’oeil cacodylate, 1921. © ADAGP, Paris 2018 © Centre Pompidou, MNAM-CCI, Dist. RMN-Grand Palais / Georges Meguerditchian

Au Boeuf sur le toit, rue Boissy-d’Anglas, « les jeunes gens émerveillés allaient ‘‘contempler’’ Picasso, Radiguet, Cocteau, Michaux, Fargue, Auric, Honegger, Sauguet, Satie, Jean Hugo, Breton, Aragon, Marie Laurencin, Léger, Lurçat, Derain et toute l’avant-garde de ces années-là. Les hommes du monde venaient en habit, les peintres en chandail. Il y avait des femmes en tailleur et d’autres couvertes de perles et de diamants. » Maurice Sachs.

Le moderne et le précolombien : révélations

Christian Zervos, le créateur de la revue Cahiers d’art, suggère à G.H. Rivière d’écrire un article sur l’exposition « Yves Tanguy & objets d’Amérique » présentée en 1927 par Roland Tual à la Galerie surréaliste. Au musée du Trocadéro, il découvre ces cultures qu’il connaît mal. Il propose l’organisation d’une exposition sur « Les Arts anciens de l’Amérique » qui aura lieu au musée des Arts décoratifs en 1928.

Georges Henri Rivière Voir, c’est comprendre au Mucem - Le moderne et le précolombien - Vue de l'exposition
Georges Henri Rivière Voir, c’est comprendre au Mucem – Le moderne et le précolombien – Vue de l’exposition

Cette exposition, sans précédent, est conçue chez les Allatini, dans la rue Mallet-Stevens inaugurée en juillet 1927. G.H. Rivière y rencontre Nina Spalding Stevens, veuve et collaboratrice du directeur du musée de Toledo (Ohio). Il l’épouse en janvier 1929 ; elle l’introduit auprès des musées américains.

Georges Henri Rivière Voir, c’est comprendre au Mucem - Le moderne et le précolombien - Vue de l'exposition
Georges Henri Rivière Voir, c’est comprendre au Mucem – Le moderne et le précolombien – Vue de l’exposition

G.H. Rivière rassemble ses appuis artistiques, scientifiques et financiers, constituant un comité avec les anthropologues Alfred Métraux et André Schaeffner, soutenu par l’expert et marchand Charles Vignier. Ils parviennent à rassembler 1 250 objets issus des collections publiques et privées françaises et de grands musées internationaux (Mexico, Bruxelles, Göteborg, Madrid, etc.). Le choix est esthétique, ethnographique et didactique.

Masque funeraire, Culture Nazca, Perou, 200 av. J.-C. – 600 ap. J.-C. © Musee du quai Branly – Jacques Chirac, Dist. RMN-Grand Palais / Patrick Gries / Valerie Torre
Masque funeraire, Culture Nazca, Perou, 200 av. J.-C. – 600 ap. J.-C. © Musee du quai Branly – Jacques Chirac, Dist. RMN-Grand Palais / Patrick Gries / Valerie Torre

Merci Paul Rivet

« Ces collections vont sortir des caisses où elles ont été pieusement rangées dans le jour attendu où il sera donné à un magicien de les animer. Cette heure est venue, le musée est créé, le magicien est né. Ce sera mon grand ami Georges Henri Rivière qui aura la gloire de cette résurrection. » P. Rivet

Georges Henri Rivière Voir, c’est comprendre au Mucem - Merci Paul Rivet - Vue de l'exposition
Georges Henri Rivière Voir, c’est comprendre au Mucem – Merci Paul Rivet – Vue de l’exposition

Directeur du musée d’Ethnographie du Trocadéro depuis mars 1928, Paul Rivet a reconnu les talents de G.H. Rivière qui sait célébrer, tels Leiris ou Desnos, le spectacle, la mode, la fête, la photographie ou le cinéma en tant que véritables expressions de l’art populaire contemporain. Rivet confirme son choix en engageant Rivière comme assistant. Ce dernier voyage, prend exemple des modèles étrangers pour son « musée laboratoire ». Il veut « créer deux musées, l’un public formé par l’exposition scientifique, mais aussi ‘‘artistique’’ rendu possible par les meilleures pièces ethnographiques ; l’autre, un ‘‘magasin’’ où seuls étudiants et savants auront accès ».

Affiche pour l’exposition « Bronzes et ivoires royaux du Benin » du musee d’Ethnographie du Trocadéro, 1932. © Mme Denise Boiffard / Lou Tchimoukov (D.R.) ; cliche © Museum national d’histoire naturelle
Affiche pour l’exposition « Bronzes et ivoires royaux du Benin » du musee d’Ethnographie du Trocadéro, 1932. © Mme Denise Boiffard / Lou Tchimoukov (D.R.) ; cliche © Museum national d’histoire naturelle

Le musée fait appel au vivant et ses présentations sont strictement modernes, sélectives et très didactiques.

Dakar-Djibouti, mai 1931 – janvier 1933

Rivet et Rivière vont ranimer l’étude des cultures lointaines et le rapport au « terrain » en organisant, de 1929 à 1939, une centaine de missions qui viennent attester de la vocation sociale et scientifique de l’ethnologie. Ils s’appuient sur Marcel Mauss et sur son Institut d’ethnologie qui forme les jeunes chercheurs.

Georges Henri Rivière Voir, c’est comprendre au Mucem - Dakar-Djibouti - Vue de l'exposition
Georges Henri Rivière Voir, c’est comprendre au Mucem – Dakar-Djibouti – Vue de l’exposition

Par sa traversée du continent africain, la mission Dakar-Djibouti de Marcel Griaule s’inscrit dans la politique coloniale de la France tout en combattant les préjugés raciaux et culturels. Elle exalte ce qui unit les hommes : le geste et la parole, la technique et l’art.

Rivière mobilise à nouveau ses amis et la presse pour financer la mission. Il organise le match de boxe entre Panama Al Brown et Roger Simendé qui rapporte 101 350 francs, tandis que Rivet obtient un financement d’État. Rivet étant parti en mission en Indochine, Rivière suit depuis Paris l’organisation de la mission.
La collecte scientifique et matérielle affirme l’ambition nouvelle du musée.

Masque anthropozoomorphe, Kanaga. Culture dogon, Mali, avant 1931. © Musee du quai Branly - Jacques Chirac, Dist. RMN-Grand Palais / Patrick Gries / Bruno Descoings
Masque anthropozoomorphe, Kanaga. Culture dogon, Mali, avant 1931. © Musee du quai Branly – Jacques Chirac, Dist. RMN-Grand Palais / Patrick Gries / Bruno Descoings

Ma sœur Thérèse, ethnologue

« Sa soeur, sa meilleure collaboratrice, qui voit clair et très souvent juste a servi d’adjudant. Rivet l’a transformée en étudiante, l’a envoyée sur le terrain (Aurès) en récompense. » Thérèse Rivière Devenue responsable du département « Afrique blanche et Levant », Thérèse Rivière obtient, avec Germaine Tillion, une mission dans les Aurès algériens. Elles s’installent près d’Arris, partent chez les Chaouia, les Beni Melkem, puis chez les Ath Abderrhaman Kébèche en juin 1935, et Thérèse seule en août 1936 chez les Ath Nawcer.

Georges Henri Rivière Voir, c’est comprendre au Mucem - Ma soeur Thérèse, ethnologue - Vue de l'exposition
Georges Henri Rivière Voir, c’est comprendre au Mucem – Ma soeur Thérèse, ethnologue – Vue de l’exposition

Toutes deux photographient le quotidien mais Thérèse a, dans ses images, un talent plus vif et attentif. Elle est proche de la culture matérielle, tandis que Germaine s’intéresse aux lignages, aux mythes et à l’organisation sociale. Thérèse tourne son film, L’Aurès.

Georges Henri Rivière Voir, c’est comprendre au Mucem - Ma soeur Thérèse, ethnologue - Vue de l'exposition
Georges Henri Rivière Voir, c’est comprendre au Mucem – Ma soeur Thérèse, ethnologue – Vue de l’exposition

Elle prépare avec Jacques Faublée l’exposition « L’Aurès » qui s’ouvre au musée de l’Homme en mai 1943. Elle a réuni, seule, un véritable trésor ethnographique : 857 objets, 3 500 photographies et 235 dessins réalisés à sa demande par des indigènes. Le choc d’un premier terrain où elle s’engage intensément alors qu’elle est étudiante, l’exécution des résistants du musée de l’Homme, les événements de l’épuration, la mort de sa mère, provoquent chez elle de graves troubles psychiques et des internements successifs pendant l’Occupation, puis définitif de 1945 à sa mort en 1970.

Biceps et bijoux

Marie-Laure et Charles de Noailles sont les plus fastueux mécènes des années 1920-1930, célèbres pour leurs fêtes et pour leur générosité. Écrivains et artistes sont accueillis dans leur hôtel parisien et dans leur villa à Hyères.

Georges Henri Rivière Voir, c’est comprendre au Mucem - Biceps et bijoux - Vue de l'exposition
Georges Henri Rivière Voir, c’est comprendre au Mucem – Biceps et bijoux – Vue de l’exposition

Cette villa est conçue de 1924 à 1928 comme une oeuvre d’art totale à laquelle sont associés artistes (Henri Laurens, Théo van Doesburg, Piet Mondrian) et décorateurs (Pierre Chareau, Gabriel Guévrékian). Les Noailles visent au « maximum de rendement et de commodité » en prévoyant atelier, gymnase, piscine et jardins, salle de projection pour les films qu’ils produisent… Ami et conseiller, G.H. Rivière leur présente Luis Buñuel et Kurt Weill. Il partage leur désir d’ouverture et de décloisonnement culturel. Noailles prend en main la Société des amis du musée (SAMET), assumant de nombreux frais, encourageant le personnel et les bénévoles du musée.

Les Noailles et Rivière entraînent leurs amis dans ce mécénat collectif, joyeux et efficace sur tous les plans : David David-Weill répond à toute demande financière mais Rivière lui-même est l’un des plus grands donateurs en oeuvres ; il prend en charge le salaire de sa soeur qui organise alors la bibliothèque du musée.

1936-1945 – Engager une collection

Georges Henri Rivière Voir, c’est comprendre au Mucem - Engager une collection - Vue de l'exposition
Georges Henri Rivière Voir, c’est comprendre au Mucem – Engager une collection – Vue de l’exposition

D’un musée à deux autres

G.H. Rivière multiplie les voyages : après avoir traversé les États- Unis, l’Allemagne, l’Europe centrale, la Russie, la Scandinavie, le Royaume-Uni, il adhère au style moderne, aux méthodes scientifiques, et au rôle social, tout en s’inquiétant des idéologies contraires. Il participe en 1937 au premier Congrès international de folklore à Paris.

Georges Henri Rivière Voir, c’est comprendre au Mucem - D’un musée à deux autres - Vue de l'exposition
Georges Henri Rivière Voir, c’est comprendre au Mucem – D’un musée à deux autres – Vue de l’exposition

À Berlin, il noue des contacts avec Alfred Flechtheim, marchand, et avec le baron von der Heydt, collectionneur, intéressés par l’art moderne et les arts primitifs, facilitant bientôt l’exil du couple Kurt Weill et Lotte Lenya, vers Paris puis New York.

Le Front populaire, la destruction du Trocadéro, l’Exposition internationale et les premières initiatives des ATP (Arts et Traditions populaires) au cours des années 1935-1938 placent G.H. Rivière dans un nouveau tourbillon d’initiatives complémentaires : ethnologies du monde et de la France, art moderne, arts populaires. Il commande à Darius Milhaud et Robert Desnos une cantate optimiste pour l’inauguration du musée de l’Homme : « Vivre n’est plus incertain […] Venez aux grandes moissons, la terre aux camarades soumet enfin les saisons. »

De la méthode en toute chose

« Le monde de demain, que sera-t-il ? machiniste, industriel, uniformisé à outrance ? Tout de progrès techniques si désirables, certes, mais qui risquent d’écraser l’homme sous le poids même de son œuvre. » G.H. Rivière

Georges Henri Rivière Voir, c’est comprendre au Mucem - De la méthode en toute chose - Vue de l'exposition
Georges Henri Rivière Voir, c’est comprendre au Mucem – De la méthode en toute chose – Vue de l’exposition

Plus de missions lointaines mais des enquêtes en France ! Il faut, dès les premiers dons reçus, dresser l’inventaire des objets des arts populaires significatifs, qu’ils soient de la ville et, surtout, de la campagne : imageries et poteries, objets religieux, domestiques et historiés, textiles et costumes… Conscient de la continuité du monde rural, il défend son ouverture à la modernité. Dès 1937, lors d’une première enquête en Sologne, puis à Romenay en Saône-et-Loire, il réunit ses premiers complices autour de l’élevage et des techniques (chaudronnerie, couverture de chaume), proposant, chez un sabotier, sa méthode d’analyse des étapes de fabrication.

En 1938, il crée la commission des ATP (Arts et Traditions populaires) qui doit « encourager l’art populaire et l’artisanat traditionnel, collaborer avec les monuments historiques, répandre la pratique de la musique, des chants et des danses, fêtes et spectacles ». Il illustre le thème du « Monde de demain » à l’Exposition universelle de New York de 1939 avec, entre autres, le « musée paysan » de Barbentane.

Collier monte d’un harnachement de cheval pour la Saint-Eloi, 1938. © Mucem / Yves Inchierman
Collier monte d’un harnachement de cheval pour la Saint-Eloi, 1938. © Mucem / Yves Inchierman

Nous donnons, ils donnent !

G.H. Rivière a suivi (comme M. Griaule, T. Rivière, A. Métraux, A. Leroi-Gourhan et la plupart des jeunes ethnologues de l’équipe Rivet) les cours de Marcel Mauss après la publication de l’Essai sur le don en 1925. Aussi, lorsqu’il lui faut renoncer au musée de l’Homme pour se consacrer à ce qui pourrait devenir l’ethnographie de la France, il poursuit la stratégie du don, apprise de Mauss : « Ce qui oblige à donner est précisément que donner oblige. »

Georges Henri Rivière Voir, c’est comprendre au Mucem - Nous donnons, ils donnent ! - Vue de l'exposition
Georges Henri Rivière Voir, c’est comprendre au Mucem – Nous donnons, ils donnent ! – Vue de l’exposition

Pour sortir de la vision folkloriste de la « Salle de France » du vieux Trocadéro, il faut que chacun donne. Tout de suite, la récolte est considérable. Rivière offre à lui seul près de cent objets dès 1937. Puis chacun apporte sa contribution : son adjoint André Varagnac, Thérèse Rivière, leurs amis David David-Weill, Charles Ratton, Georges Salles, Charles et Marie-Laure de Noailles, Michel Leiris, Henri Lehmann.

Un bel enjeu : patrimoines en péril

Après la « drôle de guerre » et la mise en place du régime de Vichy, le musée de l’Homme est en crise, aggravée par l’arrestation des résistants du musée et l’exil de Rivet en février 1941. Les ATP passent sous la tutelle des musées nationaux le 10 août. Lors de son départ, Rivière rend hommage à Rivet. Tout en restant au palais de Chaillot, il privilégie les enquêtes et obtient du poète Edmond Humeau, qui dirige l’« Entraide aux intellectuels et aux artistes en chômage », la création de quatre « chantiers » : arts et littératures populaires, architecture rurale, mobilier traditionnel et techniques artisanales.

Georges Henri Rivière Voir, c’est comprendre au Mucem - Un bel enjeu patrimoines en péril - Vue de l'exposition
Georges Henri Rivière Voir, c’est comprendre au Mucem – Un bel enjeu patrimoines en péril – Vue de l’exposition

Partout en France, architectes, artistes, ethnologues, réfractaires à la conscription obligatoire puis au STO, résistants clandestins, pour lesquels Rivière établit de faux papiers, vont amasser des milliers de documents, relevés, photographies, entretiens… Le 8 septembre 1942, Pétain reçoit G.H. Rivière, Jean-Charles Brun, et Pierre Louis Duchartre, qui lui présentent les chantiers en affirmant leur rôle scientifique.

Peu avant, Rivière va à Saint-Léonard pour témoigner son amitié à Kahnweiler. Il est présent chez Denise Tual le 10 mai 1943 avec Paul Valéry, Francis Poulenc, Jean Paulhan, François Mauriac, et le jeune Pierre Boulez pour la première audition des Visions de l’Amen d’Olivier Messiaen. En 1945, le Louvre présente les acquisitions de la période précédente.

Chantiers intellectuels
Une centaine de jeunes architectes et diplômés en arts appliqués ont contribué aux chantiers intellectuels. Près de 100 000 documents, relevés sur calques et clichés, sont réalisés. Rivière écrit dans le catalogue de l’exposition sur les engagements de ces enquêteurs : le photographe de l’architecture rurale en Vivarais, Philippe Guttinger, mort pour la France, ou l’enquêteur Jacques Barré, décoré de la médaille de la Résistance en récompense de sa lutte dans le maquis du Vercors.

Exposition du Louvre
Avec une rapidité surprenante, quelques jours seulement après la fin de la Seconde Guerre mondiale, les musées nationaux s’attachent à montrer les acquisitions réalisées entre 1939 et 1945. Une salle est dédiée au musée des Arts et Traditions populaires. Croquis, photographies et cartes contextualisent l’objet acquis sur le terrain.

Georges Henri Rivière Voir, c’est comprendre au Mucem - Un bel enjeu patrimoines en péril - Vue de l'exposition
Georges Henri Rivière Voir, c’est comprendre au Mucem – Un bel enjeu patrimoines en péril – Vue de l’exposition

Pierre Soulier et Eberlé
Dans l’exposition du Louvre, sont montrés les dessins militants de l’Alsacien Robert Eberlé. Pierre Soulier, enquêteur pour le compte du MnATP, a réalisé des photographies en 1945 de son travail. Il dessine à la craie sur les trottoirs parisiens la cathédrale de Strasbourg ornée de drapeaux français et de l’inscription « Vive la France ».

Georges Henri Rivière Voir, c’est comprendre au Mucem - Un bel enjeu patrimoines en péril - Vue de l'exposition
Georges Henri Rivière Voir, c’est comprendre au Mucem – Un bel enjeu patrimoines en péril – Vue de l’exposition

Jean Amblard
Jean Amblard et Georges Henri Rivière se rencontrent au sein de l’Association des écrivains et des artistes révolutionnaires en 1934. Lorsque Jean Amblard, peintre communiste, est inquiété par les autorités nazies, Rivière lui propose de participer au chantier intellectuel 1810 en tant que dessinateur salarié. Il réalise entre 1942 et 1944 une série de dessins dans son village natal de Montcheneix en Auvergne, sur le travail artisanal en milieu rural.

Jean Amblard, La forge d’Antoine Valleix, 1944. ©ADAGP, Paris 2018 © RMN-Grand Palais (Mucem) / Jean-Gilles Berizzi
Jean Amblard, La forge d’Antoine Valleix, 1944. ©ADAGP, Paris 2018 © RMN-Grand Palais (Mucem) / Jean-Gilles Berizzi

Libération, épuration, témoignages

Entre liesse, dissensions entre résistants et mauvaises rumeurs, les Allemands étant encore actifs, la situation au Trocadéro est confuse. Le journal de Leiris en rend compte. Le 30 août 1944, apprenant la suspension de G.H. Rivière, dénoncé par son collègue André Varagnac, il est le premier à témoigner en sa faveur comme membre du comité des écrivains du Front national résistant.

Georges Henri Rivière Voir, c’est comprendre au Mucem - Libération, épuration, témoignages - Vue de l'exposition
Georges Henri Rivière Voir, c’est comprendre au Mucem – Libération, épuration, témoignages – Vue de l’exposition

Les semaines suivant la dénonciation dont il a été victime sont très dures pour Rivière et sa famille. Tandis qu’il réunit 104 témoignages sur son action, sa mère meurt le 26 décembre et la santé mentale de sa soeur s’aggrave. Attaché à définir une cause et une institution établies dès le Front populaire, il ne cesse de clarifier l’écart entre récupération des valeurs rurales par le régime de Vichy à des fins de propagande, et le projet scientifique de l’ethnologie qu’il porte.

Humeau témoignera : G.H. Rivière « a défini les objectifs, précisé les méthodes, contrôlé les résultats […] signé avec moi des milliers de faux certificats de travail grâce auxquels les jeunes architectes du chantier ont pu échapper aux réquisitions de l’autorité occupante et accomplir des actions de résistance que nous ne pouvions ignorer ».

À votre santé ! Dégustez !

Dès 1936, Rivière dit à l’École du Louvre : « J’ai conçu pour l’établissement de Paris un plan et une activité qui soient, non pas une réplique, mais un complément des musées régionaux : que chacun d’eux se développe dans son cadre topographique ou méthodique, selon ses ressources et son génie ; créons à Paris […] un musée de synthèse. »

Georges Henri Rivière Voir, c’est comprendre au Mucem - À votre santé ! Dégustez ! - Vue de l'exposition
Georges Henri Rivière Voir, c’est comprendre au Mucem – À votre santé ! Dégustez ! – Vue de l’exposition

Soutenant les musées de synthèse en régions, Rivière s’intéresse en 1937 aux musées bourguignons et au patrimoine viticole de Beaune, sur les terres comme en ville. Il rencontre André Lagrange, créateur du musée du Terroir dès la fin des années 1920. Grâce à un érudit local, Émile Violet, il acquiert pour le musée de Beaune un pressoir en état de marche « utilisé depuis trois siècles ».

Il formule des « instructions » pour la présentation des collections, contribue par des dons, des achats et dépôts à l’enrichissement du musée du Vin de Beaune et suit son installation à l’hôtel des Ducs. En 1947, il obtient la commande d’une tapisserie à Jean Lurçat sur le thème d’Ésope. Il organise en 1952 l’achat de la statue de saint Vernier et préface en 1960 Moi je suis vigneron d’André Lagrange.

Dès 1946, il engage en France ses inspections des musées spécialisés.

1945-1975 – Établir et loger les arts et traditions populaires

« Ils ont des chapeaux ronds, vive les Bretons »

L’exposition « Bretagne, art populaire, ethnographie régionale » ouvre à l’été 1951 une série de présentations attestant du travail des ATP effectué avec les érudits et musées régionaux, constituant peu à peu la préfiguration du futur musée. Le contenu des collectes frappe par la richesse des données rassemblées.

Georges Henri Rivière Voir, c’est comprendre au Mucem - Ils ont des chapeaux ronds, vive - Vue de l'exposition
Georges Henri Rivière Voir, c’est comprendre au Mucem – Ils ont des chapeaux ronds, vive – Vue de l’exposition

Rivière rappelle les origines du projet et la première enquête en Bretagne (1939) ; il affirme, avec Marcel Maget, le caractère interdisciplinaire de l’exposition : histoire, linguistique, ethnologie, musicologie, histoire de l’art. Il ajoute des panneaux documentaires et des cartes jalonnent le parcours.

Les vitrines doivent être « discrètes : servantes et non point maîtresses. Une harmonie doit régner partout : proportions, équilibre des pleins et des vides, couleurs […] : matité, ni contrastes ni monochromie, un registre de nuances délicates, camaïeu en sourdine, qui suffise à distinguer les structures ».

Il faut allier la robustesse des mobiliers et leurs savants décors, les parures brodées et la finesse des coiffes. L’étalage des poteries est croissant tandis que, grâce aux fils de nylon, les instruments de musique suspendus dans la lumière répondent aux premières diffusions sonores. Un Saint Isidore moissonneur acquis en 1938 règne sur le tout.

À gaine, à fil et à tringle : pour rire ou pour pleurer

De juillet 1952 à janvier 1953, les ATP présentent les « Théâtres populaires de marionnettes », après une enquête « ethno-photographique » de Pierre Soulier documentant très précisément, depuis 1944, les ateliers, à Amiens, Lille, Lyon et Paris, auprès de créateurs, d’historiens et de collectionneurs. G.H. Rivière : ces oeuvres engagent « tout à la fois les arts plastiques, dramatiques, musicaux et littéraires », mobilisant « un grand nombre de techniques : […] elles plongent dans le passé et marchent à l’avant-garde, elles reflètent les moeurs, l’histoire et les mythes des civilisations, elles tissent leurs fils magiques entre les élites et le peuple ».

Georges Henri Rivière Voir, c’est comprendre au Mucem - À gaine, à fil et à tringle pour rire et pour pleurer - Vue de l'exposition
Georges Henri Rivière Voir, c’est comprendre au Mucem – À gaine, à fil et à tringle pour rire et pour pleurer – Vue de l’exposition

Rappelant la dimension universelle de cet art, l’exposition étudie son économie, ses techniques de fabrication et de manipulation ainsi que l’étendue de son répertoire : mystères, féeries, mélodrames historiques ou de fiction, comédies transposées ou originales, parodies…

En piste ! Les sœurs Vesque au cirque

À l’occasion de l’exposition « Arts et traditions du cirque » (1956- 1957), Rivière rencontre Marthe Vesque. Avec sa soeur Juliette, elle a consacré sa vie à produire une chronique écrite et dessinée des spectacles et de la vie du cirque à Paris de 1902 à 1948. Marthe Vesque participe à l’exposition et décide ensuite d’offrir un premier ensemble aux ATP qui, après sa mort en 1962, grâce à la ténacité de Michèle Richet, s’étendra à l’ensemble de leur production.

Georges Henri Rivière Voir, c’est comprendre au Mucem -En piste ! Les soeurs Vesque au cirque - Vue de l'exposition
Georges Henri Rivière Voir, c’est comprendre au Mucem -En piste ! Les soeurs Vesque au cirque – Vue de l’exposition

C’est le cœur d’une collection inestimable d’environ 20 000 dessins sur le monde du cirque et des spectacles de foire. Par admiration pour les circassiens, et son goût du spectacle vivant, Rivière se produit en « habit rouge » avec Louis Merlin, animateur du spectacle, dans un numéro, « Illusions et piano », lors du 8e gala de la Piste aux étoiles.

La carrosse du berger

Georges Henri Rivière Voir, c’est comprendre au Mucem - La carrosse du berger - Vue de l'exposition
Georges Henri Rivière Voir, c’est comprendre au Mucem – La carrosse du berger – Vue de l’exposition

Communiste menacé par la Gestapo, Amblard est engagé par Rivière : « Je peux t’envoyer dessiner dans ton village pour 5000 fr. par mois et tu nous ramènes tes oeuvres tous les deux mois. » Amblard, dont la famille vit à Moncheneix, raconte son pays : « Les femmes filent la laine, on a remis en pratique les métiers à tisser. Je dessine tout. Les veillées dans les maisons, les écuries, les portraits des fileuses, les travaux des champs et des prés. C’est redevenu l’époque de la traction animale. »

Georges Henri Rivière Voir, c’est comprendre au Mucem - Établir et loger les arts et traditions popluaires - Vue de l'exposition
Georges Henri Rivière Voir, c’est comprendre au Mucem – Établir et loger les arts et traditions popluaires – Vue de l’exposition

Il dessine La Carrosse en 1944 ; il reprend le thème, telle une féerie campagnarde, à deux reprises en 1976 et 1981, la toile rejoignant la mairie de Rochefort-Montagne. En avril 1956, Rivière s’engage pour la création d’un musée d’Auvergne à Riom qui sera inauguré le 19 mai 1969.

Le berger et ses moutons

Mariel Jean-Brunhes Delamarre, ethnologue, réalise en 1962 la 18e exposition des ATP, « Bergers de France ». Au plus près d’un fait rural, elle s’inscrit dans la méthode de G.H. Rivière alors que se prépare la muséologie du futur musée du bois de Boulogne.

Georges Henri Rivière Voir, c’est comprendre au Mucem - Le berger et ses moutons - Vue de l'exposition
Georges Henri Rivière Voir, c’est comprendre au Mucem – Le berger et ses moutons – Vue de l’exposition

L’exposition suit le parcours évolutif et « diachronique » recommandé par Rivière et Leroi-Gourhan, classe les types d’élevage ovin en France puis s’intéresse au berger et à la bergerie, depuis la culture matérielle jusqu’aux croyances et aux savoirs des bergers (musique, littérature, danse). Le catalogue élargit les sources à la littérature, l’art, la musique savante ou populaire.

Citadin, paysan, l’image te parle

G.H. Rivière évoque sa formation en ville et aux champs pour expliquer sa passion pour l’imagerie : « Dans ce vaste domaine, art savant et art populaire constituent comme deux pôles. De l’un à l’autre, les thèmes circulent et les transitions sont infinies entre les deux formes d’art, selon le milieu social, le lieu, le moment, le support technique de l’image. »

Georges Henri Rivière Voir, c’est comprendre au Mucem - Citadin, paysan, l’image te parle - Vue de l'exposition
Georges Henri Rivière Voir, c’est comprendre au Mucem – Citadin, paysan, l’image te parle – Vue de l’exposition

En 1937, les ATP à peine créés, il présente au musée des Arts décoratifs l’exposition « Potiers et imagiers de France ». Après la guerre, il va explorer les lieux de production : Le Mans, Chartres et Orléans, Toulouse, Lille. Il en distingue « Cent chefs-d’oeuvre » dans une exposition en 1966.

Et si on sortait ?

G.H. Rivière explore et transmet. Il découvre la fonction pédagogique et patrimoniale des musées américains en 1929, puis visite à Stockholm le Nordiska Museet, fondé par A. Hazelius, et son musée de plein air, Skansen, créé en 1891, qui groupe des maisons anciennes présentant la relation traditionnelle des hommes et des animaux.

Georges Henri Rivière Voir, c’est comprendre au Mucem - Et si on sortait - Vue de l'exposition
Georges Henri Rivière Voir, c’est comprendre au Mucem – Et si on sortait – Vue de l’exposition

Dès 1941, le voici dans les Landes pour un projet semblable, préconisant le site de Marquèze. Il suit ce « musée écologique de plein air », l’un des premiers en France, s’intéressant plus tard à la situation du Creusot / Montceau-les-Mines où Marcel Evrard, fondateur et premier directeur de l’écomusée, soutenu par Hugues de Varine, tente d’impliquer la population : « Le musée n’a pas de visiteurs, il a des habitants. »

Georges Henri Riviere, 1975. © Mucem / J. Guillot (D.R.)
Georges Henri Riviere, 1975. © Mucem / J. Guillot (D.R.)

Enseignant à l’École du Louvre puis à l’université, directeur de l’ICOM (Conseil international des musées, créé en 1946 sous l’égide de l’UNESCO) et poursuivant avec ses équipes sa carrière de muséologue, il ne conçoit pas de transmission sans échanges personnels avec les collègues, habitants, aménageurs et élèves.

De l’aligot au café, du troupeau au charbon

Les enquêteurs de la Recherche coopérative sur programme de l’Aubrac comprennent que celle-ci ne peut se limiter aux données culturelles, sociologiques et économiques de la « montagne ». Un jeune chercheur, Jean-Luc Chodkiewicz, aidé par Jean-Dominique Lajoux, est chargé par Rivière d’étudier « L’Aubrac à Paris ».

Georges Henri Rivière Voir, c’est comprendre au Mucem - De l’aligot au café, du troupeau au charbon - Vue de l'exposition
Georges Henri Rivière Voir, c’est comprendre au Mucem – De l’aligot au café, du troupeau au charbon – Vue de l’exposition

Dès le début du XIXe siècle, à pied et en sabots, les « pastres » aubraçais rejoignent la capitale, constituant une communauté spécialisée dans le « café-tabac-bois-charbon » qui livre le charbon en hiver et les pains de glace en été. Ils réalisent ensuite un fort réseau de cafés-restaurants. Petits, moyens et gros commerçants s’entraident pour accueillir les nouveaux venus, en restant attentifs aux besoins de modernisation des cantons d’origine. Au « pays », on accueille les enfants. On se retrouve sur place dans les fermes ou à Paris grâce aux amicales qui organisent bals et banquets. Par un souci de « revitalisation » folklorique, danse et musique se transmettent et se transforment en même temps que les métiers.

L’intérieur d’un buron d’Aubrac

De 1964 à 1966, Rivière, attentif au travail archéologique de Leroi-Gourhan à Pincevent, engage en Aubrac un projet de recherche pluridisciplinaire, associant la Direction des musées de France et le CNRS. La recherche concerne géographes, historiens, botanistes, zootechniciens, économistes, sociologues et ethnologues.

Georges Henri Rivière Voir, c’est comprendre au Mucem - L’intérieur d’un buron d’Aubrac - Vue de l'exposition
Georges Henri Rivière Voir, c’est comprendre au Mucem – L’intérieur d’un buron d’Aubrac – Vue de l’exposition

Il reconstitue à cette occasion une « unité écologique » pour la future galerie culturelle du musée des ATP. Le choix se porte sur le buron de Chavestras bas, fromagerie d’altitude. On transfère le contenu du bâtiment (78 objets), complété par 29 objets issus de celui de Prinsuejols, afin d’établir une description totale d’un fonctionnement situé en 1910.

La recherche est restituée dans sept volumes (1970-1986) permettant de « donner une image multiple et cohérente d’une collectivité vivante », car « notre science n’a pas pour seule mission de sauver des patrimoines en voie de disparition, mais, engagée dans les problèmes du présent, elle contribue à une prospective de l’homme ».

Buron de chavestras, galerie MnAPT . © RMN-Grand Palais (Mucem) / Christian Jean
Buron de chavestras, galerie MnAPT . © RMN-Grand Palais (Mucem) / Christian Jean

Vue au musée, animée par un programme audiovisuel, l’« unité écologique » doit être « rigoureusement authentique » sans « inspiration pseudo-régionaliste » ; elle restitue le savoir-faire d’un « genre de vie, tradition active, étroitement associé au milieu naturel ».

L’« atelier populaire » à Paris et à Marseille

En 1936, après les grèves du Front populaire, Rivière rassemble nombre de photographies témoignant de la vitalité créatrice de la situation. En 1968, dès les premiers jours de mise en place de l’Atelier populaire des Beaux-Arts de Paris, il vient chaque matin recueillir les affiches de la nuit.

Georges Henri Rivière Voir, c’est comprendre au Mucem - L’« atelier populaire » à Paris et à Marseille - Vue de l'exposition
Georges Henri Rivière Voir, c’est comprendre au Mucem – L’« atelier populaire » à Paris et à Marseille – Vue de l’exposition

L’atelier est actif du 16 mai au 27 juin 1968, produisant d’abord des lithographies, puis à l’exemple des artistes du Groupe de recherches d’art visuel, des sérigraphies dont les à-plats renforcent l’efficacité du message. Rivière admire la capacité ouvrière collective à dépasser par l’image l’éclatement idéologique des extrêmes gauches du moment.

Marquée par l’expérience militante des artistes du Salon de la jeune peinture, l’organisation de l’atelier et de ses assemblées générales permet de diffuser un million d’affiches anonymes, réalisées dans les usines et dans les écoles d’art régionales dont celle de Marseille.

Rivière suit, au musée de l’Homme, en décembre 1968, l’exposition « Passage à l’âge d’homme », qu’organise Michel Leiris, réalisant la vitrine « S’intégrer ou ne pas s’intégrer ». Par souci documentaire, il écrit à la CFDT pour obtenir des stylos porteurs de slogans.

Enfin mon musée !

De 1937 à 1953, Rivière insiste sur l’urgence de disposer d’un bâtiment qui soit « une machine à rechercher, une machine à conserver, une machine à communiquer, un complexe de fonctions étroitement imbriquées ».

Georges Henri Rivière Voir, c’est comprendre au Mucem - Enfin mon musée ! - Vue de l'exposition
Georges Henri Rivière Voir, c’est comprendre au Mucem – Enfin mon musée ! – Vue de l’exposition

Ayant obtenu le terrain de l’ancien palmarium du bois de Boulogne, il choisit comme architecte Jean Dubuisson, dont le style se rattache au fonctionnalisme du Bauhaus. Le bâtiment est gouverné par le Modulor de Le Corbusier.

Très informé de la situation des musées dans le monde, Rivière rédige le programme du premier musée construit par l’État depuis le palais de Chaillot. Il associe à sa réflexion Claude Lévi- Strauss, sur la base d’un schéma imaginé par celui-ci. Un « parti pris architectural, idéologique et muséologique, en deux sections, l’Univers puis la Société délivre le message des sociétés ayant produit ces objets, des objets [qui] auront la parole ; il n’y aura pas entre eux et le public l’écran d’un appareil décoratif, la sobriété doit régner ».

Les galeries : culturelle et scientifique !

Malgré des retards dus à de constants reports budgétaires, Rivière et son équipe réalisent la galerie d’étude (1972) introduite par une allocution de Claude Lévi-Strauss, puis la galerie culturelle (1975), saluées internationalement.

Georges Henri Rivière Voir, c’est comprendre au Mucem - Les galeries culturelle et scientifiques - Vue de l'exposition
Georges Henri Rivière Voir, c’est comprendre au Mucem – Les galeries culturelle et scientifiques – Vue de l’exposition

Il s’agit pour Rivière, des années après sa retraite, de réaliser aussi parfaitement que possible son musée idéal, dans l’optique des ATP, épuré et fonctionnel. Le bâtiment est vertical pour les bureaux administratifs et scientifiques, horizontal pour les deux galeries superposées.

Discuté comme toute nouveauté, ce musée, isolé, avait un caractère expérimental, notamment sur le plan technique qui impliquait, comme le souhaitait Rivière, un suivi continu et une implication forte des autorités pour renouveler les présentations tous les dix ans. Cela ne fut pas fait, et le musée dépérit, entraînant la désaffection du public.

Chamboule-tout (jeu de massacre)

En 1957, Rivière préface l’exposition « Jeux de force et d’adresse dans les pays de France ». On trouve dans cet ensemble les cibles de tir acquises dès 1939, mais les effigies de jeu de massacre d’Adèle, Marie et Julot, ne le furent qu’en 1961. La pratique du « chamboule-tout » était l’une des attractions majeures des théâtres de foire.

Georges Henri Rivière Voir, c’est comprendre au Mucem - Chamboule-tout (jeu de massacre) - Vue de l'exposition
Georges Henri Rivière Voir, c’est comprendre au Mucem – Chamboule-tout (jeu de massacre) – Vue de l’exposition

Le premier grand film de Jacques Tati, Jour de fête, réalisé en 1949 est une merveilleuse évocation de ces plaisirs de ville faisant encore le tour des campagnes ; on y retrouve le « chamboule-tout » alors que dans une salle éphémère, un film s’amuse de la mécanisation de la poste américaine.

Comme son adjoint Marcel Maget, Rivière s’intéresse au film ethnographique, mais aussi au cinéma en général. Il a pu suivre dès 1937 les débuts d’Henri Langlois, stockant ses films à Chaillot, qui l’a influencé dans ses méthodes de communication, accueillant en 1961, à l’ICOM, l’Union mondiale des musées du cinéma et de la télévision.

La tentative d’André Malraux d’assainir la gestion de la Cinémathèque française, suscitant une révolte des cinéastes le 9 février 1968, est une préface aux événements de mai. En 1972, s’ouvre à Chaillot le musée du Cinéma de Langlois (il fermera en 1997).
Le 3 mars 1973, Rivière, poussé par Jean Rouch, est nommé président de la Cinémathèque française, qu’il ne parviendra jamais à organiser.

Plaisirs du jeu : poèmes échangés et toupie parfaite

En 1936, Claude Lévi-Strauss ne sait où exposer les objets collectés lors de sa mission dans le Mato Grosso au Brésil. Reçu par G.H. Rivière, celui-ci appelle Daniel Wildenstein qui accepte d’accueillir l’exposition dans sa galerie : premier contact d’une longue amitié reprise après la guerre.

Georges Henri Rivière Voir, c’est comprendre au Mucem - Plaisirs du jeu poèmes échangés - Vue de l'exposition
Georges Henri Rivière Voir, c’est comprendre au Mucem – Plaisirs du jeu poèmes échangés – Vue de l’exposition

Cette proximité se distend après-guerre alors que Lévi-Strauss écrit Tristes tropiques. Elle s’affirme en 1957 quand il installe sa famille rue des Marronniers. Ce foyer fera office de refuge pour Rivière, parrain de leur fils Matthieu, et pour d’autres amis comme A. Métraux.

Georges Henri Rivière Voir, c’est comprendre au Mucem - Plaisirs du jeu poèmes échangés - Vue de l'exposition
Georges Henri Rivière Voir, c’est comprendre au Mucem – Plaisirs du jeu poèmes échangés – Vue de l’exposition

Les virées au marché aux puces alternent avec les envois de « bouts-rimés », créant une complicité ludique, jusqu’à la réalisation des ATP à laquelle Lévi-Strauss apporte son précieux schéma structurel. Pour chacun, ce plaisir du mot remonte à l’enfance ; il s’est parfois ranimé grâce aux amitiés surréalistes.

Rivière, ayant tout donné, ne conserve que quelques simples objets autour d’une toupie tournée à Aiguines par Albert Rouvier. Alors que celui-ci ferme son atelier en 1976, Rivière, alerté par Marie Wallet, et aidé par Anne Gruner, soutient la création d’un musée local illustrant cet artisanat. Cette toupie est pour Rivière « de l’art pur » pour « musée dérisoire », jeu et vertige d’une fin de vie.

 

Articles récents

Partagez
Tweetez
Enregistrer