La cécité du tournesol au Frac Occitanie Montpellier

Du 1er février au 16 mars 2019, le Frac Occitanie Montpellier présente « La cécité du tournesol » dans son espace d’exposition à Montpellier.
Comme chaque année en hiver, le Frac propose un projet construit en partenariat avec le Rectorat de l’Académie de Montpellier.

L’an dernier avec « Escape », il était question de la représentation de « l’autre ».
À lire le texte d’intention de Julie Six, les œuvres sélectionnées pour « La cécité du tournesol » l’ont été avec l’ambition de faire comprendre « que l’image de la réalité n’est pas la réalité elle-même, qu’elle relève des intentions de l’auteur et qu’elle possède un langage ayant ses propres codes. (…) de faire l’expérience d’une rencontre directe et sensible de différentes “distances” que mettent les artistes avec la réalité. »

Les œuvres choisies sont issues de la collection du Frac Occitanie Montpellier, complétée par des prêts du IAC de Villeurbanne et des Abattoirs de Toulouse.

Elles sont signées par : Benjamin L. Aman, Katinka Bock, Daniel Firman, Yohann Gozard, Shannon Guerrico, Graham Gussin, Lina Jabbour, Ann Veronica Janssens, Serge Leblon

On reviendra probablement sur « La cécité du tournesol » après son vernissage le jeudi 31 janvier 2019 à 18h30

À lire, ci-dessous, le texte d’intention de Julie Six, co-commissaire de l’exposition et professeure missionnée au Frac Occitanie Montpellier. On trouvera également la liste des œuvres sélectionnées et une présentation des artistes extraite du dossier de presse.

En savoir plus :
Sur le site du Frac Occitanie Montpellier
Suivre l’actualité du Frac Occitanie Montpellier sur Facebook et Instagram
À lire les comptes rendus des expositions précédentes coorganisés par le Frac et le Rectorat : « Escape » en 2018, « Habile beauté (L’art comme processus) » en 2016 et « Esprit de famille » en 2015

La sensibilité de l’artiste s’inscrit dans l’écart qui sépare l’œuvre de son modèle, c’est ce que nous enseignons à nos élèves dans nos cours d’arts plastiques. Il s’agit de comprendre que l’image de la réalité n’est pas la réalité elle-même, qu’elle relève des intentions de l’auteur et qu’elle possède un langage ayant ses propres codes. La nouvelle sélection des œuvres de la collection du Frac Occitanie Montpellier, complétée par des prêts du IAC de Villeurbanne et des Abattoirs de Toulouse, permettra au public comme à nos élèves de faire l’expérience d’une rencontre directe et sensible de différentes « distances » que mettent les artistes avec la réalité.

Ce rapport au réel entretenu par les artistes, nous avons choisi de l’éclairer par une citation de Jacques Derrida. Le titre de l’exposition a ainsi été inspiré par un extrait de Mémoires d’aveugle, L’autoportrait et autres ruines, rédigé à l’occasion d’une exposition qui s’est tenue au Musée du Louvre en 1990. « L’aveuglement du tournesol », pour reprendre ses mots exacts, évoque un processus cognitif qui fait intervenir l’œil et le cortex visuel lorsque l’on cherche à fixer le soleil. Notre vision s’éclaire alors à tel point qu’elle s’altère jusqu’à l’aveuglement. Se superposent ensuite une image du réel et un filtre de lumière, comme une photographie surexposée dans laquelle des pans entiers de réalité seraient absents. De la même façon que l’éblouissement peut être la condition de la perception d’une autre réalité, « La cécité du tournesol » souhaite proposer un ensemble d’œuvres qui présentent un regard particulier sur le monde.

Les photographies de Yohann Gozard font partie à première vue des œuvres les plus réalistes de l’exposition ; pourtant, en s’attardant un peu, on perçoit leurs contradictions intrinsèques. En effet, pour certaines d’entre elles, il est impossible de savoir si elles ont été prises de jour ou de nuit, tellement l’ambiance qui y règne est inhabituelle. Gozard consacre un temps conséquent à la production de chacune de ses images, qui sont des reconstructions opérées à partir du réel. Ses photographies sont composées de dizaines de vues longuement assemblées, pendant lesquelles l’artiste joue avec la lumière pour faire coexister des formes d’ordinaire invisibles simultanément.

Après une formation dans une école de cinéma, Serge Leblon s’est illustré par ses photoreportages et ses photographies de mode. Ses photographies artistiques sont empruntes de ces influences, avec une atmosphère charnelle mais aussi l’impression d’un temps suspendu. Il sépare ces différentes démarches en apportant dans ses travaux d’artiste une attention particulière aux cadrages, laissant hors de l’image ce qui pourrait pourtant nous servir à la comprendre dans son ensemble. L’œil du spectateur, ne recevant qu’une partie du réel, complète ainsi l’histoire, l’imaginaire prenant le relais du visible.

Lina Jabbour questionne les différents possibles de l’image par le biais du dessin. Le triptyque récemment acquis par le Frac OM, Tempête Orange, fait ouvertement référence au réel : on y voit trois fragments de paysages formant un début de récit. Mais celui-ci est peu perceptible, les strates orange apportent un nouvel éclairage, comme un souvenir qui tente de réapparaître au cœur d’une tempête de sable.

Opérant encore un pas de plus vers l’abstraction, Bifröst, de Shannon Guerrico consiste en une série de photographies en gros plans de ciels islandais imprimés sur des plaques de plexiglas. Comme une collection de couleurs et de matières, Guerrico récolte des fragments du réel et les soumet à notre regard comme pour nous dire que les choses les plus simples méritent aussi d’être contemplées.

Corps noir d’Ann Veronica Janssens est inspiré des miroirs de sorcière que l’on retrouve dès le XVe siècle dans les œuvres des peintres flamands. Il s’agit d’une sorte de lentille qui reflète la totalité de la salle, tout en distordant et inversant le visible. Comme nombre d’œuvres de l’artiste, Corps Noir transforme notre perception de l’espace, cette fois en proposant un écho à l’espace existant.

Daniel Firman produit des sculptures qui sont des extensions du corps, le sien ou celui d’un performeur-danseur dont il fige le mouvement. Ce que l’artiste cherche à faire percevoir (et non pas seulement voir), c’est l’épaisseur spatiale qui est constitutive du corps, l’espèce d’enveloppe de la forme corporelle qui accompagne tous ses déplacements. Ainsi, les Gathering montrent le corps de l’artiste littéralement enveloppé d’objets, qui font disparaître toute relation visuelle avec lui. La perception de la réalité est autant tactile que visuelle. Autrement dit, le regard est une fonction reliée au mouvement de tout le corps, ce dont le tournesol, par sa rotation aveugle, nous donne une idée.

Les dessins de Laurent Benjamin Aman et les sculptures de Katinka Bock explorent quant à eux, chacun à leur manière, la rupture avec le réel qui affirme l’autonomie de l’œuvre. La trace, le geste, les oppositions de formes et de matières, donnent à voir un nouveau possible pour le réel, celui où s’exprime, tout à fait libre, le monde du sensible.

Des œuvres immatérielles d’Aman complèteront notre sélection, avec cinq expériences sonores destinées à faire émerger, comme un mirage, notre vision intérieure.

Conjointement montée avec le Rectorat de l’académie de Montpellier, « La cécité du Tournesol » fait voir le monde au travers du filtre proposé par des artistes réunis autour de la question de la représentation du réel. Jalonnant les programmes d’arts plastiques depuis l’école primaire jusqu’au lycée, nous espérons que les professeurs pourront s’appuyer sur leurs visites pour construire leurs progressions et sensibiliser encore un peu plus leurs élèves aux enjeux de l’art contemporain. Petits et grands saisiront pour sûr que toute œuvre engage son rapport au réel, qu’il soit fragmenté, renversé, nébuleux, seulement suggéré ou transcendé. Pour Derrida, « le trait procède dans la nuit, même si le modèle est présent en face de l’artiste ». Quand l’artiste reproduit le réel, il est obligé de détacher son regard de son modèle, de le garder un instant en mémoire, pour le retranscrire ensuite. Il existe ainsi un temps où l’invisible est la condition du visible. C’est peut-être à cet endroit précis que se construisent les fondements de l’expressivité de l’œuvre.

Julie Six, Co-commissaire de l’exposition,
Professeure missionnée au Frac Occitanie Montpellier

Benjamin Laurent Aman :

  • La chaleur du moteur qui tourne, 2017 – Pastel sec sur papier, encadré, 59 x 77,5 x 3 cm – Collection FRAC Occitanie Montpellier
  • Les espaces voûtés # 1, 2016 – Pastel sec et graphite sur papier, encadré, 31 x 44 x 3 cm – Collection FRAC Occitanie Montpellier
  • Redshift (décalage vers le rouge), 2017 – Nouveaux médias, oeuvre sonore – Pièce sonore au casque, 5 pièces sonores sur casques stéréo, 20 x 20 x 10 cm – Collection FRAC Occitanie Montpellier
  • Musique des sphères, 2017 – Oeuvre en 3 dimensions, Assemblage – Bois, verre, carton, impression offset et LED, 33 x 48 x 20 cm – Collection FRAC Occitanie Montpellier
Les espace voûtés #1, 2016 – Pastel sec sur papier, encadré, 31 x 44 x 3 cm Collection FRAC OM - ©Benjamin Laurent Aman
Les espace voûtés #1, 2016 – Pastel sec sur papier, encadré, 31 x 44 x 3 cm Collection FRAC OM – ©Benjamin Laurent Aman

Katinka Bock

  • Sechs Prozent flüchtige Bestandteile (Six pour cent d’éléments volatils), 2007 – Charbon, 44 x 77 x 45 cm – Collection les Abattoirs Musée – Frac Occitanie Toulouse.
  • Population_oooO, 2017 – Céramique et acier, 93 x 44 x 30 cm – Collection FRAC Occitanie Montpellier.
Katinka Bock, Sechs Prozent flüchtige Bestandteile (Six pour cent d’éléments volatils), 2007, charbon, 44 x 77 x 45 cm. Collection les Abattoirs Musée - Frac Occitanie Toulouse. Photo : Bernard Delorme © Katinka Bock
Katinka Bock, Sechs Prozent flüchtige Bestandteile (Six pour cent d’éléments volatils), 2007, charbon, 44 x 77 x 45 cm. Collection les Abattoirs Musée – Frac Occitanie Toulouse. Photo : Bernard Delorme © Katinka Bock

Daniel Firman

  • Trafic, 2002 – Plâtre, vêtements, objets divers, 220 x 130 x 80 cm – FNAC 03-312 – Dépôt du Centre national des arts plastiques
  • Dansé 1 §, 2005 – Photographie contrecollée sur aluminium, 135 x 100 cm – Collection FRAC Occitanie Montpellier
Daniel Firman, Trafic, 2002 - Plâtre, vêtements, objets divers 220 x 130 x 80 cm - Dépôt du Centre national des arts plastiques Photo : C. Perez/FRAC OM
Daniel Firman, Trafic, 2002 – Plâtre, vêtements, objets divers 220 x 130 x 80 cm – Dépôt du Centre national des arts plastiques Photo : C. Perez/FRAC OM

Yohann Gozard

  • De la série « Lumière noire », 2018. Tirages Digigraphie sur papier Ultrasmooth, 50 x 40 cm – Collection FRAC Occitanie Montpellier : 27.09.2012, 23h56 – 00h03 – 08.01.2008, 21h12 – 26.02.2008, 01h21 et 25.08.2006, 01h17
  • Septembre 2004 de la série « Pauses », 2018 – Tirage Digigraphie sur papier aquarelle, 122 x 105 cm – Collection FRAC Occitanie Montpellier
  • Décembre 2003 (3) de la série « Pauses », 2018 – Prêt de l’artiste
Yohann Gozard, Septembre 2004 de la série « Pauses », 2018 Tirage Digigraphie sur papier aquarelle, 122 x 105 cm Collection FRAC OM - Photo : Yohann Gozard
Yohann Gozard, Septembre 2004 de la série « Pauses », 2018 Tirage Digigraphie sur papier aquarelle, 122 x 105 cm Collection FRAC OM – Photo : Yohann Gozard

Shannon Guerrico

  • Sans titre, de la série « Bifröst », 2016 – 20 impressions quadrichromie sur autocollant transparent contrecollées sur plexiglas Pièce : 30.5 x 23 cm, ensemble : 158 x 155 x 7 cm – Collection FRAC Occitanie Montpellier
Shannon Guerrico, Sans titre, de la série « Bifröst », 2016 - 20 impressions quadrichromie sur autocollant transparent contrecollées sur plexiglas Pièce : 30.5 x 23 cm ensemble : 158 x 155 x 7 cm Collection FRAC OM - Photo : Shannon Guerrico
Shannon Guerrico, Sans titre, de la série « Bifröst », 2016 – 20 impressions quadrichromie sur autocollant transparent contrecollées sur plexiglas Pièce : 30.5 x 23 cm ensemble : 158 x 155 x 7 cm Collection FRAC OM – Photo : Shannon Guerrico

Lina Jabbour

  • Tempête orange (la voiture, le monochrome, les palmiers), 2013 – Crayon de couleur sur papier Arches, 110 x 148 cm, 110 x 110 cm, 110 x 198 cm – Collection FRAC Occitanie Montpellier
Lina Jabbour, Tempête orange (les palmiers) détail, 2013 Crayon de couleur sur papier Arches 110 x 198 cm Collection FRAC OM - Photo : Lina Jabbour
Lina Jabbour, Tempête orange (les palmiers) détail, 2013 Crayon de couleur sur papier Arches 110 x 198 cm Collection FRAC OM – Photo : Lina Jabbour

Ann Veronica Janssens

  • Corps noir, 1994 – Plexiglas noir, 78,5 x 33,5 x 0,4 cm – Institut d’art contemporain, Collection Frac Rhône-Alpes
  • Le banc, 1999 – Métal, médium, laque cristal et film plastique, 40 x 207 x 48 cm – Collection FRAC Occitanie Montpellier
Ann Veronica Janssens, Corps noir 1994 Plexiglas noir 78,5 x 33,5 x 0,4 cm Institut d'art contemporain, Collection Frac Rhône-Alpes Adagp, Paris 2018 © Ann Veronica Janssens
Ann Veronica Janssens, Corps noir 1994 Plexiglas noir 78,5 x 33,5 x 0,4 cm Institut d’art contemporain, Collection Frac Rhône-Alpes Adagp, Paris 2018 © Ann Veronica Janssens

Serge Leblon

  • Sans titre, 2007 – Tirage lambda contrecollé sur PVC, 100 x 210 cm – Collection FRAC Occitanie Montpellier
Serge Leblon, Sans titre 2007 Tirage lambda contrecollé sur PVC, 100 x 210 cm Collection FRAC OM - Photo : Frac OM © Serge Leblon
Serge Leblon, Sans titre 2007 Tirage lambda contrecollé sur PVC, 100 x 210 cm Collection FRAC OM – Photo : Frac OM © Serge Leblon

Né à Rouen en 1981
Vit et travaille à Berlin et à Aubervilliers.
www.benjaminlaurentaman.com

Les espace voûtés #1, 2016 – Pastel sec sur papier, encadré, 31 x 44 x 3 cm Collection FRAC OM - ©Benjamin Laurent Aman
Les espace voûtés #1, 2016 – Pastel sec sur papier, encadré, 31 x 44 x 3 cm Collection FRAC OM – ©Benjamin Laurent Aman

Construire le seuil
Dans sa pratique du dessin, de la sculpture aussi bien que de la musique, Benjamin L. Aman ouvre des espaces imaginaires et abstraits. Ce sont autant de glissements dans d’autres possibles états de conscience qu’ils aménagent, car les espaces que l’artiste convoque sont aussi bien sensibles que mentaux, influant à la manière d’architectures sur la perception de ses occupants. Au cours de la dérive, on quitte progressivement les représentations usuelles pour aller vers de nouvelles appréhensions.
Un œil attentif observera, dans sa série de dessins, qu’il y est affaire de transitions – à commencer pour le regard, puisque chaque oeuvre est balayée par des variations d’ombre : des relevés délicats, à l’aide de pastel sec ou de graphite, des passages des caches que l’artiste manipule pour réaliser ses dessins. Les formes troubles qui en résultent se soustraient à la clarté de la vue et participent alors d’une vision ténébreuse, quasi aveugle ; choisissant, à défaut de représenter leur objet, d’en offrir une image plus synesthésique, telle que pour La chaleur du moteur qui tourne.
Elles excitent ainsi une autre sensibilité, quand elles invitent à entrer, parmi la nuit du pastel, dans la mémoire de leur espace. Car l’obscurité des dessins de Benjamin L. Aman préserve le souvenir de ces passages (ceux, bien réels, des caches), de ces présences fugaces qui ont foulé la surface de la feuille et marqué celle-ci de leurs ombres ; et Les espaces voûtés #1 dresse littéralement une architecture dans l’oeuvre, que traversent les objets fantomatiques.
Redshift, à travers 5 pièces sonores, propose autant d’expériences perceptives au spectateur. Chacune des pièces est écoutable sur un casque nomade, incitant ainsi à la déambulation. Traverser l’espace muni d’un des casques, c’est éprouver différemment l’environnement, ou même d’autres oeuvres (dans le cadre d’une exposition), tandis que les nappes sonores de cette oeuvre donnent le la à la perception. Si la musique du premier morceau, intitulé Redshift #1 l’étang, accorde sa mélodie à un lieu commun, marqué de monotonie – une eau stagnante à la surface de laquelle se forment des conglomérats et autres cristallisations ; les suivants se font de plus en plus aériens, ouvrant, à l’écoute du cinquième morceau, sur le lointain : Redshift #5 le ciel distant. On ressent alors une impression de dissociation… car l’espace, dans lequel nous faisait évoluer la musique, s’est détaché de la réalité ; adoptant, à l’oreille, une certaine abstraction en même temps qu’on glissait au gré des notes dans un espace éthéré.
À l’intérieur du petit espace circonscrit de la boîte de La Musique des sphères, une lumière descend depuis un néon sur des éléments de carton découpé, tous d’un gris uniforme. Il y a, soit par les dimensions de l’ensemble, soit par les matériaux convoqués, une impression de familiarité qui se dégage de ce décor intime ; une impression que sape, curieusement, le silence et l’opacité qui enveloppe ces objets, dont la simplicité augmente le mystère. Un hiatus pour l’imagination, découvrant l’aspect méconnaissable et éparpillé du petit arrangement… qui répond au même principe chaotique d’entropie que celui qui régit l’Univers – à rebours de l’image qu’on en avait jadis, quand on se le figurait comme un espace ordonné, tel que l’illustre une gravure reproduite dans un coin de l’installation. La Musique des sphères apparaît bien, sous ce titre idéaliste et suranné, comme le théâtre désordonné d’un univers miniature, jouant avec les échelles et conférant des dimensions cosmiques à ces vestiges en carton.

Antoine Camenen, 2018.

La lumière noire
Fixer l’instant – tel pourrait être une constante dans le travail de Benjamin Laurent Aman. Usant de l’installation comme du papier, du graphite comme du son, de l’écriture comme de l’enregistrement, son travail évolue au sein d’un ensemble de perceptions combinant une approche à la fois physique, mentale et émotionnelle de l’espace. En 2011, l’artiste a produit une série de travaux, les biens nommés Quasars, dans lesquels il a poncé des disques vinyles pour effacer leurs sillons puis a recouvert leur surface d’une couche de poudre de graphite noir. Anéantissant physiquement l’information acoustique stockée sur le disque, Aman l’a remplacée par un scintillement mat de graphite, créant un puissant effet visuel (comme une saturation 100% noir). Depuis 2012, dans de larges séries de dessins, le noir du graphite est utilisé une nouvelle fois pour suggérer une densité, celle d’une masse physique fixée sur le papier. (…) Les UFOs (Unlimited Flowing Occurences) (…) ou plus récemment la série Présence d’une présence (A Silent Flow) sont des séries de dessins utilisant une nouvelle fois comme matériau unique la poudre de graphite, appliquée suivant une technique mixte faite d’aplats, de pochoirs, de recouvrements successifs dont on peine étrangement à discerner la part accidentelle de la part intentionnelle. Un regard attentif détecte pourtant dans ces dessins certains principes de composition qui dévoilent leur indubitable préméditation. Par sa facture, chaque format trouble par son étonnante similarité avec d’autres techniques d’imagerie en noir et blanc. On pense au photogramme, à la pellicule filmique ou même à la photocopie. (…) Chaque image, saisie dans une dualité ontologique de l’apparition et de la disparition, gravite dans une relative apesanteur où s’équilibrent noir et blanc, profondeur et réflexion, bruit et silence, et de manière plus générale l’acte de voir et de ne pas voir, d’entendre et de de ne pas entendre ce qui s’offre à la vue, ce qui s’offre à l’ouïe. En inscrivant son travail dans le temps et l’espace, Benjamin Laurent Aman construit des zones ouvertes à la déambulation du regard et marquées par un sentiment du lieu où se mêlent réflexions et vie – un lieu qu’on pourrait dire envahi par une intense lumière noire.

Magnus Schaefer, 2015
Historien et critique d’art, commissaire assistant au MoMa (New York)

Née en 1976 à Francfort-sur-le-Main (Allemagne)
Vit et travaille entre Paris et Berlin.
Actualité de l’artiste :
En 2019, exposition Radio, Tomorrow‘s sculpture, Institut d‘Art Contemporain (IAC), Villeurbanne

Katinka Bock, Sechs Prozent flüchtige Bestandteile (Six pour cent d’éléments volatils), 2007, charbon, 44 x 77 x 45 cm. Collection les Abattoirs Musée - Frac Occitanie Toulouse. Photo : Bernard Delorme © Katinka Bock
Katinka Bock, Sechs Prozent flüchtige Bestandteile (Six pour cent d’éléments volatils), 2007, charbon, 44 x 77 x 45 cm. Collection les Abattoirs Musée – Frac Occitanie Toulouse. Photo : Bernard Delorme © Katinka Bock

Qu’elle intervienne dans le paysage et les espaces urbains ou qu’elle conçoive des formes, objets ou installations pour des espaces intérieurs, Katinka Bock inscrit toujours son travail en lien avec le contexte et le territoire dans lequel elle travaille. Son intérêt se porte particulièrement sur l’espace de la cité et du politique, un espace défini par et pour une communauté humaine, pétri d’usages, de symboles et d’histoire. Dans ces interstices, elle explore la dimension poétique de l’espace public, et a contrario, ouvre les espaces intérieurs des lieux dans lesquels elle expose, en créant des résonances inattendues avec l’environnement extérieur. Son intérêt pour les sciences humaines, la physique et les mathématiques nourrit également ses oeuvres. Katinka Bock présente volontiers des réminiscences sous l’aspect d’empreintes, frottages, pliages, ou encore de flaques d’eau sur le sol des lieux d’exposition. Ses oeuvres, révélant la temporalité du processus créatif, agissent comme les témoins d’une forme de stase, ou peut-être d’une intériorisation d’actions. Katinka Bock s’expose au risque de ne pas maîtriser entièrement l’évolution de l’oeuvre, d’ignorer quelles traces de la version précédente seront encore visibles et quel aspect l’objet revêtira en fin de compte. Ce défi est intrinsèque au travail, sachant que toute oeuvre résulte de processus et de décisions multiples où le hasard a aussi son mot à dire. Il faut entendre cela comme un refus de la forme maitrisée, où l’introduction de ces processus (pouvant être poétiques, parfois même humoristiques) mais aussi l’intégration de l’échec sont véritablement constitutifs de l’oeuvre. ( extraits du site du CNAP)

Né à Bron en 1966
Vit et travaille à New York et à Bordeaux.
www.danielfirman.com

À écouter > podcast Centre Pompidou (durée 2 mn 10) :

À regarder > Interviews de l’artiste :
Alsatic TV (durée : 4’43)

https://www.youtube.com/watch?time_continue=57&v=PeraWnFkyzU

Arte (durée : 2’08)

https://www.youtube.com/watch?v=Wo6zUWV41M4

Daniel Firman s’inscrit dans la lignée des artistes qui depuis les années 1960, interroge les frontières de l’espace d’exposition et de représentation de la sculpture. Ses processus d’élaboration mettent en situation le corps dans l’espace et impliquent très souvent une expérience en temps réel d’un espace réel. Il est moins question d’intégrer le spectateur au processus que d’envisager la reconstruction d’un sujet ou la construction de réalités. L’architecture et la danse contemporaine nourrissent les recherches de l’artiste, sans doute parce qu’elles induisent un rapport évident au vécu et à la manière de vivre. Daniel Firman définit son projet autour de trois préoccupations : « La reconstruction des objets par la mémoire, la réinjection mentale du réel mémorisé au réel lui-même et un travail en direct avec le corps. J’essaie d’atteindre des choses extrêmement quotidiennes dans la mesure où même si notre quotidien paraît banal, il engendre et soumet des expériences extraordinaires. »

Céline Mélissent (Daniel Firman in «Expériences extraordinaires d’après quotidien banal», Un, Deux… Quatre, arts & cultures n°11, février-mars – avril 2004, p. 11)

Daniel Firman, Trafic, 2002 - Plâtre, vêtements, objets divers 220 x 130 x 80 cm - Dépôt du Centre national des arts plastiques Photo : C. Perez/FRAC OM
Daniel Firman, Trafic, 2002 – Plâtre, vêtements, objets divers 220 x 130 x 80 cm – Dépôt du Centre national des arts plastiques Photo : C. Perez/FRAC OM

« Trafic, de Daniel Firman, un autoportrait hyperréaliste dont la tête disparaît dans un amas d’objets disparates aux couleurs vives. Comme les artistes du Pop Art avant lui, Firman questionne la relation de l’homme avec l’accumulation d’objets produits par notre société de consommation. »

Emmanuel Latreille, dossier de presse, Esprit de Famille, 2015, Frac OM.

Né en 1977 à Montluçon Vit et travaille à Montpellier.
www.yohanngozard.com

Yohann Gozard, Septembre 2004 de la série « Pauses », 2018 Tirage Digigraphie sur papier aquarelle, 122 x 105 cm Collection FRAC OM - Photo : Yohann Gozard
Yohann Gozard, Septembre 2004 de la série « Pauses », 2018 Tirage Digigraphie sur papier aquarelle, 122 x 105 cm Collection FRAC OM – Photo : Yohann Gozard

Le travail de Yohann Gozard explore la relation de l’individu face au temps, à la vacuité d’espaces déserts et sans identité, au noir mat et sourd de la nuit. Il pousse son propre usage de la photographie dans ses retranchements techniques, plastiques et théoriques, questionnant la co-existence des technologies argentiques et numériques dans ce qu’elles apportent de sens. Il prend à contre-pied la question de l’instant décisif par l’usage quasi-exclusif des poses longues pour proposer une approche plus contemplative de la relation de l’homme à sa perception de l’espace et du temps. Son travail explore les interdépendances contradictoires entre le vu et le perçu. Il interroge les limites de l’image dans ce qu’elle s’adresse d’abord à notre vision, à notre désir de voir et de consommer du spectaculaire, de se laisser séduire par des images évidentes et flatteuses. Il manipule notre appétence à effectuer des rapprochements formels grotesques, à la faveur de décalages de contextes et de télescopages inhabituels. Enfin, il interroge aussi la mémoire des lieux et ses traces, stricto sensu. (Communiqué de presse, exposition Le paradoxe de la nuit noire, Le Château d’Eau, Toulouse, 2015)

« Usines désaffectées, friches industrielles, espaces péri-urbains en mutation, Yohann Gozard s’est choisi des non-lieux comme motifs et lieux d’errance. Il en réalise des images qui frappent par la richesse de leurs couleurs et le mystère de leur lumière. D’un semblant de normalité exsude un trouble qu’une lecture attentive n’arrive pas toujours à lever.
C’est que l’artiste s’affranchit des codes traditionnels de la photographie pour projeter dans le cadre l’image mentale de son expérience temporelle des territoires explorés. »

Jean-Marc Lacabe

« Yohann Gozard a fait de la nuit l’espace d’expériences contemplatives. De ces moments dans des territoires isolés se révélant sourdement dans la ténuité lumineuse, ou au contraire aux abords des villes dont les percées de lumière éclaboussent l’ordinaire, il en tire une matière qu’il revisitera et réinterprétera par la suite à l’atelier. Révélant ainsi mystères ou travestissement des espaces envisagés, il développe un travail qui explore les interdépendances entre le vu et le perçu. »

Jean-Marc Lacabe

Née en 1983 à Paris (d’origine argentine et irlandaise)
Vit et travaille à Lausanne.
www.shannonguerrico.com

Shannon Guerrico, Sans titre, de la série « Bifröst », 2016 - 20 impressions quadrichromie sur autocollant transparent contrecollées sur plexiglas Pièce : 30.5 x 23 cm ensemble : 158 x 155 x 7 cm Collection FRAC OM - Photo : Shannon Guerrico
Shannon Guerrico, Sans titre, de la série « Bifröst », 2016 – 20 impressions quadrichromie sur autocollant transparent contrecollées sur plexiglas Pièce : 30.5 x 23 cm ensemble : 158 x 155 x 7 cm Collection FRAC OM – Photo : Shannon Guerrico

Bifröst
« Suite à une résidence en Islande, notamment sur les traces du syncrétisme religieux, des peuples cachés, des esclaves irlandais et des cultes païens, je poursuis mes petits arrangements avec le surnaturel.
Lors du premier voyage en 2015, j’ai été incapable de faire des images tant il me semblait que tous les clichés avaient déjà été faits. Je foulais le sol d’un National Geographic déjà plus que bien documenté. Pour m’extraire de ces paysages, je dirigeais régulièrement mon regard vers le ciel. La réponse était là, j’y ai trouvé toutes les couches d’histoire qui m’avaient captivée lors de mes recherches : c’est donc ces cieux que les vikings contemplaient ! Et le mécanisme était à double sens puisque ces cieux ont été témoins de tous les évènements qui ont fait de ce pays ce qu’il est aujourd’hui. J’ai donc numérisé le ciel à plusieurs reprises. En plus d’enregistrer et de produire une image, la machine m’a permis de sonder, d’envoyer un signal lumineux dans cette étendue céleste. Cet acte est devenu une sorte de rituel, un bon présage avant de monter le camp, une offrande à l’oracle. Il en résulte des images tramées, superpositions de couches atmosphériques, sandwichs de croyances, strates de chairs, à la fois menace et espoir… »

Shannon Guerrico

Né en 1960, vit à Londres
www.grahamgussin.co.uk

Graham Gussin, Threesixty, 1998 disque vinyle, platine disque,,amplificateur et haut-parleurs Collection FRAC OM - Photo : Pierre Schwartz
Graham Gussin, Threesixty, 1998 disque vinyle, platine disque,,amplificateur et haut-parleurs Collection FRAC OM – Photo : Pierre Schwartz

Il questionne l’espace entre ce que nous percevons comme étant la réalité et ce que nous utilisons pour remplacer ce réel. En 1970, Peter Saville dessina la pochette de Unknown Pleasures, premier album de Joy Division, qui représentait un diagramme de son, blanc sur fond noir. Graham Gussin a utilisé un programme informatique qui lui a permis de traduire une phrase prononcée clans un film pornographique en une image. Cette fois, le diagramme n’est plus une fin mais la trace d’un acte de traduction. Le procédé utilisé laisse apparaître un passage entre un espace intérieur, d’où est issu le son, et un espace extérieur, un paysage. I Wish That You Could Be Here With Us se présente sous la forme d’un dessin réalisé à même le mur, immense, silencieux et magnifique, dans laquelle se perd le regard. Le son, tout autant que le silence, apparaît comme un élément principal dans l’oeuvre de Graham Gussin. On le retrouve avec Threesixty, une pièce sonore se présentant sous la forme d’un disque sur lequel est enregistré le bruit caractéristique d’un hélicoptère se déplaçant à l’intérieur et au-delà de notre champ auditif. Cette fois, ce n’est plus le son mais son aspect physique qui est absent. Le spectateur, en tentant d’imaginer les trajets de l’hélicoptère, dessine alors mentalement les lignes directionnelles qui forment la carte géographique d’un lieu potentiel. Le mouvement circulaire de la platine disque fait écho au mouvement des palles de l’hélicoptère et résonne dans la boucle créée par le son lui-même, esquissant ainsi un lien formel à l’intérieur de l’oeuvre. Ce mouvement rappelle le jeu de répétition présent dans le dessin mural, semblant pouvoir s’étendre à l’infini. Les oeuvres de Graham Gussin ont un aspect sculptural dans leur relation à l’espace d’exposition. Elles s’étendent sans être apparemment limitées par l’espace, liant l’ordinaire à l’exceptionnel, aspirant au sublime. C’est ce sens du désir et le sentiment d’absence qui créent parfois une certaine mélancolie. Ces oeuvres offre pourtant des possibilités infinies à l’intérieur des jeux temporels et spatiaux qu’elles impliquent, laissant au spectateur une grande marge de manoeuvre. Ce sont des lieux de fuite, tournés vers le futur, où l’inattendu peut survenir partout et à tout instant.

Florence Derieux (Site CRAC OCCITANIE/Pyrénées-Méditerranée)

Née en 1973, à Beyrouth (Liban)
Vit et travaille à Marseille.
www.linajabbour.net

Lina Jabbour, Tempête orange (les palmiers) détail, 2013 Crayon de couleur sur papier Arches 110 x 198 cm Collection FRAC OM - Photo : Lina Jabbour
Lina Jabbour, Tempête orange (les palmiers) détail, 2013 Crayon de couleur sur papier Arches 110 x 198 cm Collection FRAC OM – Photo : Lina Jabbour

Née à Beyrouth, Lina Jabbour se partage entre Marseille, où elle vit, et Clermont Ferrand où elle enseigne à l’École d’art. Des points d’ancrage multiples qui, on peut le supposer, influencent sa perception de l’espace qu’elle aborde comme un voyage entre ciel et mer. Dessins aux crayons de couleur sur calque polyester ou sur papier, mines noires, impressions numériques et création vidéo : tout est affaire de nuances, de trames transpercées de lumière, de variations subtiles, de vibrations abstraites, de formes évanescentes. Parfois ouatées comme les Nuages (au-dessus du niveau de la mer) aussi duveteux que menaçants, parfois quasi obsessionnelles comme les ondulations rythmiques des Études de tapis. Dans Castle Bravo, la couleur mange le trait ou réciproquement : par un jeu de noirs et de gris diffus, la mine graphite suggère plus qu’elle ne dessine la forme, le motif se trouble sous l’effet de la superposition ou de l’effacement. Un principe que la série Nuages rouges – Nuages verts – Nuages bleus pousse à son paroxysme quand la terre tire sa révérence et que l’horizon advient par effraction. En apesanteur au-dessus du néant, les «nuages» inventent des paysages célestes imaginaires.
L’œuvre de Lina Jabbour ne déstabilise pas le spectateur, contrairement aux installations d’Anne Veronica Janssens qui le désorientent : elle l’invite à perdre pied, à lâcher prise au-dessus ou en dessus de la ligne de flottaison. Une expérience à vivre doublement avec la vidéo et l’impression numérique dos bleu Partition silencieuse d’une tempête, échos mouvants et hypnotiques. C’est cet instant de bascule que Lina Jabbour appréhende magnifiquement en dessinant des bribes de récits, en figeant «un phénomène impalpable d’un dessin à l’autre comme d’un mur à l’autre» recouvert à hauteur d’yeux de toutes les nuances de bleu. Du bleu turquoise à un bleu outremer foncé…

Marie Godfri-Guidicelli (MGG/Zibeline, octobre 2015 – Source : http://www.documentsdartistes.org)

Née en 1956 à Folkestone, Angleterre
Vit et travaille à Bruxelles.

Ann Veronica Janssens, Corps noir 1994 Plexiglas noir 78,5 x 33,5 x 0,4 cm Institut d'art contemporain, Collection Frac Rhône-Alpes Adagp, Paris 2018 © Ann Veronica Janssens
Ann Veronica Janssens, Corps noir 1994 Plexiglas noir 78,5 x 33,5 x 0,4 cm Institut d’art contemporain, Collection Frac Rhône-Alpes Adagp, Paris 2018 © Ann Veronica Janssens

Le travail d’Ann Veronica Janssens est montré sur la scène internationale depuis le début des années 1990. Elle a représenté la Belgique (avec Michel François) à la 48è Biennale de Venise en 1999 et exposé dans de nombreuses institutions, notamment en France, en Belgique, en Allemagne ainsi qu’aux États-Unis.
Ann Veronica Janssens développe depuis la fin des années 70 une oeuvre expérimentale qui privilégie les dispositifs in situ et l’emploi de matériaux volontairement très simples, voire pauvres (bois aggloméré, verre, béton) ou encore immatériels, comme la lumière, le son ou le brouillard artificiel. À travers des interventions dans l’espace urbain ou muséal, l’artiste explore la relation du corps à l’espace, en confrontant le spectateur (voire en l’immergeant) à des environnements ou dispositifs qui provoquent une expérience directe, physique, sensorielle, de l’architecture et du lieu, et qui renouvellent à chaque fois et pour chacun l’acte de percevoir.
Les premiers travaux d’Ann Veronica Janssens étaient – c’est ainsi que l’artiste les nomme – des « super espaces » : « des extensions spatiales d’architectures existantes », « des lieux de captation de la lumière, écrins de béton et de verre, d’espaces construits comme des tremplins vers le vide » (in Ann Veronica Janssens, Musée d’art contemporain de Marseille, 2004). Un vide que l’artiste voulait « mettre en mouvement, lui conférant une sorte de temporalité ». Dans cette réflexion sur le vide et à travers des dispositifs minimalistes, les oeuvres de l’artiste ont pour objectif de déstabiliser les habitudes perceptives, de fluidifier ou densifier la perception, en jouant avec la matérialité, grâce à la lumière.
Les recherches d’Ann Veronica Janssens ont ainsi, au cours du temps, conduit l’artiste à expérimenter diverses modalités plastiques propres à perturber la perception : du miroitement des surfaces aux couleurs mouvantes de matériaux chimiquement sensibles à la lumière, en passant par les mélanges instables de matières et les effets hypnotiques de séquences lumineuses alternées. {…}
Avec les oeuvres d’Ann Veronica Janssens, le spectateur est confronté à la perception de « l’insaisissable » et à une expérience sensorielle où il franchit le seuil de la vision claire et maîtrisée, où il perd le contrôle de ses sens. Il s’agit d’une déconstruction de l’objet, « au-delà du miroir », au sens où le spectateur est ramené de façon tout à fait fondamentale à son corps et à ses émotions perceptives profondes, à une expérience active de la perte de contrôle, de l’instabilité, qu’elle soit visuelle, physique, temporelle ou psychologique. L’usage du brouillard artificiel va dans ce sens et les oeuvres qui l’utilisent plongent le spectateur dans une situation où la perte de repères ouvre un espace imaginaire, vide de matière, où le corps bascule hors du temps et de l’espace.
(Source : site internet Institut d’art contemporain, Collection Frac Rhône-Alpes www. i-ac.eu/fr/artistes/155_ann-veronica-janssens)

Né en 1964 à Bruxelles
vit et travaille à Bruxelles.
www.sergeleblon.com

Serge Leblon, Sans titre 2007 Tirage lambda contrecollé sur PVC, 100 x 210 cm Collection FRAC OM - Photo : Frac OM © Serge Leblon
Serge Leblon, Sans titre 2007 Tirage lambda contrecollé sur PVC, 100 x 210 cm Collection FRAC OM – Photo : Frac OM © Serge Leblon

L’univers de Serge Leblon est peuplé d’images aux formes impalpables. Happées par l’objectif, les formes qui surgissent sont des réminiscences spectrales et élégantes qui nous inventent une réalité. On se rappelle alors d’une vie connue et vue. Les espaces sont indéfinis, laissant les personnages imprimer leur présence, people, passants, mannequins…
Destiné au photoreportage, Leblon a glissé vers l’univers de la mode où il s’est fait un nom, sans se plier à ses codes. L’artiste est insaisissable et le monde, à son image, est flouté. Mais derrière le voile se détache avec netteté sa quête de perfection.
On dit de Serge Leblon qu’il est photographe. Mais il est beaucoup question de cinéma dans son travail. De mémoire présente une vidéo et une dizaine de photos, avec quelques images fragiles et inhabitées, à l’esthétique cinématographique.
« Quand je me sais regardé, je me transforme en image », disait justement Roland Barthes. Les personnages de la vidéo de Serge Leblon semblent avoir largement intégré ce postulat barthésien.
Deux jeunes enfants, candides et heureux, folâtrent dans la neige. En fond sonore, la mélodie douce et gaie d’un piano les accompagne dans leurs joyeux ébats. Entre deux jeux, ils jettent des «regards caméras» à un hypothétique spectateur. Leurs rires, à force de persistance, en deviennent factices. Malgré tout, à l’instar d’une publicité au charme un peu désuet, la scène est plaisante.
À cette scène succède une autre : une jeune femme rousse est assise, immobile, légèrement prostrée, le visage presque blanc à cause d’un éclairage violent. Des silhouettes tournoient autour d’elle, mettant en place un décor.
Le fort contraste entre la posture pétrifiée de la jeune femme et l’agitation des autres hommes donne l’impression d’une image qui serait la réunion contre nature d’une photographie et d’une vidéo.
Un mouvement de paupière fugace de la femme joint de nouveau les deux espaces-temps. Le fond sonore est lui aussi double : à une musique douce de cinéma des années 50 s’adjoint le brouhaha d’un plateau de tournage.
Ces plans-séquences sont des « images-temps » au sens deleuzien du terme : images uniquement optiques qui se situent en dehors de l’action. Les personnages se donnent comme image, obéissant à un diktat cinématographique qui les enjoint de bouger, de sourire, de s’immobiliser. Mais la limite est ténue chez Serge Leblon entre la réalité et la fiction: c’est ce qui procure à celui qui regarde ses images un plaisir rétinien si particulier.
La dizaine de photographies que Serge Leblon expose également participent de la même logique cinématographique. Une maison à colonnades est à peine perceptible au travers d’une végétation floutée comme si l’image était un photogramme d’un lent travelling. Un balcon cache à moitié une porte par laquelle on s’attend à tout moment à voir surgir un personnage. Des paysages forestiers ne sont pas (encore) habités. Des éviers sont abandonnés à la douceur de la lumière d’un crépuscule. Un ballon est esseulé sur une plage. La rousseur d’une chevelure déborde d’un cadre. D’un repas entre amis, Serge Leblon ne considère que les verres et, en arrière-plan, les coudes des convives.
S’agirait-il d’une esthétique du hors-champ ? Quoi qu’il en soit, en dehors du champ s’abandonnent objets et choses qui renseignent mieux sur une atmosphère que d’éventuels sujets en action. L’atmosphère est ici « image-temps » en attente d’être habitée.
Serge Leblon développe une « esthétique de l’inhabité » ou du « délicatement habité » en quelques images d’une fragilité exquise.

Ornella Lamberti (Exposition De mémoire, 2010, La Bank Galerie, Paris)
Source : site internet Paris Art : www.paris-art.com/galerie-photo/de-memoire/leblon-serge/6759.html

Articles récents

Partagez
Tweetez
Enregistrer