Denis Brun « Nowhere » et « Life is life » à Montpellier

L’inclassable Denis Brun s’expose dans deux lieux partenaires à Montpellier, en février-mars.
Du 5 février au 16 mars 2019, il présente « Nowhere » à la Numéro 5 Galerie.
De son côté, Le lieu multiple l’accueille en compagne de Thomas Rimoux pour « Life is life » du 7 au 23 février 2019.

« Nowhere »

L’exposition à la Numéro 5 galerie réunit un ensemble de créations où se mêlent peinture, dessin, collage, sculpture, assemblage et couture…

Numéro 5 Galerie annonçait une exposition « construite comme un carnet de voyage protéiforme à l’image d’un artiste libre de toutes contraintes. Un meltingpot créatif empreint de culture populaire aux inspirations intimes et multiples ».

La sélection des œuvres et leur accrochage conçu par Ludovic Allabert sont à la hauteur des ambitions de la galerie.

On retrouve quelques pièces que l’on avait découvertes dans « How creep is your love », la proposition foutraque, exubérante, grinçante et étourdissante que Denis Brun nous avait offerte l’an dernier chez Vidéochroniques à Marseille. D’autres oubliées ici où là réapparaissent à Montpellier, le cousin du cousin de Kenny remplace son cousin et Denis Brun présente quelques créations originales sa collection automne/hiver 2017-2018…

Face à l’entrée de la galerie, Sick of it all (Black Bad B heavier) montre un Black Angry Mouse de grande taille. Il se détache sur un fond partiellement peint d’un marron violet et où se mêlent acrylique, bombe en spray, feutre et paillettes. Les amateurs du New York Hardcore ou NYHC auront certainement fait le rapprochement, s’il est pertinent…

Denis Brun -Sick of it all (Black Bad B heavier) et Mark the Shark in a Forbidden colour - Nowhere à la Numéro 5 Galerie - Montpellier
Denis Brun -Sick of it all (Black Bad B heavier) et Mark the Shark in a Forbidden colour – Nowhere à la Numéro 5 Galerie – Montpellier

Son regard noir semble se porter vers une bande de Lapunks facétieux, aux yeux scintillants et aux corps de nounours émaillés…

Denis Brun - Flesh Gordon, Scrotie Mc Boogerballset Lapunk - No where à la Numéro 5 Galerie - Montpellier
Denis Brun – Flesh Gordon, Scrotie Mc Boogerballset Lapunk – No where à la Numéro 5 Galerie – Montpellier

Appuyés contre le mur de droite, ils observent bizarrement les visiteurs avec peut-être un peu d’ironie. On reconnaît Mark the Shark in a Forbidden colour à ses oreilles orange. Il se serait échappé d’une galerie parisienne où il était caché… On retrouve aussi Flesh Gordon qui s’était malicieusement installé avec Cool post-Kid dans le Salon Doré du Château Borély, il y a quelques années pour un détonnant festival Barock

Ici, il est en compagnie de Scrotie Mc Boogerballs, dont l’histoire aurait été racontée par Stan, Kyle, Cartman et Kenny à moins que ce ne soit par Butters… À vérifier dans le deuxième épisode de la saison 14 de South Park !!!

Celles et ceux qui méconnaissent l’histoire de ces personnages liront avec intérêt le texte de Sylvie Coellier reproduit ci-dessous. Elles et ils sauront alors comment « La punk est née » et pourquoi « Lapunk is not dead » !

Denis Brun - Lapunk - Nowhere à la Numéro 5 Galerie - Montpellier
Denis Brun – Lapunk – Nowhere à la Numéro 5 Galerie – Montpellier

Le dernier de cette bande de Lapunks réunis rue Sainte-Anne est un cousin sans nom de Mark the Shark ou de Blue Jamie. Installé sur un podium à droite de l’entrée, il semble étroitement surveillé par un personnage immaculé dont le visage n’a qu’une corne et dont les extrémités sont terminées par des ampoules électriques (For Lost People)… Ce pourrait être une interprétation du masque que Toshiro Bishoko porte quelquefois lors de ses performances musicales…

Denis Brun - For Lost People - Nowhere à la Numéro 5 Galerie - Montpellier
Denis Brun – For Lost People – Nowhere à la Numéro 5 Galerie – Montpellier

Au-dessus de ces lapins en faïence et strass Swarovsky, Ludovic Allabert a choisi d’accrocher quatre dessins de la série Black Angry Mouse – A Bad Bad Mood RemixDenis Brun associe collage, feutre, encre de Chine et impression sur papier.

Denis Brun - Black Angy Mouse - Nowhere à la Numéro 5 Galerie - Montpellier
Denis Brun – Black Angy Mouse – Nowhere à la Numéro 5 Galerie – Montpellier

À gauche de l’entrée, on découvre deux séries de trois dessins et collages, et sentences sur napperons de papier, extraits de la collection de l’artiste…
Freak Power affirme « Je vois bien dans le regard des autres une sorte de terreur furtive parce qu’il ne parviennent pas à me définir ». Mask 6 souligne « C’est le lieu où la peur et l’anxiété prennent leur source. C’est aussi là que naît l’intuition ». Quant au Mauvais genre, il se tait !

Denis Brun - Freak Power, Mask 6 et Mauvais Genre - Nowhere à la Numéro 5 Galerie - Montpellier
Denis Brun – Freak Power, Mask 6 et Mauvais Genre – Nowhere à la Numéro 5 Galerie – Montpellier

Suspendues à une branche d’arbre, on découvre trois créations basse couture de la collection automne/hiver : une robe, un jean et un pull siglés « Nowhere », « Denis Brun » ou « Punkrock »…

Denis Brun - Basse couture - Collection Nowhere - Nowhere à la Numéro 5 Galerie - Montpellier
Denis Brun – Basse couture – Collection Nowhere – Nowhere à la Numéro 5 Galerie – Montpellier

Au pied de ce portant, le Cousin du cousin de Kenny pourrait avoir emprunté l’anorak bleu de son cousin !

Denis Brun - Le Cousin du Cousin De Kenny - Nowhere à la Numéro 5 Galerie - Montpellier
Denis Brun – Le Cousin du Cousin De Kenny – Nowhere à la Numéro 5 Galerie – Montpellier

Un peu plus loin, l’accrochage présente le seul multiple de l’exposition. Il s’agit d’un collage numérique et impression sur papier photo monté sous plexiglas où on retrouve la figure récurrente du mickey en colère et un dessin récent intitulé « ordonnance vierge »…

Denis Brun - Ordonnance Vierge - Nowhere à la Numéro 5 Galerie - Montpellier
Denis Brun – Ordonnance Vierge – Nowhere à la Numéro 5 Galerie – Montpellier

Trois grandes allumettes ont été installées dans un coin. Naissance et mort de Kurt Cobain est logiquement grillée. Les deux autres attendent une prochaine mise à feu. À lire les pyrogravures qui y sont tracées, la première évoque les deux premiers vers d’un titre de The Cure (A Strange Day) quant à la seconde, elle cite une phrase d’un bouquin de Don DeLillo (Great Jones Street) : « Les multinationales, l’armée et les banques, il est là le réseau underground »…

Denis Brun - Naissance et mort de Kurt Cobain, Les multinationales, l'armée... (Citation 1B) et Give me your eyes (Strange day) - Nowhere à la Numéro 5 Galerie - Montpellier
Denis Brun – Naissance et mort de Kurt Cobain, Les multinationales, l’armée… (Citation 1B) et Give me your eyes (Strange day) – Nowhere à la Numéro 5 Galerie – Montpellier

L’accrochage se termine avec trois petits dessins : H is in a Cheese to Ashes, Bavarian Rich Kid et Jimbo is getting really better now

Denis Brun - H is in a Cheese to Ashes, Bavarian Rich Kid et Jimbo is getting really better now - Nowhere à la Numéro 5 Galerie - Montpellier
Denis Brun – H is in a Cheese to Ashes, Bavarian Rich Kid et Jimbo is getting really better now – Nowhere à la Numéro 5 Galerie – Montpellier

On l’aura compris Denis Brun télescope les pratiques artistiques. Chacune de ses œuvres raconte de multiples histoires où s’entrecroisent références et clins d’œil infinis à la musique, à la BD, à la littérature underground ou aux séries B…
Écouter Denis Brun en parler est absolument fascinant, indescriptible et impossible à transcrire… Entrer dans son univers, c’est tomber dans le Rabbit Hole et passer dans un monde où Alice rencontre « Laura Palmer et… Eric Northman accompagné par Bill Compton » avant de rejoindre « Peter Pan et les Enfants Perdus (ceux qui avaient survécu au passage à l’âge adulte) [qui] avaient acheté un vaste terrain en Colombie pour y construire une immense fabrique de confiseries magiques ». (extrait de l’Eldorado de la méduse, texte de Denis Brun reproduit ci-dessous).

« Life is life »

Au Lieu multiple, Denis Brun présente majoritairement des pièces récentes, certaines produites pour l’exposition.

Denis Brun - Life is Fife - Le lieu multiple montpellier - Vue de l'exposition 01
Denis Brun – Life is Fife – Le lieu multiple montpellier – Vue de l’exposition 01

De la rue, on aperçoit une tenture suspendue au plafond. Cette première tentative d’impression sur couverture est un Autoportrait en voiture à tête de lapin…

 

Le masque de lapin est au centre de trois autres pièces récentes qui forment le début d’une nouvelle série Head hunter. À qui renvoient ces trois trophées de chasse sur les planches de bois flotté, avec boa en plumes ou en éponge à gratter métallique, fléchettes et clous ? À un vieux jeu vidéo sur Sega, à un album du groupe suisse Krokus, à un groupe thrash metal allemand, au film de Morten Tyldum ou à une officine de recrutement ?

Denis Brun - Head hunter (série), 2019 - Life is life - Le lieu multiple montpellier
Denis Brun – Head hunter (série), 2019 – Life is life – Le lieu multiple montpellier

La réponse est peut-être à chercher du côté de la longue bande de dessins qui descend du haut de la cimaise jusqu’au sol… Le titre de cette série Donnie Darko-unlimited est une allusion évidente au film de Richard Kelly et à Frank, l’ami imaginaire de Donnie, un lapin humanoïde géant qui lui prédit que la fin du monde interviendra dans 28 jours, 6 heures, 42 minutes et 12 secondes…

Denis Brun - Donnie Darko-unlimited (série), 2019 - Life is life - Le lieu multiple montpellier
Denis Brun – Donnie Darko-unlimited (série), 2019 – Life is life – Le lieu multiple montpellier

On peut découvrir une autre série très récente, dans une vitrine à gauche de l’entrée… Dirty hairy est composé de 6 cônes en céramique reposant chacun sur trois rasoirs bic et couverts avec une petite laine… Le titre reste très énigmatique entre une référence peu probable à l’inspecteur Harry Callahan ou à celle tout aussi incertaine à Gorillaz ou encore à DJ Dirty Harry…

Denis Brun - Dirty hairy (série), 2019 - Life is life - Le lieu multiple montpellier
Denis Brun – Dirty hairy (série), 2019 – Life is life – Le lieu multiple montpellier

Au centre du Lieu multiple, suspendu au plafond, Tragic fun relic assemble une branche d’arbre et des coquilles de noix peints en noir sur lequel sont piqués des moulins à vent d’enfant…

Denis Brun - Tragic fun relic, 2018 - Life is life - Le lieu multiple montpellier
Denis Brun – Tragic fun relic, 2018 – Life is life – Le lieu multiple montpellier

Les autres pièces de Denis Brun étaient présentes dans son exposition marseillaise du printemps dernier.

Drag & unic évoque une licorne qu’il commente ainsi sur le site de vente Saatchi Art : « J’essaie toujours de créer ma propre mythologie en trouvant des images sur Internet et en les associant à un geste de peinture expressionniste abstraite pour créer une idée abstraite de la peinture basée sur la figuration… »

Denis Brun - Drag & unic, 2016 - Life is life - Le lieu multiple montpellier
Denis Brun – Drag & unic, 2016 – Life is life – Le lieu multiple montpellier

On peut aussi voir cinq de ses Arrow Ginal qu’il décrit ainsi sur son site internet : « Cette approche moderne primitive de la flèche propose un retour pacifique à l’état sauvage au sein de la culture contemporaine urbaine. Ces flèches de cérémonies païenne évoquent un monde où la nostalgie sert de décoration à un une arme symbolique, un trophée onirique… »

Denis Brun - Arrow Ginal (série), 2013 - Life is life - Le lieu multiple montpellier
Denis Brun – Arrow Ginal (série), 2013 – Life is life – Le lieu multiple montpellier

Son skateboard, autel, équipé de ses bougies « All we ever wanted was everything, all we ever got is cold » renvoie-t-il seulement aux paroles de Bauhaus ? Il confie parfois l’importance de cet engin qu’il a longtemps collectionné et objet d’un trauma fondateur…

Denis Brun - All we ever wanted was everything, all we ever got is cold, 2018 - Life is life - Le lieu multiple montpellier
Denis Brun – All we ever wanted was everything, all we ever got is cold, 2018 – Life is life – Le lieu multiple montpellier

Une encre de chine sur papier Last Night No DJ Saved My Life passe discrètement le relais aux dessins de Thomas Rimoux avec qui il partage le Lieu multiple

Denis Brun - Last night no DJ saved my life, 2017 et Thomas Rimoux - Life is life - Le lieu multiple montpellier
Denis Brun – Last night no DJ saved my life, 2017 et Thomas Rimoux – Life is life – Le lieu multiple montpellier

Au-dessus du bureau du galeriste, une image numérique sous plexi (Nothing limitée) rappelle le prochain concert de Toshiro Bishoko, l’autre moi de Denis Brun, le vendredi 22 février à 19h.
Avis aux amateurs et aux curieux qu’ils connaissent ou non sa musique low-fi !

Denis Brun - Nothing limitée, 2019 - Life is life - Le lieu multiple montpellier
Denis Brun – Nothing limitée, 2019 – Life is life – Le lieu multiple montpellier

Inutile de préciser que les visites de « Nowhere » à la Numéro 5 Galerie et « Life is life » au Lieu multiple sont incontournables…

À lire, ci-dessous, une biographie de Denis Brun par Denis Brun et « L’Eldorado de la méduse » que Denis Brun avait rédigé il y a quelques années et qui accompagnait « How creep is your love » ainsi qu’un texte de Sylvie Coellier, « Les lapins de Denis Brun ». On trouvera également les communiqués de presse de la Numéro 5 Galerie et de Le lieu multiple montpellier.

En savoir plus :
Sur le site de la Numéro 5 Galerie
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Sur le site de Denis Brun
Denis Brun sur documentsdartistes.org

« Je suis né par accident en 1966 dans la même clinique que Jean-Yves Jouannais.
Je travaille et je vis à Marseille mais pas uniquement.

Je vis aussi chez mes amis d’Anvers, de Liège, de Nice, de Paris, ou alors dans certains endroits que je visite, car j’adore partir de chez moi plus ou moins longtemps, même si je me sens très bien là où je vis actuellement.

Je travaille dans le train, dans l’avion, à la piscine quand je fais des longueurs, quand je marche pour me rendre à la gare, quand je prends mon longboard pour aller faire mes courses, quand je regarde SouthPark, que j’écoute East Village Radio, Studio Bruxelles, ou quand je fais du vélo.

Je fais de la peinture en pensant à la musique, que je fais des vidéos en pensant à la peinture et à la musique, que je fais de la « basse-couture » en pensant à la photographie ou au sexe, que je fais de la musique en pensant à la vidéo, à la peinture au dessin ou à l’écriture et que j’écris en pensant à toutes ces choses en même temps. Pour la céramique je ne pense à rien donc aucun intérêt à m’étendre sur le sujet.

Quant au…sujet… de mon travail, hormis le fait que j’en sois le centre plus ou moins direct, j’essaie par tous les moyens dont je dispose, de le masquer, par jeu ou par pudeur.
Je m’efforce de créer des histoires tendant vers l’abstraction, sans la moindre hiérarchie dans les médiums utilisés, afin qu’il en résulte une forme de narration fictionnelle prenant ses origines dans le sens commun que j’utilise comme dernière balise avant le grand saut dans le vide.
Je pense que la particularité peut-être une qualité, mais j’essaie aussi en permanence, de dépasser mes limites techniques et intellectuelles, avec comme seul but de faire un meilleur travail quel qu’il soit.

Et même si la poésie technique me semble plus appropriée que la prouesse technique, l’intention onirique reste primordiale, tout comme sa libre interprétation par le spectateur. »

Denis Brun A.K.A Toshiro Bishoko.

 

Tout le monde grandit, non ? pas vous ? A vrai dire, Alice n’avait pas trop pensé à sa reconversion dans le monde des adultes après son retour de voyage au Pays des Merveilles, mais c’était sans compter avec le hasard des rencontres puisqu’un jour, ou plutôt une nuit… Alors qu’elle rentrait d’une soirée spiritisme chez une amie de lycée (oui… elle était lycéenne, mais comme elle rêvait beaucoup, elle n’aurait pu réellement vous décrire l’établissement scolaire où elle était censée passer le plus clair de son temps, ni les matières qu’elle y étudiait). Elle rentrait donc de cette soirée mais n’avait déjà plus aucun souvenir, à part cette liasse de grosses coupures de billets de banque dans la poche de sa robe de dentelle noire déchirée… Alice avait une mémoire très sélective et s’embarrassait peu de l’ennui mortel du quotidien qu’elle chassait loin dans son inconscient par des voies plus ou moins légales ou pénétrantes, à grands coups de subterfuges chimiques. Elle essayait en fait de rentrer chez elle mais elle ne savait pas trop où se trouvait sa demeure, ni d’ailleurs, si elle était dans la bonne ville… n’aurait-il pas fallu qu’elle prenne un train, un bus ou un avion pour rentrer à la maison… ? Une vague sensation que tout allait à peu près bien la portait, mais bon sang que foutait-elle ici, en pleine nuit ? Normalement, à cette heure-ci, une jeune fille de bonne famille dort dans son lit douillet, protégée par de grands murs solides et rassurants. C’est ce que sa mère lui disait tout le temps… mais à quoi ressemblait-elle cette mère, déjà… ? Il y avait une bonne odeur de chewing-gum, de bonbon à la fraise et… de fuel, dans cette ruelle qu’elle avait pourtant l’impression de connaître. L’odeur du carburant à bateau se faisait plus présente à mesure qu’elle avançait en essayant de marcher droit, avec ses platform shoes qui pesaient une tonne et qui ne faisaient aucun effort pour avancer toutes seules. La pauvre Alice devait faire tout le travail sous le regard anesthésié de la chaussure gauche et amusé de la chaussure droite qui étaient en réalité de faux jumeaux hermaphrodites. Soudain, une forme, ou plutôt trois formes humanoïdes semblèrent se détacher du brouillard pailleté et kaléidoscopique qui irisait le champ de vision de notre jeune amie. On aurait dit… mais oui c’était bien Laura Palmer et… Eric Northman accompagné par Bill Compton qui venaient juste de quitter la 7ème saison de True Blood. Sans plus tarder, après les présentations d’usage inhérentes à leur statut social, le trio infernal proposa à Alice de les suivre en radeau dans leurs aventures modernes primitives. Pourtant on était pas sur l’eau… ou peut-être que si… finalement… Un mystérieux tweet annonçait que Peter Pan et les Enfants Perdus (ceux qui avaient survécu au passage à l’âge adulte) avaient acheté un vaste terrain en Colombie pour y construire une immense fabrique de confiseries magiques. Alice, médusée, accepta de partir pour cet Eldorado.

Denis Brun

Dans Le Différend (1), Jean-François Lyotard écrit : « Quelqu’un éprouve plus de douleur à l’occasion d’un dommage fait à un animal qu’à un humain. C’est que l’animal est privé de la possibilité de témoigner selon les règles humaines d’établissement du dommage, et qu’en conséquence tout dommage est comme un tort qui fait de lui une victime ipso facto. (…) L’animal est un paradigme de la victime. »

Denis Brun – How creep is your love – Vidéochroniques à Marseille. Photo © Vidéochroniques
Parmi les animaux, s’il y avait une hiérarchie victimaire, le lapin serait parmi les plus hauts. Il est, selon toute apparence, doux, tendre, palpitant : vulnérable. Il est chassé, il est mangé, on lui prend sa peau, et on ne donne pas à celle-ci le prix du luxe, qui est pourtant, souvent, le prix d’une vie. On l’a exporté en Australie puis, effrayé par sa fécondité, on lui a inoculé une maladie qui l’a rendu aveugle et fou de douleur. Mais le lapin est muet, il ne témoigne pas de nos ignominies.

Malgré cela le lapin n’est pas le dernier maillon de l’art. Le lapin, avec son avatar le lièvre, plus sauvage, plus rapide, plus brave peut-être, creuse son gîte dans l’histoire savante comme dans l’histoire populaire. Il est magnifié à la Renaissance dans le lièvre tranquille et frémissant d’Albrecht Dürer, dans le lapin blanc et pur de la Vierge du Titien du Louvre. Chez Chardin, il est bien la victime du retour de chasse, tandis que, suspendu la tête en bas, ses pattes arrières semblent des bras implorants. Au XXème siècle, Beuys lui apprend à regarder les tableaux : son appartenance à la terre lui donne la grâce de recevoir la leçon de l’art. Le lièvre de Flanagan danse du Rodin comme Nijinsky, et Niele Toroni reprend l’histoire de Lapin Tur. Mais il est aussi devenu un jouet, comme le montre Koons, un favori des enfants, leur victime muette. Sans doute a-t-il sa revanche, avec le lapin blanc d’Alice, ou les tours de Bugs Bunny… Ainsi le choix de modeler un lapin est-il à la fois rebondir sur une figure populaire et un héritage historique.

C’est l’histoire de cet animal que Denis Brun rencontre un jour sur un tableau qu’il photographie alors, avant de reprendre les traits du lapin en un dessin aux courbes touchantes qui côtoie un visage punk. L’artiste tire ensuite de l’ensemble une affiche, puis une impression numérique en noir et blanc : des couleurs de noirceur tragique, mais aussi les contrastes de la rébellion. L’animal est encore mélancolique et garde un peu de la douceur d’une peluche d’enfant. Quelques temps plus tard, grâce à l’invitation d’Agnès Roux au Logoscope de Monaco, l’artiste a accès à de la terre (cette terre qu’incarne pour Beuys le lapin), à un four à céramique, à des conditions de travail lui permettant d’éditer une série dont chaque corps sera individualisé par sa couleur, par des billes de perles, des patins, des échasses, des branches, des bottes. Si le dessin demeure structurellement le modèle du lapin de terre cuite, dans le moulage s’imprime la révolte, le redressement face à sa condition victimaire.
La punk est née, Lapunk is not dead !

Sylvie Coellier

1. Jean-François Lyotard, Le Différend, Paris, Editions de Minuit, 1984, p. 38.

 

Cette exposition est construite comme un carnet de voyage protéiforme à l’image d’un artiste libre de toutes contraintes. Un meltingpot créatif empreint de culture populaire aux inspirations intimes et multiples.

C’est en effet la vie, ses rencontres, ses réactions face à son environnement qui nourrissent les projets plastiques de Denis Brun. C’est par le prisme de sa sensibilité qu’il les formalise. Comme une interface, entre sa conscience et ce qui l’entoure, qui animerait son processus créatif. Ainsi naît un vocabulaire d’objets, de formes, d’images ou d’attitudes à même de rendre compte de son état émotionnel du moment. La poésie technique et l’intention onirique de l’artiste sont mises en avant, tout en laissant sa libre interprétation par le spectateur.

La liberté est la constance invariable de ses réalisations. Sans aucun interdit, il use de toutes sortes de matériaux et de médiums pour créer une narration où l’on peut se retrouver et projeter sa propre imagination. L’artiste ne pose aucune hiérarchie entre ces pratiques : “Chacune procure, dit-il, sa façon propre d’appréhender la réalité, chacune apporte sa souffrance spécifique.” L’ensemble de ses réalisations est comparable à un road movie où le passé et le présent, comme une même épine dorsale, est en constante transformation. Présenter des travaux récents et plus anciens pour cette exposition est donc rapidement devenu une évidence.

L’exposition « Nowhere » nous immerge dans une grande liberté créative. L’artiste réactive provisoirement une sensation enfantine du « beau » pour finalement l’extraire de son contexte affectif originel afin de l’appréhender de manière plus distante, amusée, moqueuse et jouissive.

L’image contient peut-être : texte

Le lieu multiple montpellier a le plaisir non dissimulé d’exposer pour sa première expo de l’année 2019 deux artistes qui, a un peu plus de quarante (ou cinquante) ans, ne sont pas encore vraiment connus sur la scène internationale. Ils n’y ont donc pas grand chose à perdre et nous, qui sait, presque tout à gagner…

Denis Brun, après des études aux Beaux-arts de Sète puis de Nice, s’est donc déclaré artiste freestyle. Il colle, peint, dessine, photographie, modèle, cuit, coud, assemble, filme, joue de la musique de façon baroque … et rigoureuse à la fois. Son existence (et ses remous) étant le sujet au centre de son expression, il s’efforce de créer des histoires à tendances abstraites, sans la moindre hiérarchie entre les médias utilisés, afin qu’il en résulte une forme de narration fictionnelle prenant ses origines dans ce que l’on imagine être le sens commun. Avec son autre moi Toshiro Bishoko et sa musique low-fi, Denis Brun nous offre ici une bien belle proposition fun et tragique, customisée art contemporain.

Thomas Rimoux, autre électron libre touche-à-tout, est pour sa part sorti du milieu de l’industrie cinématographique et des outils du numérique. Sa pratique artistique le conduit à détourner les normes esthétiques du grand algorithme, en se jouant comme un enfant des codes qui gouvernent la vie des adultes : ivresse du pouvoir, vanité, cupidité. C’est donc davantage autour des clichés sociétaux que Thomas Rimoux nous propose à voir ici son oeuvre joueuse, faite de papiers découpés, gouaches dégoulinantes et autres sorties d’imprimantes…

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