Sud magnétique – Vidéochroniques – Marseille

Jusqu’au 13 avril 2019, Vidéochroniques présente « Sud magnétique », une passionnante exposition de groupe qui réunit onze jeunes artistes récemment installés à Marseille : Jérémy Boulc’h, Amandine Capion, François-Xavier Laloi, Valentin Martre, Ilyes Mazari, Adrien Menu, Norman Nedellec, Morgan Patimo, Emma Pavoni, Masahiro Suzuki, Caroline Vicquenault.

Sud magnétique - Vidéochroniques - Vue de l'exposition - grande salle - Photo En revanant de l'expo !
Sud magnétique – Vidéochroniques – Vue de l’exposition – grande salle – Photo En revenant de l’expo !

Dans son texte d’intention, après un long exposé qui s’achève par le constat qu’« à l’échelle de la France, la boussole artistique (…) semble actuellement pointer vers Marseille », Édouard Monnet, directeur de Vidéochroniques et commissaire de l’exposition, explique les raisons qui l’on conduit à réunir ces jeunes artistes :

« À défaut de constituer un groupe homogène, ils ont au moins en commun le fait d’être jeunes et leur récente implantation à Marseille.
C’est justement de cette dernière considération qu’est né le projet, parti du constat d’un afflux massif et exponentiel d’artistes au cours des trois dernières années, apparemment inédit à moins de remonter aux années 90 et à l’incroyable vitalité qui a caractérisé cette période où les artist-run spaces – parmi d’autres initiatives – poussaient ici comme des champignons. Initialement approvisionnée par une intuition personnelle aussitôt confirmée par les éléments recueillis auprès d’une poignée d’informateurs témoins du phénomène à l’échelle de leurs radars respectifs, la démarche entreprise a d’abord donné lieu à une sorte de recensement, toujours en cours d’ailleurs, qui s’autoalimente désormais avec la complicité des premières personnes identifiées. La rencontre d’une quarantaine d’artistes aux provenances diverses (Aix-en-Provence, Brest, Clermont-Ferrand, Lyon, Nantes, Nice, Nîmes, Perpignan, Strasbourg, Toulon…), pour la plupart dans leurs ateliers, et les échanges engagés autour de leurs travaux récents et en cours ont très largement confirmé l’intérêt d’une telle attention ».

Sud magnétique - Vidéochroniques - Vue de l'exposition - grande salle - Photo En revenant de l'expo !
Sud magnétique – Vidéochroniques – Vue de l’exposition – grande salle – Photo En revenant de l’expo !

Il explique ensuite le format et les limites choisis pour construire « Sud magnétique » :

« L’exposition collective, qui s’est rapidement imposée comme un moyen de témoigner de cette dynamique, supposait selon moi deux préalables qui offraient par la même occasion au moins deux critères objectifs de sélection. Outre celui d’une implantation effective des artistes à Marseille, acquise par principe, la nature de son contenu devait lui éviter d’être confondue avec une exposition de diplômés, qui répond à de tout autres enjeux. Puisqu’il s’agissait essentiellement de montrer des artistes au travail et non l’aboutissement d’un parcours d’étude, seules des œuvres réalisées après l’issue de ce parcours ont été retenues ».

Morgan Patimo - Framed, 2019 - Sud magnétique - Vidéochroniques
Morgan Patimo – Framed, 2019 – Sud magnétique – Vidéochroniques

Dans les espaces atypiques et singuliers dont il maîtrise parfaitement les contraintes et les atouts, Édouard Monnet présente un accrochage remarquable. Sans chercher « à établir des connexions conceptuelles ou formelles », il réussit à rendre « compte de la pluralité des pratiques en présence et de la singularité de chacune ».

Cette mise en espace polyphonique permet aussi de dégager plusieurs convergences particulièrement intéressantes : la nature des matériaux employés, les méthodes et les outils utilisés ou encore ce qu’Édouard Monnet qualifie de « convocation réitérée de la figure ».
Le commissaire en souligne d’autres, moins manifestes, pour le regardeur comme le « recours à l’expérimentation » ou « l’autonomie de ces artistes qui évitent soigneusement de déléguer »…

Sud magnétique - Vidéochroniques - Vue de l'exposition - grande salle - Photo En revenant de l'expo !
Sud magnétique – Vidéochroniques – Vue de l’exposition – grande salle – Photo En revenant de l’expo !

Chaque pièce semble avoir trouvé sa juste place dans ces espaces complexes où les angles droits sont rares et où la lumière est parfois troublante avec des contre-jours difficiles. La fosse souvent utilisée pour des projections est cette fois-ci accessible. Elle offre d’étonnants points de vue sur les œuvres qui y sont installées.

Avec des 11 artistes, « Sud magnétique » est de manière surprenante très cohérente et homogène. Sans parcours préétabli, elle laisse au regardeur la liberté de sa déambulation…
Il faut souligner l’accueil très professionnel qui sait se mettre à la disposition des visiteurs avec amabilité, tact et compétence.

On ne peut que remercier Vidéochroniques pour la découverte de ces jeunes artistes récemment installés à Marseille et dont on suivra avec intérêt les projets. Comme le souligne Édouard Monnet, certains « s’appuient sur des dispositifs préexistants (Cap 15, L’immeuble, MOHO…), [d’autres] créent les leurs (Lucarne, La Panthera, PailletteS, Belsunce Projects, galerie de la SCEP…), qu’il s’agisse d’ateliers, de lieux d’exposition, de collectifs, ou de réseaux plus informels ».

À lire le texte du commissaire, cette exposition pourrait connaître des prolongements : « Sud magnétique” se présente finalement comme une étape de travail et de réflexion qui implique d’être reconsidérée à l’avenir, non pas sous la forme d’une reprise, mais plutôt d’un déploiement ».

Évidemment, un passage par Vidéochroniques s’impose avant le 13 avril ?

À lire, ci-dessous, une présentation des 11 artistes de « Sud magnétique » accompagnée de regards photographiques de l’exposition et le texte d’intention d’Édouard Monnet. Ces documents sont extraits du dossier de presse.

En savoir plus :
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Né en 1992 à Brest, diplômé de l’École européenne supérieure d’art de Bretagne à Brest en 2016, vit et travaille à Marseille depuis septembre 2018.
http://jeremyboulch.fr/works.html

Entre iconoclasme et esthétique minimale, romantisme et Land Art, mon travail s’intéresse à la vaine tentative de conservation du sens de l’information lors de son transfert, et décide de comprendre les pertes et altérations intervenants comme des gains potentiels. Que ces pertes soient dues à la simple action du temps sur l’objet, ou encore au transit d’une image numérique d’un support à un autre, le flux de l’information ne s’interrompt jamais vraiment totalement, c’est la notion même du Nächleben de l’iconologue Aby Warburg. J’aime identifier ce qui est souvent le point de départ de mes travaux comme des bouteilles lancées à la mer, des appels laissés par d’autres que je glane et pour lesquels je tente de formuler une réponse. Il est toujours question d’émission et de réception, d’une communication entre les hommes. Une étude qui nécessite parfois de remonter aux origines humanistes de nos moyens de communications actuels. Il est alors question de la compréhension des outils ainsi que d’une appropriation de nos moyens de production afin de les extraire de leur fonctionnalité, ouvrant un champ des possibles que je me propose de partager à travers la conception même de mes travaux.

J.B.

Née en 1992 à Toulon, diplômée de l’École supérieure d’art de Clermont Métropole en 2016,
vit et travaille à Marseille depuis novembre 2017.
https://www.amandinecapion.com/

Amandine Capion - Condensée, 2017, chaussure, enrobé, 24 x 28 x 11 cm. Sud magnétique - Vidéochroniques
Amandine Capion – Condensée, 2017, chaussure, enrobé, 24 x 28 x 11 cm. Sud magnétique – Vidéochroniques

Mon travail s’articule autour de la matérialité de la ville. C’est lors de travaux que la ville exhibe les matières qui la composent, dans un état instable
d’objets en formation, ou déformation, le tout orchestré en un chaos maîtrisé.
Le chantier dévoile la complexité de l’épaisseur sur laquelle nous vivons. Les travaux donnent à voir tous les temps réunis sur un même lieu, des matières dans différents états, visibles dans le sens de l’édification et de la ruine.

Béton et poussière.

Durant ce temps transitoire de l’indéfinition architecturale, je capte l’informe et collecte les miettes du paysage urbain afin de nourrir un travail de sculpture, d’installation et de dessin.

A.C.

Né en 1993 à Reims, diplômé de l’École supérieure des beaux-arts de Nîmes en 2017,
vit et travaille à Marseille depuis septembre 2017.

François-Xavier Laloi - Before I was a tree, 2018, palette, vernis, 207 x 24 x 24 cm - Il était une stère de bois, 2017, bois, vernis, 17 x 264 x 17 cm - Passé recomposé, 2019, copeaux de planche, goudron, ficelle, 105 x 20 x 20 cm. Sud magnétique - Vidéochroniques
François-Xavier Laloi – Before I was a tree, 2018, palette, vernis, 207 x 24 x 24 cm – Il était une stère de bois, 2017, bois, vernis, 17 x 264 x 17 cm – Passé recomposé, 2019, copeaux de planche, goudron, ficelle, 105 x 20 x 20 cm. Sud magnétique – Vidéochroniques

Depuis quelques années, le bois constitue la ressource privilégiée de François-Xavier Laloi, alors que dans le même temps son travail s’est récemment déployé dans le champ de la sculpture. Il faut dire que sa pratique antérieure de la peinture, parce que fortement ancrée dans une réflexion des procédés et de la matériologie mis en œuvre, a très naturellement déterminé ce déplacement.
L’attention qu’il porte à son matériau favori, notamment aux processus industriels de transformation et de conditionnement qu’il subit, confère au propos de l’artiste une dimension autrement complexe que ne le laisse supposer de prime abord la simplicité des figures données à voir. Les éléments qu’il récupère sous des formes déjà débitées ou conditionnées (palettes, sacs de bois de chauffage, etc.) ont ainsi en commun d’avoir fait l’objet d’une première destination. Leur recyclage participe alors du renversement – ou contournement – d’un processus qui, la plupart du temps, aurait dû conduire à leur dégradation voire leur disparition, une fois passé le stade de déchets, de débris ou de cendres.
Les formes qui en résultent nous renvoient alors inévitablement à Giuseppe Penone. Et si les Arbres sont bien convoqués, un examen plus attentif de la démarche à l’œuvre ici la distingue explicitement de l’approche héroïque de l’artiste italien. L’entreprise de François-Xavier, conduite avec humour et dérision, est en effet plus modeste : il n’y est plus question de vérité mais d’un recours assumé à l’artifice, il ne s’agit pas de retrouver l’arbre lui-même mais plus simplement son image.

Né en 1993 à Carcassonne, diplômé de l’École supérieure des beaux-arts de Nîmes en 2017,
vit et travaille à Marseille depuis septembre 2017.
https://valentinmartre.com/

Valentin Martre - Prototype chimérique, 2018, cadre de scooter, branches d’arbres, 118 x 240 x 70 cm. Sud magnétique - Vidéochroniques
Valentin Martre – Prototype chimérique, 2018, cadre de scooter, branches d’arbres, 118 x 240 x 70 cm. Sud magnétique – Vidéochroniques

Valentin Martre travaille le plus souvent au sol. Cette position n’est pas sans rapport avec l’idée d’utiliser le minimum de choses pour travailler. Je considère qu’il réalise un ensemble d’actions sauvagement, comme le démontage d’objets, les préparations de mélanges (résine, plâtre, béton) en prenant soin d’éviter toute virtuosité […]. Son approche du travail en atelier est expérimentale et il apprend au rythme des expérimentations, loin des prouesses de l’ingénieur, un métier qu’il respecte pourtant énormément. Il utilise très souvent des matériaux issus des déchets industriels ou de la construction (limailles, écrans cassés, marbre cassé, polystyrène, terre, béton, latex, époxy). Pour cela, il se déplace d’usines en entreprises, en essuyant beaucoup de refus et en échangeant des services pour obtenir ses matériaux. Il se procure également des matériaux dans les magasins de bricolage et de bâtiment, mais aussi dans la rue.

Valentin Martre - Quand les particules s’alignent, 2019, contreplaqué, métal, cuivre, chariot, 90 x 87 x 74 cm. Sud magnétique - Vidéochroniques
Valentin Martre – Quand les particules s’alignent, 2019, contreplaqué, métal, cuivre, chariot, 90 x 87 x 74 cm. Sud magnétique – Vidéochroniques

Dans tout cela, il y a l’idée d’une société constituée aussi bien de rebuts et d’objets neufs, que l’on peut reconstruire et modifier à partir de ce qu’il y a de disponible à la fois dans le présent (la matière) et dans le passé (les connaissances). Valentin Martre considère un hors-champ très large, presque métaphysique, dans plusieurs de ses œuvres.

Valentin Martre - Tissu de réflexion, 2019, 1936 plaques de filtre polarisant, cuivre rouge, matériaux divers, dimensions variables. Sud magnétique - Vidéochroniques
Valentin Martre – Tissu de réflexion, 2019, 1936 plaques de filtre polarisant, cuivre rouge, matériaux divers, dimensions variables. Sud magnétique – Vidéochroniques

Il rapporte souvent ses sculptures à des forces fondamentales, aux mouvements de la terre, aux champs magnétiques, à la compression et à l’expansion de la matière. C’est son rapport méditatif au monde qui le dirige vers ces réflexions. Il parle de parallèles entre ses gestes et ceux des métiers manuels comme la joaillerie, la métallurgie, le tannage, des activités millénaires qui se préoccupent de prélever et de modifier les ressources qui nous entourent […].

Diego Bustamante

Né en 1991 à Rouen, diplômé de l’École nationale supérieure des beaux-arts de Lyon en 2017, vit et travaille à Marseille depuis novembre 2017.
https://ilyes-mazari.com/

Ilyes Mazari - Colombe, 2018, polyuréthane, terre, acrylique, platane,120 x 240 x 40 cm. Sud magnétique - Vidéochroniques
Ilyes Mazari – Colombe, 2018, polyuréthane, terre, acrylique, platane,120 x 240 x 40 cm. Sud magnétique – Vidéochroniques Photo En revenant de l’expo !

Une image forte a une odeur. « Est-ce qu’elle sent sous les bras !? », demande Braque à Picasso.
Son suintement âcre dissout son cadre et la sort de l’arène des représentations.
Son odeur étiole le fard des globules et ramène grouillant le ventre du monde.
Ilyes Mazari cherche la perlée chaude et salée. Celle qui vient du fond et sillonne à travers la chaire. La suée qui monte, par absorption et gonflement. L’épanchement rempart à la désaffection qui engorge le regard brûlant d’Adolphe Monticelli le Marseillais lorsqu’il empâte sur sa toile fleurs décaties, corps décharnés et arbres cellulaires.

Ilyes Mazari - WOMB, 2018, acrylique, plâtre, acide sulfurique, sucre,60 x 36 x 21 cm. Sud magnétique - Vidéochroniques
Ilyes Mazari – WOMB, 2018, acrylique, plâtre, acide sulfurique, sucre,60 x 36 x 21 cm. Sud magnétique – Vidéochroniques. Photo En revenant de l’expo !

La pratique d’Ilyes Mazari est faite de réactions élémentaires. Entre image et matière, il travaille la peinture, le dessin et la sculpture. Ses formes naissent de processus rationalisés et d’un empirisme formel ; entre plaquages de stratégies mentales et réactions plastiques. Oscillant de l’effluve au monolithe, ses œuvres renvoient autant à l’efficience expresse de nos sociétés contemporaines qu’aux réticences des débuts du langage.

Ilyes Mazari - Browning – Veilleur, 2017, cyanotype, acide tannique, acide chlorhydrique, acide sulfurique, borax, verre, plâtre, 2 éléments, ø 9,5 cm chacun. Sud magnétique - Vidéochroniques
Ilyes Mazari – Browning – Veilleur, 2017, cyanotype, acide tannique, acide chlorhydrique, acide sulfurique, borax, verre, plâtre, 2 éléments, ø 9,5 cm chacun. Sud magnétique – Vidéochroniques. Photo En revenant de l’expo !

Elle pousse au bord des pores la sudation saline où se délaye depuis deux mille ans le plongeur enroché de Naples. Sans excès ni cartel. Concret.

Né en 1991 à Saint-Rémy, diplômé de la Villa Arson, école nationale supérieure d’art de Nice en 2016, vit et travaille à Marseille depuis septembre 2018.
https://www.adrienmenu.com/

Adrien Menu – Ennui sauvage, 2019, acier, résine acrylique, 86 x 265 x 62 cm
Adrien Menu – Dialogue distendu, 2018, acier, plâtre, résine acrylique, bois, leds électroniques, bronze, aluminium, plexiglass, pierre, 144 x 483 x 340 cm
Adrien Menu – ‘blu:’gǝst/l’oeil mort, 2017, huile sur toile, 130 x 175 cm

Adrien Menu - Ennui sauvage, 2019, acier, résine acrylique, 86 x 265 x 62 cm. Sud magnétique - Vidéochroniques
Adrien Menu – Ennui sauvage, 2019, acier, résine acrylique, 86 x 265 x 62 cm. Sud magnétique – Vidéochroniques. Photo En revenant de l’expo !

Le travail d’Adrien Menu semble suivre deux principales lignes directrices. La première pourrait être qualifiée de structurelle : manipulant des barres en acier, des parpaings (ici reproduits en une fine couche de plâtre) et d’autres matériaux associés à l’univers du bâtiment, le jeune artiste érige des espaces dont les caractéristiques évoquent des sites industriels où se seraient développés des activités inconnues. La seconde, plus proprement sculpturale, consiste à extraire de leur champ d’usage habituel des éléments standards comme un évier, un matelas, de la bâche en plastique ou des canettes de soda qui, bien que sont légèrement modifiés ou greffés à d’autres supports, restent cependant facilement identifiables. Les environnements d’Adrien Menu, s’ils ne sont pas directement fonctionnels, possèdent donc quelque chose d’immanquablement familier pour quiconque aura déjà appréhendé la curieuse atmosphère d’une usine désaffectée ou d’un garage abandonné […].

Adrien Menu - Dialogue distendu, 2018, acier, plâtre, résine acrylique, bois, leds électroniques, bronze, aluminium, plexiglass, pierre, 144 x 483 x 340 cm. Sud magnétique - Vidéochroniques
Adrien Menu – Dialogue distendu, 2018, acier, plâtre, résine acrylique, bois, leds électroniques, bronze, aluminium, plexiglass, pierre, 144 x 483 x 340 cm. Sud magnétique – Vidéochroniques. Photo En revenant de l’expo !

Dans un échange avec l’artiste en amont de l’écriture de ce texte, celui-ci explique qu’il envisage son travail à la manière d’un « virus silencieux (…), où circuleraient certains symptômes comme le ralenti, le retrait, l’inactivité. ». Le clignotement des LED, les morceaux de matières arrachés par certains moulages ou encore la diffusion des messages « indésirables », soigneusement prélevés des spams de sa boîte mail véhiculent à leur tour cette idée d’une propagation continue de messages malades. L’installation porte ainsi en elle les stigmates d’une mécanique infectée, d’une diffusion du mal qui viendrait paralyser la productivité de machines, de corps, comme englouties par une sédimentation de matières ou par la mise en veille de leur activité. Il faut alors signaler que ce travail, en assumant son besoin de représentation, finit par développer un parti-pris ouvertement politique.

Adrien Menu - ‘blu:’gǝst/l’oeil mort, 2017, huile sur toile, 130 x 175 cm. Sud magnétique - Vidéochroniques
Adrien Menu – ‘blu:’gǝst/l’oeil mort, 2017, huile sur toile, 130 x 175 cm. Sud magnétique – Vidéochroniques. Pjoto En revenant de l’expo !

La présence indicielle, presque imperceptible, des corps qui parsèment l’espace d’exposition rend cette problématique plus tangible, agissant comme un contrepoint aux conséquences d’actes dérégulés exercés par la fameuse « main invisible ». On se demandera alors si dans cette « nuit sauvée », où la circulation de l’information et les décisions économiques portent en elles les plaies d’une idéologie contaminée, ne résonne pas déjà la rumeur d’un monde asphyxié par sa propre exploitation.

Franck Balland

Né en 1994 à Moulins, diplômé de l’École supérieure d’art de Clermont Métropole en 2017,
vit et travaille à Marseille depuis décembre 2017.
https://normannedellec.hotglue.me/

Norman Nedellec - Improvisation sur sardine, 2019, vidéo SD couleur, 8 min. Sud magnétique - Vidéochroniques
Norman Nedellec – Improvisation sur sardine, 2019, vidéo SD couleur, 8 min. Sud magnétique – Vidéochroniques. Photo En revenant de l’expo !

Norman Nedellec développe un travail essentiellement axé autour de la vidéo et de l’installation, à partir de la construction d’une cabane isolée en milieu rural. Cette architecture pauvre, pratiquée à la fois comme un lieu de vie, un atelier et un lieu de tournage, devient alors une forme motrice de son travail. A travers la quotidienneté et l’intimité qu’il entretient avec la cabane et le paysage environnant, il révèle des récits multiples, à l’écoute des sujets ou des entités résidantes sur ce territoire : sa chienne Adri et leurs nombreuses promenades, les animaux sauvages à l’orée des forêts, la mutation perpétuelle du paysage au fil des saisons, les micro-événements et les rencontres que ce monde génère.
Questionnant alors le cloisonnement d’un monde construit d’humains, d’animaux, de plantes et d’objets, il tisse une cosmologie dés-anthropocentrée, où les différentes formes de vie dialoguent entre elles et se révèlent être narratrices.
Depuis, la cabane a été détruite par le vent. Il ne reste qu’une plate-forme pourrissante au milieu des arbres. Elle a muté en un espace mental à partir duquel Norman continue d’observer le paysage. Sa participation à l’exposition collective des Enfants du Sabbat 19, au Centre d’Art du Creux de l’Enfer à Thiers (63), dessinait alors cette mutation en cours, à cheval entre la cabane perdue, ses réminiscences et l’espace d’exposition.
Maintenant, il vit et travaille à Marseille, au sein d’un atelier situé dans les quartiers nord depuis décembre 2017. Se confrontant à ce nouveau paysage, il continue à explorer et à travailler sur la potentialité d’un récit construit de formes multiples de vies.

Né en 1992 à Grasse, diplômé de l’École supérieure d’art d’Aix-en-Provence en 2015, vit et travaille à Marseille depuis octobre 2018.
https://patimomorgan.com/Morgan-Patimo

Morgan Patimo - Framed, 2019, techniques mixtes, dimensions variables. Installation évolutive. Sud magnétique - Vidéochroniques

Morgan Patimo – Framed, 2019, techniques mixtes, dimensions variables. Installation évolutive. Sud magnétique – Vidéochroniques. Photo En revenant de l’expo !

Morgan Patimo explore et façonne une pratique plastique et sonore régie par l’obsession de l’instant de la composition. Sa musique, tout comme ses dessins, est marquée par le rythme et la viralité. Riffs, samples, loops circulent sur la mécanique de la contamination, sur un répertoire d’éléments indistincts et fragmentaires qui se dispersent et se repiquent en partitions impulsives.
Sortir de l’astre, sortir du sens, Morgan Patimo développe en somme une pratique empirique et « désastreuse » de la composition et de sa plasticité grâce à l’improvisation.

Née en 1990 à Mauriac, diplômée de l’École supérieure d’art de Clermont Métropole en 2015, vit et travaille à Marseille depuis novembre 2016.
http://www.emmapavoni.com/

Emma Pavoni – de gauche à droite : Les apposés, 2017, papier, résine cristal, 51 x 56 x 2 cm – Lyrisse, 2016, terre, résine cristal, 103 x 60 x 12 cm – Instance : N, 2018, plomb, 91 x 94 x 3 cm – Gracile, 2017, papier, résine cristal, 180 x 2 x 3 cm – Idole, 2016, bois, terre, résine cristal, 58 x 32 x 7 cm – Sybille, 2018, papier, résine cristal, 25 x 25 x 84 cm – L’abandon, 2016, plomb, 180 x 45 x 3 cm – Drapé, 2016, latex, dimensions variables. Sud magnétique – Vidéochroniques

Emma Pavoni - de gauche à droite : Les apposés, 2017, papier, résine cristal, 51 x 56 x 2 cm - Lyrisse, 2016, terre, résine cristal, 103 x 60 x 12 cm - Instance : N, 2018, plomb, 91 x 94 x 3 cm - Gracile, 2017, papier, résine cristal, 180 x 2 x 3 cm - Idole, 2016, bois, terre, résine cristal, 58 x 32 x 7 cm - Sybille, 2018, papier, résine cristal, 25 x 25 x 84 cm - L’abandon, 2016, plomb, 180 x 45 x 3 cm - Drapé, 2016, latex, dimensions variables. Sud magnétique - Vidéochroniques
Emma Pavoni – de gauche à droite : Les apposés, 2017, papier, résine cristal, 51 x 56 x 2 cm – Lyrisse, 2016, terre, résine cristal, 103 x 60 x 12 cm – Instance : N, 2018, plomb, 91 x 94 x 3 cm – Gracile, 2017, papier, résine cristal, 180 x 2 x 3 cm – Idole, 2016, bois, terre, résine cristal, 58 x 32 x 7 cm – Sybille, 2018, papier, résine cristal, 25 x 25 x 84 cm – L’abandon, 2016, plomb, 180 x 45 x 3 cm – Drapé, 2016, latex, dimensions variables. Sud magnétique – Vidéochroniques. Photo En revenant de l’expo !

Emma Pavoni - L’éployante, 2015, acier, étain, dimensions variables - Instance : E, 2018, plomb, dimensions variables - Sans titre, 2018, plomb, 2 x 13 x 53 cm - Sans titre, 2018, plomb, 2 x 113 x 40 cm - Etats de formes : les reliefs, 2017, plomb, 2 x 17 x 14 cm. Sud magnétique - Vidéochroniques

Emma Pavoni – L’éployante, 2015, acier, étain, dimensions variables – Instance : E, 2018, plomb, dimensions variables – Sans titre, 2018, plomb, 2 x 13 x 53 cm – Sans titre, 2018, plomb, 2 x 113 x 40 cm – Etats de formes : les reliefs, 2017, plomb, 2 x 17 x 14 cm. Sud magnétique – Vidéochroniques. Photo En revenant de l’expo !

Le travail visible d’Emma Pavoni, apparaît principalement sous l’aspect de formes matérielles, ou d’images de formes. Des choses présentes, des présences. Vous voyez une sculpture ; sa forme globale est linéaire, proche du dessin. Vous vous approchez et les matériaux employés se révèlent alors : ce gris-là est du plomb, ce marron de la terre, ce jaune-ci de la cire.
Les matériaux toujours bruts, sans fard. La facture de la surface est celle du geste, du vivant, du mal-fait, de l’abîmé, du palpable, tout le contraire de l’ensemble minimaliste qui apparut au départ.
C’est la matière qui parle de matière ; dans la boursouflure, la rugosité, la bulle inattendue, l’endroit réparé, le cheveu incarné : une mise en abyme de la matière dans sa physicalité. Ces formes énigmatiques, voire abstraites agissent sur le regardeur par analogie : vous les avez déjà vues, ou pas pareilles, dans la vraie vie ou dans un rêve, sur votre frigo ?
Il y a dans la pratique d’Emma beaucoup de plaisir dans le processus de création : la préparation par le croquis, les différentes étapes de la fabrication, les finitions. Pour réaliser ses sculptures Emma Pavoni travaille parfois à partir de moules qu’elle fabrique. Ils accueillent et embrassent la matière qui deviendra dure.
Elle attend. La forme est sortie puis nettoyée, réparée, retravaillée, rafistolée : du détail grossier.
Le travail plastique d’Emma, est plein d’antagonismes : minimaliste et gestuel, rugueux et luisant, régulier et maladroit.
Ce sont des choses à voir, il n’y a rien à en dire.

Léa Puissant

Né en 1985 à Tokyo, diplômé de l’École supérieure d’art d’Aix-en-Provence en 2015, vit et travaille à Marseille depuis 2016.
http://masahirosuzuki.tumblr.com/

Masahiro Suzuki voyage. Ses peintures sont chargées de la multitude de paysages qu’il traverse,sentimentalement. Les toiles ont pu être tendues comme de classiques fenêtres contemplatives. Elles sont ces temps-ci, surfaces d’objets à contourner ou simplement libres, inscrites dans des compositions qui les dépassent. Ces vastes partitions associent façonnages intentionnels et éléments glanés en chemin. Car l’artiste sillonne le monde, à bicyclette, locomotion ni lente ni rapide assurant un contact avec le sol. Il dit parler tout seul lorsqu’il pédale. Il sait mettre pied à terre pour cueillir un volume, croquer une forme. Nomade, sa motivation peut surgir d’un livre, et son objectif demeure l’apprentissage, d’un instrument, d’une technique de drague, d’une langue ou tout autre savoir.

 Son impatience l’a mené vers les arts visuels dont il respecte l’immédiateté. Et ses œuvres saisissent d’emblée. La gamme est atmosphérique. L’émotion est minéralisée. Le peintre relie sa pratique de l’abstraction, au culte de la ruine. C’est un détour par Pompéi qui affirma en lui cette correspondance. Fondamentalement ému face à la beauté du site, il ne put à partir des fragments perçus, qu’en reconstruire une vision déraisonnable. Du romantisme au-delà de la figuration. Ancrer sa subjectivité dans ce que l’on regarde. Avoir toujours conscience d’où l’on est. L’itinéraire géographique devient métaphore existentielle. Concrètement, d’après la course de l’artiste sur le globe, il s’occidentalise. Japon, Chine, Inde, Égypte, Pologne, République tchèque, Allemagne, Italie, France, Angleterre, Espagne, Portugal. Si la terre est bien ronde, il devrait, dans cette direction, finir à son point de départ, arrivant depuis l’orient cette fois. Pour l’instant, la Provence est sa base donc sa palette. Le contraste inépuisé entre la voûte céleste et le relief des terrains continue aujourd’hui d’alimenter les intensités picturales de Masahiro Suzuki.
« Mon but est de voir le bleu du ciel »

Joël Riff

Née en 1992 à Draguignan, diplômée de l’École supérieure d’art et design de Toulon Provence Méditerranée en 2016, vit et travaille à Marseille depuis août 2018.
https://www.carolinevicquenault.com/

Caroline Vicquenault - Sans titre, 2017, huile sur toile, 60 x 80 et 100 x 80 cm. Sud magnétique - Vidéochroniques. Photo En revenant de l'expo !
Caroline Vicquenault – Sans titre, 2017, huile sur toile, 60 x 80 et 100 x 80 cm. Sud magnétique – Vidéochroniques. Photo En revenant de l’expo !

Par son utilisation de la peinture Caroline Vicquenault interroge la notion de figuration, et plus exactement l’influence qu’a le Medium sur son sujet et inversement. Son questionnement se prolonge de toile en toile.
Son implication est grandissante de par ce processus qui se complexifie. C’est un ques­tionnement incessant, aussi bien dans ce qu’il transmet au regardeur qu’à ce qu’il transmet à l’artiste.
La phase d’expérimentation est essentielle à sa démarche. Elle lui permet de prendre des risques et faire ainsi des découvertes de nouveaux gestes et une réflexion sur la notion d’erreurs et d’échecs.
« Hâtons nous donc d’échouer, car alors nous rencontrons le réel encore plus encore que dans le succès »*
Ces nouveaux gestes permettent d’évacuer une composition que Caroline considère comme épuisée. Elle découvre alors des combinaisons qu’elle qualifie de chargées.

*Les Vertus de l’échec, Charles Pépin, Allary éditions, 2016

L’intitulé « Sud magnétique » nous renvoie d’emblée à une catégorie spécifique de manifestations relevant de la physique, de l’astrophysique et des géosciences en particulier. Il m’a semblé opportun de commencer par en faire le rappel plus ou moins sommaire – disons vulgaire – à toutes fins utiles, essentiellement métaphoriques d’une part, allégoriques de l’autre.

Le géomagnétisme, autrement dit magnétisme terrestre, désigne et comprend l’ensemble des phénomènes magnétiques liés au globe terrestre. Ils sont eux-mêmes induits par la présence d’un champ qui, se déployant largement autour de la Terre comme une enveloppe, l’isole et lui garantit une protection (vitale en ce qui nous concerne) contre les effets possiblement dévastateurs du vent solaire. La circulation de ce flux magnétique, la modification – systématique – de la situation de notre planète (rotation sur son axe dans la journée et déplacement sur son orbite dans l’année) par rapport à la position du Soleil, l’orientation du vent solaire et la variation de sa puissance… expliquent paradoxalement mais conjointement l’incessante déformation de ce bouclier et la constance de sa représentation : plus épaisse/intense à l’équateur qu’aux pôles, la magnétosphère est aussi dissymétrique selon la face du globe – diurne ou nocturne – exposée à la lumière du jour.

Pour le commun des mortels, la manifestation la plus flagrante du phénomène – la plus enthousiasmante au plan esthétique, la plus angoissante au passage d’un millénaire et la plus stimulante pour l’auteur d’un scénario catastrophe – prend sans doute la forme d’une aurore polaire, qu’elle soit boréale au nord ou australe au sud. J’abrégerai son principe, pourtant complexe, de la façon suivante : l’aurore est générée lorsque des particules du vent solaire, à la suite de leur collision avec la magnétosphère et de leur canalisation par les lignes du champ magnétique, rencontrent l’atmosphère en s’engouffrant dans une zone conique (appelée cornet polaire) présente dans les régions des pôles. Car non seulement le champ magnétique enveloppe la Terre, mais il la traverse aussi de part en part, du pôle nord magnétique vers le pôle sud magnétique. Leurs emplacements sont d’ailleurs distincts de ceux des pôles géographiques, de même que l’axe qu’ils dessinent ne correspond pas à l’axe de rotation de notre planète.

La traversée « souterraine » de ce champ coïncide avec le fait que le moteur du phénomène est situé dans le noyau terrestre, plus précisément dans sa partie externe, liquide. Les mouvements de convection du métal en fusion (composé majoritairement de fer) conditionnent un système comparable à celui d’une dynamo. Dans sa définition générique, l’appareil a vocation à générer une énergie, ou plutôt à convertir une énergie (mécanique en tous les cas) en une autre (électrique d’habitude, magnétique ici).

Cette géodynamo comporte la particularité d’être auto-excitée – ou « auto-alimentée » pour simplifier –, c’est-à-dire que l’énergie produite par le système est aussi celle qui l’alimente. Son fonctionnement détermine par ailleurs l’intensité du champ, son orientation ainsi que la position des pôles magnétiques. La stabilité toute relative du système, que commandent la circulation de l’alliage liquéfié et les courants électriques induits, implique en conséquence l’éventuelle variation de la force engendrée et l’instabilité de la situation des pôles qui errent manifestement, de quelques dizaines de kilomètres année après année, et de quelques kilomètres à l’échelle d’une journée. On admet même que des perturbations plus sérieuses de ce système ont été – et sont – susceptibles d’occasionner des désordres autrement problématiques, depuis la modification significative de l’orientation du champ magnétique jusqu’à l’inversion complète de sa polarité, progressivement provoquées par un sévère épuisement de son intensité. Je vous laisse le soin d’en imaginer les conséquences.

En définitive, la Terre s’apparente à un aimant droit, ou à peu près. Comme pour n’importe quel dipôle magnétique (l’aimant droit en est un), le champ constaté s’oriente en vertu de l’attirance des pôles opposés premièrement, dans un sens particulier deuxièmement, du sud au nord en ce qui concerne le champ magnétique terrestre. Précisons que le sud magnétique est bien situé côté sud, tandis que le nord garde le nord, sur la base des normes géographiques admises pour distinguer les destinations concernées. Et c’est là que tout ce complique, par le jeu des conventions et des contradictions qu’elles ne manquent pas de susciter une fois franchi leur territoire respectif.

Moins spectaculaire qu’une aurore polaire, la boussole est un autre moyen de constater les effets du géomagnétisme. Son principe de fonctionnement est lié à la magnétisation de l’aiguille – donc à l’aimant – dont elle est constituée. Tournant librement sur un pivot, elle s’aligne sur le champ magnétique terrestre. Je l’ai déjà rappelé, la loi du magnétisme est telle que les pôles opposés s’attirent. Mais comme, par convention encore, on a choisi de nommer « nord » le pôle de l’aimant qui pointe le nord de la Terre, on peut en déduire cette contradiction : le pôle magnétique de la planète situé à proximité du nord géographique est en réalité un pôle sud au sens du magnétisme, tandis qu’on a choisi de le nommer « pôle nord magnétique » par facilité, en raison de son voisinage avec le nord géographique. C’est là que notre boussole s’affole !

S’il en est une à l’échelle de la France, la boussole artistique quant à elle semble actuellement pointer vers Marseille.

Passé cet exposé didactique, il me faut en effet rappeler que « Sud magnétique » est aussi le titre retenu pour désigner une exposition de groupe réunissant onze artistes : Jérémy Boulc’h, Amandine Capion, François-Xavier Laloi, Valentin Martre, Ilyes Mazari, Adrien Menu, Norman Nedellec, Morgan Patimo, Emma Pavoni, Masahiro Suzuki et Caroline Vicquenault, auxquels s’ajoute Juliano Gil dont l’intervention est prévue pendant le vernissage. À défaut de constituer un groupe homogène, ils ont au moins en commun le fait d’être jeunes et leur récente implantation à Marseille.

C’est justement de cette dernière considération qu’est né le projet, parti du constat d’un afflux massif et exponentiel d’artistes au cours des trois dernières années, apparemment inédit à moins de remonter aux années 90 et à l’incroyable vitalité qui a caractérisé cette période où les artist-run spaces – parmi d’autres initiatives – poussaient ici comme des champignons. Initialement approvisionnée par une intuition personnelle aussitôt confirmée par les éléments recueillis auprès d’une poignée d’informateurs témoins du phénomène à l’échelle de leurs radars respectifs, la démarche entreprise a d’abord donné lieu à une sorte de recensement, toujours en cours d’ailleurs, qui s’auto-alimente désormais avec la complicité des premières personnes identifiées. La rencontre d’une quarantaine d’artistes aux provenances diverses (Aix-en-Provence, Brest, Clermont-Ferrand, Lyon, Nantes, Nice, Nîmes, Perpignan, Strasbourg, Toulon…), pour la plupart dans leurs ateliers, et les échanges engagés autour de leur travaux récents et en cours ont très largement confirmé l’intérêt d’une telle attention.

L’exposition collective, qui s’est rapidement imposée comme un moyen de témoigner de cette dynamique, supposait selon moi deux préalables qui offraient par la même occasion au moins deux critères objectifs de sélection. Outre celui d’une implantation effective des artistes à Marseille, acquise par principe, la nature de son contenu devait lui éviter d’être confondue avec une exposition de diplômés, qui répond à de tout autres enjeux. Puisqu’il s’agissait essentiellement de montrer des artistes au travail et non l’aboutissement d’un parcours d’étude, seules des œuvres réalisées après l’issue de ce parcours ont été retenues.

De prime abord, puisqu’elle est fondée sur un parti pris contextuel et non thématique, et parce qu’elle n’a pas vocation initiale à établir des connexions conceptuelles ou formelles, on attend d’une telle exposition qu’elle rende surtout compte de la pluralité des pratiques en présence et de la singularité de chacune. Pourtant, mais après coup en quelque sorte, la récurrence de certaines figures, de certaines options matériologiques ou méthodologiques dessine de nombreuses affinités. C’est le cas par exemple du recours à l’expérimentation, entendue sur la base de sa définition dans le champ de l’art contemporain. Elle n’y désigne pas un système fondé sur des hypothèses et sur leur vérification – les hypothèses sont parfois même absentes – mais un processus au sein duquel les formes sont déterminées par des opérations plus ou moins nombreuses et plus ou moins complexes, ainsi que par les caractéristiques conjointes des matériaux utilisés. Les méthodes, de même que l’outillage employé, qui relèvent du néolithique au pire, des moyens accessibles au bricoleur lambda sinon, concourent à la grande autonomie de ces artistes qui évitent soigneusement de déléguer, sauf aux phénomènes entropiques parfois constitutifs de leurs œuvres. Ma dernière remarque au stade de cet examen succinct se rapporte à la convocation réitérée de la figure, comprise là en tant que concept polysémique débordant largement le champ de la figuration. L’intelligence réciproque des « sujets » et des médiums, qui s’informent et se déterminent mutuellement, confère sûrement à l’exposition sa dimension la plus inattendue, éminemment figurale.

À la faveur de son insistance sur les arrivées qui la motivent, en plus des pièces données à voir concrètement, Sud magnétique révèle par ailleurs plus abstraitement l’attractivité renouvelée de Marseille, sans doute appelée à croître encore par l’effet du dynamisme de ses nouveaux protagonistes. Seule ville de province douée d’une telle force d’attraction, jusqu’à preuve du contraire, les raisons les plus probantes du prodige semble relever finalement d’arguments assez triviaux : elle offre encore visiblement des opportunités qui coïncident avec l’économie des jeunes artistes qui, tant bien que mal, parviennent à y tirer leur épingle du jeu – c’est-à-dire à manger, se loger et pratiquer – en vertu de leur autonomie et de leur indépendance. Quand ils ne s’appuient pas sur des dispositifs préexistants (Cap 15, L’immeuble, MOHO…), ils créent les leurs (Lucarne, La Panthera, PailletteS, Belsunce Projects, galerie de la SCEP…), qu’il s’agisse d’ateliers, de lieux d’exposition, de collectifs, ou de réseaux plus informels souvent fondés sur la base de relations établies avant la venue à Marseille. Et si « Sud magnétique » propose bien un instantané d’une situation artistique, cette exposition entend aussi y participer plus activement, fût-ce de manière indirecte, notamment parce qu’elle constitue précisément l’occasion de croiser des réseaux finalement peu perméables les uns aux autres, ou trop lentement d’une part, parce qu’elle peut de l’autre contribuer à nourrir un faisceau de vifs questionnements relatifs aux lieux et aux conditions de travail des artistes dans cette ville.

Par le fait de sa définition et de sa mise en œuvre rapide, qui répond semble-t-il à une forme d’urgence tout en s’articulant clairement aux choix éditoriaux de Vidéochroniques et aux possibilités offertes par son fonctionnement, l’exercice comporte un certain nombre de limites notamment induites par son exclusivité. Cette exclusion concerne d’abord certaines démarches fondées sur des temporalités inadéquates en la circonstance (projets filmiques au long cours par exemple), ou des artistes qui, malgré le potentiel du travail, sont trop fraîchement sortis des écoles pour avoir eu le temps de le développer depuis. Ensuite, les conditions de réalisation n’étaient pas, cette fois, adaptées aux pratiques in situ. L’exposition évince également une population (issue de l’école d’art de Marseille) qui participe pourtant très largement de la dynamique constatée, et qu’il n’est aucunement question de négliger.

En tenant compte de ces remarques, mais aussi de la jeunesse d’un phénomène dont il est encore difficile d’apprécier véritablement l’impact sur les démarches des artistes et sur les formes produites, « Sud magnétique » se présente finalement comme une étape de travail et de réflexion qui implique d’être reconsidérée à l’avenir, non pas sous la forme d’une reprise mais plutôt d’un déploiement.

Au titre de cette réflexion, le recours métaphorique aux manifestations du champ magnétique m’est apparu constituer un premier moyen d’interroger la situation qui nous occupe en envisageant, par analogie, de lui appliquer certaines caractéristiques. Au premier rang d’entre elles figurent les notions de plasticité et d’instabilité. Par voie de conséquence, elles impliquent que la puissance, la localisation et la durée du phénomène sont plutôt incertaines, et supposent notre humilité. Il me vient en définitive l’idée de convoquer une autre métaphore empruntée à un domaine de la physique voisin, celui de l’électricité. Nous pourrions alors comparer l’énergie que concentre la situation artistique marseillaise actuelle à celle contenue dans une antique bouteille de Leyde, c’est-à-dire à un dispositif versatile aussi disposé à se charger électriquement qu’à se décharger. La question qui se pose à nous maintenant concerne peut-être notre capacité à renouveler ou, plus simplement, à entretenir cette charge.

Edouard Monnet
Commissaire de l’exposition

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