Les années simultanées à la galerie Moderne/s – Marseille

Sonia Delaunay et les avant-gardes autour de 1925

Jusqu’au 11 mai 2019, la galerie Moderne/s présente « Les années simultanées ». Sous-titrée « Sonia Delaunay et les avant-gardes autour de 1925 », Paul Jesslen a choisi pour sa première exposition thématique de porter son regard sur « la créativité joyeuse des avant-gardes autour de 1925 avec une personnalité centrale, celle de Sonia Delaunay ».

Les années simultanées à la galerie Moderne/s
Les années simultanées à la galerie Moderne/s

Pour celles et ceux qui méconnaissent le sens des « simultanées » pour Sonia et Robert Delaunay, on reproduit cet extrait d’un dossier réalisé par le Musée d’Art Moderne de la ville de Paris à l’occasion de l’exposition « Les couleurs de l’abstraction » en 2014-2015 :

« En 1907, Sonia rencontre Robert Delaunay, jeune peintre d’influence impressionniste, divisionniste et cubiste. Partenaires artistiques, leur travail évolue en cordée et s’oriente, dès 1912, vers l’abstraction. Guidés par les théories de Michel-Eugène Chevreul sur l’interdépendance perceptive des couleurs, ils explorent le jeu des contrastes créés par la juxtaposition des tons. Les Delaunay proclament la naissance d’un nouvel art global qui repose sur le pouvoir constructif et dynamique de la couleur : le simultanisme.
(…) Au-delà de la peinture, Sonia Delaunay explore une variété de supports et de techniques liés aux arts appliqués. L’appartement des Delaunay, véritable environnement artistique, est décoré par les créations « simultanées » de l’artiste (coussins, abat-jour, coffret). Sonia Delaunay conçoit également des vêtements : les costumes simultanés. »

On attendait avec beaucoup d’intérêt et de curiosité de découvrir les pièces sélectionnées et la manière dont elles seront exposées dans les espaces atypiques sur deux niveaux qu’occupe la galerie Moderne/s au pied des escaliers qui prolongent la rue Henri Tasso, en contrebas de la Place de Lenche, à deux pas du Mucem et de la Vieille Charité.

Les années simultanées à la galerie Moderne/s
Les années simultanées à la galerie Moderne/s

Avec beaucoup d’élégance et de soin, Paul Jesslen présente un bel ensemble de gravures et des éditions d’art où se mêlent affiches, planches gravées et jeux de cartes. Plusieurs de ces pièces ont été créées par Sonia Delaunay autour de 1925. Elles sont complétées de splendides rééditions des années 1960-70.

Avec pertinence, le galeriste a su construire un accrochage sobre et efficace qu’il accompagne de quelques pièces de design très bien choisies et de photographies de l’époque qui évoquent le contexte artistique des années 1920-30.

Façade et vitrine de la « Boutique Simultanée » de Sonia Delaunay, Pont Alexandre III, Exposition internationale des Arts Décoratifs et Industriels modernes, Paris, 1925. Planche photographique N°18 tirée de « Façades et agencements de magasins ». Charles Moreau éditeur, Paris, 1925. Format hors cadre : 28 x 24 cm. – à Moderne/s.
Façade et vitrine de la « Boutique Simultanée » de Sonia Delaunay, Pont Alexandre III, Exposition internationale des Arts Décoratifs et Industriels modernes, Paris, 1925. Planche photographique N°18 tirée de « Façades et agencements de magasins ». Charles Moreau éditeur, Paris, 1925. Format hors cadre : 28 x 24 cm. – à Moderne/s.

Une nouvelle fois, on a pu apprécier son accueil chaleureux et courtois, sa connaissance érudite des pièces qu’il propose. Avec tact et mesure, il partage volontiers la documentation rassemblée à propos de ces œuvres.

Les années simultanées à la galerie Moderne/s
Les années simultanées à la galerie Moderne/s

Cette proposition ne manquera pas d’attirer tous ceux qui ont apprécié l’ouverture du « Livre Blanc » de Sonia Delaunay chez Patrick Raynaud, dans le cadre de « #7 clous à Marseille », au début de cette année ou ceux qui avaient vu ses gouaches et dessins lors de « //70’s memories » en janvier 2017.

Bien entendu, un passage s’impose par Moderne/s ! C’est la certitude d’un moment privilégié d’échange et de partage.

À lire, ci-dessous, la présentation du projet « Les années simultanées » extraite du dossier de presse.

En savoir plus :
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Sonia Delaunay, Rythme couleur, lithographie numérotée vers 1975
Sonia Delaunay, Rythme couleur, lithographie numérotée vers 1975. Photo galerie Modernes

Les années simultanées ce sont ces années après la Première Guerre mondiale, autour de 1925, où la modernité s’est véritablement et pour la première fois insérée dans le quotidien de (presque) tout un chacun par le biais de l’architecture d’abord, puis naturellement de l’équipement domestique – ce que nous appelons aujourd’hui le design – et puis aussi au travers de la mode et de l’habillement.
Si une large partie du grand public et de la bourgeoisie se laisse séduire par les élégances raffinées de l’Art Déco et de ses succédanés, les intellectuels et les artistes d’avant-garde optent pour des choix esthétiques plus radicaux, inspirés par les dernières découvertes en matière de création.
Une figure artistique incarne à merveille cette période, celle de Sonia Delaunay. Épouse et partenaire artistique de Robert Delaunay, Sonia est une créatrice multiforme qui explore différents modes d’expression et qui ignore les délimitations entre les pratiques. Ses célèbres « tissus simultanés », créés pour le monde de la mode, mais inspirés par son travail pictural, étonnent encore aujourd’hui par leur modernité. Véritable symbole du dépassement des frontières en art, Sonia Delaunay ne touchera dans les années 1920 qu’une frange huppée de la population avec ses « tissus simultanés ». Ce n’est qu’après-guerre que son influence sera unanimement reconnue.

Sonia et Robert Delaunay, pionniers de l’art abstrait

Sonia Delaunay (1885-1979) et son mari, Robert Delaunay (1885-1941), occupent une place importante dans la genèse et dans la diffusion de l’abstraction picturale en France et dans le monde.
Héritiers à la fois des fauves et des cubistes, le couple Delaunay explore dès 1912 de nouvelles pistes en peinture, parmi lesquelles le rapport de la forme à la couleur reste prépondérant. Ces recherches poussent les deux artistes à s’éloigner progressivement de la représentation figurée, sans l’abandonner définitivement. La découverte de la « Loi du contraste simultané des couleurs », une étude scientifique de Michel-Eugène Chevreul datée de 1839, déclenche chez les Delaunay une activité de recherches intenses autour de ce principe. Toute une série de peintures et de travaux aux formes simples et dynamiques, souvent nommés « rythmes », ou « rythmes sans fin », a ainsi été créée en se fondant sur cette caractéristique de la perception humaine des couleurs.

Débordant du cadre strict de la toile, Sonia et Robert Delaunay, en artistes novateurs, n’hésitent pas à s’attaquer à des projets d’envergure. Ils créent ainsi pour l’Exposition internationale de 1937, des panneaux de très grands formats pour le Palais de l’Air et celui des Chemins-de-fer, plongeant littéralement le spectateur au cœur de la forme et de la couleur.

Sonia Delaunay « Rythme sans fin – hommage à Robert Delaunay » (1934-1956) Pochoir à la gouache sur papier vélin Format : 27 x 19,50 cm (46 x 37 cm encadré)
Sonia Delaunay « Rythme sans fin – hommage à Robert Delaunay » (1934-1956) Pochoir à la gouache sur papier vélin Format : 27 x 19,50 cm (46 x 37 cm encadré). Photo galerie Modernes

Sonia Delaunay et ses créations « simultanées » 

Parallèlement à leurs recherches plastiques et pour subvenir également aux besoins financiers du couple Delaunay, Sonia développe une activité de dessinatrice textile et de créatrice de mode. Entre 1912 et 1930, Sonia Delaunay crée des modèles de robes, de vêtements, d’accessoires, ainsi que des dessins textiles sous l’appellation « simultanés », appellation qui deviendra même sa marque. Loin d’être uniquement alimentaire, cette activité correspond aux aspirations profondes de l’artiste qui souhaite réconcilier les arts plastiques et les arts décoratifs. Elle participe de ce fait à cette mouvance d’avant-garde qui cherche alors à placer l’art dans le quotidien et jusque sur la peau de ses contemporains.

Lors de l’Exposition des Arts Décoratifs de Paris en 1925, Sonia Delaunay a l’opportunité de partager une boutique avec le fourreur et couturier Jacques Heim. Cette boutique, devenue mythique, est alors située sur le Pont Alexandre III. Sonia y présente ses dernières créations textiles, robes, tissus « simultanés » et accessoires. C’est à cette période que Sonia Delaunay devient un symbole de la modernité, non seulement en France, mais aussi en Europe. Ses créations sont en effet portées par les plus grandes stars du cinéma français de l’époque, mais aussi par les épouses des professeurs du Bauhaus, ce qui contribue encore plus à leur notoriété et à leur diffusion dans le milieu de l’art moderne.
Novatrice et presque révolutionnaire dans son approche du vêtement, Sonia Delaunay annonce les bouleversements que les grands couturiers vont progressivement mettre en œuvre dans le domaine de la mode tout au long du XXe siècle. Elle libère le corps, crée une fonctionnalité moderne, élégante et dynamique. Sa palette de couleurs est vive, gaie et explore toutes sortes de contrastes et d’harmonies. L’activité professionnelle de Sonia Delaunay dans le domaine textile prend fin progressivement dans les années 1930, suite à la crise de 1929.

Après la mort de Robert Delaunay en 1941, Sonia poursuit seule ses recherches plastiques et se consacre essentiellement à la peinture. Elle n’abandonne pour autant pas les arts appliqués. Bénéficiant d’une redécouverte de son œuvre dès la fin des années 1950, des manufactures de tapisseries, des architectes et des éditeurs font appel à elle pour des projets qu’elle mène avec rigueur et enthousiasme jusqu’à sa mort en 1979.

« Tapisseries de Sonia Delaunay » (détail) Affiche d’exposition, New-York Cultural Center, avril- mai 1973. Jacques Damase éditeur, impression en lithographie par Art Litho, Paris. Le motif de cette affiche reprend un projet de tissu imprimé daté de 1928
« Tapisseries de Sonia Delaunay » (détail) Affiche d’exposition, New-York Cultural Center, avril- mai 1973. Jacques Damase éditeur, impression en lithographie par Art Litho, Paris. Le motif de cette affiche reprend un projet de tissu imprimé daté de 1928. Photo galerie Modernes

L’œuvre gravée de Sonia Delaunay

L’œuvre gravée de Sonia Delaunay est à la fois riche, cohérente et très diversifiée.
C’est surtout après la Seconde Guerre mondiale que l’artiste grave, ou fait graver, certaines de ces compositions. Reprenant parfois des motifs qu’elle a créés aux côtés de Robert Delaunay dans les années 1920-1930, Sonia utilise le pochoir, notamment dans les « rythmes sans fin », mais aussi la lithographie, la sérigraphie et la pointe-sèche.
La rencontre, dans les années 1960, avec l’éditeur Jacques Damase va redynamiser la production d’œuvres gravées de l’artiste. En 1976, suite à un important don, Sonia Delaunay expose l’ensemble de son œuvre gravée au Musée National d’Art Moderne de Paris.

« Disques de couleurs », lithographie d’après Sonia Delaunay. Lithographie signée dans la planche et numérotée (N°91/150), éditions C & S, Luxembourg, vers 1975. Format hors cadre : 33 x 23 cm.
« Disques de couleurs », lithographie d’après Sonia Delaunay. Lithographie signée dans la planche et numérotée (N°91/150), éditions C & S, Luxembourg, vers 1975. Format hors cadre : 33 x 23 cm.

Sonia Delaunay, les avant-gardes et le cinéma des années 1920

Cette photographie de l’acteur Jaque Catelain (1897-1965) est tirée d’une série de clichés pris pendant le tournage du film de Marcel L’Herbier « Le Vertige » en 1926. L’acteur y apparait en dandy portant un peignoir « simultané » de Sonia Delaunay. Un autre cliché de cette série, cadré plus large, nous montre le comédien au milieu du décor d’une chambre raffinée, un décor dessiné par l’architecte Robert Mallet-Stevens.

Portrait de Jaque Catelain en peignoir « simultané » de Sonia Delaunay. Photographie tirée du tournage du film « Le Vertige » de Marcel L’Herbier, 1926. Tirage argentique sur papier. Carte photo N°263 de la Société des Cinéromans, 1926. Format hors cadre : 14 x 9 cm.
Portrait de Jaque Catelain en peignoir « simultané » de Sonia Delaunay. Photographie tirée du tournage du film « Le Vertige » de Marcel L’Herbier, 1926. Tirage argentique sur papier. Carte photo N°263 de la Société des Cinéromans, 1926. Format hors cadre : 14 x 9 cm.

Plusieurs cinéastes d’avant-garde ont eu recours aux créations textiles de Sonia Delaunay dans des films des années 1920. Si Marcel L’Herbier habille Jaque Catelain avec des vêtements signés Delaunay pour « Le Vertige » en 1926, la même année, René Le Somptier fait largement appel à des tenues « simultanées » pour habiller ses comédiennes, dont la célèbre « danseuse aux disques », dans son film en six épisodes « Le P’tit Parigot ». Dans ce même film, l’extraordinaire décor du dancing, signé Sonia Delaunay, est complété de véritables toiles de grands formats des artistes Robert Delaunay, Albert Gleizes et André Lhote, donnant à cet épisode du film un caractère de modernité inédit.
Il est vrai que le cinéma des années 1920 cherche parfois à faire corps avec l’avant-garde artistique de l’après-guerre dans une démarche que l’on peut qualifier « d’art total ». On se souvient que Marcel L’Herbier a déjà eu recours à des signatures prestigieuses pour son film « L’Inhumaine » sorti en 1924. Pour ce film, L’Herbier fait en effet appel à Robert Mallet-Stevens pour dessiner les décors des maisons modernistes des protagonistes et à Fernand Léger pour dessiner et monter le célèbre décor du « laboratoire » de l’ingénieur. Pour ce film, aucun détail n’a été laissé au hasard, jusqu’aux meubles utilisés dans les décors et qui sont signés Pierre Chareau.
Ce qui est intéressant ici, outre la participation effective des artistes d’avant-garde à ces projets cinématographiques, c’est la transcription de leurs œuvres dans un nouveau format qui, de fait, est dynamique et mêle toutes les disciplines.

L’avant-garde et le théâtre

Tous les courants d’avant-garde en Europe entre 1910 et 1930 se sont intéressés à la danse, au théâtre et à l’expression corporelle. L’approche est bien évidement et dans tous les cas à contre-courant des formes classiques de représentation. Beaucoup d’artistes cherchent à transposer la mécanique industrielle – symbole des temps nouveaux – et les formes géométriques pures dans le jeu et dans les costumes des comédiens.

C’est au Cabaret Voltaire à Zurich qu’Hugo Ball (1886-1927) inaugure en 1916, lors d’une soirée devenue mémorable, la première représentation « Dada ». Affublé d’un costume improbable, qui l’empêche totalement de bouger, l’artiste récite un texte incohérent et saccadé devant un public à la fois médusé et surexcité, le tout dans une ambiance survoltée.

Le Bauhaus s’intéresse lui aussi de très près à l’expression corporelle. C’est dans le cadre de l’atelier de théâtre de l’école et avec le concours des élèves, qu’Oscar Schlemmer (1888-1943) imagine son fameux « ballet triadique », forme inédite de mariage entre les couleurs, les formes et les sons.

Le 6 juillet 1923, est donné au théâtre Michel de Paris la pièce de Tristan Tzara (1896-1963) « Le cœur à gaz ». Tous les comédiens présents sur scène sont vêtus de costumes « abstraits » dessinés par Sonia Delaunay. La représentation très chahutée de cette pièce – la salle sera à moitié détruite par les spectateurs – consomme la rupture entre dadaïstes et surréalistes et marque la fin du groupe Dada parisien. La pièce sera reprise quarante-cinq ans plus tard, toujours sous le regard et dans les costumes de Sonia Delaunay, mais cette fois-ci avec la bénédiction de l’Histoire.

Le dessin repris par cette affiche est l’un des costumes dessinés par Sonia Delaunay pour la pièce de Tristan Tzara, plus précisément celui de « la danseuse jaune ».

« Sonia, Robert Delaunay et le théâtre » Affiche d’exposition, Galerie de Varenne, Paris, 1969 Editions Jacques Damase Impression en lithographie par Arts Litho, Paris. Motif « La danseuse jaune », d’après le dessin de costume pour la pièce « Le coeur à gaz » de Tristan Tzara, donnée à Paris en 1923.
« Sonia, Robert Delaunay et le théâtre » Affiche d’exposition, Galerie de Varenne, Paris, 1969 Editions Jacques Damase Impression en lithographie par Arts Litho, Paris. Motif « La danseuse jaune », d’après le dessin de costume pour la pièce « Le coeur à gaz » de Tristan Tzara, donnée à Paris en 1923. Photo galerie Modernes

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