Rodolphe Huguet – Pour rêver une liberté retrouvée dans une maison sans murs au CACN – Nîmes

Jusqu’au 22 septembre, Rodolphe Huguet pose ses valises au CACN à Nîmes pour une proposition intitulée « Pour rêver une liberté retrouvée dans une maison sans murs ».
Ce long et très juste titre est emprunté à « Roro Manifesto », un texte de Pascal Beausse qui accompagne l’exposition.

Rodolphe Huguet - Pour rêver une liberté retrouvée dans une maison sans murs au CACN – Nîmes
Rodolphe Huguet – Pour rêver une liberté retrouvée dans une maison sans murs au CACN – Nîmes

Mis en espace avec précision et habileté, « Pour rêver une liberté retrouvée dans une maison sans murs » utilise avec discernement les contraintes et les atouts du lieu. Avec une étonnante économie de moyens, Rodolphe Huguet a construit un dispositif scénographique inventif qui valorise parfaitement les œuvres qu’il a choisies. Le parcours de visite offre d’intéressantes perspectives qui multiplient les points de vue et suggère avec finesse des rapprochements édifiants.

Rodolphe Huguet - Pour rêver une liberté retrouvée dans une maison sans murs au CACN – Nîmes
Rodolphe Huguet – Pour rêver une liberté retrouvée dans une maison sans murs au CACN – Nîmes

Avec les « Fragments » de Rayyane Tabet à Carré d’art et « Thankx 4 Nothing » d’Ugo Rondinone à la Chapelle des Jésuites, « Pour rêver une liberté retrouvée dans une maison sans murs » fait partie des expositions estivales incontournables à Nîmes et dans la région.

Rodolphe Huguet - Sans titre, 2018-2019 - Pour rêver une liberté retrouvée dans une maison sans murs au CACN – Nîmes
Rodolphe Huguet – Sans titre, 2018-2019 – Pour rêver une liberté retrouvée dans une maison sans murs au CACN – Nîmes

Parmi les œuvres montrées au CACN, on retrouve les « Maisons-valises » et un des « Pièges à rêves » que Rodolphe Huguet avait installés dans les circulations du Frac Provence Alpes Côte d’Azur à l’occasion de « Bon Vent », l’exceptionnelle exposition présentée l’hiver dernier à Marseille.
On découvre également une nouvelle série de ses « Warchitectures » dont il avait montré 22 guerriers sur la terrasse en îlot du Frac et qui avait fait l’objet d’une édition.

Ces œuvres ont été produites pendant et à la suite d’une résidence croisée avec les Fracs Franche-Comté et PACA. Rodolphe Huguet avait alors développé un travail en immersion à la tuilerie Monier. Après en avoir adopté les horaires et les règles de fonctionnement, il avait collaboré avec les ouvriers et intégré les contraintes techniques des différentes étapes de fabrication. Inspiré par les usages élémentaires de l’objet : s’abriter, se protéger, être en sécurité, il a choisi de travailler la tuile elle-même. Il l’a pilée, déformée, frappée, transpercée… pour en faire des sculptures qui évoquent les situations de ceux qui arrivent épuisés et meurtris de ce côté de la méditerranée.

Rodolphe Huguet - Pour rêver une liberté retrouvée dans une maison sans murs au CACN – Nîmes
Rodolphe Huguet – Pour rêver une liberté retrouvée dans une maison sans murs au CACN – Nîmes

Au centre CACN, sur trois étagères métalliques qui rappellent les réserves archéologiques, Rodolphe Huguet présente un ensemble de ses nouvelles « Warchitectures ».
Quelles que soient sa taille et sa position dans l’exposition, le visiteur est sans arrêt sous le regard troublant de ces « figures » étranges. Masques de tuiles tordues, percutées, perforées, criblées d’impacts de balles, ces visages déformés et mutilés semblent crier leur douleur, leur martyre, leur angoisse, leur effroi…

Sur le mur de gauche en entrant, on découvre un des émouvants « pièges à rêves » montrés à Marseille. Fragments de terre cuite accrochés dans morceau de clôture grillagée, ils évoquent les mains de ceux qui y ont peut-être abandonné leurs derniers espoirs…

Rodolphe Huguet - Pièges à rêves, 2018-2019 - Pour rêver une liberté retrouvée dans une maison sans murs au CACN – Nîmes
Rodolphe Huguet – Pièges à rêves, 2018-2019 – Pour rêver une liberté retrouvée dans une maison sans murs au CACN – Nîmes

En face, d’autres « pièges à rêves » que l’on avait pu voir en début d’année dans Ceremony au Palais de l’Archevêché à Arles. Ici, des tongs échouées sur des plages africaines sont entremêlées dans des filets tissés avec des lacets de chaussures… Des espérances restées de l’autre côté ou au fond de la Méditerranée ?

Un peu plus loin, l’œil noir d’une caméra de surveillance en bronze enregistre-t-il avec froideur et cynisme ceux qui déambulent ici ? Construit à partir d’une branche et d’un flacon de jus de fruits, l’appareil était discrètement accroché au Palais de l’Archevêché.

Rodolphe Huguet - Bronze n°3570, 2005 - Pour rêver une liberté retrouvée dans une maison sans murs au CACN – Nîmes
Rodolphe Huguet – Bronze n°3570, 2005 – Pour rêver une liberté retrouvée dans une maison sans murs au CACN – Nîmes

Des « Maisons-valises », composées de tuiles déformées, de couvertures, de sangles et de poignées, semblent avoir été abandonnées dans l’urgence d’un départ au fond de l’espace d’exposition.

Rodolphe Huguet - Sans titre, 2018 - Pour rêver une liberté retrouvée dans une maison sans murs au CACN – Nîmes
Rodolphe Huguet – Sans titre, 2018 – Pour rêver une liberté retrouvée dans une maison sans murs au CACN – Nîmes

Au-dessus, Rodolphe Huguet prolonge les nuages stylisés d’un canevas chiné aux puces par les spires d’un rouleau de fil de fer barbelé datant de la Seconde Guerre mondiale…
Doit-on rapprocher les grillages où se heurtent aujourd’hui les migrants et les barbelés qui enfermaient les indésirables des années 40 ?

Rodolphe Huguet - Sans titre, 2015 - Pour rêver une liberté retrouvée dans une maison sans murs au CACN – Nîmes
Rodolphe Huguet – Sans titre, 2015 – Pour rêver une liberté retrouvée dans une maison sans murs au CACN – Nîmes

Dans la petite salle qui ouvre au fond du CACN, Rodolphe Huguet présente une installation immersive captivante créée pour l’exposition. Des empreintes de mains dans la terre cuite sont suspendues le long de fils qui occupent le volume l’espace.

Rodolphe Huguet - Sans titre, 2018-2019 - Pour rêver une liberté retrouvée dans une maison sans murs au CACN – Nîmes
Rodolphe Huguet – Sans titre, 2018-2019 – Pour rêver une liberté retrouvée dans une maison sans murs au CACN – Nîmes

Sans titre, comme de nombreuses œuvres, cette pièce laisse au visiteur la liberté d’y voir ce qu’il ressent. Longues silhouettes efflanquées réduites à une colonne vertébrale qui errent dans l’espace ? Cordages où il ne reste que les traces de ceux qui auraient pu être secourus ? Strange Fruit que chantait Billie Holiday pour la première fois en 1939, au Café Society de New York ?…

Comme celle qu’il avait accrochée au plateau expérimental du Frac, cette installation saisissante ne peut laisser indifférent.

À lire, ci-dessous, « Roro Manifesto », un texte de Pascal Beausse qui présente la démarche artistique et le travail de Rodolphe Huguet.

Jusqu’au 29 septembre, la galerie quatre présente à Arles « Stone Power », seconde exposition personnelle de l’artiste dans la région. Il y montre une série d’œuvres réalisées suite à plusieurs séjours dans des communautés de lapidaires et de mineurs de la région de Minas Gerais au Brésil. Chronique à suivre après une prochaine visite.

En savoir plus :
Sur le site du CACN
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Sur le site de Rodolphe Huguet.

L’art de Rodolphe Huguet consiste en un pragmatisme poétique du « faire avec ». Faire avec la Terre et ses habitants. Faire avec la jubilation de la trouvaille, de l’invention et de la débrouille. Faire avec les rêves et le hasard heureux. Faire avec la vie. Le travail de l’artiste, c’est de créer des formes qui disent le monde dans lequel elles apparaissent. Mieux qu’un ouvrage de théorie culturelle : une oeuvre de Rodolphe Huguet – un tissage, un pliage, un bricolage. Extension du domaine de l’activité artistique : la vie continue. Un shoot de réel, c’est ce qui donne une bonne pièce.

Le voyage est pour lui une impérieuse nécessité. Le globe est son atelier. Pour maintenir une continuité entre l’art et la vie, il déplace constamment le territoire de son activité. C’est un art vagabond, qui se reformule en fonction de son environnement. Être artiste pour lui, c’est se situer au coeur des multitudes et interagir avec elles. Devenir un artisan, un colporteur, un hurluberlu, un stagiaire du réel, un apprenti du monde, un réenchanteur de la vie. Son éthique de l’indépendance l’amène à travailler hors des lieux institutionnels, au large de l’Empire. Pour être un parmi les autres et trouver les moyens de communiquer à travers l’activité artistique. Quand l’art fait lien, à la recherche d’un dialogue interculturel. Et toujours, derrière l’humour qui naît de l’incongruité, de l’improbable et de la magie, affleure une conscience politique sans illusions.

In situ et in vivo : c’est l’emplacement de l’atelier nomade de Rodolphe Huguet. En un lieu et au sein du vivant. Il voyage en solitaire. Il part en dérive et s’arrête pour travailler là où son chemin le conduit. Dans un endroit précis de la planète, avec des coordonnées culturelles inconnues qu’il faut découvrir et comprendre. L’intelligence plastique de ses oeuvres réside dans leur origine, ce long trajet pendant lequel il cherche à s’enrichir d’une connaissance de la diversité du vivant. Tout l’enjeu de ce processus toujours réinventé est de parvenir à trouver les moyens de faire un art qui soit juste dans ses rapports avec le paysage humain où il apparaît et qui puisse retrouver une justesse dans les lieux où il sera ensuite déplacé et exposé. Rodolphe Huguet est un migrateur volontaire. Il choisit le risque d’être un étranger hors de sa culture. Cet inconfort est un atout, qui le maintient dans un éveil où les idées fusent.

C’est le manifeste de Roro. Plus qu’un diminutif, un non-logo pour une agence de voyage poétique : RORO Airlines. Deux « R » entourés d’un double « O » constituent son écusson. L’artiste en dériveur sur les courants aériens. C’est un maillon du réseau des figures du dehors. Il atterrit comme un planeur non identifié et endosse un rôle pour faciliter le contact. En Inde, il apparaît en Père Noël démultiplié par son croisement avec Shiva et, comme un ludion décalé, diffuse ce qui n’a pas de prix : de la joie. Dans la médina de Fès, il devient un petit entrepreneur et fait travailler une vingtaine de personnes et sept corps de métier, en leur offrant une échappatoire à la routine. Au Canada, il se transforme en agent immobilier fantasque et met sur le marché du logement des icebergs en passe de disparaître. Dans une fonderie d’art implantée au coeur de la campagne française, il réinvente les techniques traditionnelles du bronze pour produire une critique de la réalité sociale locale. Chez un taxidermiste, il détourne les pratiques ancestrales pour créer des anti-trophées. L’artiste ne passe pas commande à un artisan : il développe une collaboration avec lui. C’est un réel échange, où il invite son interlocuteur à emmener ses pratiques et usages vers d’autres finalités. Il y a un partage de savoirs, un échange de connaissances d’où chacun sort plus riche d’expérience et de compétence.

Tout le travail de Rodolphe Huguet consiste à créer des objets dialectiques, qui engendrent une mise en crise de leurs modèles. Il tire ses réalisations de l’univers de la consommation industrielle ou vernaculaire et les déplace en termes sémantiques. Sa réflexion sur les modes de production lui permet de libérer les formes de la gangue de la marchandise pour leur donner une portée critique. Il déploie à cette fin mille et une tactiques traversières, en marge des lois. Ainsi de ses baskets contrefaites, qu’il fait fabriquer en toute clandestinité. Des ouvriers travaillent pour son projet sur leurs heures d’usine, en déployant la ruse dite de la perruque. Il obtient un anti-produit, alternative à l’uniformité de la consommation de masse.

Le sens plastique de l’artiste réside dans sa capacité à inventer des formes qui découlent d’une rencontre avec le réel. Son activité est un trait d’union entre des êtres et des cultures. L’art est un véhicule. Un import-export d’objets poétiques de contrebande. Une coproduction de richesse symbolique. L’art est un lieu pour l’utopie. Pour rêver une liberté retrouvée dans une maison sans murs. Il s’agit de faire du monde sa demeure, en comprenant l’asymétrie entre local et global. Comme avec cette minuscule tente de camping, qui peut tout juste abriter la tête de l’artiste pour lui permettre de rêver son art au coeur de la mégapole. Rodolphe Huguet habite le monde en poète. Le tapis des nomades se transforme chez lui en une route, façon de résister à l’enclos de la domestication. Manière de dire qu’il est chez lui dans le déplacement. L’art est une trajectoire dans la vie. Un voyage toujours recommencé.

Pascal Beausse.

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