Estrid Lutz – The Body of Tears (Le corps des larmes) au MOCO Panacée

Jusqu’au 5 janvier 2020, Estrid Lutz présente avec « The Body of Tears (Le corps des larmes) », un des projets les plus remarquables et audacieux de la rentrée. L’hallucinante et singulière expérience immersive que propose la jeune artiste est absolument incontournable !

Estrid Lutz, Body of Tears - MOCO Panacée - Montpellier - Vue de l'exposition
Estrid Lutz, Body of Tears – MOCO Panacée – Montpellier – Vue de l’exposition

« The Body of Tears » montre un ensemble important d’œuvres créées par Estrid Lutz à l’occasion d’une résidence de recherche et de production pendant deux mois, cet été à Montpellier.  Cette exposition et la manière dont elle s’est construite illustrent parfaitement le rôle de « laboratoire » en direction des jeunes plasticiens que La Panacée devrait jouer dans le dispositif imaginé par Nicolas Bourriaud

« The Body of Tears » – Préambule

Une salle de projection, au fond de la première galerie de La Panacée, montre une courte vidéo intitulée « Mosquitoes disappears in ground swells » que l’artiste présente comme la note d’intention de son exposition.

Estrid Lutz, Mosquitoes disappears in ground swells, 2019, capture video, Zicatela, Puerto Escondido
Estrid Lutz, Mosquitoes disappears in ground swells, 2019, capture video, Zicatela, Puerto Escondido

On y découvre une peinture en fibre de verre qu’Estrid Lutz a immergée dans l’océan pacifique. Soumise aux forces d’une vague, on la voit onduler puis disparaître, happée par le reflux…

Après avoir largué pas mal de choses, Estrid Lutz est installée en 2017 à Puerto Escondido au Mexique. La plage de Zicatela et surtout sa vague en font un des plus célèbres spots de surf au monde. Dans une conversation avec Rahmouna Boutayeb et Victor Secretan, reproduite dans le livret d’accompagnement, elle confie : « À Puerto Escondido, où je vis, les éléments naturels sont puissants, voire violents. Il y a cette vague géante, dangereuse. On ressent beaucoup de choses, des vibrations, des tremblements de terre, c’est assez chaotique. »

Du Mexique, elle a rapporté de nombreuses photographies de vagues, des collages et des dessins. La vague est, dit-elle, « un élément central de mon travail et de ma vie. Je passe beaucoup de temps à observer l’océan, à m’y confronter, à dessiner et imaginer des planctons ».

À Puerto Escondido. © Estrid Lutz
À Puerto Escondido. Photo © Estrid Lutz

Certaines de ses lectures sont aussi fondatrices de ce qu’elle a produit pendant cette résidence au MOCO. Estrid Lutz cite notamment Cette mer qui nous entoure, un ouvrage de vulgarisation scientifique écrit par la biologiste marine Rachel Carson et publié en 1951. Elle raconte en particulier un passage où l’autrice évoque une vague qui dans la création de notre planète se serait décrochée de la croûte terrestre pour passer en orbite lors d’une tempête solaire. Cette non-différenciation entre ciel et mer est un des éléments qui construit « The Body of Tears (Le corps des larmes) » dont le titre est inspiré par la lecture de L’Eau et les Rêves de Gaston Bachelard.

«The Body of Tears » – l’installation

Isolée de la coursive par d’épais rideaux à lanières blanches, l’installation immersive « The Body of Tears » se développe dans les deux salles contiguës qui ouvrent sur la seconde galerie de La Panacée.

Pénétrer dans « The Body of Tears », c’est passer dans un autre univers…

Estrid Lutz, Body of Tears - MOCO Panacée - Montpellier - Vue de l'exposition
Estrid Lutz, The Body of Tears – MOCO Panacée – Montpellier – Vue de l’exposition

Les murs sont couverts d’un dégradé de bleu dessinant un horizon flou et incertain entre « ciel et mer ».

Estrid Lutz, Body of Tears - MOCO Panacée - Montpellier - Vue de l'exposition
Estrid Lutz, the Body of Tears – MOCO Panacée – Montpellier – Vue de l’exposition

La majorité des 18 pièces qui composent « The Body of Tears » sont suspendues à des hauteurs variables créant ainsi un monde étrange, hallucinant, fascinant parfois un peu effrayant qui captive le regard.

Estrid Lutz, Body of Tears - MOCO Panacée - Montpellier - Vue de l'exposition
Estrid Lutz, The Body of Tears – MOCO Panacée – Montpellier – Vue de l’exposition

On y perçoit des formes et des matières hybrides, aux limites indistinctes, aux reflets et aux teintes instables. On reconnaît parfois d’imaginaires planctons marins, une rougeoyante Zicatela avec de bizarres os plantés dans l’eau, mais aussi des palmes, des plantes tropicales, l’ombre d’un drone ou celles d’étranges rituels…

Estrid Lutz - Satellized Silicium Muerte Zicatela et Le Soupir Des Plantes Molles, 2019 - Body of Tears - MOCO Panacée - Montpellier
Estrid Lutz – Satellized Silicium Muerte Zicatela et Le Soupir Des Plantes Molles, 2019 – The Body of Tears – MOCO Panacée – Montpellier

Certains titres font écho à ce que l’on discerne (Ballet Of Atrofied Planktons Fuze Data Center, Satellized Silicium Muerte Zicatela, Le Soupir Des Plantes Molles, Jelly Paradizzzzz, Mayas Trance Hydrophob…).

Estrid Lutz - Ballet Of Atrofied... et Deepwater Snake Cable Porn 1 et 2, 2019 - Body of Tears - MOCO Panacée - Montpellier
Estrid Lutz – Ballet Of Atrofied… et Deepwater Snake Cable Porn 1 et 2, 2019 – The Body of Tears – MOCO Panacée – Montpellier

D’autres sont plus énigmatiques (Dimorphism Parade, Satellized Sunk Eye, Sunkkkk, Satellizzzzzzz). Certains pourraient suggérer d’étonnantes révélations (Dicktracked)…

Estrid Lutz - Dicktracked, 2019 - Body of Tears - MOCO Panacée - Montpellier
Estrid Lutz – Dicktracked, 2019 – The Body of Tears – MOCO Panacée – Montpellier

Un collage sonore de Erwan Sene produit en dialogue avec Estrid Lutz enrichit cet univers visuel saisissant et spectaculaire.

La déambulation dans « The Body of Tears » est envoûtante. Chaque point de vue, chaque mouvement révèle des formes et les teintes nouvelles et inattendues. Interactions, rapprochements et des oppositions se multiplient…

Estrid Lutz - Le Soupir Des Plantes Molles, 2019 - Body of Tears - MOCO Panacée - Montpellier
Estrid Lutz – Le Soupir Des Plantes Molles, 2019 – The Body of Tears – MOCO Panacée – Montpellier

Soudain, la lumière diminue. Plongée dans l’obscurité, l’installation dévoile d’autres formes, signes, couleurs et pulsations… Les sculptures/collages/peintures de Estrid Lutz émettent des lueurs fluorescentes vertes ou bleues.

Estrid Lutz - Wave Decomposition et Dimorphism Parade, 2019 - Body of Tears - MOCO Panacée - Montpellier
Estrid Lutz – Wave Decomposition et Dimorphism Parade, 2019 – The Body of Tears – MOCO Panacée – Montpellier

Elles évoquent la bioluminescence du plancton que l’artiste a souvent observé à Puerto Escondido, mais que l’on peut aussi voir, plus rarement, les nuits de fin d’été en méditerranée.

Estrid Lutz - Space Immersion Bouquet, 2019 - Body of Tears - MOCO Panacée - Montpellier
Estrid Lutz – Space Immersion Bouquet, 2019 – The Body of Tears – MOCO Panacée – Montpellier

Faire l’expérience de « The Body of Tears » ne peut laisser indifférent à la fois par la puissance plastique qui s’en dégage, mais surtout par la place qu’elle offre au visiteur et à son imaginaire. À chacun de faire dériver cet univers instable en autant de théâtres, de songes ou de chimères qui peuvent l’habiter… Reproduire cette expérience, c’est à chaque passage se confronter à un autre monde, l’occasion d’ouvrir le champ à des perceptions complètement renouvelées…

Il y a quelque chose de psychédélique dans « The Body of Tears ». L’installation pourrait évoquer quelques souvenirs à celles et ceux qui avaient entre 15 et 25 ans à la fin des années 60 et qui conservent quelques images des Liquid light show de Brotherhood of Light avec le Grateful Dead ou de The Holy See avec l’Airplane au Winterland Ballroom ou au Fillmore West …

« The Body of Tears » – les « techno-bricolage » d’Estrid

Dans la conversation citée un peu plus haut, Estrid Lutz évoque largement son processus de travail sur lequel elle est souvent revenue lors de la visite de presse. Les premières phrases de cet entretien résument rapidement cette pratique qui par bien des aspects reste fondamentalement expérimentale :

« Ma démarche s’inscrit dans un va-et-vient permanent entre art, science et technologie. Dans le champ des sciences, je m’intéresse notamment à la chimie où les processus d’interaction et de transformation sont très présents. Mon travail résulte de collages et d’hybridations ».

Une recherche minutieuse de phénomènes naturels et des observations attentives de son environnement sont compilées dans des cahiers de croquis, en dessins, en photographies et en collages…

Elle transpose ensuite ces notes sur les matériaux technologiques très résistants utilisés dans des applications spatiales et militaires tels que le kevlar, l’honeycomb ou nid d’abeille, la fibre de carbone, ou la résine époxy qu’elle modèle, parfois en les hybridant. Sur ces supports, elle mélange des collages, des pigmentations ou des encres qui s’imprègnent dans les matériaux. Certaines sont fluorescentes ou thermoluminescentes. D’autres sont hydrochromiques et réagissent à la présence de l’eau et à l’humidité de l’air.

Estrid Lutz - Heavy Water, 2019 - Body of Tears - MOCO Panacée - Montpellier
Estrid Lutz – Heavy Water, 2019 – The Body of Tears – MOCO Panacée – Montpellier

Plusieurs de ces collages évolueront pendant la durée de l’exposition. Quelques supports modelés, mais restés « vierges » portent le titre de « Débris ». Ce sont les seules pièces posées au sol.

Estrid Lutz - Debris, 2019 - Body of Tears - MOCO Panacée - Montpellier
Estrid Lutz – Debris, 2019 – The Body of Tears – MOCO Panacée – Montpellier

Il y a dans la pratique d’Estrid un lâcher-prise qu’elle revendique : « Quand j’ai fini l’École des Beaux-Arts de Paris en 2016, j’étais encore dans l’idée de contrôle des matériaux, aujourd’hui je travaille beaucoup plus à l’aveugle. Ce qui me plaît, c’est de ne pas avoir la maîtrise totale du résultat qui, parfois, m’échappe même complètement ».

À ces pratiques artistiques expérimentées à Puerto Escondido, s’en est ajoutée une nouvelle avec la découverte peu après son arrivée à Montpellier d’un centre de réalité virtuelle. « M’est venue alors l’idée d’expérimenter cette technologie qui m’a offert la possibilité de créer et de retrouver une sorte d’espace aquatique virtuel. J’étais à nouveau sous l’eau ou dans l’espace ! »

In Progess MOCO © Estrid Lutz
In Progess MOCO © Estrid Lutz

Plusieurs des peintures/collages de « Body of Tears » ont été produites à partir de dessins imaginés dans cet espace de réalité virtuelle… Estrid ne manque pas de souligner dans sa conversation avec Rahmouna Boutayeb et Victor Secretan : « Finalement ces notions de réel et virtuel sont de plus en plus floues et on retrouve dans mon installation au MO.CO. Panacée un écho à cet univers virtuel et aux possibilités de spatialisation qu’il offre »…

Les peintures/collages de « The Body of Tears » ont été réalisées dans les locaux du MOCO ESBA, l’École Supérieure des Beaux-Arts de Montpellier.

AL In Progess MOCO © Estrid Lutz
AL In Progess MOCO © Estrid Lutz

Quelques lignes sur l’environnement sonore de Erwan Sene « sculpté » en dialogue avec Estrid Lutz. S’ils s’étaient préalablement croisés, les deux artistes qui  se sont rencontrés à La Panacée pendant la préparation de Boom 2018 où Erwan Sene participait à l’exposition « Jeune création »... « As Heard Out (2mfreq (to strat).wav), 2019 » est une composition qui alterne habilement les plages de silence, des trous d’air abyssaux, des moments de tensions qui se dissolvent dans l’espace…

Erwan Sene composing a hydrosatelizzed sound in my upcoming exhibition © Estrid Lutz
Erwan Sene composing a hydrosatelizzed sound in my upcoming exhibition © Estrid Lutz

Cette collaboration, en partie impromptue, illustre d’une autre manière le rôle de laboratoire de La Panacée et sa capacité à créer des rencontres fructueuses…

Quelques mots pour terminer sur le commissariat inspiré et complice de Nicolas Bourriaud. Avec discrétion et efficacité, il a su offrir à Estrid Lutz les conditions et les moyens de produire cette étonnante installation.

Ce projet montre avec force la position originale et inventive de La Panacée dans l’hydre à trois têtes que constitue le MOCO. On espère que les résidences de recherches et de production de cette richesse se multiplieront dans les prochains mois.

À lire, ci-dessous, le texte de salle et l’entretien d’Estrid Lutz avec Rahmouna Boutayeb et Victor Secretan, extrait du livret d’accompagnement des exposition à La Panacée

En savoir plus :
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À l’issue d’une résidence de production de deux mois à Montpellier, Estrid Lutz a réalisé un ensemble important de nouvelles œuvres qu’elle agence pour créer un environnement immersif.

Fidèle à ce qu’elle appelle son « techno-bricolage », Estrid Lutz mêle collages, pigmentations et reliefs en matières composites avec des dessins à l’encre hydrochromique dont la couleur change au contact de l’eau. Fascinée par les liens entre art, science et technologie, elle cherche à reproduire des phénomènes biologiques naturels en émulant le vivant. Elle fusionne ses matériaux à la chimie, explorant ce qui réagit au contact de l’eau, de la lumière et de la chaleur. À travers cette démarche expérimentale, l’artiste donne vie à ses œuvres et abolit les frontières entre nature et technologie. L’installation créée pour le MO.CO évolue selon la lumière et l’humidification de ses composants.

Pour réaliser ses œuvres, Estrid Lutz passe par plusieurs étapes de production. Elle part d’abord d’une recherche quasi scientifique de phénomènes naturels et d’observation de son environnement immédiat, qu’elle traduit en cahiers de croquis, en dessins, ou en photographies visibles sur les panneaux suspendus, et d’une exploration constante de nouveaux matériaux et technologies. Elle traduit ces premiers tests en les faisant passer d’un medium à l’autre, du réel au virtuel, de l’aplat au volume, du liquide au solide, expérimentant avec ses matières et accueillant les accidents, les réactions chimiques et physiques comme autant de potentiels gestes inhérents au principe créatif.

Le MO.CO. propose la première exposition personnelle d’Estrid Lutz dans une institution publique. Les œuvres ont été produites à Montpellier, en lien avec des entreprises locales.

Estrid Lutz, artiste française, est née en 1989. Elle vit et travaille au Mexique.

Quels sont vos axes de recherche et votre démarche générale ?

Ma démarche s’inscrit dans un va-et-vient permanent entre art, science et technologie. Dans le champ des sciences, je m’intéresse notamment à la chimie où les processus d’interaction et de transformation sont très présents. Mon travail résulte de collages et d’hybridations. Par exemple, lors de mon exposition Toxins en 2018 à Berlin, j’ai produit des sculptures photoluminescentes qui peuvent évoquer la bioluminescence. À l’état naturel on peut observer ce phénomène dû au plancton, qui diffuse de la lumière comme le font les lucioles. J’ai aussi utilisé beaucoup de matériaux tels que le kevlar, l’honeycomb’, la fibre de carbone ou la résine époxy, qu’on retrouve dans l’exposition au MO.CO. Panacée. J’aime bien parler de « techno-bricolage » pour qualifier ma méthode de travail.

Votre démarche a ceci de particulier qu’elle est fondamentalement expérimentale. Qu’est-ce qui guide vos choix esthétiques ?

Quand j’ai fini l’École des Beaux-Arts de Paris en 2016, j’étais encore dans l’idée de contrôle des matériaux, aujourd’hui je travaille beaucoup plus à l’aveugle. Ce qui me plaît, c’est de ne pas avoir la maîtrise totale du résultat qui, parfois, m’échappe même complètement. Je garde souvent le résultat tel quel, n’ajoute pas de cadre et préfère donner à voir des formes plus organiques. Les liens et la porosité entre nature et technologie sont moteurs et me guident.

Votre pratique a beaucoup évolué depuis que vous vous êtes installée au Mexique en 2017 ?

Au Mexique, je suis confrontée à des nouvelles réalités sociales, culturelles, matérielles. J’ai supprimé la machine, simplifié ma pratique. Je rencontre sans cesse de nombreuses difficultés et dans la difficulté je deviens plus créative. Je suis en permanence amenée à trouver des solutions techniques et donc à développer des nouveaux systèmes de production. Je ne bénéficie pas des mêmes moyens qu’en France ou que dans les grandes villes. Je n’ai pas d’atelier, je travaille souvent sur la plage de Zicatela et n’ai pas à proximité un magasin de matériaux de bricolage par exemple. Du coup, je travaille à la manière d’un caméléon, toujours dans l’adaptation et la flexibilité. De plus le Mexique est un pays très spirituel qui entretient un rapport singulier au cosmique comme en témoignent leur iconographie, les arts outsiders ou les codex, autant de sources d’inspiration pour mes dessins. Ils ont aussi une autre approche de la mort et de la disparition, ici la mort est célébrée !

Votre exposition au MO. CO. Panacée est le fruit d’une résidence de deux mois à Montpellier. Vous présentez une installation qui a nécessité un travail de recherche et de développement. Comment avez-vous procédé et avancé dans votre projet ?

Ce projet d’exposition à Montpellier s’est fait en plusieurs étapes. D’abord au Mexique, dont j’ai rapporté de nombreuses images de vagues et des dessins que j’ai réalisés toute l’année. La vague est un élément central de mon travail et de ma vie. Je passe beaucoup de temps à observer l’océan, à m’y confronter, à dessiner et imaginer des planctons. Arrivée à Montpellier, dès le premier jour, j’ai par hasard découvert un centre de réalité virtuelle. M’est venue alors l’idée d’expérimenter cette technologie qui m’a offert la possibilité de créer et de retrouver une sorte d’espace aquatique virtuel. J’étais à nouveau sous l’eau ou dans l’espace !

Qu’est-ce que vous a apporté cette expérience et comment l’avez-vous intégrée à votre projet ?

Il y a toujours dans mon travail une pratique du dessin en amont. Je réalise des carnets de dessins avec des formes très organiques, beaucoup de répétitions et de déploiements. J’ai un grand intérêt pour le passage de la 2D à la 3D. Le virtuel permet d’accélérer ce passage et offre une grande variété des possibles, des matériaux, des textures. Cette étape au Virtual Center m’a permis de pousser plus loin ma recherche et d’effectuer des allers-retours entre virtuel et réel. Finalement ces notions de réel et virtuel sont de plus en plus floues et on retrouve dans mon installation au MO.CO. Panacée un écho à cet univers virtuel et aux possibilités de spatialisation qu’il offre.

Votre installation reflète votre intérêt pour le monde marin niais aussi pour l’aéronautique et même l’aérospatiale. Comment croisez-vous ces univers ?

Vivre face au Pacifique a bouleversé ma pratique. J’ai eu envie de proposer un projet immersif, un océan aérien où tout est suspendu. Les matériaux utilisés dans l’aérospatiale m’intéressent, il s’agit d’éléments qu’y sont envoyés à des centaines, des milliers de kilomètres au-delà de l’atmosphère ! J’ai donc cherché à créer un espace qui soit comme une sorte de fusion du ciel et de la mer. Et puis j’aime créer des rencontres, que se connectent par exemple les images que j’imprègne dans l’eau et que l’eau imprègne. Le son est également présent et renvoie aux infra-ondes sous-marines. Toutes ces connexions imagées font écho à la lecture de Cette mer qui nous entoure2 de Rachel Carson qui évoque une vague projetée dans l’espace. Bachelard, de son côté, évoque l’eau comme « une flamme mouillée », j’aime beaucoup cette image et j’ai eu envie de la formaliser. Du coup ma proposition est un collage de matériaux, d’images et de sons. La combinaison du honeycomb et de tubes renvoie à des sortes de satellites. Le son, la lumière, l’obscurité, les murs bleus sont constitutifs d’un environnement en transformation. Les œuvres sont régulièrement humidifiées et évoluent comme des aquarelles, elles changent de couleurs, s’altèrent…

D’où provient cette évocation en filigrane de la violence dans votre travail ?

À Puerto Escondido, où je vis, les éléments naturels sont puissants, voire violents. Il y a cette vague géante, dangereuse. On ressent beaucoup de choses, des vibrations, des tremblements de terre, c’est assez chaotique. Il y a aussi une violence qu’on retrouve dans la presse, où tout est montré, des photos de morts côtoient celles de loisirs, sans hiérarchie. Il y a une retranscription brute de la violence. Si ma pratique de la chimie est assez naïve et intuitive je suis consciente que les matières que je travaille ont des propriétés légères, « light core material », ou resic tantes, qui sont utilisées aussi pour les gilets pare-balles, les armes, les voitures, l’espionnage, la robotique. Et mon rapport aux matériaux est assez brutal, je n’ai pas peur de les maltraiter !

Pourquoi avez-vous choisi d’intituler votre exposition The Body of Tears

Je lis beaucoup et des images me viennent. Dernièrement, j’ai plongé dans la lecture de L’Eau et les Rêves’ de Gaston Bachelard. Ce livre m’a inspiré le titre de cette exposition The Body of Tears qui se traduirait par « Le corps des larmes ».

La littérature phylo-écolo-biologico-marine occupe une place importante dans vos lectures…

Il y a toute une littérature passionnante autour de l’eau ! Par exemple, Astrida Neimanis dans Thinking with Wate et Bodies of Waters développe le concept d’hydroféminisme. C’est la capacité à penser à partir de l’eau. Avant même d’avoir un genre, une identité, nous sommes tous composés d’eau, non ? Et puis il y a cette idée un peu dingue de la mémoire qui se transmettrait par les liquides, les fluides. Timothy Morton dans Dark Ecology6 évoque une pensée écologique sans distinction entre humain et non-humain. Thomas Heams dans Infravies, le vivant sans frontières’ axe ses recherches sur la xénobiologie : les scientifiques qui créent de nouvelles formes de vie. J’ai beaucoup développé ces lectures depuis que je vis au Mexique, entourée par la nature avec ses sons, ses animaux, sa luxuriance. L’intérêt pour la technologie, quant à elle, date d’avant le Mexique, mais la nature est inspirante, j’ai encore plus appris sur la technologie en observant la nature.

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