Les non-conformistes au MOCO Hôtel des collections – Montpellier

Après une exposition inaugurale qui a attiré un large public et qui en a laissé quelques-uns à « distance », le MOCO Hôtel des collections présente « Les non-conformistes – Histoire d’une collection russe » jusqu’au 9 février 2020.

Les non-conformistes au MOCO Hôtel des collections - vue de l'exposition
Les non-conformistes au MOCO Hôtel des collections – vue de l’exposition

Ce projet est construit à partir d’une collection constituée par l’historien de l’art russe Andreï Erofeev entre 1983 et 2008. Son objectif était de créer un musée d’art contemporain à Moscou, alors qu’aucune institution soviétique ne s’intéressait à l’avant-garde. Composée à l’origine de plus de 5000 pièces, une sélection de cette collection a finalement intégré la Galerie Nationale Tretiakov.

L’exposition présente un ensemble de 130 œuvres produites par une cinquantaine d’artistes. Cette sélection resserrée a été faite parmi les 2 300 pièces inventoriées dans le département « Nouvelles Tendances » de la Tretiakov . Bien entendu, il était impossible d’envisager des emprunts au sein du « dépôt provisoire » de 3 700 œuvres qui n’ont pas été acceptées par la commission d’acquisition de l’institution. Ce dépôt reste plus ou moins « clandestin ».

Les non-conformistes au MOCO Hôtel des collections - vue de l'exposition
Les non-conformistes au MOCO Hôtel des collections – vue de l’exposition

La collection d’Andreï Erofeev est singulière à plus d’un titre. En connaître l’histoire et les caractères sont essentiels à la compréhension de l’exposition. La lecture du livret qui l’accompagne permet d’en percevoir les traits principaux. Le catalogue reproduit une très intéressante conversation d’Andreï Erofeev avec Jean-Hubert Martin intitulée « Histoire d’une collection russe » qui en raconte les étapes.

Andreï Erofeev - Les non-conformistes au MOCO Hôtel des collections

Andreï Erofeev – Les non-conformistes au MOCO Hôtel des collectionsDans cet ouvrage, le collectionneur signe un texte, « La singularité de ma collection », auquel on emprunte ces extraits :

« Ma collection (…) permet de réunir les principales étapes du développement de l’art non-officiel et le récit général d’une histoire de l’art des mouvements d’opposition. J’ai également essayé de démontrer que l’art contemporain russe appartient à une culture contemporaine mondiale ».

« Le choix des œuvres au sein de ces différentes générations d’artistes a été guidé par la problématique caractéristique de la fin des années 1970, à savoir la place centrale accordée aux nouvelles formes et productions dans l’art : objets, installations, travail in situ et performances. Ces œuvres ont constitué la base de la collection. En revanche, j’ai essayé de ne pas collectionner les tableaux de chevalet ».

Nicolas Bourriaud et Andreï Erofeev - Les non-conformistes au MOCO Hôtel des collections
Nicolas Bourriaud et Andreï Erofeev – Les non-conformistes au MOCO Hôtel des collections

« [Une] attention particulière [était] accordée aux œuvres éphémères et peu visibles, réalisées à partir de matériaux fragiles, de moyens improvisés, presque par accident et dans une immédiateté, sans calcul d’un quelconque potentiel commercial ou patrimonial ».

« Je n’ai acheté aucune de ces cinq mille œuvres avec mon propre argent. Le ministère de la Culture en a acquis une partie insignifiante (environ cinquante) avec des fonds d’État. Les autres sont des dons. On pourrait alors dire que cette collection est le résultat d’une propriété collective des artistes, qui ont choisi de l’offrir à un musée qui n’existait pas ».

Les non-conformistes au MOCO Hôtel des collections - vue de l'exposition

Les non-conformistes au MOCO Hôtel des collections – vue de l’exposition

L’exposition « Les non-conformistes – Histoire d’une collection russe » est construite à partir de ces caractères singuliers. Andreï Erofeev qui en assure le commissariat propose d’une certaine manière une version résumée du musée dont il a rêvé et qu’il n’a jamais pu bâtir.

Les non-conformistes au MOCO Hôtel des collections - vue de l'exposition
Les non-conformistes au MOCO Hôtel des collections – vue de l’exposition

Le parcours s’articule en 16 sections. Leur enchaînement n’est pas tout à fait chronologique et plusieurs séquences rassemblent des œuvres parfois éloignées dans le temps.
La logique ne relève pas uniquement d’un « récit général d’une histoire de l’art des mouvements d’opposition » depuis la mort de Staline jusqu’à la fin des années 2000.
Dans son entretien avec Jean-Hubert Martin, Andreï Erofeev souligne que le choix des œuvres et des artistes de sa collection est plus esthétique qu’idéologique ou politique. Ses critères étaient ceux de l’histoire de l’art à l’Ouest : « Je prenais comme outil de sélection les catégories de la classification occidentale que j’appliquais à l’art russe ».

Les non-conformistes au MOCO Hôtel des collections - vue de l'exposition

Les non-conformistes au MOCO Hôtel des collections – vue de l’exposition

Pour celles et ceux qui connaissent l’enchaînement des grands mouvements de l’art contemporain et pour qui l’histoire de l’URSS puis de la Russie depuis la fin des années 50 n’est pas un mystère, le parcours de l’exposition est fluide et très lisible. Par ailleurs, il est servi par un accrochage et des mises en espace très réussis.

Les non-conformistes au MOCO Hôtel des collections - vue de l'exposition
Les non-conformistes au MOCO Hôtel des collections – vue de l’exposition

Pour les plus « jeunes », quelques éléments de contexte indispensables sont disponibles. Un glossaire accompagne l’introduction du livret d’aide à la visite. Une vaste fresque chronologique après les petites salles de l’hôtel de Montcalm offre les repères sur l’histoire des « non-conformistes » avec quelques reproductions d’œuvres et un bref rappel des grands éventements qui ont marqué l’histoire politique et culturelle dans l’Europe de l’Est.
De plus, pour chaque section, le livret et un ou plusieurs cartels enrichis proposent des jalons et des références utiles.

Les non-conformistes - Histoire d'une collection russe au MOCO Hôtel des collections - vue de l'exposition
Les non-conformistes – Histoire d’une collection russe au MOCO Hôtel des collections – vue de l’exposition

Il faut saluer le travail essentiel de Pauline Faure et d’Anya Harrison de l’équipe curatoriale du MOCO qui a permis au projet d’Andreï Erofeev de prendre forme dans des conditions parfois délicates. Elles ont également assuré une indispensable coordination éditoriale pour le catalogue.

Cette seconde exposition au MOCO Hôtel des collections est sans aucun doute une très belle réussite. Elle offre clairement plus de matière sur l’histoire de cette collection que la très élégante, mais très froide « Distance intime » dont les œuvres étaient remarquables, mais dont le commissariat était peu inspiré…

Les non-conformistes au MOCO Hôtel des collections - vue de l'exposition
Les non-conformistes au MOCO Hôtel des collections – vue de l’exposition

« Les non-conformistes – Histoire d’une collection russe » est sans aucun doute une proposition majeure et incontournable de cette fin d’année dans la région. Conformément à ces ambitions, elle offre « une plongée inédite dans cet “underground” des années 1960-2000 » et révèle « les relations parfois complexes entre artistes, art officiel de l’époque soviétique et institutions ».

Les non-conformistes au MOCO Hôtel des collections - vue de l'exposition
Les non-conformistes au MOCO Hôtel des collections – vue de l’exposition

C’est aussi l’occasion de découvrir des artistes et des œuvres assez rarement montrés en France…
Les souvenirs de « Sots Art – Art politique en Russie de 1972 à aujourd’hui » qu’Antoine de Galbert avait exposé à la Maison Rouge fin 2007 commencent à s’estomper…
Celles et ceux qui ont eu l’occasion de visiter « KOLLEKTSIA+ » au Centre Pompidou fin 2016-début 2017 auront probablement quelques repères utiles pour apprécier « Les non-conformistes – Histoire d’une collection russe ».

Artistes exposés : Yuri Albert, Vagrich Bakhchanian, Blue Noses (Viacheslav Mizin et Alexander Shaburov), Sergueï Bordatchev, Alexander Brener, Erik Boulatov, Ivan Chouïkov, Elena Elaguina, Vladimir Dubossarsky, Valeri Guerlovine, Rimma Guerlovina, Gnezdo (Guennadi Donskoï, Victor Skersis, Mikhaïl Rochal), Sven Gundlakh, Francisco Infante-Arana, Inspection herméneutique médicale (Pavel Pepperstein, Sergueï Anoufriev, Iouri Leiderman) , Ilya Kabakov, Vyacheslav Koleichuk, Vitaly Komar et Alexander Melamid, Irina Korina, Valery Koshlyakov, Alexander Kosolapov, Igor Koukles, Oleg Koulik, Rostislav Lebedev, Iouri Leiderman, Georgy Litichevsky, Vladimir Loktev, Sergueï Mironenko, Andreï Monastyrski, Vladimir Nemoukhine, Anton Olshvang, Boris Orlov, Anatoly Osmolovsky, Gosha Ostretsov, Nikolaï Panitkov, Pavel Pepperstein, Dmitri Plavinsky, Dmitri Prigov, Oleg Prokofiev, Mikhaïl Roginsky, Guenrikh Sapguir, Sergueï Shablavin, Ivan Shelkovsky, Nikolaï Silis, Vladimir Slepian, Leonid Sokov, Ülo Sooster, Vladimir Sorokine, Avdeï Ter-Oganyan, Boris Touretski, Sergueï Volkov, Alexander Yulikov, Konstantin Zvezdotchetov.

Les non-conformistes au MOCO Hôtel des collections - vue de l'exposition
Les non-conformistes au MOCO Hôtel des collections – vue de l’exposition

« Les non-conformistes – Histoire d’une collection russe » est accompagné d’un riche catalogue publié par SilvanaEditoriale. Sous la direction d’Andreï Erofeev, il rassemble plusieurs textes critiques inédits dont un essai de Ludmila Oulitskaïa, une conversation d’Erofeev avec Jean-Hubert Martin et un édifiant récit de Pauline de Laboulaye à propos de  Sots Art à la Maison Rouge.
La partie catalogue reprend les sections de l’exposition avec des introductions signées d’Andreï Erofeev et des notices rédigées par Andrey Shental. On regrette l’absence d’une chronologie et d’une bibliographie.

Cette chronique sera prochainement complétée par un compte rendu de visite.
À lire ci-dessous quelques lignes à propos d’Andreï Erofeev et de la Galerie Nationale Tretiakov extraites du communiqué de presse.

En savoir plus :
Sur le site du MOCO
Suivre l’actualité du MOCO sur Facebook, Twitter et Instagram
Sur le site de la Nouvelle Galerie Tretiakov (Novaya-Tretyakovka) en anglais

Les non-conformistes au MOCO Hôtel des collections - vue de l'exposition
Les non-conformistes au MOCO Hôtel des collections – vue de l’exposition

Le Centre Pompidou consacre depuis le 16 septembre 2016 et jusqu’au 17 avril 2020, un important programme intitulé « Chroniques russes – Parole aux collections ».
Ces « chroniques russes » retracent l’histoire des arts en Russie et en URSS, du début du 20e siècle à aujourd’hui. L’ensemble de ces conférences est disponible sur le site de Centre Pompidou.


Le 22 février 2017, Vitaly Komar et Andreï Erofeev discutaient du « Sots art », mouvement artistique non officiel né en URSS, qui propose une alternative critique au pop art américain en détournant les codes de l’appareil idéologique soviétique.

Andreï Erofeev

Andreï Erofeev est historien de l’art, président de la section russe de l’AICA (Association internationale des critiques d’art). Il a été conservateur dans plusieurs musées, dont la Galerie Nationale Tretiakov (2002-2008) où il a dirigé le département d’art contemporain, spécialement créé pour sa collection. Aujourd’hui, il travaille comme commissaire d’exposition au Musée d’art contemporain de Moscou (MMOMA). Andreï Erofeev a été commissaire de plus de 50 expositions, notamment Vers l’objet (Moscou et Amsterdam, 1990) Le fou dédoublé (Moscou et Château d’Oiron, 1999-2000), La Biennale de Cetinje (Monténégro 1994, 2002), Pop Art russe (Moscou, 2005) et Sots Art (Moscou et Paris, la maison rouge, 2007).

Galerie Nationale Tretiakov

La Galerie Nationale Tretiakov est l’un des principaux musées de Russie. Fondé au 19ème siècle comme un musée de la peinture russe, la Tretiakov dispose aujourd’hui d’une collection de plus de 200 000 œuvres, dont 7500 d’art contemporain. Fin 2001, la Galerie Tretiakov a reçu une collection de plus de 1500 œuvres rassemblées par Andreï Erofeev, historien de l’art et conservateur, conservée jusqu’alors au Musée Tsaritsyno. En 2002, grâce à cette collection, considérée alors comme la plus importante et la plus significative collection publique d’art contemporain en Russie, la Galerie Tretiakov a créé un département dédié à l’art contemporain.

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