Trina McKillen – Confess au Château La Coste

Jusqu’au 15 mars 2020, le Château La Coste présente « Confess » de Trina McKillen au Pavillon Renzo Piano.
À travers trois installations, cette exposition de l’artiste irlandaise installée à Los Angeles pose questionne avec un regard implacable les abus sexuels et leur dissimulation par l’Église Catholique.

Au Pavillon Renzo Piano, elle propose de « donner la parole » aux victimes et d’offrir une visibilité à leur souffrance à partir de trois installations :

  • Bless me child for I have sinned, 2010 – 2013
  • The children, 2015 – 2019
  • Stations of hope, 2008 – 2013

Bless me child for I have sinned

Avec cet imposant confessionnal transparent, dont le titre « Pardonne-moi, mon enfant, parce que j’ai péché », Trina McKillen inverse les rôles du prêtre et de l’enfant. Dans cette pièce très architecturale où le bois, l’or, le marbre et divers métaux se mêlent au verre, chaque détail fait sens.

Trina McKillen Bless Me Child, For I Have Sinned (c) Stéphane Aboudaram l WEARECONTENT(s)
Trina McKillen Bless Me Child, For I Have Sinned (c) Stéphane Aboudaram l WEARECONTENT(s)

Le prêtre/pénitent est supposé s’installer sur la droite, où un prie-Dieu attend sa confession. Son agenouilloir est composé de 3600 clous qui créent l’illusion d’un coussin. Sur la poignée de porte, on peut lire « Silence ». Une des charnières montre un trou de serrure dans lequel est enroulé un serpent. Sur l’autre, on remarque une clé.

Du côté de l’enfant, une petite chaise blanche est tapissée de dentelle. Sur la poignée, on distingue « Shame ». Les charnières sont sculptées avec la représentation d’un agneau et celle d’un Sacré-Cœur…

Entre les deux, un écran de plexiglas transparent est perforé par une croix, « comme si les péchés étaient entendus et absous par l’enfant », confie McKillen.

Trina McKillen Bless Me Child, For I Have Sinned (c) Stéphane Aboudaram l WEARECONTENT(s)
Trina McKillen Bless Me Child, For I Have Sinned (c) Stéphane Aboudaram l WEARECONTENT(s)

Au fronton du confessionnal, la phrase « Ingnosce Mihi Infans Quia Peccavi/Pardonne-moi mon enfant, car j’ai péché » s’imposait. Elle est encadrée par une couronne d’épines imprimée en 3D…

Le discours est aussi limpide que le confessionnal est transparent.

The children

Cette deuxième installation occupe une des profondes et sombres caves qui jouxtent la lumineuse salle d’exposition imaginée par Renzo Piano.

Devant d’amples rideaux de velours rouge qui recouvrent les murs, un ensemble d’habits d’enfants de chœur usagés et de robes de communion collectionnées par l’artiste semblent flotter dans l’air, tels des fantômes, suspendus par d’invisibles fils de nylon. Sur la poitrine de chaque vêtement est brodé le motif du trou de serrure dans lequel est enroulé un serpent que l’on avait remarqué sur une des charnières du confessionnal.

Trina McKillen – The Children (detail) - Photo (c) Lisa Sette Gallery
Trina McKillen – The Children (detail) – Photo (c) Lisa Sette Gallery

Au sujet de cette installation, Trina McKillen raconte combien elle a été choquée par le discours du pape lors d’un voyage aux États unis en 2015. À propos des abus sexuels commis dans l’Église, il ne s’est adressé qu’aux évêques et aux religieux, oubliant les enfants victimes de ces actes de pédophilie. Dans un entretien publié par le National Catholic Reporter, elle dit : « Je voulais créer une mer de ces vêtements pour représenter les enfants qui avaient été maltraités (…) Il était évident pour moi que le pape et le clergé ne voyaient pas ces victimes comme des enfants (…). Tout s’est passé en secret, derrière des portes closes. Les enfants n’étaient pas crus et même si les parents les croyaient, l’église ne les croyait pas. » Un peu plus loin elle ajoute : « Quand j’ai commencé à assembler ces vêtements, j’ai eu l’impression de m’occuper des enfants. Lorsque j’ouvrais chaque paquet de vêtements, je ressentais une vague de tristesse. Puis je les lavais et repassais tendrement et je m’en occupais ».

Stations of hope

Trina McKillen - Stations of Hope (c) Stéphane Aboudaram l WEARECONTENT(s)
Trina McKillen – Stations of Hope (c) Stéphane Aboudaram l WEARECONTENT(s)

Chaque station est construite à partir de petits coussins blancs assemblés sur un fond de tissus cloués dans une boite de bois. Sur deux de ces pansements, on peut lire les mots Good (Bien) et Sin (Péché) brodés. Ailleurs, on remarque un assemblage de dés. Plus loin, on découvre douze minuscules agneaux, trouvés dans un magasin de jouets en Espagne…
Les 14 cadres sont alignées dans la pénombre. Un faible faisceau lumineux éclaire le centre de chaque coussin…

Dans l’article du National Catholic Reporter, Trina McKillen raconte à propos de cette installation : « J’ai commencé à faire ces petits rectangles pour me donner quelque chose à faire après avoir reçu la bonne nouvelle que mon cancer ne s’était pas propagé, pour débuter une nouvelle façon de vivre sans peur. Je ne savais pas ce que je faisais, mais je voulais faire ces petits carrés avec du lin irlandais de Belfast qui venait de ma maison où j’ai grandi. Puis j’ai réalisé qu’ils ressemblaient à des cataplasmes comme ceux que mon père faisait, des pansements qui faisaient sortir la douleur, l’infection, la blessure. Je pense que je les fabriquais pour moi, pour former une sorte de thérapie cathartique. Je me sentais heureux de les faire. »

Un dernier espace rassemble dans une vitrine plusieurs documents préparatoires à Bless me child for I have sinned. Sur les murs, l’image d’un prototype en plexiglas du confessionnal est recouverte d’articles de presse américains sur le scandale des abus sexuels du clergé.

Les trois installations qui forment « Confess », au-delà de la dénonciation des crimes commis par des prêtres et leur dissimulation par l’Église Catholique, sont aussi fortement liées aussi à l’histoire personnelle de McKillen.

Trina McKillen Bless Me Child, For I Have Sinned (c) Stéphane Aboudaram l WEARECONTENT(s)
Trina McKillen Bless Me Child, For I Have Sinned (c) Stéphane Aboudaram l WEARECONTENT(s)

Ainsi à propos du confessionnal, elle raconte : « Le confessionnal était très effrayant et plein de honte pour moi en tant qu’enfant. J’inventais des péchés ! Je ne comprenais pas le péché ou l’absolution. Une pièce sombre avec un homme de l’autre côté, c’était terrifiant ».

Dans un texte de présentation de « Confess », la Lisa Sette Gallery (Phoenix, Arizona) qui la représentait écrit :

« McKillen possède une conscience unique du déni et du secret qui sont intégrés dans les structures de pouvoir de la société. Elle grandit dans une famille catholique d’Irlande du Nord, dans le Belfast des années 60 et 70. Son père, un homme d’affaires respecté, s’est engagé clandestinement dans des négociations de paix avec les Britanniques. En réaction, la maison d’enfance de McKillen a été saccagée. Des bombes ont explosé devant sa porte. Lorsque sa famille déménagea à Dublin pour éviter de nouvelles représailles, McKillen sentit une réticence à affronter les réalités des troubles de l’Irlande du Nord et le rôle pas toujours bienveillant de l’Église catholique.

Au début de sa vie, McKillen a eu le sentiment que la prétendue attention de l’Église pour les enfants était en fait un argument dans la guerre avec les protestants. “Cette idée que les enfants sont importants… Je savais, quand j’étais enfant, que c’était l’idée de surpasser en nombre l’autre côté, afin de les intimider comme ils nous intimidaient. Depuis le début, j’ai toujours eu le sentiment que les enfants eux-mêmes n’avaient pas d’importance.”

Bless Me Child, For I Have Sinned TRINA MCKILLEN (c) Stéphane Aboudaram l WEARECONTENT(s)
Bless Me Child, For I Have Sinned TRINA MCKILLEN (c) Stéphane Aboudaram l WEARECONTENT(s)

Adolescente, McKillen a rendu visite à une amie dans le service psychiatrique d’un hôpital de Dublin. La jeune fille, autrefois bavarde et pleine d’entrain, était recroquevillée en position fœtale, presque comateuse au pied de son lit. Elle a alors appris que son amie avait été violée dans son enfance par un oncle, un prêtre catholique respecté.

Après avoir quitté l’Irlande pour une vie de scénographe à Los Angeles, McKillen collectionne des textiles et du matériel religieux, des objets imprégnés à la fois de beauté rituelle et de honte. (…) Les œuvres de McKillen témoignent alors d’une reconnaissance aiguë des objets qui révèlent une histoire cachée.
Alors que la maltraitance des enfants au sein de l’Église catholique était révélée et que l’Église continuait à se soustraire à la culpabilité et à la transparence, les préoccupations de McKillen étaient devenues un sujet d’actualité »…

Depuis une dizaine d’années, l’artiste irlandaise réalise une série d’œuvres qui confrontent la question des abus sexuels commis par des prêtres catholiques et leur protection par la hiérarchie de l’Église.

Trina McKillen Bless Me Child, For I Have Sinned (c) Stéphane Aboudaram l WEARECONTENT(s)
Trina McKillen Bless Me Child, For I Have Sinned (c) Stéphane Aboudaram l WEARECONTENT(s)

« Confess » a été présenté à la Lisa Sette Gallery à Phoenix, Arizona en septembre et octobre 2018. Le projet a ensuite été exposé par la Laband Art Gallery à l’Université Loyola Marymount de Los Angeles.

En savoir plus :
Sur le site de Trina McKillen
Sut le site de Château La Coste
Sur le site de Lisa Sette Gallery à Phoenix, Arizona
À lire « ‘Confess’: Irish artist’s exhibit reflects on clergy sex abuse of children » sur le site du National Catholic Reporter

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