De marbre blanc et de couleur au Musée Fabre

Jusqu’au 15 mars 2020, le Musée Fabre présente « De marbre blanc et de couleur », une remarquable exposition-dossier consacrée aux décors détruits ou dispersés de l’ancienne chapelle Deydé à la cathédrale de Montpellier. Cette exposition qui s’inscrit dans le programme « Au fil des collections » démontre une nouvelle fois le dynamisme des équipes scientifiques du musée et leur volonté de faire partager au public l’état de leurs recherches.

En effet, « De marbre blanc et de couleur » est l’aboutissement de 20 ans de recherches sur cette chapelle funéraire de la famille Deydé. Tout commence en 1994 avec la publication d’une première étude monographique consacrée à la chapelle Deydé par Alain Chevalier, aujourd’hui conservateur en chef du patrimoine, directeur du musée de la Révolution française au domaine de Vizille et co-commissaire de l’exposition.

En 2017, le Buste de Jean Deydé, une œuvre de Veyrier réapparaît sur le marché de l’art. Le Musée Fabre en fait l’acquisition. Il vient rejoindre au sein des collections un ensemble de sculptures en lien avec la famille Deydé (le Buste de Constance Deydé, fille du conseiller, décédée en bas âge en 1679 acquis en 1997 et le Buste de Catherine d’Ortholan, épouse de Déydé, par Christophe Veyrier acheté en 2000).

La réunion de ces sculptures donne alors naissance au projet d’exposition actuelle sous la direction de Michel Hilaire, directeur du Musée Fabre, avec un commissariat scientifique composé d’Alain Chevalier et Pierre Stépanoff, conservateur du patrimoine et responsable au musée des collections de peinture et de sculpture de la Renaissance à 1850.

« De marbre blanc et de couleur » bénéficie également d’une collaboration inédite avec la Direction régionale des affaires culturelles Occitanie (DRAC). En effet, des travaux au sein de la cathédrale Saint-Pierre ont révélé à l’hiver 2017-2018 des éléments d’une peinture murale jusqu’alors inconnue sur les écoinçons de l’arc au-dessus de la chapelle. La restauration de cette peinture a été réalisée de septembre à novembre 2019.

Attribué à Jean de Troy, Les Vertus théologales - Chapelle Deydé, Montpellier, Cathédrale Saint Pierre, Quatrème quart du XVIIe siècle
Attribué à Jean de Troy, Les Vertus théologales – Chapelle Deydé, Montpellier, Cathédrale Saint Pierre, Quatrème quart du XVIIe siècle

Le parcours de l’exposition s’articule en deux volets. Le premier au Musée Fabre s’organise autour d’une hypothèse de reconstitution de la chapelle Deydé. Il fait l’objet de cette chronique. Le second se développe à la cathédrale Saint-Pierre de Montpellier. Le visiteur peut y découvrir la peinture murale du XVIIe siècle retrouvée et restaurée qui surmontait la chapelle Deydé. Plusieurs éléments du décor de marbre réemployés dans diverses chapelles de l’édifice complètent ce parcours ainsi qu’un ensemble de plâtres, moulés au XVIIIe d’après les sculptures présentées au musée Fabre.

La reconstitution de la chapelle Deydé au Musée Fabre

Dans l’atrium Richier, deux cimaises reconstituent le volume occupé par la chapelle Deydé dans la cathédrale Saint-Pierre.

De marbre blanc & de couleur au musée Fabre
De marbre blanc & de couleur au musée Fabre. Reconstitution de la chapelle Deydé

Sur un fond gris, les éléments du décor de marbres de couleurs aujourd’hui dispersés dans l’édifice religieux sont évoqués dans leurs positions d’origine par un discret et élégant dessin en grisaille : marbres et bas-relief de l’autel, tapis de marbre du marchepied, lambris de marbre du mur du fond et balustrade exécutés d’après un dessin de Pierre Puget par Francesco Macetti et son atelier génois vers 1998-1979.

De marbre blanc & de couleur au musée Fabre
De marbre blanc & de couleur au musée Fabre. Reconstitution de la chapelle Deydé

Trois tableaux racontent la vie de saint Joseph, en hommage à Joseph Deydé, père de Jean, conseiller à la Cour des comptes, aides et finances de Montpellier, commanditaire de la chapelle. Deux sont toujours conservés à la cathédrale Saint-Pierre. Ils ont rejoint temporairement le musée, accrochés à la place qu’ils devaient occuper avant le démembrement de la chapelle.

Nicolas Mignard, L’Ange apparaît à Joseph et lui ordonne de prendre la fuite, 1664
Nicolas Mignard, L’Ange apparaît à Joseph et lui ordonne de prendre la fuite, 1664

L’Ange apparaît à Joseph et lui ordonne de prendre la fuite (1664) de Nicolas Mignard est installé sur le mur face à l’autel.

Giovanni Battista Carlone, La Fuite en Égypte, dit aussi Le Miracle des dattes, 1664
Giovanni Battista Carlone, La Fuite en Égypte, dit aussi Le Miracle des dattes, 1664

Le mur du fond est occupé par un tableau de Giovanni Battista Carlone, La Fuite en Égypte, dit aussi Le Miracle des dattes (1664).

Le tableau d’autel aujourd’hui disparu est remplacé par une toile de même sujet, Le mariage de la Vierge (vers 1690-1720), peinte par Barthélémy Chasse pour les Minimes de Marseille, conservé aujourd’hui dans cette même ville à l’église Notre-Dame-du-Mont.

Face à l’autel, un ensemble de sculptures de Christophe Veyrier, un des collaborateurs les plus talentueux de Puget est dédié au mausolée de la famille.

De marbre blanc & de couleur au musée Fabre
De marbre blanc & de couleur au musée Fabre. Christophe Veyrier, Urne funéraire entourée des bustes de Jean Deydé et de Catherine Ortholan,1684

Au centre, une urne funéraire de marbre blanc (non fonctionnelle) repose sur un socle cannelé en marbre jaune veiné de rouge (vers 1684-1686).

De marbre blanc & de couleur au musée Fabre
De marbre blanc & de couleur au musée Fabre. Christophe Veyrier, Urne funéraire, vers 1684-1686

Placée devant l’épitaphe, elle est flanquée à sa droite par un buste de Jean Deydé (1684) et à sa gauche par celui de Catherine Ortholan (1684), épouse de Jean Deydé. Leurs regards convergent vers l’urne.

Pour accompagner cette reconstitution, « De marbre blanc et de couleur » présente un ensemble d’œuvres qui évoquent la commande et la réalisation du décor de la chapelle Deydé.

De marbre blanc & de couleur au musée Fabre
De marbre blanc et de couleur au musée Fabre. Vue de l’exposition

La figure du commanditaire, Jean Deydé, est illustrée par un second buste à son effigie, exécuté par Christophe Veyrier en 1684 pour son hôtel particulier montpelliérain de la rue du Cannau. Prêté par le Metropolitan Museum of Art de New York, la sculpture est placée sur un piédouche qui repose lui-même sur superbe piédestal avec les armes de Jean Deydé.

Il est flanqué d’un buste, attribué à Marc Arcis, de la fille de Jean et Catherine Deydé, Constance, morte à l’âge de cinq ans, en 1679. Ce drame a sans doute eu des conséquences importantes sur la décoration finale de la chapelle avec l’apparition de portraits sculptés dans les commandes des Deydé.

Pierre Puget, autoportrait, vers 1668-1669
Pierre Puget, autoportrait, vers 1668-1669

Un autoportrait de Pierre Puget (vers 1668-1669) prêté par le musée Granet à Aix évoque la figure de l’artiste qui travaillait entre Marseille, Aix, Toulon et Gênes et auquel Jean Deydé a demandé de concevoir et d’orchestrer le projet de sa chapelle.
Si aucun dessin préparatoire de Puget n’a pour le moment été découvert, les commissaires ont choisi d’évoquer le travail de conception avec une superbe feuille conservée au musée Atger (Projet de tabernacle, vers 1660 ?) et un projet d’autel pour la cathédrale Sainte-Marie de Bastia de Tomasso Casella prêté par les archives d’État de Gênes.

L’ensemble est complété par la présentation de plusieurs documents (prix-fait, quittances, procurations, etc.) conservés aux archives départementales de l’Hérault et du Var).

De marbre blanc & de couleur au musée Fabre
De marbre blanc et de couleur au musée Fabre. Documents d’archives

Enfin, une maquette réalisée par Jean-Christophe Donnadieu propose une hypothèse de reconstitution de la chapelle Deydé à partir des œuvres du décor préservées, des documents d’archives. S’y ajoute une part d’invention pour les dix tableaux perdus, mais mentionnés dans les archives, et inspirée de l’architecture des chapelles génoises contemporaines de la chapelle Deydé.

Le parcours de l’exposition « De marbre blanc et de couleur » se termine avec une sculpture d’Anne-Marie Thérèse Bonnier de La Mosson par François Dumont, reste d’un mausolée des filles de Joseph Ier Bonnier de la Mosson. Un dessin de Jean-Christophe Donnadieu propose une reconstitution de ce monument qui pouvait alors rivaliser avec la chapelle Deydé et qui subit le même destin à la Révolution.

La reconstitution et la scénographie sont particulièrement réussies. Au-delà de l’hypothèse scientifique qui est ici matérialisée, l’ensemble permet de comprendre comment fonctionnait ce décor et d’en apprécier toute la cohérence. Il faut bien admettre que face aux œuvres anciennes exposées dans les musées se rattachent à à des programmes décoratifs disparus, le visiteur est souvent démuni. Un tel projet conduit inévitablement à imaginer des modules muséographiques (reconstitutions 3D, réalité virtuelle, vidéos, etc.) qui pourraient « resituer » ces ensembles démembrés. On pense par exemple aux grandes toiles d’Antoine Coypel accrochées dans la Galerie des Colonnes et qui appartenaient à l’important décor de la galerie d’Énée au Palais-Royal, au début du XVIIIe siècle…

Saluons une nouvelle fois le travail exemplaire des équipes scientifiques du Musée Fabre dans la valorisation des œuvres conservées au travers du programme « Au fil des collections ». On remercie plus particulièrement ici l’engagement de Pierre Stépanoff qui a enchaîné ces dernières années une étonnante série de projets passionnants avec entre autres « le Musée avant le musée, La Société des beaux-arts de Montpellier (1779-1787)», en 2017 et « Dans le Secret des œuvres d’art », en 2018.

Catalogue de l'exposition: DE MARBRE BLANC ET DE COULEUR - LA CHAPELLE DEYDÉ DE LA CATHÉDRALE DE MONTPELLIERL’exposition « De marbre blanc et de couleur » est accompagné par un remarquable catalogue aux éditions Snoeck. Les essais sont signés par Alain Chevalier, « Une Chapelle pour l’éternité : de la piété baroque à la Révolution française », Geneviève Bresc-Bautier, « Christophe Veyrier (Trets, 1637 – Toulon, 1689) », Jean-Louis Vayssettes, « La Maison d’une lignée d’officiers aux cours souveraines : l’œuvre de trois générations », Denis Nepipvoda, « La Sculpture à Montpellier au XVIIe siècle » et Hélène Palouzié, « L’Apparition d’un d »cor mural sur l’extrados de l’arc d’entrée de la chapelle Deydé ».
La partie catalogue rassemble de très riches notices scientifiques rédigées par Pierre Stépanoff sur l’ensemble des œuvres exposées. Elles sont complétées par un important ensemble des documents d’archives relatifs à l’histoire de la chapelle Deydé.

Un document d’accompagnement à la visite est disponible gratuitement. Il invite ses lecteurs à un parcours à travers Montpellier depuis le musée Fabre jusqu’à la cathédrale Saint-Pierre en passant par l’hôtel Deydé

À lire, ci-dessous, quelques éléments sur l’histoire de la chapelle Deydé extraits du dossier de presse.

En savoir plus :
Sur le site du musée Fabre
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La chapelle Deydé de la cathédrale de Montpellier (extraits du dossier de presse)

Jean Deydé ou le désir d’éternité

Le décor de cette chapelle est surtout dû à la munificence de Jean Deydé (1617-1687), conseiller à la cour des comptes, aides et finances. Celui-ci s’adresse aux meilleurs artistes de son temps : d’abord Pierre Puget, peintre et sculpteur de Louis XIV, qui conçoit le schéma général de la chapelle, ensuite les peintres Nicolas Mignard et Giovanni Battista Carlone, les marbriers Macetti et le sculpteur Christophe Veyrier, principal collaborateur de Puget. Tous les arts dialoguaient pour créer un ensemble grandiose et coloré, rare enclave du baroque italien dans le territoire languedocien.

Jean Deydé est issu d’une famille de magistrats installée à Montpellier. Son père, Joseph Deydé, est le premier membre de la famille à devenir conseiller à la Cour des comptes, aides et finances de la ville de Montpellier, organe responsable du contrôle fiscal pour tout le Languedoc.
Jean Deydé, son fils, épris de grandeur, souhaite inscrire sa famille dans l’éternité. Il acquiert une chapelle de la cathédrale en 1643 et y fait installer ce décor exceptionnel, sans équivalent à Montpellier et dans tout le Languedoc. Dans le même temps, sa mère, Anne de Rignac, lance la construction de l’hôtel Deydé, rue du Cannau, un imposant hôtel particulier, symbolisant la réussite sociale de la famille. La famille Deydé est intimement liée aux autres grandes familles de la cité, les Bonnier, les Colbert, les Saporta ou les Boussairolles.

La Chapelle Deydé : Construction, destruction, effacement et redécouverte d’un Chef d’œuvre.

Gênes, le 25 juin 1668, rue Nuova Santa Brigitta, le marbrier Francesco Macetti s’engage devant Pierre Puget à réaliser d’après ses dessins et dans les huit mois une chapelle, entièrement ornée « de marbre blanc et de couleur », dans la cathédrale Saint-Pierre de Montpellier. Ce chantier, qui s’étalera sur plus de quinze ans, est une commande de Jean Deydé (1617-1687), conseiller à la Cour des comptes, aides et finances, issu d’une famille de noblesse de robe en pleine ascension sociale. La chapelle sera le mausolée de sa famille, de ses ancêtres comme de ses descendants.

Pour les hommes du XVIIe siècle, la croyance dans le purgatoire est alors à son sommet : par les oeuvres de charité comme par la commande artistique, toute la vie terrestre est une préparation pour gagner le Salut. Le marbre est le matériau privilégié de ce projet : les marbres multicolores et brillants reflètent les beautés du paradis, tandis que le blanc de Carrare, utilisé pour les bustes des commanditaires, évoque la précarité de la vie charnelle comme la longue attente, à travers les siècles, de la Résurrection. Les tableaux de la chapelle racontent la vie de saint Joseph, en hommage à Joseph Deydé, père de Jean. Pour frapper les esprits par sa magnificence, Deydé fait appel aux meilleurs artistes de son temps : Nicolas Mignard et Pierre Puget, peintre et sculpteur de Louis XIV, mais également le peintre génois Giovanni Battista Carlone, les marbriers Macetti et le sculpteur Christophe Veyrier, principal collaborateur de Puget.

Cet ensemble religieux et funéraire, véritable enclave du baroque génois dans le Languedoc du XVIIe siècle, fut démantelé au fil du temps, jusqu’à sa disparition sous la Révolution. La redécouverte de nombreux éléments issus de la chapelle, après plusieurs décennies de recherche, ainsi que les prêts de collections publiques comme privées permettent aujourd’hui de reconstituer ce décor exceptionnel démantelé depuis près de 250 ans.

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