Jean Ranc, un Montpelliérain à la cour des rois au Musée Fabre – Montpellier

Du 25 janvier au 26 avril, le Musée Fabre présente la première exposition consacrée à Jean Ranc, peintre né à Montpellier en 1674 et auteur du célèbre Vertumne et Pomone, un des chefs-d’œuvre de la collection.

« Jean Ranc, un Montpelliérain à la cour des rois » au Musée Fabre - Ces messieurs de Montpellier
« Jean Ranc, un Montpelliérain à la cour des rois » au Musée Fabre – Ces messieurs de Montpellier

Dans une scénographie raffinée et élégante imaginée par Maud Martinot, « Jean Ranc, un Montpelliérain à la cour des rois » évoque la carrière de cet artiste un peu oublié depuis sa formation à Montpellier aux premières commandes parisiennes, de sa réception à l’Académie aux commandes de la Régence jusqu’à la cour d’Espagne.

« Jean Ranc, un Montpelliérain à la cour des rois » au Musée Fabre - À la cour d’Espagne
« Jean Ranc, un Montpelliérain à la cour des rois » au Musée Fabre – À la cour d’Espagne

Une subtile articulation permet aussi à l’exposition d’offrir des éclairages sur la vie des élites au tournant du Grand Siècle et du siècle des Lumières et de rappeler le rôle diplomatique et politique du portrait à cette époque. Le parcours suggère ainsi une passionnante réflexion sur l’art du portrait à l’heure du selfie et de la mise en scène de soi-même et des « idéaux de beauté » sur les réseaux sociaux.

L’exposition est organisée en 9 sections qui s’enchaînent avec évidence et fluidité :

L’atelier montpelliérain
La peinture, une affaire de famille
Premières commandes parisiennes
La réception à l’Académie
Ces messieurs de Montpellier
Les plaisirs du jardin
Le peintre et le poète
Diplomatie
À la cour d’Espagne

Au fil de sa déambulation, le visiteur découvre les traits singuliers du langage pictural de Ranc, son traitement des tissus (drapés, reflets des moirures) ou des mains (doigts effilés) et les audaces de sa palette, sans oublier sa dette à l’égard de Rigaud.

« Jean Ranc, un Montpelliérain à la cour des rois » rassemble autour des œuvres conservées par le Musée Fabre de nombreuses toiles toujours en collections privées et souvent inédites. L’exposition bénéficie aussi d’importants prêts d’institutions dont le Nationalmuseum de Stockholm ou le Musée national des châteaux de Versailles et de Trianon et surtout de huit tableaux qui proviennent du Museo del Prado et du Patrimonio nacional dont le Portrait équestre de Philippe V, un grand format qui quitte l’Espagne pour la première fois depuis sa création en 1723.

Jean Ranc (Montpellier, 1674 – Madrid 1735), Portrait équestre de Philippe V, roi d’Espagne, vers 1723

Le commissariat scientifique est assuré par Pierre Stépanoff, Conservateur du patrimoine, responsable des collections de la Renaissance à 1870 au Musée Fabre et Stéphan Perreau, historien d’art, spécialiste de l’artiste et auteur d’un premier catalogue raisonné en ligne de l’œuvre de Hyacinthe Rigaud. Commissariat général : Michel Hilaire, Conservateur général du patrimoine et Directeur du Musée Fabre.

« Jean Ranc, un Montpelliérain à la cour des rois » au Musée Fabre - Commissariat scientifique Pierre Stépanoff et Stéphan Perreau
« Jean Ranc, un Montpelliérain à la cour des rois » au Musée Fabre – Commissariat scientifique Pierre Stépanoff et Stéphan Perreau

« Jean Ranc, un Montpelliérain à la cour des rois » est l’aboutissement d’un important travail de recherche qui fait l’objet de la première monographie consacrée à Jean Ranc. L’ouvrage (non lu) est publié par Silvana Editoriale.

Il faut souligner une fois de plus la qualité du travail des équipes du musée et plus particulièrement l’engagement de Pierre Stépanoff qui multiplie depuis son arrivée les initiatives qui valorisent les collections dont il a la charge.

Au-delà de son intérêt pour les historiens d’art et les amateurs de peinture, la construction du parcours de « Jean Ranc, un Montpelliérain à la cour des rois » offre de multiples ouvertures aux enseignants, aux familles comme aux curieux pour parler de peinture, mais aussi de la vie sociale et intellectuelle, des enjeux politiques et économiques dont ces portraits de Ranc sont les témoins.

La reconstitution de deux costumes ponctue le parcours de visite : une robe Régence inspirée de celle que porte Pomone dans le célèbre tableau de Ranc et un habit de cour à la française adopté en Espagne. Ils permettent d’apprécier la richesse des matières, l’importance de l’industrie textile et la place de la mode au XVIIIe siècle. Des échantillons offrent une approche tactile de ces tissus.

Au sein du parcours, le service des publics du musée propose un petit salon, « le Vestibule », où le visiteur est invité à composer son portrait d’apparat avec des accessoires en suivant cinq étapes. La séance se termine par un selfie à partager sur les réseaux sociaux avec #expoRANC.
Cet atelier a pour objectif de mettre en valeur le caractère principalement construit du portrait, de montrer que c’est rarement une image naturelle que l’on offre de soi, mais à l’inverse une représentation pleine de règles et de codes. Une manière de réfléchir au selfie, en apparence instantané, mais qui est souvent une mise en scène de soi très recherchée.

Le portrait inachevé de Louise Élisabeth d’Orléans, fille du Régent et reine d’Espagne après l’abdication de Philippe V est accompagné d’une table tactile qui permet de découvrir la technique de Ranc et de la manière dont il élaborait ses portraits…

Comme toujours au Musée Fabre, une importante programmation accompagne l’exposition dont la projection du film « L’Échange des princesses » (2017) de Marc Dugain…

Exposition incontournable ! Ne pas oublier « De marbre blanc et de couleur » jusqu’au 15 mars dans l’atrium Richier.

À lire, ci-dessous, un compte rendu de visite accompagné des textes de salle et des commentaires des commissaires enregistrés lors de la présentation à la presse.

En savoir plus :
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« Jean Ranc, un Montpelliérain à la cour des rois » au Musée Fabre
« Jean Ranc, un Montpelliérain à la cour des rois » au Musée Fabre

Né à Montpellier sous le règne de Louis XIV, la carrière de Jean Ranc le conduisit à Paris et à Madrid, où il devint le portraitiste officiel du roi d’Espagne Philippe V. L’artiste est aujourd’hui célèbre pour avoir peint un des joyaux de la collection du musée Fabre, le fameux Vertumne et Pomone. Ce chef-d’œuvre de la peinture mythologique du XVIIIe siècle occulte pourtant une carrière aujourd’hui en pleine redécouverte, tout entière dédiée à l’art du portrait.

Jean Ranc - Vertumne et Pomone, Vers 1710 - 1722
Jean Ranc – Vertumne et Pomone, Vers 1710 – 1722

Longtemps éclipsé par la gloire de son maître Hyacinthe Rigaud, Jean Ranc se révèle un peintre raffiné, au pinceau virtuose et aux coloris audacieux, sensible aux grands effets décoratifs comme à la poésie de l’enfance. L’exposition illustre l’ampleur de ses talents à peindre les physionomies de ses modèles comme les costumes les plus brillants, les paysages contrastés et les accessoires les plus raffinés.

Jean Ranc - Portrait de l'infant Ferdinand, futur roi d'Espagne, Vers 1723
Jean Ranc – Portrait de l’infant Ferdinand, futur roi d’Espagne, Vers 1723

Témoin de son temps, l’art de Ranc se déploie dans une période de triomphe du portrait dans la peinture française. Monarques, princes et princesses, hommes d’État, de guerre ou d’Église, magistrats ou bourgeois, tous souhaitent se voir apparaître dans des compositions toujours plus majestueuses. Le parcours propose ainsi un voyage dans cette époque fascinante, au tournant du Grand Siècle et du siècle des Lumières.

Cette exposition, organisée dans sa ville natale, est la première consacrée à l’artiste. Elle révèle ses multiples talents à travers de très nombreux tableaux inédits, récemment identifiés. Grâce à des prêts prestigieux du musée du Prado, des collections royales espagnoles, du musée national des châteaux de Versailles et de Trianon et de nombreux prêteurs publics comme privés, le parcours présente la carrière de l’artiste, de ses origines montpelliéraines à ses premiers succès parisiens, de sa réception à l’Académie aux commandes de la cour de Versailles, jusqu’à son triomphe final auprès des Bourbons d’Espagne.

Introduction par Pierre Stépanoff

« Jean Ranc, un Montpelliérain à la cour des rois » au Musée Fabre - L’atelier montpelliérain
« Jean Ranc, un Montpelliérain à la cour des rois » au Musée Fabre – L’atelier montpelliérain

Jean Ranc naît à Montpellier à la fin du XVIIe siècle, dans un contexte particulièrement favorable à la peinture. Après d’importants épisodes d’iconoclasme durant les guerres de Religion, la ville est reprise en main par Louis XIII lors du siège de la ville en 1622. Dès lors, le clergé initie de nombreuses commandes artistiques pour les églises en pleine reconstruction, dans l’esprit dévot de La Contre-Réforme. La peinture mythologique et le portrait ne sont pas en reste, et viennent satisfaire le goût d’une élite riche et cultivée, notamment des membres de la Cour des comptes, aides et finances.

À partir du dernier tiers du siècle, Antoine Ranc, le père de Jean, devient le principal peintre de la cité, peignant de multiples compositions, pour la cathédrale et les nombreuses églises de la région. Parallèlement, il occupe la charge de peintre des consuls et exécute chaque année un portrait collectif des magistrats municipaux.

Le fonctionnement des ateliers repose sur la transmission des savoirs et des techniques, de génération en génération. Dans une société d’Ancien Régime fondée sur le corporatisme, les maîtres peintres sont volontiers protectionnistes et veillent à préserver leurs marchés comme leurs privilèges. Le bref passage de Sébastien Bourdon dans sa ville natale en 1657 apporte un langage artistique novateur au cœur du Languedoc. Le destin de ce Montpelliérain, actif à Rome, Paris et Stockholm, au service de Louis XIII, d’Anne d’Autriche ou de Christine de Suède, a dû frapper La jeune Ranc. À partir de 1666, Jean de Troy, membre de l’Académie de Toulouse, s’installe également à Montpellier. À la fois rival et ami d’Antoine Ranc, il peint de grandes compositions historiques et allégoriques, et se distingue également dans l’art du portrait. L’éphémère académie de peinture qu’il fonde à Montpellier, et que Jean a peut-être fréquentée, a sans doute suscité chez le jeune homme de hautes ambitions.

L’atelier montpelliérain par Pierre Stépanoff

« Jean Ranc, un Montpelliérain à la cour des rois » au Musée Fabre - La peinture, une affaire de famille
« Jean Ranc, un Montpelliérain à la cour des rois » au Musée Fabre – La peinture, une affaire de famille

Au XVIIe siècle, les liens familiaux, mariages et alliances, déterminent largement les vocations artistiques. Jean est le fils du peintre Antoine Ranc, et c’est dans l’atelier de son père qu’il fait ses premières armes. Il y fréquente d’autres apprentis, dont peut-être le jeune Jean Raoux, entré dans l’atelier en 1693 et promis comme lui à une brillante carrière.

Né à Perpignan et installé à Montpellier de 1673 à 1678, Hyacinthe Rigaud devient l’élève de Paul Pezet, à la tête de l’atelier rival. Un lien d’estime et d’amitié se forme cependant rapidement entre Antoine Ranc et Hyacinthe Rigaud, à l’origine d’une véritable alliance familiale et artistique.
En 1678, Rigaud gagne Lyon puis Paris pour poursuivre sa carrière, tandis que son jeune frère Gaspard est placé en apprentissage chez Antoine. Lors d’un séjour en Roussillon en 1695-1696, Hyacinthe ne manque pas de visiter son vieil ami sur le chemin de Perpignan. C’est peut-être lors du retour à Paris, après avoir peint son portrait, qu’il prend le jeune Jean, son fils, auprès de lui.

Installé à Paris aux côtés de son maître, Ranc est signalé en 1696, 1697 et 1699 comme collaborateur d’un atelier assailli de commandes. Rigaud confie à Ranc l’exécution de copies et la duplication de portraits, ce qui permet à l’élève d’étudier au plus près l’art du maître : son sens des physionomies, son goût des draperies, l’élégance de ses poses, la grâce de ses mains. Si Hyacinthe reste sans enfant, Marguerite, la fille de Gaspard, a pour parrain le jeune Jean Ranc. Devenue adulte, elle épouse ce dernier en 1715. Affinités stylistiques, collaboration professionnelle, alliance familiale et amitiés personnelles se conjuguent dans ce véritable clan unissant les Ranc et les Rigaud.

La peinture, une affaire de famille par Stéphan Perreau

« Jean Ranc, un Montpelliérain à la cour des rois » au Musée Fabre - Premières commandes parisiennes
« Jean Ranc, un Montpelliérain à la cour des rois » au Musée Fabre – Premières commandes parisiennes

Après 1699, les livres de comptes de Rigaud ne mentionnent plus de collaboration avec Jean Ranc. Le Montpelliérain, désormais émancipé, suit le modèle de son maître et se spécialise dans l’art du portrait, un genre lucratif à une époque où la haute société, soucieuse de son apparence, est de plus en plus avide de son image. Dans cette carrière qui débute, Ranc a face à lui de glorieux ainés : Nicolas de Largillierre, François de Troy et bien entendu Hyacinthe Rigaud.

Pour trouver sa voie, Ranc débute auprès d’une clientèle moins éminente que celle de ses aînés : il peint des portraits de bourgeois, en buste, sans doute pour des prix moins considérables.

Jean Ranc - Portraits de Pierre Gaudron et de Jeanne Catillon, 1706
Jean Ranc – Portraits de Pierre Gaudron et de Jeanne Catillon, 1706

Si la carrière de l’artiste le conduira à peindre des seigneurs de plus en plus importants, jusqu’à devenir peintre de cour, c’est dans ces premiers tableaux qu’il démontre le mieux son acuité psychologique. Les modèles s’y révèlent avec une sincérité et une dignité qui évoquent la tradition du Grand Siècle.

Premières commandes parisiennes par Pierre Stépanoff

« Jean Ranc, un Montpelliérain à la cour des rois » au Musée Fabre - Premières commandes parisiennes
« Jean Ranc, un Montpelliérain à la cour des rois » au Musée Fabre – Premières commandes parisiennes

Premières commandes parisiennes par Stéphan Perreau

« Jean Ranc, un Montpelliérain à la cour des rois » au Musée Fabre - La réception à l’Académie
« Jean Ranc, un Montpelliérain à la cour des rois » au Musée Fabre – La réception à l’Académie

L’Académie royale de peinture et de sculpture, fondée en 1648, est alors au cœur de la vie artistique française et surtout parisienne. Fournissant un enseignement pour les jeunes apprentis, elle est également un lieu d’échanges et de débats. Les conférences qui y sont prononcées et les modèles qui y sont exposés initient les artistes à un rapport savant à l’art. L’Académie, qui réunit les peintres protégés par le roi, est également une source d’élévation sociale.

En 1700, Jean Ranc, qui vient de quitter l’atelier de Rigaud, se présente naturellement à l’Académie. Agréé comme portraitiste, il reçoit pour commande le traditionnel morceau de réception : les portraits de deux de ses aînés et futurs collègues, Nicolas de Plattemontagne et François Verdier. L’artiste tarde et n’honore sa commande qu’en 1703, après de multiples relances. Devenu académicien, il peut participer au Salon de peinture de 1704, où il expose onze toiles. Cette prestigieuse vitrine artistique est l’occasion pour Ranc de faire découvrir son art et d’obtenir de nouvelles commandes.

Dès 1703, Ranc ne s’en tient pas à son statut de portraitiste, et souhaite devenir peintre d’histoire. Il sollicite ce titre auprès de l’Académie qui lui commande un nouveau morceau de réception. Ce projet n’aboutira pas, et Ranc, accablé de travail, ne livrera jamais son tableau. Si l’Académie offre un incontestable prestige professionnel, la principale préoccupation de l’artiste reste d’honorer les commandes du marché privé dans lequel il évolue.

La réception à l’Académie par Pierre Stépanoff

« Jean Ranc, un Montpelliérain à la cour des rois » au Musée Fabre - Ces messieurs de Montpellier
« Jean Ranc, un Montpelliérain à la cour des rois » au Musée Fabre – Ces messieurs de Montpellier

Installé à Paris à partir de 1696, et peut-être même avant, Ranc ne regagna sans doute jamais son Montpellier natal. Il n’en perpétue pas moins des liens étroits avec une clientèle originaire du Languedoc, de passage à Paris. Dès 1702, Ranc exécute le portrait de Joseph Bonnier, grand financier en pleine ascension sociale, et de son épouse Anne Melon.

Vers 1715, il peint l’effigie de François-Xavier Bon de Saint Hilaire, premier président de la Cour des comptes, aides et finances de la ville. Il exécute également le portrait d’un magistrat, peut-être Guillaume Lamoignon de Courson, fils de l’intendant du Languedoc. Les solidarités locales se transposent dans la capitale.

Ces personnages, vivant entre Montpellier et Paris, constituent une fascinante élite sociale, éprise de science, d’art et de lettres. Ils font de Montpellier une ville de savoir et de curiosité particulièrement brillante, au crépuscule du Grand Siècle et à l’aube du Siècle des Lumières.

L’évêque Charles Joachim de Colbert est un bibliophile passionné et collectionne peinture et tapisserie dans ses appartements de l’Évêché et du château de Lavérune. Jean Pierre d’Aigréfeuille, président à la Cour des comptes, amateur de médailles antiques, les amasse dans son cabinet.

« Jean Ranc, un Montpelliérain à la cour des rois » au Musée Fabre - Ces messieurs de Montpellier
« Jean Ranc, un Montpelliérain à la cour des rois » au Musée Fabre – Ces messieurs de Montpellier

Cependant, la personnalité la plus fascinante est sans conteste François-Xavier Bon de Saint Hilaire. Le premier président de la Cour des comptes est un curieux universel : il collectionne aussi bien les sculptures égyptiennes, grecques et romaines que les curiosités naturelles, coquillages et fossiles.

Homme des Lumières, il favorise les sciences et les techniques dans de nombreuses publications : il mène des observations astronomiques, démontre la nature animale des coraux, propose de mettre en place une industrie de la soie utilisant des araignées… Autour de son fastueux portrait sont présentées quelques-unes des pièces les plus précieuses de son cabinet, dispersé dès le milieu du XVIIIe siècle.

Ces messieurs de Montpellier par Pierre Stépanoff

« Jean Ranc, un Montpelliérain à la cour des rois » au Musée Fabre - Les plaisirs du jardin
« Jean Ranc, un Montpelliérain à la cour des rois » au Musée Fabre – Les plaisirs du jardin

À l’orée du XVIIIe siècle, le goût de la nature et la recherche du naturel deviennent des enjeux artistiques décisifs, qui marqueront l’imaginaire tout au long du siècle. La passion pour les jardins en est un des exemples les plus remarquables, intérêt qui se lit dès le début du siècle dans de nombreux portraits de Jean Ranc.

Les personnages apparaissent dans des espaces boisés, entourés de fontaines, sous d’épaisses frondaisons. Les portraits sont baignés d’une lumière tantôt délicate et cristalline, tantôt contrastée, sous l’effet d’un ciel menaçant et d’un vent puissant, agitant les arbres comme les draperies.

On joue sur l’identité et le paraître alors que les modèles féminins se travestissent en paysanne, en nymphe ou en déesse. De même, les peintres jouent sur la porosité des genres, entre mythologie, peinture d’histoire et portrait. Le fameux Vertumne et Pomone de Ranc incarne le sommet de cet art : en utilisant le cadrage et les procédés du portrait, Ranc offre une présence inédite aux personnages fabuleux et une extraordinaire vérité au récit poétique.

Les plaisirs du jardin par Pierre Stépanoff

Vertumne et Pomone par Pierre Stépanoff

« Jean Ranc, un Montpelliérain à la cour des rois » au Musée Fabre - Les plaisirs du jardin et Le peintre et le poète
« Jean Ranc, un Montpelliérain à la cour des rois » au Musée Fabre – Les plaisirs du jardin et Le peintre et le poète

Si la très grande majorité de la production de Jean Ranc relève de l’art du portrait, l’artiste a l’occasion de contribuer en 1719 à l’illustration des Fables nouvelles de son ami Antoine Houdart de la Motte. Aujourd’hui oublié, ce poète, ami du Régent Philippe d’Orléans, fréquente les salons littéraires les plus brillants et connaît en son temps de grands succès, par ses fables spirituelles mais également par ses pièces de théâtre ou ses livrets d’opéras. Ranc a l’occasion de peindre son portrait et c’est peut-être par son intermédiaire qu’il parviendra à pénétrer le milieu de la cour.

Aux côtés de Claude Gillot, d’Antoine Coypel, de Gérard Édelinck et de Nicolas Vleughels, Ranc illustre sept fables dans de délicates vignettes gravées. Il compose un univers poétique et fabuleux mettant en scène, dans de vastes architectures, des personnages en costume de fantaisie, inspirés de la mode espagnole, des costumes du théâtre italien, ou des turqueries d’un Orient imaginaire. Ranc y révèle également un aspect de son art resté discret dans ses portraits : son sens de la composition, de la narration et de la mise en scène. Au cœur du recueil, la fable du « Portrait » illustrée par Claude Gillot, relate un récit facétieux sur la question de la ressemblance et de l’illusion dans l’art pictural. Houdart et Ranc seront bientôt considérés comme les véritables protagonistes de cette fable imaginaire.

« Jean Ranc, un Montpelliérain à la cour des rois » au Musée Fabre - Diplomatie
« Jean Ranc, un Montpelliérain à la cour des rois » au Musée Fabre – Diplomatie

L’année 1719 est décisive pour Ranc. L’artiste, jusqu’alors au service d’une clientèle privée, reçoit de la cour la commande de deux portraits officiels : le jeune roi de France Louis XV et son grand-oncle, le Régent Philippe d’Orléans, à la tête du royaume depuis la mort de Louis XIV en 1715. La représentation acquiert une dimension politique, confrontant l’artiste à des enjeux de célébration du prince et de symbolique du pouvoir.

Jean Ranc Portrait de Louis XV, roi de France, 1718-1719
Jean Ranc Portrait de Louis XV, roi de France, 1718-1719

Les portraits de Ranc sont le témoignage des questions diplomatiques qui traversent l’Europe à la suite de la mort de Louis XIV. Depuis la guerre de Succession d’Espagne (1701-1714), un Bourbon, Philippe V, petit-fils du Roi Soleil et oncle de Louis XV, règne sur l’Espagne. Pour enraciner l’alliance entre la France et l’Espagne, le Régent Philippe d’Orléans organise un double mariage : Louis XV, âgé de onze ans, est fiancé à la petite infante Marie-Anne Victoire, fille de Philippe V. À l’âge d’à peine trois ans, elle doit quitter sa famille pour rejoindre la France. En échange, Louise Élisabeth d’Orléans, fille du Régent, est mariée à Louis, héritier du trône d’Espagne.

Attribué à Alexis Simon Belle, L’Amour présentant à Louis XV le portrait de l’infante Marie Anne Victoire d’Espagne, 1724
Attribué à Alexis Simon Belle, L’Amour présentant à Louis XV le portrait de l’infante Marie Anne Victoire d’Espagne, 1724

Dans ces échanges matrimoniaux, unissant de jeunes gens qui ne se sont parfois jamais rencontrés, le portrait joue un rôle décisif.

« Jean Ranc, un Montpelliérain à la cour des rois » au Musée Fabre - Diplomatie
« Jean Ranc, un Montpelliérain à la cour des rois » au Musée Fabre – Diplomatie

Diplomatie par Pierre Stépanoff

« Jean Ranc, un Montpelliérain à la cour des rois » au Musée Fabre - À la cour d’Espagne
« Jean Ranc, un Montpelliérain à la cour des rois » au Musée Fabre – À la cour d’Espagne

L’arrivée d’un Bourbon à la tête du royaume d’Espagne en 1700 et les rapprochements diplomatiques avec la France favorisent la diffusion de l’art français dans la péninsule ibérique. C’est dans ce contexte que Jean Ranc, sur les conseils du cardinal Dubois, ministre de Louis XV, est envoyé en 1722 comme portraitiste officiel auprès de Philippe V, roi d’Espagne. Dès lors, installé à Madrid, le pintor de cômara se consacre à l’exécution des portraits du roi, de la reine, et des nombreux infants. La palette de l’artiste devient plus lumineuse. Sa minutie dans la représentation des ornements, l’exubérance de ses draperies et la sophistication de ses couleurs, atteignent un degré inégalé. La majesté des poses donnent une ampleur héroïque à ces effigies.

Jean Ranc - Portrait équestre de Philippe V, roi d'Espagne, Vers 1723
Jean Ranc – Portrait équestre de Philippe V, roi d’Espagne, Vers 1723

Ranc suit la cour dans ses pérégrinations, à Ségovie, Badajoz, Séville ou Grenade. En 1729, lors du mariage de l’infante Marie-Anne Victoire avec Joseph, prince du Brésil, il gagne le Portugal, pour peindre la famille du roi Jean V.

L’artiste est désormais à la tête d’un atelier important et doit superviser la duplication des effigies royales au service de la diplomatie espagnole. En 1734, il est nommé responsable des décors royaux et supervise la même année l’aménagement de la Galeria del Poniente de l’Alcàzar, que le roi Philippe inaugure en décembre 1734.

Quelques jours plus tard, dans la nuit de Noël, un violent incendie détruit la majeure partie de l’Alcàzar, dont le décor de Jean Ranc. L’artiste, objet de jalousie et toujours considéré comme un étranger favorisé par le roi, est accusé de la responsabilité du drame par des rumeurs malveillantes. Épuisé par le travail, la maladie et les critiques, le peintre meurt à Madrid le 1er juillet 1735. Louis Michel Van Loo prend la place de Ranc l’année suivante, perpétuant l’influence de l’art français à la cour d’Espagne.

À la cour d’Espagne par Pierre Stépanoff

À la cour d’Espagne par Stéphan Perreau

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