Lisa Milroy – Ensemble/Together au Frac Occitanie Montpellier

Jusqu’au 11 avril 2020, le Frac Occitanie Montpellier invite l’artiste anglo-canadienne Lisa Milroy pour une première exposition monographique qui rassemble des œuvres acquises par le Frac depuis 1998. Une suite est annoncée pour 2021 avec des œuvres créées spécialement par l’artiste.

Comme le souligne Emmanuel Latreille dans sa note d’intention, « Ensemble/Together » s’organise autour de Black and White, un immense tableau de 20 mètre de long, composé de 12 panneaux peints en 2005 et qui est entré dans la collection du Frac l’an dernier.

Lisa Milroy - Black and White, 2005 - Ensemble-Together au Frac Occitanie Montpellier
Lisa Milroy – Black and White, 2005. Huile et acrylique sur toile, 218 x 170 x 4 cm. 12 panneaux – Black and White, 2005 – Ensemble-Together au Frac Occitanie Montpellier

Cette œuvre démesurée répondait à différentes questions qui préoccupaient l’artiste aux alentours de 2004. Dans un long texte (reproduit ci-dessous et dont la lecture est indispensable), Lisa Milroy revient sur Black and White qui « donne à voir la peinture comme pratique artistique et artisanale à travers le motif de l’atelier d’artiste, paysage mental imaginaire qui met en jeu la mémoire autant que les différentes modalités de représentation et de mise en image »…

Lisa Milroy - Black and White, 2005.
Lisa Milroy – Black and White, 2005. Huile et acrylique sur toile, 218 x 170 x 4 cm. 12 panneaux soit 20,4 m de long – Collection Frac Occitanie Montpellier. Photo FXP Photography

Dans cette note, l’artiste offre de nombreuses clés sur cette œuvre et sur son travail. Elle termine par le paragraphe suivant :

« Black and White explore et donne corps à la proposition suivante : par la peinture, par la danse du réel avec l’imaginaire, par le changement perpétuel, par l’amour, par le cadre social, je suis perpétuellement en train de me transformer en moi-même. C’est en regardant, en sentant, en faisant que nous devenons qui nous sommes ».

On attendait avec beaucoup de curiosité et une certaine impatience de découvrir comment Black and White « explore l’expérience du faire et du voir, et les différentes manières dont la peinture met en tension les dualités pensér/toucher, immobilité/mouvement, action/contemplation, tout en agissant comme un catalyseur d’échanges et de connexion entre individus ».

La rencontre avec Black and White est sans aucun doute une expérience singulière et troublante qui mérite un passage par le Frac Occitanie Montpellier. Les dimensions hors-normes de l’œuvre engagent immédiatement le visiteur dans une relation différente au tableau dans laquelle transparaissent assez simplement les préoccupations de l’artiste.

Rarement exposé, Black and White a été présenté à la Galerie Lelong Zurich en 2006, puis à la galerie Xippas en 2007 et en 2018 à Londres à la fondation d’art contemporain Parasol unit. Sa présentation à Montpellier a imposé la mise en place d’une longue cimaise sur la gauche de l’espace d’exposition.

Lisa Milroy - Black and White, 2005 - Ensemble-Together au Frac Occitanie Montpellier
Lisa Milroy – Black and White, 2005. Huile et acrylique sur toile, 218 x 170 x 4 cm. 12 panneaux – Ensemble-Together au Frac Occitanie Montpellier

À l’entrée du Frac, on retrouve Euston Station (1995) un tableau énigmatique et troublant qui appartient à la série des « Peintures de voyage » et que l’on vu dans un étonnant rapprochement avec une toile de François Marius Granet (Intérieur de l’église souterraine de San Martino in Monte à Rome, 1802) dans « Le rêve de la fileuse : trois collections en dialogue », une mémorable exposition imaginée par la chorégraphe DD Dorvillier avec la complicité de Stanislas Colodiet et d’Emmanuel Latreille au Musée Fabre.

Lisa Milroy - Euston Station, 1995
Lisa Milroy – Euston Station, 1995. Huile sur toile, 139 x 190 x 4 cm. Collection Frac Occitanie Montpellier – Photo Pierre Schwartz

Face à Black and White, « Ensemble/Together » proposera d’autres tableaux de Lisa Milroy déjà acquis par le Frac Occitanie Montpellier.

Lisa Milroy - Ensemble-Together au Frac Occitanie Montpellier
Lisa Milroy – Ensemble-Together au Frac Occitanie Montpellier

Tablecloth (2016) et Mirror (2011-2018) appartiennent à la série « Mannequin ».

Lisa Milroy - Tablecloth, 2016
Lisa Milroy – Tablecloth, 2016. Huile et acrylique sur toile, 158 x 213 x 4 cm. Collection Frac Occitanie Montpellier – Photo Thomas Jenkins

Dans son texte de présentation Emmanuel Latreille précise que dans cette série « l’artiste utilise des figures de mannequins animés pour évoquer les rituels de la vie sociale (y compris ceux du monde de l’art), et la question de l’identité et du moi ».

Lisa Milroy - MIRRor, 2011 - 2018
Lisa Milroy – MIRRor, 2011 – 2018. Huile et acrylique sur toile, 172 x 226,5 x 4 cm. Collection Frac Occitanie Montpellier – Photo FXP Photography

L’ensemble est complété par Out-Fit, une toile de 2018 qui selon le directeur du Frac OM « présente un long miroir rectangulaire dans lequel le spectateur découvre le reflet de quatre robes – le tableau mettant en lumière l’usage récurrent du vêtement dans le travail de l’artiste depuis les années 1980 ».

Lisa Milroy – Out-Fit, 2018
Lisa Milroy – Out-Fit, 2018. Hhuile et acrylique sur toile, 178 x 314 x 4 cm. Collection Frac Occitanie Montpellier – Photo Thomas Jenkins

Un visiteur attentif ne maquera par de repérer d’autres éléments communs entre Black and White et les toiles qui lui font face comme la présence du miroir ou encore les souliers qui sont pour l’artiste, des objets presque fétiches.

Sur le mur du fond, Lisa Milroy a choisi d’accrocher J une toile libre de 2010, seule œuvre qui n’appartient pas au Frac et qui s’est imposé comme visuel pour la communication autour de l’exposition.

Lisa Milroy - J, 2010 - Ensemble-Together au Frac Occitanie Montpellier
Lisa Milroy – J, 2010 – Ensemble-Together au Frac Occitanie Montpellier

À lire, ci-dessous, la note d’intention d’Emmanuel Latreille, le texte de Lisa Milroy à propos de Black and White et quelques repères biographiques. Ces documents sont extraits du dossier de presse.

En savoir plus :
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Black and White se distingue avant tout par ses dimensions : composée de 12 toiles mesurant chacune 2,2 m par 1,7 m, l’œuvre mesure dans son entièreté 2,2 m de haut et 20,4 m de long, soit une surface totale de 44 mètres carrés. Il s’agit sans aucun doute de l’une des plus grandes peintures sur toile jamais acquises par une institution française, y compris en prenant en compte la période classique.

Lisa Milroy et Emmanel Latreille - Ensemble-Together au Frac Occitanie Montpellier
Lisa Milroy et Emmanel Latreille – Ensemble-Together au Frac Occitanie Montpellier

Black and White donne à voir la peinture comme pratique à la fois artistique et artisanale à travers le motif de l’atelier d’artiste, paysage mental imaginaire qui met en jeu la mémoire autant que les différentes modalités de représentation et de mise en image. Par le prisme de la nature morte, Black and White explore l’expérience du faire et du voir, et les différentes manières dont la peinture met en tension les dualités penser/toucher, immobilité/mouvement, action/contemplation, tout en agissant comme un catalyseur d’échanges et de connections entre individus. Black and White traite également la question de l’identité par le biais de la vie de la peintre : sa présence (ou son absence) est suggérée au cœur même du tableau par l’image de la chaise. Le spectateur est invité à participer lui aussi à cette exploration de manière physique et incarnée en se déplaçant d’un bout à l’autre de la peinture, sans jamais parvenir à la saisir depuis un point de vue fixe.

Du fait de sa grande diversité de motifs, Black and White s’impose comme une œuvre riche en multiples interprétations potentielles.

Autour de cette œuvre, l’exposition « Ensemble/Together » proposera d’autres tableaux de Lisa Milroy déjà acquis par le Frac Occitanie Montpellier. Euston Station (1995), appartient à la série des « Peintures de voyage », qui traite la question du lieu ainsi que la tension présence/absence à travers des motifs de rues et d’immeubles. Tablecloth (2016) et Mirror (2011-2018) appartiennent à la série « Mannequin », dans laquelle l’artiste utilise des figures de mannequins animés pour évoquer les rituels de la vie sociale (y compris ceux du monde de l’art), et la question de l’identité et du moi. Out-fit (2018) présente un long miroir rectangulaire dans lequel le spectateur découvre le reflet de quatre robes – le tableau mettant en lumière l’usage récurrent du vêtement dans le travail de l’artiste depuis les années 1980. Avec les « Out-fits » de 2018, Lisa Milroy explore le rapport entre le même et l’autre, tout en montrant la manière dont le corps physique peut être façonné par les canons de la représentation ou au contraire leur résister.

En donnant à voir l’atelier de Lisa Milroy dans Black and White – dans la tradition des tableaux figurant « l’atelier de l’artiste » – l’exposition « Ensemble/Together – Peintures de Lisa Milroy » révèlera non seulement ce que produit cet atelier, mais la manière dont celui-ci s’articule, par l’artiste qui lui donne vie, à l’espace même du monde.

Emmanuel Latreille
Directeur du Frac OM
Commissaire de l’exposition

Traduit de l’anglais par Valentine Leys

Black and White (2005) est un tableau de vingt mètres de long qui donne à voir la peinture comme pratique artistique et artisanale à travers le motif de l’atelier d’artiste, paysage mental imaginaire qui met en jeu la mémoire autant que les différentes modalités de représentation et de mise en image. Par le prisme de la nature morte, Black and White explore l’expérience du faire et du voir, et les différentes manières dont la peinture met en tension les dualités pensér/toucher, immobilité/mouvement, action/contemplation, tout en agissant comme un catalyseur d’échanges et de connexion entre individus. Black and White traite également la question de l’identité par le biais de la vie de la peintre : sa présence (ou son absence) est suggérée au cœur même du tableau par l’image de la chaise.

Lisa Milroy - Ensemble-Together au Frac Occitanie Montpellier, le 15 fervrier 2020
Lisa Milroy – Ensemble-Together au Frac Occitanie Montpellier, le 15 fervrier 2020

Black and White constitue une réponse à différentes questions qui me préoccupaient dans mon travail aux alentours de 2004. J’étais arrivée à un moment où je ressentais le besoin de faire le point sur mon histoire en tant que peintre, et de trouver un moyen de « résumer » vingt ans de peinture. Je voulais créer un manifeste qui présente ma conception de la peinture, tout en rendant hommage à l’incroyable pouvoir transformatif de cette pratique, capable de donner corps à l’imaginaire et au sentiment dans la matérialité, le faire et le toucher. Je voulais proposer une version contemporaine des Ménines, ce chef-d’œuvre créé au dix-septième siècle par Vélasquez, qui reste mon tableau préféré de tous les temps.

Lisa Milroy - Ensemble-Together au Frac Occitanie Montpellier, le 15 fervrier 2020
Lisa Milroy – Ensemble-Together au Frac Occitanie Montpellier, le 15 fervrier 2020

J’étais aussi un peu lassée de l’habitude que j’avais de toujours reproduire plusieurs versions d’un même objet dans un tableau. Cette tendance était bien sûr liée au thème de la répétition dans mon travail : répétition d’images d’un même objet dans mes toiles, répétition dans mon travail sur le motif, répétition des séries de peintures… Une question me tracassait : pourquoi ne parvenais-je pas à produire une peinture unique et définitive d’un sujet donné ? J’étais également curieuse de mettre mon travail à l’épreuve de la durée. Je n’avais jamais passé plus de quelques semaines sur un même tableau. Quel effet cela aurait-il si je prolongeais cet engagement sur plusieurs mois ? Afin d’approfondir les questions que je me posais sur l’identité, le travail, l’histoire personnelle et l’histoire de l’art, j’ai décidé que je devais créer un tableau suffisamment grandiose pour balayer mon univers tout entier dans un grand élan cosmologique. Par ailleurs, pour expérimenter autour de la répétition et de la durée, il fallait que je produise un tableau tellement grand que je n’aurais tout simplement pas l’énergie d’en refaire un autre pareil. C’est ainsi qu’est né Black and White : un tableau de vingt mètres de long composé de douze toiles séparées, qui m’a pris environ huit mois à réaliser.

Lisa Milroy - Black and White, 2005.
Lisa Milroy – Black and White, 2005. Huile et acrylique sur toile, 218 x 170 x 4 cm
12 panneaux soit 20,4 m de long – Collection Frac Occitanie Montpellier. Photo FXP Photography

Alors que j’arrivais à la fin de ce travail, je me suis aperçue qu’il allait évidemment me falloir un très grand mur pour l’exposer. Vingt mètres : jamais aucune de mes œuvres n’avait imposé une telle contrainte architecturale ! J’avais peint Black and White par segments dans mon atelier, et je n’avais qu’une perception fragmentaire de sa totalité. Lorsque j’eus enfin l’opportunité d’exposer Black and White et que l’œuvre se trouva accrochée comme prévu en une seule ligne continue dans une galerie, j’ai parcouru lentement tout le tableau et j’ai découvert ma première expérience de l’œuvre finie. En regardant les spectateurs se déplacer d’un bout à l’autre du tableau pour le découvrir, j’ai ressenti une émotion inattendue à chaque fois que l’un d’eux marquait une pause pour examiner un détail de plus près. En prenant en compte la présence corporelle du spectateur, sa place dans le monde physique au moment où il négocie le tableau, mais aussi la mienne, j’ai compris que le fait de « regarder » est une action, une forme de travail qui trouve sa place dans le corps tout autant que dans l’esprit. Le fait de percevoir plus en profondeur la manière dont un spectateur interagit avec ma toile a également modifié mon appréhension de l’art : j’ai compris que ce qui fait de ma peinture une œuvre d’art est l’acte par lequel on la regarde, on y pense, on ressent une émotion. Sans personne pour le regarder, mon tableau n’est qu’un tableau : le résultat d’un acte créatif. À travers cette découverte, Black and White m’a aidé à développer ma compréhension de l’art en tant que geste social, et de moi-même en tant qu’artiste.

Lisa Milroy - Black and White, 2005 - Ensemble-Together au Frac Occitanie Montpellier
Lisa Milroy – Black and White, 2005. Huile et acrylique sur toile, 218 x 170 x 4 cm. 12 panneaux – Black and White, 2005 – Ensemble-Together au Frac Occitanie Montpellier

Du fait de sa longueur, Black and White ne peut être envisagé depuis un point unique. Jusque-là, tous mes tableaux pouvaient être perçus d’un seul regard – à l’exception d’une peinture en forme de banderole où figurait un motif de papier peint et qui se déroulait tout autour d’une pièce (Flowers, 2000). J’ai commencé de ressentir une fascination pour l’absence de point de vue unique, combinée à l’activité de déplacement et de regard suscitée chez le spectateur. En association avec ce premier tableau-banderole, Black and White a catalysé mon intérêt pour l’expérience immersive du regard et du processus de fabrication dans la peinture, d’où ma volonté de mettre à l’épreuve le cadre du tableau, sa limite, le seuil à partir duquel le tableau commence ou finit. Je me suis sentie attirée par des expériences de la peinture dans lesquelles le bord du tableau est incertain, indécis. Cela m’a aussi conduit à approfondir la question du temps dans son rapport à la peinture : mon attention s’est déplacée, passant de la nature « contemplative » de la peinture à sa nature « performative » – la « peinture » comme action, plutôt que comme substantif, quelque chose que l’on fait plutôt que quelque chose que l’on regarde. Ces nouvelles perspectives critiques m’ont amenée à une approche plus expérimentale de la peinture qui m’a conduite, après Black and White, à développer et à élargir le champ de ma pratique pour y ajouter des installations de peinture (parmi lesquelles une peinture conçue pour un espace de théâtre : Act One, Seen Too, 2012) mais aussi des peintures-performances (Party of One, 2013) et des peintures interactives (Off the Rails, 4 éditions, 2011-2019). Chacune de ces œuvres intègre comme composantes matérielles le temps et l’espace réels, et met l’accent sur la présence du corps.

Lisa Milroy - Black and White, 2005 - Ensemble-Together au Frac Occitanie Montpellier
Lisa Milroy – Black and White, 2005. Huile et acrylique sur toile, 218 x 170 x 4 cm. 12 panneaux – Ensemble-Together au Frac Occitanie Montpellier

Mon approche de la peinture, qui part de la nature morte, est depuis le départ définie par la perception de dualités. Le terme de « nature morte » lui-même (NDLT : en anglais « still life », ou « vie arrêtée ») suggère deux notions opposées qui constituent le fondement de la pratique picturale : immobilité et mouvement. Depuis mes études d’art au début des années 80, mon travail explore des dualités : présence/absence, ici/làbas, lien/détachement, même/autre, individu/groupe, perte/non-perte, objet/image. Je suis fascinée par la transition d’un état à l’état opposé, et par l’écart entre ces deux états. J’aime imaginer le point où le présent devient passé, où la perception d’un lien commence à se dissoudre pour laisser place au détachement. Que se passe-t-il dans cet entre-deux ? Comment et à quel moment cette masse inerte de peinture sur la palette se transforme-t-elle sur la toile pour devenir une image qui a la capacité d’émouvoir et de mouvoir le spectateur ?

Dans Black and White, le jeu porte avant tout sur les dualités corps/esprit et contemplation/action : ce sont ces tensions qui ont conditionné toutes les décisions formelles que j’ai prises en peignant cette œuvre. Le noir du titre suggère l’obscurité que je perçois lorsque je ferme les yeux, lorsque mon regard se tourne vers le dedans et que j’explore avec ma vision intérieure les pensées, les sentiments et les souvenirs qui vont me permettre de choisir le « bon » point de départ pour une peinture. Le blanc évoque le monde qui s’illumine lorsque j’ouvre les yeux, la lumière qui rend visibles – à défaut de les rendre connaissables – les choses, les gens et les lieux qui m’entourent. Les pigments de couleur que j’utilise pour suggérer cette dualité entre obscurité et lumière sont d’une part un noir fait d’un mélange de bleu outremer et de terre d’ombre brûlée, et de l’autre un blanc de titane pur.

Sur le côté gauche de Black and White, une mise en scène ténébreuse présente un paysage mental imaginaire, peuplé d’objets qui évoquent l’expérience sensorielle, la mémoire, le savoir, l’enregistrement et la production d’images. Cette partie donne à voir l’univers qui nourrit l’imaginaire dans ma peinture, et fait signe vers le corps et la contemplation. Lorsque l’on évolue vers le centre de la peinture, la transition de la zone obscure à la lumière est assurée par l’image d’un miroir qui, par une intervention picturale, devient une toile apprêtée posée dans l’atelier, guidant le spectateur vers la partie droite du tableau. Dans cette partie, la mise en scène figure la pratique artisanale de la peinture en évoquant à la fois le processus de conceptualisation et la fabrication. Les idées centrales sont ici l’esprit et l’action. Le langage pictural est schématique, esquissé, linéaire, monochrome et plat – par opposition aux visuels de la partie obscure qui se caractérisent par l’usage du volume, du dégradé, de l’espace, des contrastes de tonalité et des éclats de couleur.

Lisa Milroy - Black and White, 2005 - Ensemble-Together au Frac Occitanie Montpellier - Détail
Lisa Milroy – Black and White, 2005 – Ensemble-Together au Frac Occitanie Montpellier – Détail

L’observation d’Édouard Manet selon qui « la nature morte est la pierre de touche du peintre » m’a toujours à la fois intriguée, confortée, provoquée et inspirée. Elle m’a encouragée à mettre en question la hiérarchie académique traditionnelle dans les beaux-arts qui place la peinture d’histoire au sommet et la nature morte en bas de l’échelle. Avec Black and White, j’ai voulu créer une nature morte géante. En célébrant ce genre sur une toile gigantesque, je cherche à révolutionner l’ordre conventionnel et à placer la nature morte au sommet de l’échelle, tout en saluant son riche potentiel qui puise dans la nature même de la peinture. Je suggère également que la nature morte ne se limite pas à une simple description d’objets, comme le veut la définition traditionnelle, mais qu’elle consiste plutôt en un « état d’esprit », et qu’elle peut donc aussi englober des peintures que l’on décrirait de prime abord comme des paysages, des intérieurs/extérieurs, ou même des portraits. La qualité d’une nature morte réside dans l’état d’esprit qu’elle fait naître : une certaine manière de regarder et de voir, d’agir et de contempler, qui repose sur une sensibilité plus aiguë à la matérialité, dans laquelle le rapport au quotidien joue un rôle-clé.

Notes sur les images de Black and White

Sur la gauche du tableau se trouve un tas d’objets à peine discernables dans l’obscurité : une guitare, un métronome, un piano sur les touches duquel repose une étrange « pierre philosophale » chinoise.

Lisa Milroy - Black and White, 2005 - Ensemble-Together au Frac Occitanie Montpellier - Détail
Lisa Milroy – Black and White, 2005 – Ensemble-Together au Frac Occitanie Montpellier – Détail

Plus loin, on distingue un bocal où nage un poisson rouge, du matériel de sport (un bâton de ski, une raquette de tennis et un patin à glace), une planche à repasser, un panier de transport pour animal de compagnie, une pile de valises, une pile de chemises blanches, un tas de tissus (peut-être des draps ?), une mappemonde, une lampe moderne et une lampe ancienne, une bobine de ruban, une bobine de fil, un piège à souris…

La scène évoque un grenier ou un réduit rempli d’objets qui ont peut-être été oubliés là, des objets qui ont leur vie secrète, des choses cachées, des choses rangées, des choses en désordre, des choses qui servent à mettre de l’ordre, à donner du plaisir, à susciter des envies de voyage, à représenter le temps et le passage du temps. Dans leur utilisation, ces objets sont tous associés au mouvement et au changement, à l’activation de transformations. Tous mettent en lumière le rôle de la main.

Lisa Milroy - Black and White, 2005 - Panneau 03
Lisa Milroy – Black and White, 2005 – Panneau 03

En parcourant Black and White, le spectateur découvre ensuite un projecteur de cinéma, une collection de projecteurs de diapositives, une machine à écrire avec des feuilles de papier et des écrans de projection : autant d’appareils qui servent à créer des visuels à partir de mots ou d’images. Certains de ces écrans affichent un rayon de lumière vide qui provient du projecteur : rien à voir ici.

Lisa Milroy - Black and White, 2005 - Ensemble-Together au Frac Occitanie Montpellier - Détail
Lisa Milroy – Black and White, 2005 – Ensemble-Together au Frac Occitanie Montpellier – Détail

Sur les autres écrans, les images de maisons projetées proviennent de photographies d’un quartier à Vancouver, près de l’endroit où j’ai grandi. Il ne s’agit pas de mon style favori de maison, mais ces images provoquent chez moi un sentiment très fort : une sorte de mélancolie, voire même de désolation, mêlée d’un sentiment de nostalgie. J’avais besoin de me connecter par l’imaginaire à ces sentiments afin d’injecter une certaine énergie émotionnelle dans Black and White pendant que je peignais.

Lisa Milroy - Black and White, 2005 - Ensemble-Together au Frac Occitanie Montpellier - Détail
Lisa Milroy – Black and White, 2005 – Ensemble-Together au Frac Occitanie Montpellier – Détail

L’intérieur domestique projeté sur l’un des écrans est le salon de ma tante, également à Vancouver. Pendant mon enfance, ma tante protégeait jalousement cette pièce du désordre du quotidien et nous n’avions que rarement la permission d’y entrer. Ce n’était pas vraiment une pièce à vivre mais plutôt une sorte de décor de théâtre, utilisé seulement pour les grandes occasions. Quand j’allais voir ma tante, j’observais toujours son salon depuis la porte, pétrifiée par l’impression d’ordre qui s’en dégageait : l’impression que chaque chose était à sa place.

Lisa Milroy - Black and White, 2005 - Ensemble-Together au Frac Occitanie Montpellier - Détail
Lisa Milroy – Black and White, 2005 – Ensemble-Together au Frac Occitanie Montpellier – Détail

Il y avait souvent un petit vase de fleurs sur la table basse : la seule chose vivante et mobile dans ce décor fixe et immuable. Je garde en mémoire l’odeur d’encaustique des meubles et le parfum de bois brûlé qui émanait de la cheminée – tout comme les fleurs et la lumière du jour qui filtrait par les rideaux, ces odeurs insufflaient un esprit à la froideur stricte de cette pièce, elles lui donnaient vie. Par la fenêtre panoramique au fond de la pièce, en écartant les rideaux, je pouvais avoir une vue merveilleuse sur la chaîne montagneuse des North Shore, comme un tableau dans le tableau. Ce salon provoquait chez moi une certaine forme de tristesse, un sentiment d’isolement, contrebalancé par une irrésistible impression de beauté.

Lisa Milroy - Black and White, 2005 - Ensemble-Together au Frac Occitanie Montpellier - Détail
Lisa Milroy – Black and White, 2005 – Ensemble-Together au Frac Occitanie Montpellier – Détail

Sur la table en bois qui apparaît dans Black and White, j’avais d’abord peint un bouquet de fleurs emballées dans du cellophane. J’aimais beaucoup peindre des bouquets de fleurs emballés quand je peignais des séries d’objets au début des années 80, et j’ai eu envie de renouer avec ce plaisir en 2004. Je trouve délicieux de peindre deux choses distinctes – dans ce cas, des fleurs et du cellophane – comme une seule chose, en les faisant fusionner l’une avec l’autre. J’aime aussi peindre le cellophane brillant, comme s’il était une barrière qui me séparait des fleurs. Je trouve cette tension séduisante : je peux voir les fleurs dans toute leur splendeur mais elles ne sont pas accessibles et je ne peux ni les toucher, ni les posséder. Le cellophane fonctionne de plus comme une sorte de fenêtre qui transforme les fleurs en images : de la vie à l’art. Finalement, la table dans Black and White fonctionnait mieux sans rien posé dessus à part une flaque de lumière, alors j’ai effacé le bouquet. Cependant, on en voit encore la trace. Peut-être avais-je besoin de peindre ce bouquet pour pouvoir l’effacer, afin d’incarner physiquement ce mélange ambigu d’absence et de présence, de maintenant et d’avant, qui se joue dans la peinture à travers la réalité d’une surface abrasée.

Lisa Milroy - Black and White, 2005 - Ensemble-Together au Frac Occitanie Montpellier - Détail
Lisa Milroy – Black and White, 2005 – Ensemble-Together au Frac Occitanie Montpellier – Détail

Les déchets. Il y a un tas de déchets sous la table dans Black and White : des emballages de sandwichs, des pelures de fruits, des barquettes de repas à emporter, des papiers chiffonnés, des gobelets de café, des boîtes de conserve. Je pense à toute l’énergie, aux tâtonnements, aux actes de foi, aux doutes, aux échecs, aux inquiétudes, aux peurs, au temps, à l’argent, aux matériaux jetés à la poubelle, à toutes les formes d’encouragement dont une artiste a besoin et qu’elle doit utiliser pour trouver une voie dans sa peinture.

Lisa Milroy - Black and White, 2005 - Ensemble-Together au Frac Occitanie Montpellier - Détail
Lisa Milroy – Black and White, 2005 – Ensemble-Together au Frac Occitanie Montpellier – Détail

S’il continue de progresser d’un bout à l’autre de Black and White, le spectateur trouvera un canapé confortable sur lequel se reposer, avec une offrande de fromage, de raisins, de biscuits et de vin rouge pour reprendre des forces – il y a encore beaucoup à voir dans le tableau, et je pense qu’il est important de prendre soin du bien-être du spectateur.

Lisa Milroy - Black and White, 2005 - Ensemble-Together au Frac Occitanie Montpellier - Détail
Lisa Milroy – Black and White, 2005 – Ensemble-Together au Frac Occitanie Montpellier – Détail

Sur l’accoudoir du canapé, un cendrier hérissé de mégots écrasés : la satisfaction, ne serait-ce que momentanée, d’une envie irrésistible. Ma mère fumait, mon père fumait, mon frère et ma sœur fumaient. Ma grand-mère fumait, en pinçant son mégot avec une épingle à cheveux pour consumer sa cigarette jusqu’au dernier millimètre. Plusieurs de mes galeristes fumaient. Ma mère qui fume en parlant, qui fume en marchant, qui fume en riant avec moi, généralement lors de nos samedis après-midi passés ensemble sur la plage : ces souvenirs sont tellement forts. Parfois, j’ai l’impression de sentir de la fumée de cigarette dans l’air autour de moi et je me demande si c’est un fantôme de ma famille qui me rend visite. Envahissante, graisseuse, collante, fatigante, laide, malsaine. Nette, savoureuse, enrichissante, collective, sexy, glamour. J’aime l’odeur des cigarettes autant que je la déteste.

Lisa Milroy - Black and White, 2005 - Ensemble-Together au Frac Occitanie Montpellier - Détail
Lisa Milroy – Black and White, 2005 – Ensemble-Together au Frac Occitanie Montpellier – Détail

À droite du canapé, le spectateur aperçoit une vitrine de musée éclairée sous une colonne de lumière. Celle-ci contient un vase d’apparence précieuse, sur lequel est peint un dragon tout en arabesques. Le spectateur peut voir le vase enfermé dans la vitrine de verre, il peut l’aimer ou le détester, mais il ne peut le posséder. Il y a aussi une menace suspendue : il s’agit peut-être d’un dragon violent qui pourrait se décrocher du vase, fracasser la vitre et devenir un monstre vivant qui ferait irruption dans l’espace. Tout près, des cadres dorés sont accrochés au mur, vides de tableaux.

Lisa Milroy - Black and White, 2005 - Panneau 07
Lisa Milroy – Black and White, 2005 – Panneau 06

De toute évidence, on entre dans la zone d’un « monde de l’art ». Une échelle appuyée au mur s’élève comme une voie de sortie hors du tableau, ou bien peut-être fournit elle un accès pour y entrer : dans les deux cas, une évasion possible ? Ou bien s’agit-il de l’échelle du succès : dois-je y grimper ? Vais-je tomber et dégringoler au sol ? Par terre en-dessous de l’échelle, un autre rayon de lumière illumine une petite araignée enfermée sous le dôme d’une cloche en verre.

Lisa Milroy - Black and White, 2005 - Ensemble-Together au Frac Occitanie Montpellier - Détail
Lisa Milroy – Black and White, 2005 – Ensemble-Together au Frac Occitanie Montpellier – Détail

J’ai peint le miroir, autre dispositif de production d’images dans Black and White, avec la peinture acrylique nuance aluminium de la marque Lascaux : celle-ci se compose d’un pigment argenté qui crée une surface réfléchissante d’apparence métallique. C’est la meilleure peinture que j’ai réussi à trouver pour créer l’illusion d’un miroir mais, à l’inverse, j’apprécie aussi cette peinture pour la manière dont elle résiste à l’illusion. La peinture aluminium doit être utilisée telle quelle, tout droit sortie du tube : mélangée à d’autres pigments, elle perd son caractère réfléchissant. Pure et réfléchissante, la peinture introduit selon moi un caractère de « réalité » dans le tableau, et maintient une connexion avec le monde de tous les jours à l’extérieur du tableau.

Lisa Milroy - Black and White, 2005 - Ensemble-Together au Frac Occitanie Montpellier - Détail
Lisa Milroy – Black and White, 2005 – Ensemble-Together au Frac Occitanie Montpellier – Détail

Presque toutes les autres peintures utilisées dans Black and White ont été altérées, esthétisées, transformées en les mélangeant pour qu’elles remplissent leur fonction de représentation. Dans son état non-transformé, au contraire, la peinture aluminium devient le miroir de Black and White ; elle est le miroir et non la représentation d’un miroir. Le miroir génère ainsi une sorte de champ de force au sein de la peinture qui active et résonne avec l’espace réel, le « vrai » espace qui lui fait face, tout en donnant au spectateur une conscience plus aiguë de sa propre présence corporelle lorsqu’il atteint cet endroit du tableau et reste devant pour le regarder. Le miroir attire également la lumière réelle du monde présent, la faisant converger avec les représentations de la lumière dans la peinture : une vraie lumière qui scintille sur la surface réfléchissante du miroir sur la toile. Cet objet met l’accent sur le point où la vision physiologique objective rencontre la vision intérieure subjective et métaphysique.

La résistance à l’illusion qui caractérise la peinture aluminium a aussi pour moi une autre valeur. Il s’agit d’un moyen de contenir le flot en apparence infini de significations et d’interprétations possibles qui peut être généré par une représentation peinte inventée. D’un côté, parce qu’elle catalyse un tourbillon de significations, une image peinte peut susciter l’enthousiasme : l’invention, la rencontre dans l’imaginaire, la compréhension créent un sentiment d’excitation et de connexion qui fait que l’on se sent plus vivant. Mais de l’autre, le caractère infini de cette expérience a parfois pour effet de me déprimer parce qu’il fait disparaître toute notion de valeur ou de distinction entre les choses, qu’il relativise et aplatit toute expérience. Parfois, je veux que la pipe ne soit rien d’autre qu’une pipe. J’ai besoin de limites pour pouvoir ressentir vraiment les choses. Après Black and White, j’ai utilisé la couleur aluminium de Lascaux dans d’autres peintures où l’on retrouve le motif du miroir, notamment dans la série Mirror (2010-2018) dont les protagonistes sont des mannequins animés, et dans la série Out-Fit (2017 – en cours).

Lisa Milroy - Black and White, 2005 - Panneau 08
Lisa Milroy – Black and White, 2005 – Panneau 08

Dans Black and White, la chaise placée devant le miroir crée un espace pour moi, artiste, femme, à l’intérieur de la peinture, un lieu dans lequel je peux me positionner assise face au miroir pour faire face au spectateur dans le monde au dehors, ou bien m’assoir dos au spectateur et me regarder dans la glace. L’image de la chaise est une fusion entre des chaises de mon souvenir et différents objets : les chaises autour de la table de la salle à manger de ma famille ; la chaise d’un professeur à l’école ; les barreaux d’une rampe d’escalier, semblables à ceux d’une prison ; le dossier de la chaise qui évoque les cordes d’une guitare. Dans mon esprit, la chaise est en chêne dans lequel est serti le mince coussin en cuir marron de l’assise. Si j’imagine que je m’assois dessus, le bois grince. La chaise peinte évoque simultanément différentes idées : l’apprentissage, les règles et les rituels, l’autorité, les repas, la vie sociale, le divertissement, le partage, l’appartenance à un groupe, à une famille, le désir de sortir de table et d’avoir la permission de s’échapper, le fait d’avoir quelqu’un qui s’occupe de moi et me nourrisse.

Lisa Milroy - Black and White, 2005 - Panneau 09
Lisa Milroy – Black and White, 2005 – Panneau 09

Dans le miroir, le spectateur découvre un reflet de la chaise. À sa moitié, le miroir perd sa surface argentée et se transforme en représentation d’une toile dans le décor d’un atelier. Le reflet de la chaise se métamorphose en dessin d’une chaise esquissé sur la surface de la toile.

Lisa Milroy - Ensemble-Together au Frac Occitanie Montpellier, le 15 fervrier 2020
Lisa Milroy – Ensemble-Together au Frac Occitanie Montpellier, le 15 fervrier 2020

La « réalité » du miroir est remplacée par la « réalité » de la toile : la toile représentée dans le décor de l’atelier et la vraie toile sur laquelle est peint Black and White ne font qu’une. Dans ce décor d’atelier, le spectateur découvre l’artisanat de la peinture, les outils du métier et l’expérience du « faire » et de la production d’images.

Lisa Milroy - Black and White, 2005 - Panneau 10
Lisa Milroy – Black and White, 2005 – Panneau 10

Black and White explore et donne corps à la proposition suivante : par la peinture, par la danse du réel avec l’imaginaire, par le changement perpétuel, par l’amour, par le cadre social, je suis perpétuellement en train de me transformer en moi-même. C’est en regardant, en sentant, en faisant que nous devenons qui nous sommes.

Lisa Milroy
Décembre 2019

Née en 1959 à Vancouver, vit et travaille à Londres.

Sélection d’expositions récentes :

2019
Architecture of London, curatrice Elizabeth Scott, Guildhall Art Gallery, Londres
Drawing Biennial 2019, Drawing Room, Londres, Royaume-Uni

2018
Modern Art Revisited, Tottori Museum, Japon
Here and There, Parasol unit, Londres, Royaume-Uni
Criminal Ornamentation: Yinka Shonibare MBE curates the Arts Council Collection, Attenborough Arts Centre, Leicester, Royaume-Uni

2017
Nature Morte, Guildhall Gallery, Londres, Royaume-Uni
Against Landscape, Reid Gallery, Glasgow, Royaume-Uni
Against Landscape, Sassoon Gallery, Folkestone, Royaume-Uni
2016 President’s Choice, Academician’s Room, Royal Academy of Arts, Londres, Royaume-Uni

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