Des marches, démarches au Frac PACA – Marseille

Jusqu’au 10 mai 2020, le Frac Provence-Alpes-Côte d’Azur accueille sur tous ses plateaux « Des marches, démarches », une exposition imaginée avec Guillaume Monsaingeon qui en assure le commissariat. Il propose d’aborder « la marche en un sens large, considérée non comme une pratique sportive, mais comme une démarche artistique ».

Des marches, démarches au Frac PACA - Plateau 1 - Vue de l'exposition
Des marches, démarches au Frac PACA – Plateau 1 – Vue de l’exposition

À lire les textes qu’il signe pour l’exposition (texte d’intention, livret d’accompagnement, textes de salle et cartels enrichis) et sa conversation avec Pascal Neveux, directeur du Frac dans le N° 4 de Ce même monde, le magazine du Frac PACA, on mesure l’ampleur du travail réalisé par le commissaire, la multiplicité des problématiques abordées et la cohérence de sa démarche.

Pour illustrer son propos, Guillaume Monsaingeon a rassemblé plus de 80 œuvres provenant de la collection du Frac ou d’autres collections publiques et privées ou prêtées par les artistes.
Parmi les prêteurs institutionnels, on retrouve le Mucem, le Cnap/Centre national des arts plastiques, la Maison de Balzac, la Fondation Henri Cartier-Bresson, le Musée de l’Image à Épinal, la Cinémathèque française, ainsi que de nombreux Frac (Bretagne, Lorraine, Alsace, Grand-Large – Hauts-de-France, Limousin, Picardie Hauts-de-France).

Dans son introduction au parcours du visiteur (la version du dossier de presse et non celle du livret), Guillaume Monsaingeon prend la précaution d’annoncer :

« Visiteurs, marcheurs, explorateurs, vous vous apprêtez à randonner sur les sentiers escarpés du Frac : 50 mètres de dénivelé, 2 à 3 000 pas, 4 parcours balisés, une durée de balade oscillant entre zéro pour les plus rétifs (attendez-nous à l’Arrosoir) et 2 à 3 heures pour les plus chevronnés. Il n’y aura jamais assez de bancs sur les sentiers, et peu d’entre vous oseront s’asseoir à même le sol durant le parcours : vous serez donc fatigués à l’arrivée, rendez-vous au Magasin ou à l’Arrosoir en fin de parcours. »

En effet, parcourir l’ensemble des plateaux du Frac, accorder l’attention méritée à chaque proposition artistique exposée et tenter de mettre en cohérence le(s) discours est une vraie gageure…

Des marches, démarches au Frac PACA - Plateau 2 - Vue de l'exposition
Des marches, démarches au Frac PACA – Plateau 2 – Vue de l’exposition

S’affronter à « Des marches, démarches » impose donc d’avoir du temps et une très grande disponibilité… Il est certainement préférable d’aborder l’affaire en plusieurs étapes en fractionnant sa journée avec d’indispensables pauses ou pour celles et ceux qui le peuvent en planifiant plusieurs visites.

Prévoyant, le commissaire a fait appel à Olivier Boussant qui propose, avec son projet Pédibus, un balisage d’un plateau à l’autre…

Pedibus - Des marches, démarches au Frac PACA - Plateau 3 - Vue de l'exposition
Pedibus – Des marches, démarches au Frac PACA – Plateau 3 – Vue de l’exposition

On trouvera, ci-dessous, les balisages (bleu, vert, jaune et rouge) qui permettent d’organiser sa balade du plateau 1 au plateau expérimental.

Il y a dans l’articulation de l’accrochage imaginée par Guillaume Monsaingeon une volonté affirmée de considérer la marche du visiteur à travers le Frac comme « une affaire de liberté : libre à nous de déambuler à notre guise au sein de chaque plateau. S’il y a des chemins, c’est aussi pour s’en écarter, voire les parcourir à rebrousse-poil si cela nous chante ».

Anaïs Lelièvre – Des marches, démarches au Frac PACA – Plateau expérimental – Vue de l’exposition. Photo : Laurent Lecat

On ne s’étonnera pas de retrouver dans son texte d’intention une référence aux Lignes d’erre de Fernand Deligny qui, écrit-il, « jouent un rôle fondateur dans une exposition sur la marche comme “Des marches, démarches” ».

À plusieurs moments et notamment au premier plateau, il y a du « rhizomatique » dans la manière dont les œuvres sont agencées…

  • Des marches, démarches au Frac PACA - Plateau 1 - Vue de l'exposition
  • Des marches, démarches au Frac PACA - Plateau 1 - Vue de l'exposition
  • Des marches, démarches au Frac PACA - Plateau 1 - Vue de l'exposition
  • Des marches, démarches au Frac PACA - Plateau 1 - Vue de l'exposition

À n’en pas douter, « Des marches, démarches » est une exposition généreuse, foisonnante parfois insaisissable…
C’est aussi une expérience exigeante qui peut devenir épuisante et même frustrante si on n’y prend pas garde…
L’abondance des œuvres, la multiplicité des discours, la difficulté parfois de « faire couture » entre ces propositions et une certaine tendance à provoquer par moment le papillonnage du regard pourraient dérouter certains visiteurs…

  • Des marches, démarches au Frac PACA - Plateau 2 - Vue de l'exposition
  • Des marches, démarches au Frac PACA - Plateau 2 - Vue de l'exposition
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  • Des marches, démarches au Frac PACA - Plateau 2 - Vue de l'exposition

Si toutes les œuvres exposées sont passionnantes et font sens, on peut toutefois s’interroger sur leur accumulation. Celle-ci ne finit-elle pas par brouiller le propos ? Par « fatiguer » le regard ? Par « troubler » le visiteur ?
On pourrait avoir le sentiment que les propositions artistiques en arrivent parfois à se phagocyter les une les autres… Si la liberté de déambuler est assurée, la multiplicité des sollicitations laisse-t-elle une place à l’émotion, à la rêverie, à la flânerie ?

On retrouve avec « Des marches, démarches » ce que l’on avait perçu dans « Le temps de l’île » au Mucem dont le commissariat était assuré par Guillaume Monsaingeon et Jean-Marc Besse. Malgré la richesse et la qualité des objets, documents et œuvres rassemblés, on avait alors fait le choix de ne pas publier de chronique ni de billet d’humeur à propos de cette exposition…

  • Des marches, démarches au Frac PACA - Plateau 3 - Vue de l'exposition
  • Des marches, démarches au Frac PACA - Plateau 3 - Vue de l'exposition
  • Des marches, démarches au Frac PACA - Plateau 3 - Vue de l'exposition
  • Des marches, démarches au Frac PACA - Plateau 3 - Vue de l'exposition

« Des marches, démarches » est enrichie par une très importante programmation avec des parcours, balades et marches, et conversations marchées, y compris à l’intérieur de l’exposition, espace dans lequel les visiteurs sont avant tout marcheurs.
L’exposition sera accompagnée d’un colloque en partenariat avec l’École des hautes études en sciences sociales et l’École nationale supérieure de paysage à Marseille.

L’exposition « Des marches, démarches » prolonge une manifestation culturelle qui s’est développée à l’échelle du territoire de la région depuis le printemps 2018. À partir de la proposition artistique de Guillaume Monsaingeon, ce projet a été coordonné par le Frac Provence-Alpes-Côte d’Azur.

Comptes rendus de visite à suivre…

À lire, ci-dessous, le texte d’intention de Guillaume Monsaingeon, sa présentation du parcours du visiteur, sa conversation avec Pascal Neveux, directeur du Frac.

Avec des œuvres de :
Allora & Calzadilla, Stefan Altenburger, Francis Alÿs, Fikret Atay, Berger&Berger, Louis-Auguste & Auguste-Rosalie Bisson, Olivier Boussant, Marie Bovo, Wilhelm Braune & Otto Fischer, stanley brouwn, Pol Bury, André Cadere, Dominique Castell, Jordi Colomer, Abraham Cruzvillegas, Alexandra David-Neel, Fernand Deligny, Monique Deregibus, herman de vries, Bruno Di Rosa, Patrick Faigenbaum, Christoph Fink, Hamish Fulton, gethan&myles, Jochen Gerner, Rodney Graham, Lauren Greenfield, William Kentridge, Anaïs Lelièvre, Richard Long, Laurent Malone & Dennis Adams, Étienne-Jules Marey, Randa Maroufi, Geoffroy Mathieu & Bertrand Stofleth, Duane Michals, Gianni Motti, Je an-Pierre Moulères, Eadweard Muybridge, Jean-Christophe Norman, Paulien Oltheten, Roman Ondák, Gabriel Orozco, Nigel Peake, Bernard Plossu, Abraham Poincheval, Mathias Poisson, Noémie Privat, Barbara Probst, Claire Renier, Till Roeskens, Jean-Jacques Rullier, collectif Safi, Franck Scurti, Stalker, Hendrik Sturm, Guy T illim, Guido van der Werve, Sarah Venturi, Elinor Whidden, Ariane Wilson & Aude Lerpinière, Jeremy Wood, et les artistes anonymes des collections du Mucem, du basrelief de la Gr adiva, de la signalétique routière suisse.

En savoir plus :
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« Des marches, démarches » – Texte d’intention par Guillaume Monsaingeon

Déplacements autonomes d’un ou plusieurs corps humains au sein d’un espace-temps limité, ces mouvements ne se réduisent jamais à un trajet utilitaire ; ils sont vécus sur le mode de l’expérience. Les Lignes d’erre de Fernand Deligny jouent un rôle fondateur dans une exposition sur la marche comme Des marches, démarches. Fernand Deligny n’est pas marcheur. Il n’a jamais ni incité les enfants dont il avait la responsabilité, ni leurs éducateurs, à marcher. Il a simplement suggéré en 1969 à l’un d’eux, Jacques Lin, de transcrire dans l’espace de la feuille l’expérience spatiale des enfants autistes plutôt que de chercher des termes qui désigneraient des symptômes. Peu à peu ces lignes d’erre se sont diffusées. Elles ont inspiré l’idée de rhizome à Gilles Deleuze et Félix Guattari. Elles ont été vues, déchiffrées, interrogées.

Relevant de pratiques artistiques, ces déplacements s’accompagnent d’une restitution qui permet à un public de partager cette émotion, de percevoir après coup, sur place ou à distance, les traces d’une exploration. Les démarches considérées s’expriment toutes à la première personne, à travers la qualité d’un regard et de sa restitution plastique.

L’exposition présente un état non exhaustif des pratiques actuellement développées en rassemblant des artistes concernés par les pratiques de Walkscape et de déplacement artistique ; des artistes qui inventent, expriment, pratiquent, conscients des enjeux sociopolitiques de leurs démarches, intéressés par des approches venues des sciences humaines, nourris des travaux fondateurs de Robert Smithson, Richard Long, Francis Alÿs, ou encore du collectif Stalker qui pratique la marche urbaine à travers l’Europe depuis les années 90.

C’est une marche de 70 km et de quatre jours en octobre 1995 qui a conduit Stalker à réaliser une carte, le Planisfero Roma, aujourd’hui dans les collections du Frac. Héritiers de la dérive situationniste, porteurs d’une psychogéographie joyeuse, contestataire et créative, ces marcheurs ne cherchent pas à traverser la ville mais à en révéler la topographie inconsciente et néanmoins active. Les Archives à nu de Stalker sont présentées au 3e plateau du Frac comme des principes actifs.

Les visiteurs sont invités à manipuler ces boites et ces documents, à les explorer, de la même façon que les marcheurs ont traversé la ville.

Des marches, démarches réunit plus de 80 œuvres provenant de la collection du Frac ou d’autres collections publiques et privées ou prêtées par les artistes. Parmi les prêteurs le MuCEM, le Cnap/Centre national des arts plastiques, la Maison de Balzac, la Fondation Henri Cartier-Bresson, le Musée de l’Image à Épinal, la Cinémathèque française, ainsi que les Frac Bretagne, Lorraine, Alsace, Grand-Large – Hauts-de-France, Limousin, Picardie Hauts-de-France… Ces œuvres présentées au Frac seront complétées par des parcours, balades et marches, et conversations marchées, y compris à l’intérieur de l’exposition, espace dans lequel les visiteurs sont avant tout marcheurs. L’exposition sera accompagnée d’un colloque en partenariat avec l’École des hautes études en sciences sociales et l’École nationale supérieure de paysage à Marseille.

L’exposition Des marches, démarches est le prolongement de Des marches, démarches, manifestation culturelle à l’échelle du territoire de la région développée depuis le printemps 2018 et coordonnée par le Frac Provence- Alpes-Côte d’Azur.

À partir de la proposition artistique de Guillaume Monsaingeon, cette manifestation a réuni, autour d’une dynamique commune, de nombreux acteurs culturels, associatifs ou éducatifs installés sur le territoire régional et notamment dans les zones rurales éloignées de l’offre culturelle.

Guillaume Monsaingeon

Le parcours du visiteur

Visiteurs, marcheurs, explorateurs, vous vous apprêtez à randonner sur les sentiers escarpés du Frac : 50 mètres de dénivelé, 2 à 3 000 pas, 4 parcours balisés, une durée de balade oscillant entre zéro pour les plus rétifs (attendez-nous à l’Arrosoir) et 2 à 3 heures pour les plus chevronnés. Il n’y aura jamais assez de bancs sur les sentiers, et peu d’entre vous oseront s’asseoir à même le sol durant le parcours : vous serez donc fatigués à l’arrivée, rendez-vous au Magasin ou à l’Arrosoir en fin de parcours.

Des marches, démarches se déroule sur plusieurs plateaux. Dans cette exposition comme ailleurs, la marche, c’est d’abord une affaire de liberté : libre à nous de déambuler à notre guise au sein de chaque plateau. S’il y a des chemins, c’est aussi pour s’en écarter, voire les parcourir à rebrousse-poil si cela nous chante.

On atteint le plateau 1 en descendant au fond du vallon, en suivant le balisage bleu. C’est un plateau décaissé (chose assez rare en géographie) qui présente une quarantaine d’artistes et d’anonymes. Du plus banal au plus conceptuel, embrassant vidéos, objets du quotidien, dessins, photographies, installations, tous sont unis par une même curiosité envers les marcheurs et leurs gestes : on marche toujours avec son corps.

Le plateau 2 (balisage vert) suppose au contraire une ascension (niveau 2) pour atteindre un espace de presque 300 m². 30 artistes y explorent paysages et territoires variés, la plupart liés à la Provence : on marche toujours quelque part. On ne manquera pas d’admirer, par la trouée située en fond de plateau, une plongée avantageuse sur le plateau 1.

De là les plus courageux pourront atteindre le 3e plateau (balisage jaune), qui offre une occasion unique de lecture : tel Pétrarque parvenu au sommet du Mont Ventoux, tirant un livre de sa poche faute d’apercevoir son Italie bien aimée, vous pourrez explorer les archives du collectif italien Stalker, grand randonneur urbain depuis trente ans. Sur ce même plateau, vous découvrirez le bien nommé Panorama #3, sélection de livres issus du fonds Livres, éditions et multiples d’artistes du Frac, et pourrez lire de nombreux ouvrages sur la marche (station assise assurée) : on marche toujours dans les pas de quelqu’un.

Enfin, vous le savez, marcher c’est sentir et percevoir bien plus qu’apprendre ou expliquer. Affaire d’expérience ! Et vous voilà partis à l’assaut du plateau expérimental (balisage rouge) : Anaïs Lelièvre vous conduira dans la caverne de ses improbables explorations. Attention, sécurité oblige : les conditions météo du jour (et des jours suivants, jusqu’à la fin de l’exposition) ne permettent pas l’accès au sommet par l’escalier : il vous faudra canaliser votre énergie dans un ascenseur qui sera également votre descenseur en fin de parcours.

Comme rien n’est plus beau que le rituel de la randonnée sur un chemin que l’on chérit, les plus randonneurs d’entre vous sont invités à venir redécouvrir le paysage de Des marches, démarches avec l’artiste-marcheur Hendrik Sturm lors de ses multiples visites-traverséesbalades de l’exposition. C’est le projet Pédibus (présenté juste avant le plateau 3) d’Olivier Boussant qui assure le balisage d’un plateau à l’autre.

Plateau 1

Allora & Calzadilla, Francis Alÿs, Louis-Auguste et Auguste-Rosalie Bisson, Henri-Cartier Bresson, Wilhelm Braune & Otto Fischer, stanley brouwn, Pol Bury, André Cadere, Dominique Castell, Jordi Colomer, Abraham Cruzvillegas, Alexandra David-Neel, Jean-Jacques Rullier, Monique Deregibus, herman de vries, Bruno Di Rosa, Patrick Faigenbaum, Hamish Fulton, gethan&myles, Jochen Gerner, Lauren Greenfield, William Kentridge, Richard Long, Laurent Malone & Dennis Adams, Étienne-Jules Marey, Randa Maroufi, Duane Michals, Gianni Motti, Jean-Pierre Moulères, Eadweard Muybridge, Paulien Oltheten, Gabriel Orozco, Abraham Poincheval, Barbara Probst, Franck Scurti, Hendrik Sturm (performance sur l’ensemble des plateaux), Guy Tillim, Guido van der Werve, Elinor Whidden et les artistes anonymes des collections du Mucem, du bas-relief de la Gradiva et de la signalétique routière suisse.

On n’a pas attendu les artistes pour marcher ! Des marches, démarches s’enracine donc dans la longue durée des images et des objets produits en amont d’un regard artistique : enseignes commerciales, panneaux de signalétique routière, trotteur pour bébé, déambulateur ; des pas et des chaussures, le mouvement d’une jeune fille, des bâtons de randonnée aussi, et des marcheurs saisis au vif sur des boulevards du monde entier. Peu à peu des artistes interviennent, la curiosité dépasse le simple témoignage et l’enquête pour se faire expérimentation, protocole ou provocation. L’art se saisit du quotidien, l’interroge et le détourne, investissant jusqu’à nos semelles de chaussures : Gianni Motti, Jennifer Allora & Guillermo Calzadilla, abordent la matérialité de la marche à travers la figure du pied, André Cadere rappelle l’importance de la verticale du bâton, Frank Scurti et Elinor Whidden s’attaquent aux deux.

Des marches, démarches au Frac PACA - Plateau 1 - Vue de l'exposition
Des marches, démarches au Frac PACA – Plateau 1 – Vue de l’exposition

Certains définissent leur art en tant qu’artistes-marcheurs : « No walk, no art » (Hamish Fulton). D’autres auscultent les marcheurs au quotidien, tantôt flâneurs tantôt piétons, coureurs ou citadins, salariés ou promeneurs. Leur démarche nourrie des sciences sociales se fait observatoire du monde, comme chez Paulien Oltheten, Laurent Malone & Dennis Adams, Randa Maroufi, Barbara Probst… Parfois, la marche se transforme en détournement ou résistance à la voiture, à la violence faite aux espaces naturels, à la foule…

Des marches, démarches au Frac PACA - Plateau 1 - Vue de l'exposition
Des marches, démarches au Frac PACA – Plateau 1 – Vue de l’exposition

Photographie, sculpture et dessin sont devenus des outils d’investigation. Randonnée, balade et flânerie ne sont plus cantonnées à l’univers bucolique des campagnes. Photographie, sculpture et dessin sont aussi des outils d’investigation en particulier de l’univers urbain comme pour Guy Tillim, Randa Maroufi, Monique Deregibus, Jean-Pierre Moulères ou Lauren Greenfield.

Des marches, démarches au Frac PACA - Plateau 1 - Vue de l'exposition
Des marches, démarches au Frac PACA – Plateau 1 – Vue de l’exposition

Parfois surgissent des formes poétiques qui s’apparentent à des défis, des procédures de l’impossible et de la limite jusqu’au marcheur immobile : Dominique Castell se jette à l’eau pour ne jamais mettre pied sur Cythère, gethan&myles passent des voiles à la voile immobile, Elinor Whidden va jusqu’à dépecer l’automobile, Abraham Poincheval apprivoise les nuages. Cueillir, trainer ou pousser, flâner, escalader, nager, grimper… Le vernaculaire nous a doucement conduits vers la méditation et l’art conceptuel, entre performances et gestes radicaux : stanley brouwn, Francis Alÿs, Duane Michals, Jordi Colomer, Gabriel Orozco…

Pol Bury (1922-2005). Images pour la théorie de la démarche, ensemble d’essais d’Honoré de Balzac. La chèvre (2e état)
Pol Bury (1922-2005). Images pour la théorie de la démarche, ensemble d’essais d’Honoré de Balzac. La chèvre (2e état)

Les artistes rappellent aussi qu’on marche toujours dans les pas de quelqu’un : Henri Cartier-Bresson saisit Giacometti, Patrick Faigenbaum restitue la vision que Rodin avait lui-même façonnée de Balzac, Pol Bury s’empare de la Théorie de la démarche de Balzac, Bruno di Rosa rend hommage à Rousseau le promeneur solitaire, Jean-Jacques Rullier fait corps avec les itinérances d’Alexandra David-Neel. Chez certains artistes canoniques comme Richard Long, herman de vries, Hamish Fulton c’est toute l’œuvre qui évoque la marche…

herman de vries, journal from a visit to leros and patmos, 1996-1998. Collection Frac Bretagne © herman de vries. Crédit photographique Hervé Beurel
herman de vries, journal from a visit to leros and patmos, 1996-1998. Collection Frac Bretagne © herman de vries. Crédit photographique Hervé Beurel

Les grands ancêtres sont omniprésents, des contes pour enfants jusqu’à la Gradiva, cette jeune femme qui marchait dans les rues de Pompéi d’un pas léger. Jules-Etienne Marey et Eadweard Muybridge étaient d’abord des scientifiques. Mais leur quête de la locomotion humaine les a conduits à produire des chronophotographies qui ont nourri nos mémoires et nos esthétiques. En analysant la marche comme forme fondamentale du mouvement, ils ont jeté les bases de la cinématographie : les photos des pas qui s’enchaînent sont devenues à leur tour images en mouvement, images du mouvement. Que ce soit la procession de William Kentridge, l’anarchitekton de Jordi Colomer, les performances de Francis Alÿs, les marcheurs de la Défense de Paulien Oltheten ou la banquise de Guido van der Werve, la vidéo est à jamais fascinée par le marcheur et son infinie gestuelle : marcher, une question de regard.

G. M.

Plateau 2

Berger&Berger, Fernand Deligny, Christoph Fink, gethan&myles, Geoffroy Mathieu & Bertrand Stofleth, Jean-Pierre Moulères, Jean-Christophe Norman, Roman Ondák (performance), Bernard Plossu, Abraham Poincheval, Mathias Poisson, Noémie Privat, Till Roeskens, collectif Safi, Stalker, Sarah Venturi, Ariane Wilson & Aude Lerpinière, Jeremy Wood.

On marche toujours quelque part, et parfois en intérieur : chez soi, pourquoi pas dans un musée, comme les visiteurs de Jean-Pierre Moulères à Lisbonne ou Jean-Christophe Norman au musée Picasso. Pas besoin de vastes espaces, donc, grâce à la marche, on ne voit jamais exactement la même chose d’une fois sur l’autre ; autrement dit deux visiteurs-marcheurs ne visitent pas tout à fait la même exposition…

Des marches, démarches au Frac PACA - Plateau 2 - Vue de l'exposition
Des marches, démarches au Frac PACA – Plateau 2 – Vue de l’exposition

Randonner c’est explorer. Des Excursionnistes marseillais (1897) au Bureau des guides du GR 2013, randonneurs et amateurs d’art se sont souvent croisés ici ou là. Le Frac Provence-Alpes-Côte d’Azur a développé depuis plusieurs années une politique d’acquisition tournée vers la cartographie, les territoires et leur traversée. Loin de s’enfermer dans une approche régionaliste, Des marches, démarches entend éviter les paysages de carte postale pour mieux examiner les pratiques de Walkscape à travers l’espace péri-urbains. Cela n’empêche pas de faire la part belle aux artistes-paysagistes architectes comme Arianne Wilson ou Berger&Berger, aux arpenteurs comme Bernard Plossu. En outre, le Frac possédait déjà certaines œuvres cardinales, dont le Planisfero Roma de Stalker : nous le présentons bien entendu, ainsi que l’intégralité des archives de Stalker, qui pourront être manipulées par les visiteurs du plateau documentaire.

Des marches, démarches au Frac PACA - Plateau 2 - Vue de l'exposition
Des marches, démarches au Frac PACA – Plateau 2 – Vue de l’exposition

On rencontrera donc sans surprise les pratiques les plus variées. La photographie est parfois capture poétique des territoires traversés (Bernard Plossu, Berger&Berger), parfois exploration comparée ou observation entomologique : Geoffroy Mathieu & Bertrand Stofleth documentent année après année, les mêmes paysages du GR 2013 à travers leur observatoire photographique du paysage.

De la photo-graphie à la graphie : le dessin parvient à restituer le rythme lent d’une attention au minuscule (collectif Safi), la main et l’invention graphique cartographient l’archipel d’une exploration urbaine (Stalker), élaborent des chemins au sein d’espaces familiers (Sarah Venturi), écrivent le récit d’une vie de transhumance (Till Roeskens) ou restituent le millefeuille des contes pour enfants (Noémie Privat).

Des marches, démarches au Frac PACA - Plateau 2 - Vue de l'exposition
Des marches, démarches au Frac PACA – Plateau 2 – Vue de l’exposition

Mathias Poisson réinvente les cartes sensibles d’une promenade à la première personne ; Jeremy Wood ne se déplace jamais sans son GPS : son corps écrit à la surface du globe, et My Ghost-London rassemble tous ses déplacements pédestres et autres autour de Londres depuis des années. C’est encore le dessin qui capte les déplacements d’enfants autistes pour en assurer la retranscription graphique : la vie entière de Fernand Deligny est une prise de risque et ses Lignes d’erre, issues de la psychiatrie, nourrissent désormais d’innombrables pratiques artistiques.

Des marches, démarches au Frac PACA - Plateau 2 - Vue de l'exposition
Des marches, démarches au Frac PACA – Plateau 2 – Vue de l’exposition

L’installation ou la sculpture constituent parfois le moyen même de déambulation, elle se fait instrument de locomotion tel le gyrovague d’Abraham Poincheval. Avec Ariane Wilson, la trace des déplacements et des rencontres occasionnées devient cartographie en relief, à la fois abri et mémoire d’un parcours. Christoph Fink, expérimentateur méticuleux et inventeur de formes, façonne une Montreal Walk constituée à la fois des notes prises lors de ses déplacements, et d’une splendide proposition d’espace-temps en forme de disque. À travers l’exploration marchée des territoires, les artistes nous dévoilent leur propre regard plus qu’une simple géographie.

G. M.

Le 3e plateau

« La marche a quelque chose qui anime et avive mes pensées ; je ne puis presque penser quand je reste en place. »
Rousseau, Confessions, livre IV

Des marches, démarches au Frac PACA - Plateau 3 - Vue de l'exposition
Des marches, démarches au Frac PACA – Plateau 3 – Vue de l’exposition

Ce plateau présente deux ensembles distincts : Panorama #3 et les Archives à nu de Stalker.

Panorama #3

Des marches et démarches, c’est tout un comme le montre la parenté lexicale entre marche (physiologique) et démarche (intellectuelle). Outre que les plasticiens, poètes, philosophes et romanciers tiennent la réflexion pour une activité péripatéticienne (qui relève de la promenade) et inversement : « La marche a quelque chose qui anime et avive mes pensées ; je ne puis presque penser quand je reste en place » affirme Rousseau (Confessions, livre IV). Nietzsche est plus radical : « Rester assis le moins possible ; n’accorder aucune foi à aucune pensée qui ne soit née en plein air et en prenant librement du mouvement » (Ecce Homo). La marche est partout : « Il est bon d’énoncer aussitôt une chose deux fois et de la doter d’un pied droit et d’un pied gauche. Sans doute, la vérité peut se tenir debout sur une jambe ; mais avec deux, elle marchera et fera son chemin. » (Le voyageur et son ombre). Panorama #3 rassemble sur ce 3e plateau une sélection de livres issus du fonds Livres, éditions et multiples d’artistes du Frac, accompagnée d’un ensemble d’ouvrages plus généralistes – sélection nécessairement lacunaire dans une production de plus en plus abondante. Rien d’étonnant en effet à constater la fécondité du croisement entre marche et livre, qui constituent tous deux une itération : un pied devant l’autre, une page après l’autre. Affaire de rythme, de surprise, de conduite du regard. Graphistes, photographes, dessinateurs traversent les champs et surtout les villes, dérivent et conduisent la danse. Bonne balade en leur compagnie dans les collections du Frac !

Stalker

Les Archives à nu de Stalker

Des marches, démarches au Frac PACA - Plateau 3 - Vue de l'exposition
Des marches, démarches au Frac PACA – Plateau 3 – Vue de l’exposition

Les Archives à nu constituent la somme des marches urbaines organisées par le groupe Stalker à travers l’Europe depuis les années 1990. Héritiers de la dérive situationniste, porteurs d’une psychogéographie joyeuse, contestataire et créative, ces marcheurs ne cherchent pas à traverser la ville mais à en révéler la topographie inconsciente et néanmoins active. Aujourd’hui encore, deux règles donnent le ton de leurs marches :

1) Ne regardez pas l’heure, on sait quand on part, on ne sait pas quand on rentre.

2) Ne venez pas si vous hésitez à franchir une barrière ou pénétrer dans une propriété privée.

Cartes, manifestes, tracts, brouillons, photos, esquisses, courriers administratifs, ces archives constituent un monde à part entière. Les Archives à nu de Stalker présentent ces documents comme des principes actifs. Aidés de médiateurs qui vous en indiqueront le « mode d’emploi », vous êtes invités à manipuler ces boîtes et ces documents, à les traverser, les consulter et les explorer comme les marcheurs ont traversé les espaces péri-urbains. Vous pourrez ce faisant proposer votre propre parcours à travers les Archives à nu et devenir en quelque sorte commissaire d’une sélection qui sera alors présentée dans l’une des vitrines.

Des marches, démarches au Frac PACA - Plateau 3 - Vue de l'exposition
Des marches, démarches au Frac PACA – Plateau 3 – Vue de l’exposition

Deux œuvres originales sont également présentées sur le 3e plateau :

Sortir de Paris (1997) est un travail cartographique de Stalker, lié à une dérive urbaine, qui complète le Planisfero Roma présenté sur le plateau 2, pièce importante des collections du Frac.

Des marches, démarches au Frac PACA - Plateau 3 - Vue de l'exposition
Des marches, démarches au Frac PACA – Plateau 3 – Vue de l’exposition

Par ailleurs, une œuvre inédite de Nigel Peake, à michemin entre livre et dessin, est présentée sous vitrine. Ce leporello manuscrit intitulé Walking and Drawing (Marcher et dessiner, 2018) restitue les déambulations de l’artiste à travers Paris.

G. M.

Plateau expérimental

Anaïs Lelièvre.

Étalés sur deux années, les multiples projets développés dans le cadre de la manifestation Des marches, démarches ont permis à certains artistes de prolonger et d’enrichir leurs pratiques.

Anaïs Lelièvre - Des marches, démarches au Frac PACA - Plateau expérimental - Vue de l'exposition
Anaïs Lelièvre – Des marches, démarches au Frac PACA – Plateau expérimental – Vue de l’exposition

Anaïs Lelièvre a ainsi présenté au centre d’art Fernand Léger à Port-de-Bouc l’exposition intitulée Chantiers. Son enquête investit aujourd’hui le plateau expérimental comme une sorte de prolongement nourri de ses résidences à Cahors, en Suisse, à Loupian et en Islande. À chaque fois, paysage et géologie conduisent l’artiste à des explorations en volume et en dessin.

Anaïs Lelièvre – Des marches, démarches au Frac PACA – Plateau expérimental – Vue de l’exposition – Photo : Laurent Lecat

L’originalité de son approche tient à la rencontre entre marche, glanage et collecte qui fusionnent pour devenir architecture poétique. Le visiteur marche sur les pas de l’artiste ; ses dessins sont devenus installation, ses trouvailles structure, ses promenades fragmentation. Accumulation, synthèse, ellipse, expérience en cours constituent un libre condensé de marches en tous sens.

G. M.

Plateau multimédia

Francis Alÿs, Stefan Altenburger, Fikret Atay, Marie Bovo, Rodney Graham, Gianni Motti, Claire Renier.

Le fusil chronophotographique de Marey visait les marcheurs pour mieux décomposer leur mouvement, analyser leur démarche. De là naquit enchaînement régulier d’images qu’on appelle cinématographie, l’écriture du mouvement : décomposer la réalité d’un corps mouvant en images fixes, reconstituer l’illusion de mouvement par la mise en route des images. Marcher, activité répétitive qui consiste à « mettre un pied devant l’autre, et puis recommencer », comme le dit la chanson.

Francis Alÿs, Modern Procession, 2002. © 2020 Francis Alÿs
Francis Alÿs, Modern Procession, 2002. © 2020 Francis Alÿs

Plus que le tracé ou la destination, c’est donc le rythme qui compte. Le marcheur disait Serge Daney, c’est « celui qui accepte cette idée que le spectacle est toujours déjà commencé. Sa lenteur l’y oblige, tout comme le fait que ce qu’il découvre vit à son propre rythme ». Lui répondant par avance, la Reine rouge de Lewis Carroll admonestait la jeune Alice : « Un pays bien lent que le tien ! Ici, il faut courir aussi vite qu’on le peut juste pour rester à la même place.

Marie Bovo, Subak, 2010, vidéo, 5 min. © Marie Bovo. Courtesy l’artiste et kamel mennour, Paris
Marie Bovo, Subak, 2010, vidéo, 5 min. © Marie Bovo. Courtesy l’artiste et kamel mennour, Paris

Si tu veux aller quelque part, il faut courir au moins deux fois plus vite que ça ! ». Entre ces deux tempos, le balancier du marcheur et le rythme de la vidéo.

G. M.

Entretien – Pascal Neveux, directeur du Frac, et Guillaume Monsaingeon, commissaire de l’exposition

Pascal Neveux : Ce projet inédit par sa temporalité, sa cartographie et la diversité de ses acteurs s’inscrit dans la postérité de plusieurs expositions et publications qui ont fait date sur ce vaste sujet de la marche comme pratique artistique et plus largement autour des questions de déplacement, de mobilités. Je pense entre autres à l’exposition Un siècle d’arpenteurs, les figures de la marche en 2000, dont le commissaire était Maurice Fréchuret au musée Picasso à Antibes, à la publication de Thierry Davila Marcher, créer : déplacements, flâneries, dérives dans l’art de la fin du XXe siècle. Comment as-tu mis en perspective la conception de cette exposition au regard de ces expositions et publications qui sont devenues des références aujourd’hui sur ce sujet, pourrais-tu nous donner les lignes de force et les singularités de cette exposition ?

Guillaume Monsaingeon : Aborder la marche en 2020, c’est presque enfoncer une porte ouverte. Qui oserait aujourd’hui dénier la force de cette pratique artistique ? Il n’y a plus rien à « imposer », rares sont les artistes qui n’ont jamais frayé avec la marche. On pourrait presque affirmer au contraire qu’un tel projet est guetté par le risque du malentendu, d’une « mode » avec son lot de contresens : tous marcheurs donc tous artistes… Il n’est plus nécessaire de conforter une esthétique de la marche comme l’avait fait Fréchuret il y a vingt ans, en revisitant les grandes figures du XXe, Giacometti, Balla ou Duchamp… Aux références que tu proposes, on pourrait adjoindre Walkscapes de Francesco Careri, le numéro des Carnets du paysage consacré aux cheminements, Rebecca Solnit, Laurent Buffet… Du coup, je me suis plutôt intéressé aux marges et aux transferts.

On n’a pas attendu les artistes pour marcher ! J’ai donc voulu replacer mon objet d’étude dans une longue durée et dans des pratiques extra-artistiques : la démarche d’Étienne-Jules Marey est d’abord scientifique, mais les images qu’il a produites ont nourri nos mémoires et nos esthétiques. Voilà pourquoi je tiens à le montrer, ainsi que les chronophotographies de Muybridge.
Beaux exemples de porosité, comme Fernand Deligny : sa vie entière est une prise de risque,

il a beaucoup à nous apprendre sur la marche, qu’il n’ajamais lui-même pratiquée : ses Lignes d’erre, issues de la psychiatrie mais au statut indéterminé, nourrissent désormais d’innombrables pratiques artistiques. La marche et ses limites, donc : Francis Alÿs et sa vidéo Semáforos côtoient les panneaux de signalétique routière suisse – comment a-t-on inventé la figure du piéton, marcheur patenté et contraint avec ses passages protégés ou obligatoires, aux antipodes de la liberté du flâneur ? Le bas-relief romain de la Gradiva, cette jeune femme qui marche dans les rues de Pompéi d’un pas si léger, lestée de la pensée freudienne, frayera avec la relecture joyeuse des contes pour enfants menée par Noémie Privat ; Pol Bury cinétise en hommage à la Théorie de la démarche de Balzac.

Autre témoignage de cette continuité entre des pratiques variées de la marche : le visiteur, qui est aussi un marcheur déambulateur, est accueilli par un trotteur d’enfants (apprendre à marcher) et un déambulateur pour personnes âgées (apprendre à ne pas tomber), mais aussi par des enseignes professionnelles de cordonnier et des fers qui protègent nos semelles. Car Des marches, démarches aborde aussi la question de la matérialité de la marche, à travers la figure du pied : je songe aux pièces de Franck Scurti, Gianni Motti, aux pas de Marco Godinho, aux traces de Jennifer Allora & Guillermo Calzadilla. Et à partir du pied, c’est le corps entier qui est en jeu, donc la question du geste, essentielle comme on le voit chez Paulien Oltheten, Alÿs, Kentridge, ou le collectif Safi…

J’ai souhaité prendre le risque des cas limites : l’impossibilité de marcher (la voile conçue à partir des voiles par gethan&myles ou les bottes de postillon du Mucem), la Marche sur les nuages (Abraham Poincheval) ou la retraite de Russie recouverte de Jochen Gerner. La marche enfermée dans un musée ou une prison (Jean-Christophe Norman, Jean-Pierre Moulères), la nage comme forme voisine (Dominique Castell et son impossible Voyage à Cythère) : ce sont là à mes yeux des éléments dont on a besoin en 2020, qui soulignent la porosité de la vie quotidienne et des gestes artistiques ; plutôt que figer une typologie, j’ai cherché à explorer la marche dans toute sa complexité.

Pascal Neveux : As-tu des regrets, des pistes que tu aurais souhaité mieux explorer ? Quels choix a-t-il fallu opérer ?

Guillaume Monsaingeon : J’aurais aimé mieux développer la relation au déplacement animal, aujourd’hui à juste titre objet d’une forte attention artistique, cartographique et intellectuelle. Dans les chronophotographies de Marey, par exemple, je n’ai retenu aucune locomotion animale, hélas.

De façon plus générale, j’aurais pu développer la relation du marcheur à son milieu, au sens plus éthologique qu’écologique. J’ai considéré que la relation de notre corps à notre environnement était exprimée par des marcheurs-danseurs-cueilleurs comme Mathias Poisson, Robin Decourcy ou le collectif Safi. Je songe à la phrase de Tom Ingold, « My walking walks me » : on devient sa marche, elle nous entraîne bien plus qu’on ne met en mouvement notre corps dans un simple environnement. Beaucoup d’œuvres auraient pu exprimer cette sensibilité : j’ai privilégié la vidéo de Guido van der Werve, Nummer acht, everything is going to be alright, qui souligne la démesure de ce marcheur solitaire perdu sur la banquise, ouvrant la voie à un brise-glace monstrueux tapi quelques mètres derrière lui.

Il a fallu faire des choix. Parce que notre condition humaine est surtout urbaine, j’ai privilégié les expériences de marche en ville : les vidéos et les photographies de Guy Tillim, Barbara Probst ou Paulien Oltheten croiseront au Frac la photographie vernaculaire rassemblée par Jean-Pierre Moulères, des marcheurs anonymes sur les boulevards du monde entier ; les photographies de Monique Deregibus ou Lauren Greenfield voisineront avec les archives des Excursionnistes (gethan&myles).

La Pierre qui cède d’Orozco, cette pierre qui roule au sol, est à la fois très loin de nos deux pieds et très proche de notre condition urbaine qui, à sa façon, nous roule aussi dans la poussière. Cette pierre devrait être roulée sur quelques mètres, en écho à la tradition des processions urbaines, incarnée par la magnifique vidéo de William Kentridge, Shadow Procession, que nous avons la chance de projeter dans l’exposition.

Ce parti pris urbain n’empêche pas de faire la part belle aux artistes-paysagistes-architectes comme Arianne Wilson ou Berger&Berger, aux arpenteurs comme Bernard Plossu. Sans compter certains artistes canoniques dont toute l’œuvre évoque la marche : Richard Long, herman de vries, Hamish Fulton…

En outre, le Frac possédait déjà certaines œuvres cardinales, dont le Planisfero Roma de Stalker, ainsi que l’intégralité de leurs archives, qui peuvent être manipulées dans l’exposition par les visiteurs du 3e plateau. Quelques clins d’œil aussi : Patrick Faigenbaum saisissant l’Homme qui marche de Rodin, ou encore Henri Cartier-Bresson montrant Giacometti saisi au vol alors qu’il marche dans son atelier entre l’Homme qui marche et la Grande Femme…

Pascal Neveux : Parlerais-tu d’une dimension politique de la marche ?

Guillaume Monsaingeon : Ce sont les artistes eux-mêmes, ou certains d’entre eux qui l’affirment : se réapproprier l’espace, en faire un espace public cheminé, c’est évidemment un outil de lutte. Allora & Calzadilla dont on parlait à l’instant le clament haut et fort. Les cyanotypes de Randa Maroufi, réalisés avec les femmes qui ne peuvent passer qu’à pied la marchandise entre le Maroc et l’enclave espagnole de Ceuta, en une sorte de contrebande officialisée, témoignent de cette marche confinée et extrêmement contrôlée. Mais les gestes de Stalker et de Laurent Malone & Dennis Adams, les promenades d’Hendrik Sturm, sont tous des actes de résistance à leur façon. Le dynamisme des marcheurs marseillais n’est pas un hasard : Till Roeskens, Mathias Poisson, le collectif Safi, Geoffroy Mathieu et Bertrand Stofleth sont les héritiers des précurseurs qu’étaient les Excursionnistes marseillais. Comment oublier l’arpentage inlassable mené par Christine Breton, splendide démonstration des vertus politiques de la marche comme mode de connaissance et de partage ? C’est à mes yeux plus fort que les innombrables ouvrages à succès consacrés à la traversée de la France comme ressourcement personnel, et plus stimulant que les récupérations institutionnelles de la marche entendue comme une façon de tisser du lien – ce même lien que l’urbanisme s’attache par ailleurs à défaire…

Pascal Neveux : Cette exposition qui investit aujourd’hui la totalité des plateaux du Frac est l’aboutissement du projet Des marches, démarches que nous avons conçu ensemble depuis plus d’un an sur l’ensemble du territoire régional, fédérant dans sa dynamique plus de 70 partenaires. Peux-tu revenir sur la façon dont est venue l’idée de ce projet, sur sa singularité, sa genèse et ses enjeux ?

Guillaume Monsaingeon : Plutôt sensible à la diffusion artistique sous l’angle de la diversité des publics – entreprises, scolaires, détenus, j’en ai découvert plus tardivement la dimension territoriale : les besoins ne sont pas les mêmes à Arles ou à Ventabren, et une proposition artistique peut échouer simplement par inadéquation au lieu et à ses habitants.

J’ai été sensibilisé à cela par la fréquentation de structures actives d’un bout à l’autre du territoire, comme Image de ville, Opera Mundi ou le Bureau des guides GR 2013. Et j’avais moi-même piloté, avec Thierry Kressmann, le feuilleton cartographique Échelle 1 pour MP 2013, qui m’avait fait toucher du doigt cette délicate adaptation du projet au territoire et à ses acteurs : il y a là un savoirfaire et une sensibilité qui sont propres à ces structures originales que sont les Frac.

Il m’a semblé impossible, presque inconvenant, d’envisager une exposition sur la marche qui resterait enfermée entre quatre murs. Il allait de soi qu’on sortirait du bâtiment, et que l’exposition devait se frotter au cheminement comme aux godillots. Plutôt que d’imaginer le Frac prescripteur ou simple diffuseur à Carros comme à Gap ou Cadenet, il a paru évident de fédérer les envies. Le projet Des marches, démarches a bénéficié de l’incroyable énergie développée par le Frac en milieu scolaire. Ces actions qui se sont très tôt emparées de la question de la marche inventent, avec les artistes et les enseignants, les visiteurs de demain !

Pascal Neveux : Ton activité de commissaire d’exposition t’a conduit ces dernières années à monter des expositions centrées autour de la cartographie, de MappaMundi en 2013 à Toulon au Temps de l’île présentée l’été dernier au Mucem. D’où vient cette passion pour l’univers de la cartographie et quelles sont les affinités entre ces différents projets et bien d’autres encore, je pense à l’Oucarpo plus particulièrement et cette exposition présentée au Frac ?

Guillaume Monsaingeon : Je suis arrivé à la cartographie sur un malentendu : je m’intéressais alors aux plansreliefs, ces gigantesques maquettes des villes de France qu’on disait conçues par Vauban. De fil en aiguille, j’ai découvert qu’il n’y était pour rien, mais que la représentation d’un territoire était, déjà au XVIIe siècle, un enjeu à la fois esthétique, scientifique et politique. J’en ai fait un livre, les Voyages de Vauban. J’étais fasciné par le fait que Vauban avait utilisé la carrière militaire comme un simple ascenseur : un siècle plus tard, il aurait bâti des routes au lieu de frontières, au XIXe il aurait été ingénieur des Ponts et Chaussées chargé des chemins de fer, au XXe ingénieur Télécom… La première exposition dont j’ai assuré le commissariat était historique : c’était Vauban ingénieur de la raison, organisée avec Nicolas Faucherre pour le Centre des monuments nationaux, en 2007 dans le petit village de Mont-Dauphin. La symbiose entre Vauban et l’invention du site était si forte que, l’année suivante, nous avons imaginé avec Arnaud Vasseux l’exposition Lieu défendu, dix artistes contemporains qui ont créé in situ. Et c’était parti…

C’est donc dans un même mouvement que je me suis orienté vers les artistes contemporains et vers la cartographie. Celle-ci n’est ni une discipline, ni une spécialité, ni une mode : c’est un carrefour à partir duquel on comprend mieux le monde. Le plus fascinant, ce sont encore les marges de la cartographie, les pratiques hors norme, dont on se demande si on est encore dans la carte ou pas. C’est cela qui m’a conduit à créer l’Oucarpo, Ouvroir de cartographie potentielle, héritier de l’Oulipo de Queneau, Perec et Calvino. La question n’est pas de savoir ce qu’est une carte, mais d’apprendre à décrypter les opérations cartographiques complexes qui façonnent notre quotidien. D’où la pratique du jeu et du détournement. Les techniques cartographiques sont extrêmement rigoureuses et complexes : raison de plus pour jouer avec les formes et la sémiologie cartographique, comme on peut le faire avec des mots qui obéissent à une syntaxe rigide. Qu’il s’agisse de la ville, de la marche, des îles, de la typographie, les cartes sont toujours à l’affût !

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