Machaou – Noureddine Benhamed, Dorra Mahjoubi et Sanaa Mejjadi à l’Espace Saint-Ravy – Montpellier


Jusqu’au 28 juin 2020, l’Espace Saint-Ravy accueille Noureddine Benhamed, Dorra Mahjoubi et Sanaa Mejjadi pour « Machaou » une exposition de groupe dont le titre signifie «Il était une fois… » en tamazigh.

Dans le communiqué de presse, ces trois artistes d’origine maghrébine racontent ainsi la raison d’être et les ambitions de ce projet :

« Nous nous sommes rencontrés à Montpellier, trois jeunes artistes de la même culture nord-africaine, mais de pays différents. Au départ, c’est l’art qui nous a rassemblés. Nous avons ensuite compris que nos parcours, aussi différents qu’ils soient, avaient une influence commune sur nos pratiques artistiques indépendantes. Nous avons remarqué que malgré nos différences nous avons établi, chacun de manière indépendante, une pratique artistique voisine, usant des mêmes matériaux, des mêmes sources, et du même contexte créatif.

Nous avons par ailleurs constaté l’empreinte évidente de la question féminine dans notre démarche. Sanaa puise sa source d’inspiration des femmes tisseuses et des instants magiques qu’elle a partagés avec elles durant son enfance au Maroc ; Noureddine va à la recherche de la femme fondatrice et garante d’une culture : celle que nous portons en nous, car elle a construit notre identité pierre par pierre ; Dorra la présente à travers le prisme des frontières imposées par les sociétés, par les choix personnels et collectifs, par le processus de l’émigration-immigration.

Notre attachement à la dualité entre les deux rives de la méditerranée se traduit de manière complexe, mais évidente par notre regard créatif et notre rapport aux questions à la fois de notre pays d’origine et de notre pays d’accueil. […] Au moment où les sentiments d’urgence – climatique, migratoire ou d’identité – se bousculent, et devant le dilemme de la nationalité, Dorra a opté pour la citoyenneté méditerranéenne et a réfuté toute notion de frontière politique pour mieux interroger les frontières intimes à l’intérieur des personnes qui sont traversées par le processus d’émigration-immigration ; car, comme elle l’affirme avec la force de sa conviction naturelle : prendre racine de chaque côté de la mer c’est affronter sans cesse l’absence, c’est accepter de se bâtir en silence, c’est paradoxalement exister deux fois et n’exister qu’à moitié »
.

« Machaou » s’articule comme un enchaînement de trois accrochages individuels, et non pas comme une exposition collective avec réel projet commun. « Machaou » aurait certainement mérité un commissariat plus affirmé.

Sanaa Mejjadi

L’exposition de Sanaa Mejjadi occupe la salle haute de l’Espace Saint-Ravy qui ouvre sur la rue Joubert.

Sanaa Mejjadi - « Machaou » à l’Espace Saint-Ravy – Montpellier
Sanaa Mejjadi – « Machaou » à l’Espace Saint-Ravy – Montpellier

Sur la gauche, on découvre six œuvres sur papier où domine un travail au pastel et à l’acrylique.

Sanaa Mejjadi - « Machaou » à l’Espace Saint-Ravy – Montpellier
Sanaa Mejjadi – « Machaou » à l’Espace Saint-Ravy – Montpellier

Les quatre premières sont encadrées. Elles montrent une forte densité de lignes et parfois d’alignement de points qui construisent des trames serrées. Certaines empruntent aux arbres de la vallée d’Ouirgane et aux souvenirs de l’artiste lors d’un voyage dans le Haut Atlas marocain.

Sanaa Mejjadi - « Machaou » à l’Espace Saint-Ravy – Montpellier
Sanaa Mejjadi – « Machaou » à l’Espace Saint-Ravy – Montpellier

Les deux dernières non encadrées semblent plus libres et plus allègres. La palette s’est éclaircie et des formes dansantes s’inscrivent sur une trame plus lâche où les traits allégés sont plus vibrants… On pourrait presque percevoir dans les lignes au pastel quelques échos aux figures de la Danse de Matisse

Sanaa Mejjadi - « Machaou » à l’Espace Saint-Ravy – Montpellier
Sanaa Mejjadi – « Machaou » à l’Espace Saint-Ravy – Montpellier

Sur la droite, l’accrochage débute par Entrave (2015), une œuvre plus ancienne.

Sanaa Mejjadi - « Machaou » à l’Espace Saint-Ravy – Montpellier
Sanaa Mejjadi – « Machaou » à l’Espace Saint-Ravy – Montpellier

Un chemisier blanc, transparent et brodé que l’artiste confie ne jamais avoir osé porter est cousu avec fermeté sur une pièce de tissus rose…

Sanaa Mejjadi - Entrave, 2015 - « Machaou » à l’Espace Saint-Ravy – Montpellier
Sanaa Mejjadi – Entrave, 2015 – « Machaou » à l’Espace Saint-Ravy – Montpellier

Suit un ensemble d’œuvres récentes où l’artiste trace à l’encre de Chine des lignes de points sur des feuilles, parfois des pages de livres qu’elle couvre de grillage. Certaines sont présentée à plat, d’autres sous la forme de rouleaux. Sans titres dans l’exposition, quelques-unes sont légendées Entrave 2, Entrave… ou encore Besoin de volume, fragile et léger sur le compte Instagram de l’artiste.

Sanaa Mejjadi - Sans titre, 2020 - « Machaou » à l’Espace Saint-Ravy – Montpellier
Sanaa Mejjadi – Sans titre, 2020 – « Machaou » à l’Espace Saint-Ravy – Montpellier


Au centre de la salle, d’autres pièces similaires sont exposées comme des sculptures sur des plâtres…

Les lignes de points font évidemment penser à Pierrette Bloch dont Sanaa Mejjad assume pleinement l’influence. Dans un entretien réalisé avec Pierre Manuel des éditions Méridianes, réalisée à l’occasion de « Machaou », elle affirme :

« J’ai découvert le travail de Pierrette Bloch lors d’une exposition de livres d’artiste à la galerie Al/MA et j’y ai acheté un catalogue d’une de ses expositions. Je travaillais déjà la répétition et la superposition des lignes et des points, mais quand j’ai regardé le travail de Pierrette Bloch, j’étais d’abord fascinée et inspirée, puis rassurée, car cette découverte m’a permis d’assumer cette direction vers un travail intime, poétique où le vide en dit autant que le plein. Et on y voit une part de soi. D’autres artistes m’inspirent autant, comme Barnett Newman, Rothko, Matisse, Joan Mitchell, Simon Hantai, Anni Albers… J’ai eu souvent le sentiment de faire la peinture ou de suivre la démarche de quelqu’un d’autre. Mon travail se construit avec ces inspirations. »

L’accrochage se poursuit avec un ensemble de sept petits formats encadrés. Les deux premiers sont des pastels à huile sur papier qui semblent esquisser un projet de tapisserie. Les quatre suivants montrent un travail mixte où l’artiste entremêle tissage et lignes de points à l’encre de Chine sur papier…

Dans la dernière œuvre de cette série, Sanaa Mejjad entrecroise des fils de fer et de cuivre dans la trame de son tissage. La question d’entravement et de la libération est évidemment centrale dans le travail de l’artiste. Dans cette pièce, le grillage semble rompu et il n’en subsiste que des fils séparés, mais toujours très présents…

Sanaa Mejjadi - Sans titre, 2020 - « Machaou » à l’Espace Saint-Ravy – Montpellier
Sanaa Mejjadi – Sans titre, 2020 – « Machaou » à l’Espace Saint-Ravy – Montpellier

Au bas de la volée de marche, on remarque deux œuvres où la broderie, les points à l’encre de Chine ou au pastel recouvrent les pages d’un livre. Ici aussi, le grillage a disparu…

L’exposition de Sanaa Mejjad s’achève par un ensemble de neuf œuvres encadrées et de trois tissages librement accrochés où les fils de chaîne se terminent en frange…

Sanaa Mejjadi – Sans titre, 2020 – « Machaou » à l’Espace Saint-Ravy – Montpellier

Les lignes de points sur papier dépassent parfois la largeur du tissage et donnent un rythme plus ample et plus dansant… On sent ici que l’émancipation est proche.

Le même sentiment de liberté se perçoit dans les œuvres sur papier.

Sanaa Mejjadi - Sans titre, 2020 - « Machaou » à l’Espace Saint-Ravy – Montpellier
Sanaa Mejjadi – Sans titre, 2020 – « Machaou » à l’Espace Saint-Ravy – Montpellier

Ce dernier ensemble fait écho aux deux formats plus grands qui lui font face. La couleur, la lumière et une certaine souplesse du trait produisent un mouvement plus léger, presque dansant…

Sanaa Mejjad est née en 1977 à Casablanca au Maroc. Elle vit et travaille à Montpellier depuis 2009. Diplômée en arts plastiques et design d’intérieur, elle entreprend une recherche artistique après une expérience de 10 ans dans la création d’univers fantastiques pour les jeux vidéo.

On lira avec intérêt son entretien avec Pierre Manuel réalisé à l’occasion de l’exposition et publié par les éditions méridianes.

En savoir plus :
Sur le site de Sanaa Mejjad
Suivre Sanaa Mejjad sur Instagram

Noureddine Benhamed

L’exposition de Noureddine Benhamed se développe sous le titre « Traversée » en quatre actes (Errance, Passage, Flux et Attente). Un accrochage en frise occupe les premières travées sur la gauche des espaces voûtés qui ouvrent sur la place Saint-Ravy.

Noureddine Benhamed – Traversée, Acte IV ; Attente, 2020 - « Machaou » à l’Espace Saint-Ravy - Montpellier
Noureddine Benhamed – Traversée, Acte IV ; Attente, 2020 – « Machaou » à l’Espace Saint-Ravy – Montpellier

Dans le communiqué de presse qui accompagne « Machaou », Noureddine Benhamed revendique une approche engagée :

« Au cœur de mes dispositifs, je conçois et réalise des pièces en fonction d’un lien direct ou métonymique, en m’appropriant ce qu’elles produisent, induisent et impliquent. Mon questionnement porte sur ce qui se cache derrière les images, en mettant en scène des actions filmées inspirées de faits divers, d’événements d’actualités, pour instaurer une vraie réflexion sur notre société. Il s’agit d’aller puiser les choses dans leurs origines, et d’expérimenter la complexité des êtres et du monde pour mieux appréhender les réalités. J’établis un dialogue permanent entre vécu et histoires : deux éléments qui me permettent de circuler entre passé et avenir.

Mon travail met en place des procédés fonctionnels et des incursions documentaires, qui dans un langage pluridisciplinaire se situent essentiellement dans le champ de l’expérimentation, un va-et-vient entre la réalité et la fiction. Parallèlement et dans le même geste, je travaille le visible, en le contextualisant dans un espace/temps, sous forme de paroles, textes, images et vidéo. La forme devient une écriture qui évolue en un geste physique. »

Noureddine Benhamed est originaire de la ville de Tlemcen. Il est diplômé de l’école régionale des beaux-arts d’Oran. Il prépare le diplôme national supérieur d’expression plastique à l’école des beaux-arts de Nîmes. Il définit son expression artistique comme une description abstraite ou réelle de l’actualité.

En savoir plus :
Sur le site de Noureddine Benhamed
Sur la page Facebook et sur le compte Instagram de Noureddine Benhamed

Dorra Mahjoubi

La proposition de Dorra Mahjoubi s’articule dans la seconde salle de l’Espace Saint-Ravy.
Elle présente un ensemble d’œuvres sur toile ou sur papier qui mêlent collage et acrylique.

Dorra Mahjoubi - « Machaou » à l’Espace Saint-Ravy – Montpellier
Dorra Mahjoubi – « Machaou » à l’Espace Saint-Ravy – Montpellier

Leurs titres sont assez énigmatiques : Le visage de dieu, Il a phallus. Certaines semblent faire écho au roman historique qui conduisit Flaubert en Tunisie : Voyage de nuit, Bariza, Un destin une page, Les quatre éléments et La terre retournée appartiennent à une série intitulée « Madame Salammbô »…

Dorra Mahjoubi - « Machaou » à l’Espace Saint-Ravy – Montpellier
Dorra Mahjoubi – « Machaou » à l’Espace Saint-Ravy – Montpellier

Dans une installation au sol, des globes oculaires tracent en arable le mot Watan/Patrie… Un long cartel évoque un proverbe maghrébin qui signifie que « l’œil ne peut atteindre sa plénitude qu’une fois dans la tombe. Celui-ci n’est jamais plein ( plénitude et satisfaction) que par la terre et les verres de terre »…

Dorra Mahjoubi - « Machaou » à l’Espace Saint-Ravy – Montpellier
Dorra Mahjoubi – « Machaou » à l’Espace Saint-Ravy – Montpellier

En face, une deuxième installation renvoie aux quatre éléments…

Dorra Mahjoubi - « Machaou » à l’Espace Saint-Ravy – Montpellier
Dorra Mahjoubi – « Machaou » à l’Espace Saint-Ravy – Montpellier

L’ensemble est accompagné de plusieurs textes poétiques et un peu emphatiques de l’artiste (L’éloge de la lumière : Parfum de l’âmeUn destin, une pageTerre de tout les temps)

Dorra Mahjoubi est née à Tunis. Licenciée en droit, puis en arts visuels à l’institut des beaux-arts de Tunis, elle a complété son parcours par un master de recherche en histoire de l’art contemporain à Montpellier. Elle se revendique aussi commissaire, poétesse, performeuse, chanteuse et artiste culinaire…

En savoir plus :
Sur le site de Dorra Mahjoubi ainsi que sur sa page Facebook et son compte Instagram

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