Jean-Christophe Donnadieu – A Night at the Opera à la Galerie Samira Cambie – Montpellier


Jusqu’au 14 février prochain, Jean-Christophe Donnadieu propose de monter à bord d’une Rolls Royce Phantom à la rutilante livrée rouge pour une nuit à l’opéra organisée par la Galerie Samira Cambie

Après avoir envisagé une référence au studiolo italien, le titre choisi, « A Night at the Opera » ne fait pas écho au film des Marx Brothers, mais à l’album culte de Queen…

Toutefois, une allusion aux cabinets de curiosités de la Renaissance italienne n’aurait pas été usurpée… En effet, Jean-Christophe Donnadieu a métamorphosé en grande partie la galerie de Samira Cambie transformée en un studiolo abandonné où d’étranges animaux sortent d’un peu partout. Les murs sont décorés par un lambris de soubassement en carton où des caissons peints en grisaille montrent des scènes inspirées d’un petit dessin de Salviati.

Leur signification sera certainement évidente pour celles et ceux qui connaissent bien l’artiste, l’histoire de l’art italien du Cinquecento et du Seicento ou qui ne se séparent jamais de leur Iconologia de Cesare Ripa…

Dans la même veine, deux caryatides paraissent défendre l’accès à la réserve de la galerie et imposer au visiteur de feuilleter l’ouvrage qu’elles lui présentent. Elles sont empruntées à un dessin de Giuseppe Cades de la seconde moitié du XVIIIe siècle passé en vente fin 2020.

Dans ce décor « théâtral », Jean-Christophe Donnadieu a mis en scène, avec beaucoup de soin et de précision et souvent avec humour, un univers où se s’entremêlent objets chinés, dessins, collages et peintures. Les époques s’y croisent et parfois s’y entrechoquent entre théâtre de papier, reliquaires et tableaux. Les symboles, les énigmes ou références plus explicites se multiplient dans un ensemble précieux, de temps à autre érudit, quelquefois émouvant, mais toujours séduisant…

Peintre, remarquable dessinateur, illustrateur et collectionneur éclairé, Jean-Christophe Donnadieu est un artiste singulier dont l’univers mérite sans aucun doute d’être découvert et partagé avec ceux et celles qui l’ignorent encore…

Les habitués de la galerie Samira Cambie ne manqueront certainement pas cette nuit à l’opéra à laquelle ils sont conviés. Certains, après avoir répondu à son invitation, semblent y avoir perçu une forme d’autoportrait…

Au-delà de ses présentations chez Samira Cambie, Jean-Christophe Donnadieu a également exposé à la galerie Adoue de Nabias à Nîmes, à la galerie Mercure de Béziers, mais aussi à Paris et en Belgique. En 2018, il assurait le commissariat de « Curieusement vôtre » à la Maison des Consuls aux Matelles. En 2020, il avait réalisé une superbe maquette qui proposait une hypothèse de la reconstitution du décor de la chapelle Deydé, dans le cadre de l’exposition « De marbre blanc et de couleur » au Musée Fabre.

Jean-Christophe Donnadieu a également illustré plusieurs ouvrages aux éditions l’Archange Minotaure dont un Venise érotique en deux volumes avec des textes de Giacomo Casanova et un Kurt Cobain. Au soleil je suis marié avec Jean-Luc Gallo… Il a aussi collaboré par le passé avec la maison Hermès.

À lire, ci-dessous, quelques impressions de visite qui peuvent être temporairement ignorées pour celles et ceux qui ne veulent pas gâcher le plaisir de la découverte…

En savoir plus :
Sur le site de la galerie Samira Cambie
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Regards sur « A Night at the Opera » de Jean-Christophe Donnadieu

Dans la vitrine qui ouvre sur la rue Saint-Firmin, Jean-Christophe Donnadieu a construit un décor à partir d’un alligator naturalisé, récemment chiné aux puces et dont la patte droite est accompagnée par un mystérieux grappin. Dans un entretien téléphonique, l’artiste nous a confié que l’exposition est née de cet achat.

Au-dessous de cet animal empaillé, une composition complexe est installée au ras du sol. Un autre crocodilien au corps couvert d’or s’est glissé sous un drap où reposent un assemblage de plâtres antiques et d’une tête d’époque Romaine. Vandalisée à une époque indéterminée, Jean-Christophe Donnadieu raconte qu’elle servait de cale-porte chez un brocanteur à Nîmes. Un lion en résine blanche feint d’ignorer la gueule menaçante du reptile…

Sur le côté, un petit tableau fait un évident clin d’œil au Judith et Holopherne de Filippo Vitale dernièrement entré dans les collections du Musée Fabre et accroché dans « La Beauté en partage »… Il est inspiré de la Judith découverte à Toulouse il y a 3 ans et dont l’attribution à Caravage avait défrayé les chroniques…

Il a récemment remplacé Der Kaiser, un collage où une silhouette de Karl Lagerfeld promène une panthère en céramique. En arrière-plan, un montage associe une gravure ancienne où Adam et Salomon encadrent, semble-t-il, une photographie du renversement d’une statue équestre…

Avant de pénétrer dans la galerie, on comprend que l’humour, la dérision et un regard incisif sur le monde seront au programme…

Sur la droite, une étagère présente un ensemble hétéroclite d’objets. Un crocodile sépare deux globes de mariée. Le premier (Et In Arcadia Ego) contient un cep de vigne, un Tanagra — Éphèbe et une tête de femme en ivoire de 350 ans av. J.-C.. Le second (La main de dieu) protège de la poussière une pierre d’époque romane et une balle dum-dum… On peut aussi y voir un masque, deux dessins et un modèle réduit d’une Royce Phantom grise attaqué par un autre crocodile et dont le passage (Karl ?) semble avoir fui en laissant la portière ouverte…

Au-dessus, celles et ceux qui sont passés par la Fondation Carmignac à Porquerolles reconnaîtront le Sea Of Desire (1984/2018) d’Ed Rusha qui avait donné son titre à l’exposition inaugurale. Jean-Christophe Donnadieu a délicatement découpé d’une photographie, le billboard peint à partir de l’œuvre de l’artiste américain. Il l’a ensuite replacé sur ce qui ressemble à un peigne de cardage (Sea Of Desire (Hommage à Ed Rusha))… Sur la photo (Souvenir), la partie manquante fait apparaître la silhouette d’un super héros empruntée à une illustration ou à une boite de jeu

Un peu plus loin, on remarque l’énigmatique portrait d’un collectionneur (Join Or Die). En costume à rayures, il exhibe fièrement un tableau au bleu IBK d’où surgissent des serpents d’argent… Au-dessus, deux figures peut-être évadées d’un vase grec sont recouvertes par la même nuance d’outremer… À droite, d’un dessin partiellement reproduit s’échappent des serpents d’or.

En bas à droite, les huit segments d’un serpent accompagnés d’initiales pourraient être un indice. Ici, Jean-Christophe Donnadieu a reproduit une caricature politique de Benjamin Franklin qui donne son titre au collage. La gravure sur bois accompagnait en 1754 un éditorial de Franklin sur « l’état de désunion » des colonies britanniques qu’il exhortait à s’unir dans la guerre contre la Nouvelle-France et les Amérindiens…
Qui est cet homme ? A-t-il une relation particulière à Yves Klein dont certains ont pu écrire qu’il n’aimait pas l’argent, mais préférait l’or ? Qu’est-ce qui relie ce personnage, le bleu, l’or et l’argent à l’histoire des États-Unis ?

Disposé en deux registres, l’accrochage se poursuit sur le mur de droite avec un ensemble de douze scènes présentées des boîtes inspirées du théâtre de papier. Dessins et objets construisent des évocations poétiques et humoristiques dont le sens reste parfois obscur et secret. Références érudites à l’art, hommages à certains, préoccupations contemporaines et « private jokes » s’y entremêlent avec bonheur…

Au pied des caryatides, un lutrin expose un imposant ouvrage illustré qui emprunte son titre à Hippocrate.

Ars Longa (vita brevis) est conçu comme un hommage aux artistes de la Renaissance. Son scénario, écrit avec Francis Parisot, raconte l’histoire d’un jeune artiste au service d’un puissant seigneur, en Italie… Dans un dédale de scènes dont la mise en page est souvent inspirée du Libro de’ Disegni de Giorgio Vasari. Les dessins de Jean-Christophe Donnadieu sont insérés dans les encadrements imaginés pour les Vite de’più eccelenti pittori, scultori e archittetori.

Pour l’artiste, il est capital que décors, architecture, vêtements et textiles, mobilier, objets d’art et tableaux soient fidèlement restitués d’après des originaux.

Dans cette « maquette », textes et bulles sont pour le moment absents. Si le projet arrive à trouver un éditeur, ils devraient être imprimés sur des calques transparents glissés entre chaque double page.

Jean-Christophe DonnadieuArs Longa (vita brevis) – A Night at the Opera – Galerie Samira – Cambie – Photo JC Donnadieu

Le livre exposé dans « A Night at the Opera » est un objet précieux dont la couverture en vélin est un in folio issu d’un antiphonaire du XIVe siècle. Le papier vergé du XVIIIe siècle provient probablement d’un livre de comptes resté vierge.

Deux grands tableaux sur bois occupent le mur de gauche de la galerie.

Dans Phantom Of Paradise, œuvre qui sert de visuel et de carton d’invitation pour l’exposition, on retrouve la Rolls-Royce Phantom rouge évoquée au début de cette chronique. Ses passagers sont-ils protégés/surveillés par des statues maories et par l’étrange personnage dont la tête est cachée par un sac ? Ce dernier tient dans ses mains un mystérieux objet doré dont la silhouette pourrait faire penser aux formes d’un crocodilien…
Si l’on peut entendre un écho au modèle de la luxueuse berline anglaise, le titre est évidemment emprunté au film de Brian De Palma, remake du film muet le Fantôme de l’Opéra, lui-même adapté du roman de Gaston Leroux…

Tout aussi étrange et secret, Tombouctou interpelle le visiteur. Plusieurs figures parfois rapidement esquissées, la silhouette d’un homme couvert d’or et le contour d’un visage délimité par des clous se superposent et paraissent flotter au-dessus d’un paysage de dunes nimbé d’une lumière bleutée… Quel sens donner à la forme blanche au centre du tableau ? Sur la droite, le crocodile évoque-t-il ceux qui deviennent de plus en plus rares dans le delta intérieur du Niger ? Est-il un nouvel avatar de ceux qui occupent l’espace d’exposition et de celui l’a inspirée ?

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