Denis Roche, Photolalies, 1964-2010

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Jusqu’au 14 février 2016, le Pavillon Populaire présente « Photolalies, 1964-2010 », une rétrospective du travail photographique de Denis Roche, poète et éditeur reconnu, photographe singulier, inclassable, pour qui « l’acte photographique » est un moment de liberté, une quête du plaisir.

Denis Roche, Photolalies, 1964-2010. Pavillon Populaire, Montpellier
Denis Roche, Photolalies, 1964-2010. Pavillon Populaire, Montpellier

Avec Gilles Mora, Claude Nori et Bernard Plossu, il fut un des fondateurs des Cahiers de la photographie, en 1980. Le directeur artistique du Pavillon Populaire assure naturellement le commissariat de cette exposition. Pendant presque une année, les deux amis ont travaillé sur ce projet avec comme fil conducteur la liberté absolue avec laquelle Denis Roche pratiquait la photographie.

Françoise Peyrot-Roche et Gilles Mora au Pavillon Populaire, Montpellier
Françoise Peyrot-Roche et Gilles Mora au Pavillon Populaire, Montpellier

Après la disparition de Denis Roche en septembre dernier, sa femme, Françoise, a accompagné le projet jusqu’à son terme en souhaitant que « la tonalité générale de l’exposition soit heureuse et qu’elle rende compte de ce qu’avait été le plaisir de photographier pour Denis Roche».

Denis Roche, 7 août 1994 - Autoportrait, - 30x40cm © Denis Roche
Denis Roche, 7 août 1994 – Autoportrait, – 30x40cm © Denis Roche

Le parcours s’achève avec ces citations du photographe qui résument à la fois sa pratique artistique et les « couleurs » de ces « Photolalies », exposées à Montpellier :

« Toute photographie est un récépissé de liberté.
Aucune autre activité humaine ne possède cette charge de bonheur-là : autant de bonheur, n’importe où, n’importe quand, autant de fois qu’on veut. L’amour connaît des creux, pas la photo.
Encore un effort, citoyens, et vous saurez bientôt ce qu’est la liberté… »

Pour rendre compte du moment de liberté qu’était la photographie de Denis Roche, la quête du plaisir de l’acte photographique, le parcours de l’exposition ne propose ni approche chronologique ou thématique, ni de circuit de visite…

« Photolalies, 1964-2010 » affirme sa volonté d’être « une invitation au voyage dans le pays de liberté de Denis Roche, des éclats d’images pour une exposition éclatée [qui souhaite restituer], en reflet, le visage libre du photographe ».

Ce pari est, sans aucun, doute une réussite. Le visiteur construit sans difficulté son expérience de visite à partir de quelques regroupements et en explorant certains chemins autour de repères biographiques, d’approches formelles parfois érudites et quelquefois singulières et surtout des utilisations débridées et inventives de l’appareil photographique de Denis Roche.

Denis Roche, 27 décembre 1990Madurai, Inde - 30x40cm. © Denis Roche
Denis Roche, 27 décembre 1990Madurai, Inde – 30x40cm. © Denis Roche

« Photolalies, 1964-2010 » mérite un passage par le Pavillon Populaire à Montpellier. La découverte du travail de Denis Roche est un réel plaisir.

L’exposition présente un peu plus de 100 photographies de moyen format (30 x 40 cm et 50 x 40 cm) , dont beaucoup d’images inédites.
Toujours en noir et blanc, souvent mis en abîme par des reflets ou des jeux de miroirs, les autoportraits souvent au déclencheur à retardement, seul ou avec sa femme Françoise, portraits, nus, paysages et les natures mortes de Denis Roche montrent, des fragments d’histoires… Ecriture d’une autobiographie par les images et leurs légendes, elles composent une réflexion continue sur le Temps.

Après quelques repères biographiques dans le hall, le parcours commence par les petites salles sur la gauche du Pavillon Populaire. Entre deux citations, un accrochage sobre et harmonieux, une mise en lumière irréprochable, offrent une valorisation exemplaire des images de Denis Roche.

Reflets multiples, flous, utilisation du retardateur, contacts successifs, photos tête-bêche, présence récurrente de l’appareil-photo dans l’image… Toutes les pratiques photographiques de Denis Roche  construisent ces « photolalies », « murmures de rêves »,  rapprochements et résonances sans fin, qu’il définissait ainsi :

« J’appelle Photolalie cet écho muet, ce murmure de conversation tue qui surgit entre deux photographies, très au-delà du simple vis-à-vis thématique ou graphique. Dans cette occasion si particulière où le photographe convoque ses images au  » parloir  » ».

Au fond de cette galerie,  un espace de projection présente, en continu,  quelques interventions du photographe dans les émissions littéraires de Bernard Pivot.

Denis Roche, Photolalies, 1964-2010. Pavillon Populaire, Montpellier
Denis Roche, Photolalies, 1964-2010. Pavillon Populaire, Montpellier

La taille des photographies s’accommode avec un peu plus de difficulté au vaste espace central du Pavillon Populaire. Deux grands tirages en «  wallpaper », à chaque extrémité de la salle, donnent une dynamique intéressante à l’accrochage. Le choix de ces deux photographies  (« 27 décembre 1990, Madurai, Inde ») est particulièrement pertinent. Au fond, Denis Roche, appareil en main, vise l’appareil qui le photographie… et le visiteur qui le regarde. À l’opposé, dans le même lieu, le photographe s’éloigne, abandonnant son boîtier sur un mur.

Denis Roche, Photolalies, 1964-2010. Pavillon Populaire, Montpellier
Denis Roche, Photolalies, 1964-2010. Pavillon Populaire, Montpellier

On retrouve deux grands formats, en «  wallpaper », au fond des « transepts » qui relient espace central et galeries latérales. Ce dispositif scénographique, fréquent au Pavillon Populaire, construit, une nouvelle fois des perspectives captivantes. D’un côté, « 24 décembre 1984, Les Sables d’Olonne, Atlantic Hôtel, chambre 301 », montre l’ombre du photographe et le reflet d’un visage de femme, dans les nuages, au-dessus de l’océan…

En face, « 16 juillet 2000, Villiers », un appareil-photo sur son trépied, en partie masqué par une vitre poussiéreuse et du grillage à poule, et une chaise vide composent une superbe et énigmatique nature morte.
Par contre, on reste beaucoup plus dubitatif sur les deux Kakemono en voile, supposés apporter une rupture dans l’espace…

Denis Roche, Photolalies, 1964-2010. Pavillon Populaire, Montpellier 19

À gauche, entre le « transept » et le fond de l’espace central, la cimaise présente un ensemble de nus émouvants. L’accrochage, très réussi, est opportunément interrompu par un grand tirage (« 14 décembre 1987, Paris, Hommage à Henry Moore») et une superbe citation de Denis Roche :

« La photo de nu est à elle seule une photolalie: elle capte en même temps la beauté d’un corps désiré et l’intensité de l’intérêt esthétique qu’on lui porte.
C’est le combat sans fin pour la primauté, entre un désir et un regard… »

Denis Roche, 14 décembre 1987, Paris, Hommage à Henry Moore- 30x40cm © Denis Roche
Denis Roche, 14 décembre 1987, Paris, Hommage à Henry Moore- 30x40cm © Denis Roche

En face, une trop longue cimaise, des formats très semblables conduisent inévitablement à un accrochage assez monotone. Imperceptiblement, le regard finit par s’égarer, malgré la diversité des sujets présents… Le « murmure de conversation entre les photographies » s’estompe.

Denis Roche, Photolalies, 1964-2010. Pavillon Populaire, Montpellier
Denis Roche, Photolalies, 1964-2010. Pavillon Populaire, Montpellier

Par contre, côté esplanade, le grand format donne plus de dynamisme à l’accrochage d’une intéressante série où l’appareil-photo apparaît comme sujet principal de l’image (« 28 mai 1980, Rome,  » Pierluigi…  » », « 29 août 2007, Villiers », « 11 octobre 1987, Paris, La Fabrique », « 1er juin 1979, Le Skeul, Belle-Ile, Hommage à Wittgenstein »)…

Sur la gauche, un étrange autoportrait, « 11 juin 1985, Cologne, Allemagne, Autoportrait ». On voit Denis Roche, de dos en train de marcher vers un mur d’église, tagué d’un squelette… Le photographe se photographiant allant vers la mort ? Un jeu ? Mais un jeu un peu dangereux tout de même… Un peu sous la forme d’une plaisanterie, il confie à Gilles Mora : « Le mot  » mort  » est un mot dont il faut s’approcher avec délicatesse. Il faut lui mettre quelques phrases devant, quelques signaux en guise d’avertissement, pour lui dire qu’on est là et qu’on s’approche.» (La photographie est interminable, entretien avec Gilles Mora, Paris, Seuil, coll. « Fiction & Cie », 2007)

Denis Roche, 11 juin 1985, Cologne, Allemagne, Autoportrait - Photolalies, 1964-2010. Pavillon Populaire, Montpellier
Denis Roche, 11 juin 1985, Cologne, Allemagne, Autoportrait – Photolalies, 1964-2010. Pavillon Populaire, Montpellier

Dans la petite salle qui conduit vers la sortie, une citation et trois séries autour des « écarts du temps » : Trois images de la série des « 2 contacts successifs », trois photographies montrant l’ombre du photographe, un jour d’hiver (« 26 décembre 1999, Villiers) et surtout les cinq portraits de Françoise assise sur un mur, au-dessus du cimetière du Pont-de-Montvert (« 12 juillet 1971 », « 6 août 1984 », « 13 août 1995 », « 26 septembre 2005 »).

L’espace documentaire rassemble quelques ouvrages accompagnés des photographies prises par Françoise, et des amis (Gilles Mora, Bernard Plossu), un souvenir de « Peyroche près de Ruoms, Ardèche » par François Lagarde  ou encore  un « clin d’œil de la part des cinq fils » de Samuel et Simon Roche.

Autour d’une vitrine qui présente l’ouvrage « Avec le mot silence », édité par la chambre noire, on remarque un portrait de Gilles Mora à la casquette (« 25 juin 1990, Gilles Mora ») qui accompagne, entre autres, celui d’ chien (ora)es calvicies  ceux d’ de DR, d’Montpellier.celui d’Hubert Damish observé par un chien ( Juin 1984) ou encore celui de Philippe Sollers, en 1964, quelques années après la fondation de Tel Quel…

À ne pas manquer : l’étonnante « brochette » de calvitie de trois illustres poètes de la Beat Generation : Lawrence Ferlinghetti, William S. Burroughs et Allen Ginsberg,  photographiées à Ostie, en juin 1979 !

Denis Roche, Photolalies, 1964-2010. Pavillon Populaire, Montpellier
Denis Roche, Photolalies, 1964-2010. Pavillon Populaire, Montpellier

Un livret, distribué gratuitement, propose au visiteur quelques clés de lecture pour découvrir le travail de Denis Roche : « L’autobiographie, reflet du photographe », « Répétitions et temps : la photographie est interminable », « Les murmures des rêves, échos de liberté »…

Commissariat : Gilles Mora
Catalogue de l’exposition « Denis Roche. Photolalies, 1967-2013 » aux édition Hazan, avec un essai de Gilles Mora « Récépissé de liberté » et un texte de Denis Roche « Mille retours ».

En savoir plus :
Sur le site de la Ville de Montpellier
Sur la page Facebook du Pavillon Populaire.
Danielle Leenaerts, « Denis Roche. La photographie comme art du silence », communication présentée lors de la journée d’étude « Photographie et Indicible », jeudi 12 mai 2011, Université Rennes 2.
« Denis Roche, Les temps du photographe. », Entretien avec Pascale Mignon et Marina Stéphanoff. La lettre de l’enfance et de l’adolescence 2/2006.
MUCRI, le musée critique de la Sorbonne : Denis Roche, « 21 juillet 1989, Waterville, Irlande, Butler Arms Hotel, chambre 208. »
« Denis Roche et la photo-autobiographie », Par Josyane Savigneau.  Le Monde des livres du 25 octobre 2007.
À lire :
La Photographie est interminable (entretien avec Gilles Mora), aux Éditions du Seuil
Denis Roche dans la collection « Les grands entretiens » d’Art press.

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