Boris Labbé – Ito Meikyū à la Friche la Belle de Mai

L’exposition Ito Meikyū de Boris Labbé propose une expérience sensorielle et immersive qui repousse les frontières de l’art numérique. Textes, sérigraphies, projection de calligraphies sur tulle, vidéos s’y entremêlent autour d’une œuvre en réalité virtuelle qui donne son titre au projet. Installée au cinquième étage de la Tour jusqu’au 25 janvier 2025, Ito Meikyū invite les visiteurs à se perdre dans un monde à la fois onirique et fragmenté, inspiré d’œuvres de la littérature japonaise.

Boris Labbé propose un parcours à travers un dédale numérique qui évolue en un fascinant assemblage de scènes dessinées et animées. Ses créations, empruntant aux architectures fractales et aux motifs de la calligraphie japonaise, sont habitées de figures humaines, animales, végétales et symboliques, où chaque élément semble vibrer d’une vie propre. Cette fresque transforme les visteur·euses en voyeurs guidés par leurs choix et leur intuition dans un labyrinthe d’émotions et de perceptions.

Ito Meikyū, qui signifie littéralement « labyrinthe de fils », dévoile un espace fragmenté où chaque scène est une porte ouverte sur une narration subjective et introspective. En traversant ce labyrinthe, le spectateur tisse son propre chemin de sensations et de pensées.

Face à deux très belles sérigraphies sur papier noir (Dessin-Tissage #1 et #2, 2024), les deux « liste de choses » qui introduisent le parcours renforcent l’idée de morcellement et de multiplicité.

Dans les œuvres qui suivent (Calligraphies solitaires, Ito Meikyü et Cyclorama. Forêt. Papillons), les éléments semblent se décomposer et se recomposer sans fin, proposant ainsi une exploration infinie qui reflète la nature insaisissable du rêve et de la mémoire.
Les visiteur·euses sont plongé·es dans un terrain de jeu poétique et expérimental, qui offre une liberté totale dans la déambulation.

L’exposition se distingue aussi par l’ambition visuelle et technique qui a permis à Boris Labbé de concevoir un monde virtuel immersif d’une rare profondeur. Une telle prouesse a été rendue possible grâce aux nombreuses collaborations avec des artistes et des spécialistes en animation et réalité virtuelle.

Ito Meikyūest une expérience saisissante qui révèle l’audace, la sensibilité et le savoir-faire de Boris Labbé. En quittant l’exposition, on n’est pas réellement surpris d’apprendre que Ito Meikyūvient d’être récompensé au Grand Prix de la Mostra de Venise 2024.

Ci-dessous quelques regards sur Ito Meikyūaccompagnés de l’introduction que signe Judith Guez artiste, chercheuse et commissaire, d’une transcription des Listes de choses et de brefs repères biographiques à propos de Boris Labbé.

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Ito Meikyū / Figures enlacées – Regards sur l’exposition

Boris Labbé cherche plusieurs manières d’exprimer la matière du dessin, de la faire « déborder, craquer, crépiter, proliférer, vivre ».

Dans cette exposition, Ito Meikyū / Figures enlacées, l’artiste est guidé par ce qui l’entoure, ce qu’il ressent et ce qui ne s’exprime pas. Il propose au spectateur une errance parmi ces Choses qui émergent de son esprit, sans nécessairement de lien, et qui apparaissent à la conscience dans un cheminement de vie. Ito Meikyū est une formule inventée d’un collage de deux mots: ito qui signifie « fil » et, meikyū qui signifie « labyrinthe ».

Ce processus créatif résonne avec deux œuvres majeures de la littérature japonaise du Xle siècle. Les Notes de chevet de Sei Shonagon et Le Dit de Genji de Murasaki Shikibu. L’exposition propose de suivre un fil continu et impalpable entre les œuvres, qui tels un cheminement labyrinthique, emporte le spectateur dans diverses immersions, tissées et entrelacées les unes avec les autres. Les mots deviennent listes, les dessins deviennent collections, leurs mises en espace deviennent construction puis déconstruction, et leurs multiplications deviennent mouvement et répétition.

L’œuvre est bien là : jamais de fin, dans le mouvement tant que la vie est là, tant que les Choses émergent de la pensée, alors tout peut être, et tout peut recommencer.

Judith Guez. Artiste, chercheuse, commissaire

Boris Labbé – Dessin-Tissage #1 et #2, 2024

Boris Labbé – Liste de choses #1, 2024

Choses particulières, Choses désolantes, Choses dont on néglige souvent la fin, Choses que lon méprise, Choses détestables. Choses qui font battre le cœur, Choses qui font naître un doux souvenir du passé, Choses qui égayent le cœur, Choses élégantes, Choses qui ne s’accordent pas. Choses peu rassurantes. Choses que l’on ne peut comparer. Choses rares, Choses qu’il ne valait pas la peine de faire, Choses dont on n’a aucun regret, Choses qui paraissent agréables, Choses qui semblent éveiller la mélancolie. Choses splendides, Choses qui ont une grâce raffinée, Choses contrariantes, Choses gênantes, Choses qui frappent de stupeur, Choses pénibles, Choses qui sont loin du terme, Choses que l’on entend parfois, Choses qui perdent à être peintes, Choses qui gagnent à être peintes, Choses qui émeuvent profondément, Choses qui paraissent pitoyables, Choses qui donnent une impression de chaleur. Choses qui font honte, Choses sans valeur, Choses embarrassantes, Choses qui remplissent l’âme de tristesse, Choses qui distraient dans les moments d’ennui, Choses qui ne sont bonnes à rien, Choses qui sont les plus belles du monde. Choses effrayantes, Choses qui semblent pures, Choses qui paraissent malpropres, Choses qui semblent vulgaires, Choses qui remplissent d’angoisse, Choses ravissantes, Choses sans retenue. Choses dont le nom est effrayant, Choses qui n’offrent rien d’extraordinaire au regard, Choses qui ont un aspect sale, Choses qui paraissent affligeantes, Choses enviables, Choses que l’on a hâte de voir ou d’entendre, Choses impatientes, Choses qui ne servent plus à rien, mais qui rappellent le passé, Choses auxquelles on ne peut guère se fier, Choses qui sont éloignées, bien que proches, Choses qui sont proches, bien qu’éloignées, Choses à voir, Choses qui sont bonnes quand elles sont grandes, Choses qui doivent être courtes…

Boris Labbé – Liste de choses #2, 2024

Une maison, des amants, un battement de cœur, un labyrinthe, un tissu, des montagnes, des pics, des plaines, des gouffres, des fêtes, des arbres, des oiseaux, des insectes, des rivières, des branches, des machines, un vélo, une radio, une tempête, la pluie, des enfants, un lavoir, des pleurs sourds, un papier, une touffe d’herbe, des étoiles, une respiration, un rire, un clair de lune, un château, un soupir, une poussière, une douleur, une naissance, des poissons hors de l’eau, un enfant qui dort, le vent, un son d’une voiture, un ruisseaux, des enfants qui jouent, des papiers froissés, des plantes, une grille qui se ferme, une porte, un chien qui aboie, un feu, une batterie, un clavier, une machine à écrire, une mouche désagréable, un appareil photo, une cuisine, un objet plongé dans l’eau, un cri dans la rue, quelqu’un qui đit « chut », un aveugle, une valise ouverte, quelqu’un qui souffre, un rire, une tâche de sang, le crépitement d’une cigarette, quelques billets, quelques pièces, une foule qui se plaint, une maison de poupée, un bateau, le tic-tac d’une horloge, un parc d’enfant, une cloche, un pliage, un combat, une cave obscure, un cri de bébé, une aiguille plantée, quelqu’un qui tombe dans les escaliers, manger ou être mangé, un bureau mal rangé, un coup dans le ventre, un livre ouvert, des petits cailloux, un enfant qui se roule par terre, des chromosomes, un vol d’oiseaux, un jeu vidéo, une bouche grande ouverte, un accident, quelques papillons, un jeu d’échec, des jumeaux identiques, une assiette bien remplie, une maladie, un objet inaccessible, un enfant lige, la fête des papillons, un lit défait, un jeu de Go, une forêt, des ciseaux qui découpent, des tissus serpentant, une femme qui donne le sein, un mur de regards, la honte, un regard d’en haut, un parapluie, un arc-en-ciel, un avion qui passe, des animaux enfermés, des motifs abstraits, des écritures…

Boris Labbé – Calligraphies solitaires, 2024

Boris Labbé – Ito Meikyü, 2024

Boris Labbé – Ito Meikyü, 2024. Installation immersive et interactive en réalité virtuelle
Musique originale : Danièle Ghisi. Production : Sacrebleu Productions, Les Films Fauves, Parangon. Distribution & Exploitation : Unframed Collection. Animation 2D : Boris Labbé, Capucine Latrasse, Agathe Sollier. Animation calligraphies : Ryo Orikasa. Stagiaires animation 2D : Lucia Auge, Coralie Belaygue, Virginia Berché, Liam Hines, Noémie Horta, Céleste Le Du, Alcide Morand, Elsa Moulin, Edouard Trefert, Manon Sindt Baret. Modélisation 3D : Boris Labbé, Beatriz Ruthes dos Santos, Collin Gallego. Animation 3D Manu Batot. Développeur VR : Germain Linder, Alex Nogueira
Développeur VR prototype : Élie Buglione, Mattéo Delorme. Consultant VR : Charles Ayats. Directeur studio Fireflies : Jacopo Annani – Ito Meikyū à la Friche Belle de Mai – Chroniques Biennale des Imaginaires Numériques

Boris Labbé – Cyclorama. Forêt. Papillons, 2024

Boris Labbé – Repères Biographiques

Formé à l’École supérieure d’art de Tarbes puis à l’École de cinéma d’animation d’Angoulême, les travaux de Boris Labbé ont rapidement fait le tour du monde, que ce soit dans des expositions d’art contemporain, des festivals de cinéma internationaux, ou lors de concerts audiovisuels. Son dernier court-métrage La Chute était en sélection de la séance spéciale à la Semaine de la Critique du festival de Cannes 2018. En 2020 il collabore avec le chorégraphe Angelin Preljocaj et signe la scénographie vidéo du spectacle Le Lac des Cygnes.
Entre 2023 et 2024 il développe et réalise deux projets marquants : Ito Meikyū, son premier projet de réalité virtuelle (produit par Sacrebleu Productions) et Glass House, une scénographie vidéo en collaboration avec le compositeur Lucas Fagin (produit par l’Ensemble Cairn).

Ses films et installations vidéo lui ont valu une cinquantaine de prix et distinctions, dont le Golden Nica Animation au Festival Ars Electronica de Linz et le Grand Prix du Japan Media Arts Festival de Tokyo. Ito Meikyū vient d’être récompensé au Grand Prix de la Mostra de Venise 2024.