Camoin dans sa lumière au musée Granet à Aix
Du 11 juin au 2 octobre 2016, le musée Granet présente à Aix-en-Provence, Camoin dans sa lumière, une exposition qui rassemble plus de 90 peintures et 40 dessins, aquarelles et pastels de l’artiste mais aussi des œuvres de Cezanne, Matisse, Manguin et Marquet.
Le texte d’introduction définit à la fois le projet et l’articulation du parcours de l’exposition :
« Camoin dans sa lumière » raconte l’artiste et fait vivre son œuvre au gré des affinités et des rencontres qui ont jalonné son parcours artistique. Chaque section s’ouvre comme un nouveau chapitre de son histoire :
- De l’atelier Moreau au groupe Matisse: Son immersion alors qu’il a tout juste dix-huit ans dans le cercle des élèves de Moreau, Henri Matisse, Henri Manguin et Albert Marquet avec lesquels il se lie pour la vie.
- Avec Cézanne: Sa rencontre fondatrice avec Paul Cézanne au moment de son service militaire dans la région d’Aix-en-Provence.
- Fauvismes: Son inscription dans le fauvisme.
- La Corse et Emilie Charmy: Sa rencontre avec la femme peintre Émilie Charmy et l’émancipation stylistique des années 1910.
- Tanger / La Guerre: Le séjour à Tanger aux côtés de Matisse et la rupture de la guerre de quatorze.
- Azur: Le retour rédempteur à la lumière de son Midi natal, autour de Saint-Tropez ».
Le parcours s’organise avec pertinence et fluidité tout en ménageant quelques habiles changements de rythme pour relancer, avec tact, l’intérêt du regardeur. L’ensemble permet d’apprécier l’itinéraire de l’artiste, les caractères particuliers de sa peinture et « d’insister sur cette relation essentielle avec Cézanne pour sa carrière de peintre et sa vie d’homme et resituer son œuvre dans le contexte d’amitiés artistiques majeures avec Manguin, Marquet et bien entendu Matisse ».
Si l’on retrouve quelques toiles présentées ces dernières années par le musée Granet, la sélection des œuvres choisies offre quelques découvertes avec de nombreux prêts issus de collections particulières.
Une large place est naturellement faite à au nu féminin et au paysage, thèmes de prédilection de Camoin.
L’accrochage est construit pour permettre une circulation du regard à travers les œuvres et apprécier les multiples échos entre les toiles de Camoin et celle de ses amis peintres.
Le parcours est ponctué d’œuvres graphiques qui éclairent avec à propos le discours et renforcent les conversations entre œuvres et artistes.
L’ensemble est servi par un éclairage particulièrement bien maîtrisé et par une scénographie remarquable de Camargo & Saluce.
Jean-Paul Camargo nous à confier avoir choisi « de traiter de découpage de l’espace, et de l’accrochage, non pas en créant un ensemble de volumes rajoutés, mais en créant du volume par le travail de la couleur et de l’application de zones peintes. […]
Les touches de couleur fonctionnent comme des feuilles qui se plaquent contre les murs en épousant l’architecture, marquant les angles, par exemple. La couleur rythme ainsi l’espace et indique les changements de sections. Le choix des teintes a été guidé le thème et la palette chromatique des tableaux présentés. […]
Les textes de section sont disposés sur des plexis translucides qui donnent du relief aux panneaux de section, de manière à créer un peu de volume par endroit. La couleur est toujours visible sous les textes et produit un effet de lumière diffuse, manière aussi de souligner la connivence avec le titre de l’exposition. Ces panneaux sont toujours disposés à cheval entre la couleur et le mur blanc».
Pour Jean-Paul Camargo: « Le choix de cette présentation participe pleinement à l’effet de lumière et de couleur qui guide le visiteur dans l’exposition. Il définit également un parti pris esthétique, moderne et inattendu que l’éclairage vient souligner de façon subtile ».
Les textes de salle sont clairs et précis. En français et en anglais, ils permettent sans difficulté au visiteur de comprendre le propos de l’exposition, d’apprécier le travail de Camoin et de ses amis et de saisir l’importante de sa relation avec Cézanne. Ils sont accompagnés de quelques citations rythment le parcours.
Certaines œuvres bénéficient de cartels enrichis (uniquement en français). Une vingtaine de tableaux sont commentés dans un audioguide en français, anglais, allemand, italien, espagnol et japonais. Un audiioguide « enfant » est proposé en français et en anglais ainsi qu’un livret-jeux.
Le catalogue est une co-édition Les Editions Liénart – Ville d’Aix-en-Provence, sous la direction de Claudine Grammont. L’article de Bruno Ely documente la relation de Camoin avec Cézanne et la situe dans le contexte aixois. Nicholas-Henri Zmelty revient sur la production de Camoin avant la guerre de 14-18 et sur ses relations amicales avec Manguin, Marquet et Matisse . Véronique Serrano s’intéresse à Camoin et la Méditerranée et plus particulièrement à sa production à Saint-Tropez et sur la Côte d’Azur, ente les deux guerres. Enfin, L’article de Claudine Grammont analyse la « visite à Cézanne », celle de Camoin, mais aussi les relations de Bernard, Denis ou encoure Gasquet avec le maître d’Aix. L’ouvrage reproduit les lettres de Cézanne à Camoin et les œuvres exposées.
Commissariat : Claudine Grammont, historienne d’art et Bruno Ely, conservateur en chef, directeur du musée Granet
Camoin dans sa lumière est sans aucun doute une des expositions estivales qui est incontournable.
La qualité des œuvres présentées, la cohérence et la clarté du propos et une mise en espace très réussie imposent un passage par le musée Granet.
Un compte rendu de visite complétera prochainement cette chronique.
À ci-dessous un texte d’introduction de Bruno Ely, conservateur en chef du musée Granet
En savoir plus :
Sur le site du musée Granet
Sur le site Charles Camoin
Camoin dans sa lumière :
« Écoutez un peu, nous sommes deux peintres… »
Des tableaux et dessins inédits, les chefs-d’oeuvre de l’artiste ainsi que des mises en parallèle avec ses amis peintres, et non des moindres, la présentation pour la première fois de l’intégralité de la correspondance de Camoin avec Cézanne entre 1902 et 1906, font de cette exposition une manière originale d’aborder l’oeuvre de ce peintre encore trop méconnu. Cette exposition s’inscrit aussi délibérément dans la programmation du musée Granet depuis sa réouverture en 2006, mettant en évidence non seulement la figure tutélaire de Cézanne mais aussi son rôle dans la révélation de la modernité et la naissance de l’art moderne. Elle fait naturellement suite à ces événements majeurs pour le musée qu’ont été les expositions Cézanne en Provence en 2006, Picasso Cézanne en 2009, Le Grand Atelier du Midi en 2013 pour la capitale européenne de la culture, mais encore la présentation, permanente aujourd’hui, de la collection Jean et Suzanne Planque avec La Leçon de Cézanne en 2011 ou La collection Henry Pearlman Cézanne et la modernité en 2014.
De fait, le Midi sera une source constante d’inspiration et si la Côte d’Azur et Saint- Tropez particulièrement l’emportent dans ses choix de motifs, Camoin reviendra régulièrement à Aix, dans la lumière de Cézanne comme une confirmation sans cesse renouvelée de ce baptême qu’il avait reçu, cette onction originelle du Maître d’Aix. Le musée Granet pouvait-il donc omettre de consacrer une exposition à Charles Camoin que son histoire devait ramener régulièrement à Aix-en-Provence, lui qui écrivait en 1955, à soixante-quinze ans passés : « L’Italie, la patrie des grandissimes de la peinture. A part Cézanne, on n’a pas fait mieux après eux. » Et pourtant, que ce souvenir était lointain, quand, à l’âge du service militaire, il était arrivé dans la patrie de Cézanne et avait eu le culot de rendre visite au vieux maître retiré dans sa ville natale.
Presque vingt ans après l’exposition, Charles Camoin, rétrospective, 1879-1965, au musée Cantini à Marseille, il n’était, en effet, pas inutile d’insister sur cette relation essentielle avec Cézanne pour sa carrière de peintre et sa vie d’homme et resituer son œuvre dans le contexte d’amitiés artistiques majeures avec Manguin, Marquet et bien entendu Matisse. Le 2 décembre 1905, Camoin, confiait à ce dernier : « Suis allé voir le Père Cézanne ; […] Il était déjà sur le motif. […] » mais, surtout, insistait sur ce rapport de confiance avec le vieux maître, qui lui disait : « écoutez un peu – nous sommes deux peintres, eh bien nous pouvons parler simplement […] ». Cette relation privilégiée sera un des fondements de sa carrière, de ce genre d’expérience ressemblant à un chemin de Damas pour ce jeune artiste, né en 1879 à Marseille.
Si, comme Cézanne l’écrira, « je suis impénétrable », inextricable mélange de tendances opposées et paradoxales, Camoin cultivera sa vie durant à la fois le culte de ce maître qu’il s’était choisi, le citant à l’envie, mais développant, selon la recommandation cézannienne, d’être toujours lui-même et vrai dans son art, d’être un « peintre d’instinct » selon la formule de Dunoyer de Segonzac. La production de Camoin s’étend de 1898 à 1964, avec plus de 2.000 peintures en presque soixante-dix ans de création. De nombreuses périodes de doutes et de destructions de ses oeuvres témoignent d’un tempérament inquiet qui le rapprochent encore de Cézanne à propos duquel Picasso disait justement, que ce qui l’intéressait chez le Maître d’Aix c’était « l’inquiétude de l’homme ».
Camoin reste sans doute le plus « impressionniste des Fauves » en tout cas, celui qui réalisera le mieux la synthèse entre l’Impressionnisme, avec l’influence directe de Renoir (en 1918) et le Fauvisme auquel il appartient avec ses amis si chers : Manguin, Marquet et Matisse.
Si le nu féminin est un thème de prédilection de Camoin des années fauves à ses derniers moments, celui des Baigneuses, suprêmes souvenirs de Cézanne et de Renoir, revient en force à la fin de sa vie. La fusion des corps dans l’immense nature, telle que la cherchait Cézanne, Camoin y fait référence dans la composition d’une voûte arborée protégeant les figures, dans la lumière bleutée cézannienne qu’il évoque dans ces mêmes ultimes années : « L’atmosphère est de cobalt, toutes les couleurs en sont imprégnées pour créer l’espace dans lequel viennent respirer les formes. »
Les Grandes Baigneuses de Cézanne vaudront d’ailleurs à Camoin sa dernière grande colère d’artiste et de peintre français en apprenant que le ministère Malraux a laissé sortir de France la dernière version des trois tableaux testaments de Cézanne, achetée par la National Gallery de Londres. Malade, il écrit à un ami en janvier 1965 : « Par-dessus toutes ces misères, j’ai été aussi très affecté par la criminelle incurie de M…, spoliant de son seul gré (notre) patrimoine culturel d’un irremplaçable chaînon de l’art français. Une oeuvre nettement inspirée du Poussin, tout imprégnée de la richesse romantique d’un Delacroix et ramenant l’Impressionnisme dans la grande tradition… Cela ne devait pas être pour un musée français. Vendu aux Anglais qui ont pu annoncer cela aux Communes comme une grande victoire ! Quelle honte pour nous, pour notre grandeur de crétins ! »
Bruno Ely
Conservateur en chef du musée Granet
Bonjour,
Quel dommage que je n’ai pu voir ces oeuvres… Prévenue trop tardivement… Les newsletter arrivent trop tard .
Magnifique hommage à cet homme Monsieur Camoin. Je voulais voir ses marines pour m’inspirer.. je voulais acheter un de ces livres mémoire ..déception humble. Merci pour vous. Meilleures salutations. Chantal