Cette proposition de Zanele Muholi s’inscrit dans l’exposition « Systematically Open ? Nouvelles formes de production de l’image contemporaine » présentée par la Fondation LUMA Arles pour la réouverture de La Mécanique Générale, au Parc des Ateliers.
Avec Walead Beshty, Elad Lassry et Collier Schorr, elle répond à une invitation du Core Group de LUMA Arles (Tom Eccles, Liam Gillick, Hans Ulrich Obrist, Philippe Parreno et Beatrix Ruf) dans le cadre d’un appel à projet qui devait aborder « la relation entre l’image photographique et ses modes d’exposition et de présentation (…) pour offrir une expérience inédite de l’image comme reproduction ». Comme les trois autres artistes sélectionnés, Zanele Muholi propose un projet curatorial dans la scénographie imaginée par Philippe Rahm pour le bâtiment rénové et agrandi par Selldorf Architects.
À propos de cette scénographie et de l’ensemble de « Systematically Open ? », on pourra lire la chronique « Systematically Open ? Une exposition proposée par la Fondation LUMA Arles » sur « En revenant de l’expo ! ».
L’exposition « Somnyama Ngonyama » de Zanele Muholi exploite à merveille les espaces et les variations lumineuses du projet scénographique de Philippe Rahm.
L’artiste propose un accrochage très réussi qui attire irrésistiblement l’œil du visiteur. Le temps et l’attention accordés à la visite de « Somnyama Ngonyama », les commentaires élogieux montrent l’intérêt du public et le succès de cette exposition, une des plus réussies de ces 47ème Rencontres de la Photographie.
À la fois modèle, photographe et commissaire de son exposition, Zanele Muholi présente une série d’autoportraits commencés il y a quelques années et réalisés au fil de ses déplacements de New York à Florence en passant par Nottingham, Oslo, Liverpool, Detroit… et plus rarement chez elle, à Johannesburg.
Sur la première cimaise à gauche, après un portrait (« Sibusiso », Cagliari, Sardaigne, Italie, 2015) où elle est coiffée d’un tabouret, Zanele Muholi indique, dans un texte d’introduction, les enjeux de cette série :
« Dans la série « Somnyama Ngonyama », je choisis de pointer l’objectif de la caméra vers moi-même. Contrairement au projet de documentation des membres de la communauté LGBTI noire en Afrique du Sud et au-delà, que je réalise depuis longue date et dans le cadre duquel j’ai généralement le privilège de photographier les participants selon l’image qu’ils ont d’eux-mêmes, je crée dans ce nouveau travail des portraits dans lesquels j’interviens à la fois en tant que sujet et auteur des images.
« Somnyama Ngonyama » (ce qui signifie «Salut à toi lionne noire») est mon approche résolument personnelle, en tant qu’activiste, d’affronter la politique des questions de race et l’utilisation de pigments dans les photographies d’archive. C’est une déclaration d’auto-présentation par le biais du portrait. La série toute entière se rapporte aussi au concept du MaID («Mon identité») ou, lu différemment, «maid», le nom courant et dégradant donné à toutes les domestiques noires en Afrique du Sud. En expérimentant avec différents personnages et archétypes, je me suis représentée de façon très stylisée au moyen du langage performatif et expressif du théâtre. Le visage noir et ses détails deviennent le centre d’attention, forçant le spectateur à s’interroger sur son désir, en contemplant des images noircies de ma personne.
La variété visuelle dépeinte dans cette série renvoie à l’histoire de la photographie de mode et à l’art du portrait en noir et blanc. Chaque photo saisie dans cette série est le commentaire d’un événement particulier de l’histoire politique de l’Afrique du Sud, en commençant par les débuts des explotations minières et la célébrité ou plutôt l’infamie de la «Madone noire», en passant par le massacre des mineurs à Marikana, des moments importants qui vont de la famille à la société et inversement.
(…) Avec «Somnyama Ngonyaina», je me suis embarquée dans un voyage déroutant d’autodéfinition, repensant la culture du selfie, de l’autoreprésentation et de l’auto-expression. J’ai étudié comment les photographes questionnent et traitent le corps comme matériau ou le combinent à des objets pour esthétiser davantage l’identité noire. La préoccupation qui ne me quitte jamais est celle de savoir si les photographes sont capables de se regarder, de s’interroger sur leur place dans notre société, et de conserver leur rôle par la suite ».
Quatre galeries de photographies, un espace de projection et un mur d’expression s’ouvrent en éventail, devant le visiteur. Aucun parcours n’est imposé au visiteur, libre de déambuler comme il le souhaite.
Dans une vitrine, face à l’exposition, sont rassemblés les accessoires, utilisés par la photographe pour cette série.
Toutes les galeries débutent avec de grandes impressions sur papier dos bleu qui couvrent toute la hauteur des cimaises.
Au bout de ces « couloirs » en entonnoir, l’œil est attiré par d’autres portraits en wallpaper qui tapissent le fond de l’espace.
Sur les cimaises, Zanele Muholi a construit un accrochage très rythmé, proposant avec beaucoup de soin et d’à-propos des rapprochements significatifs et pertinents.
Tous les tirages sont des impressions jet d’encre sur papier pur coton qui sont présentés sans aucune protection. Assurant un excellent confort au regardeur, ce choix permet de valoriser au mieux le travail de l’artiste et d’exploiter tout le potentiel de l’espace scénographique conçu par Philippe Rahm.
La deuxième galerie à gauche ouvre avec deux grandes impressions sur dos bleu et ménage un espace de lecture où le visiteur peu consulter « Répondre à l’appel de la lionne noire », une analyse bien documentée de « Somnyama Ngonyama » par Neelika Jayawardane, universitaire et collaboratrice du magazine en ligne « Africa is a Country ».
À droite de l’espace d’exposition, face au parvis devant la Mécanique Générale, Zanele Muholi affirme, sur un mur d’expression, son engagement contre les racismes et son soutien aux communautés LGBTI.
L’espace vidéo reprend la logique d’accrochage imaginées pour les galeries photo avec une grande vidéoprojection qui en tapisse le fond.
Au-delà de la puissance des images de Zanele Muholi et de la qualité de son accrochage on peut s’interroger sur la manière dont l’exposition répond aux questions posées par « Systematically Open ? » et le Core Group Luma Arles.
Certes, on peut voir dans engagement de l’artiste et la manière elle utilise son propre corps une nouvelle manière d’envisager la photographie politique…
Mais on reste plus dubitatif sur le fait que cette exposition interroge les « nouvelles formes de production de l’image, ses modes d’exposition et de présentation »… ou qu’elle offre « une expérience inédite de l’image comme reproduction ».
Rappelons que cette série a été présentée l’hiver dernier par les deux galeries qui représentent Zanele Muholi, la Stevenson Gallery de Johannesburg et la Yancey Richardson Gallery de New York.
Au-delà de ces interrogations, « Somnyama Ngonyama » de Zanele Muholi est une grande réussite, un moment fort de ces Rencontres de la Photographie 2016. L’exposition reporte un succès évident auprès du public et de la critique.
À ne pas manquer !
En savoir plus :
Sur le site des Rencontres de la Photographie
Sur le site de la Fondation LUMA Arles
Sur la page Facebook de la Fondation LUMA Arles
Zanele Muholi sur le site de la Stevenson Gallery et sur le site de Yancey Richardson Gallery