Pour la réouverture de La Mécanique Générale, au Parc des Ateliers, la Fondation LUMA Arles présente une exposition dont le titre « Systematically Open ? Nouvelles formes de production de l’image contemporaine » suggère d’évidentes ambitions.
Ambitions confirmées par un dossier de presse qui annonçait : « La manifestation abordera la relation entre l’image photographique et ses modes d’exposition et de présentation, tout en puisant dans la pensée avant-gardiste, politique et critique de la production esthétique pour offrir une expérience inédite de l’image comme reproduction ».
L’exposition inaugure La Mécanique Générale, une structure de 4 500 m² qui abrite des espaces d’exposition et des ateliers de production artistique. L’ancien Atelier de Mécanique a été rénové et agrandi par Selldorf Architects, auxquels on doit le réaménagement, en 2014, de l’ancienne fonderie, sur le Parc des Ateliers.
Pour « Systematically Open ? », le Core Group de LUMA Arles (Tom Eccles, Liam Gillick, Hans Ulrich Obrist, Philippe Parreno et Beatrix Ruf) a retenu un projet d’aménagement scénographique proposé par l’architecte suisse Philippe Rahm. Celui-ci, intitulé « Luminance » s’appuie sur « les valeurs d’intensité lumineuse émises et réfléchies » par l’architecture industrielle du XIXème siècle et par les nouveaux éléments ajoutés par Selldorf Architects.
Parallèlement, le Core Group a lancé un appel à candidatures pour la production d’une exposition qui devait interroger les nouvelles formes de production et de présentation de l’image photographique contemporaine et répondre aux ambitions ainsi exprimées :
« Reprenant à son compte la longue histoire de la présentation théorique et spatiale des images par les musées et autres institutions, « Systematically Open ? » renvoie à différentes
pratiques d’exposition telles que les installations photographiques immersives d’El Lissitzky à la
fin des années 1920 ; la juxtaposition encyclopédique de photos scientifiques, publicitaire et
autres qui fut proposée par l’Independent Group dans son exposition d’avant-garde intitulée
« Parallel of Life and Art », en 1953 ; la série d’expositions photographiques marquantes (au
premier rang desquelles « The Family of Man » d’Edward Steichen) présentées au Museum of
Modern Art de New York tout au long des années 1950 ».
Pour « Systematically Open ? Nouvelles formes de production de l’image contemporaine », quatre artistes ont été sélectionnés : Walead Beshty, Elad Lassry, Zanele Muholi et Collier Schorr, chacun devant proposer un projet curatorial dans la scénographie de Philippe Rahm.
Luminance, scénographie de Philippe Rahm
Philippe Rahm présente son projet comme un travail « sur les valeurs d’intensité lumineuse émises et réfléchies, de penser l’arrière-fond des œuvres d’art comme la médiation de luminosités, la production d’espaces aux valeurs d’intensité lumineuse différenciées, entre le plus sombre et le plus lumineux ».
Son équipe (Irène D’Agostino, Alejandro Falcón et Yunya Hung) a commencé par réaliser une cartographie de l’intensité lumineuse solaire pénétrant dans le bâtiment par les fenêtres et lanterneaux, entre juillet et septembre. Cette étude a permis de définir quatre zones majeures que Philippe Rahm définit comme quatre climats lumineux différents « naturellement existant, selon une gradation allant du plus lumineux, à 100 % d’insolation solaire incidente (climat estival ou équatorial), au moins clair, à 66 % d’insolation solaire incidente (climat printanier ou méditerranéen), au moins sombre, à 33 % d’insolation solaire incidente (climat automnal ou continental), au plus sombre, à 0 % d’insolation solaire incidente (climat hivernal ou polaire) ».
Ensuite, l’idée a été de réfléchir ou d’absorber la lumière provenant des lanterneaux pour mieux la répartir dans l’espace « en atténuer les ombres et les effets dramatiques verticaux, en la réfléchissant ou en l’absorbant sur le sol et les cimaises, dont les valeurs de couleurs qui les recouvreront iront du blanc dans les zones les lumineuses (climat équatorial), au gris clair dans les zones un peu moins lumineuses (climat méditerranéen), au gris foncé dans les zones plus sombres (climat continental) au noir dans les zones très sombres (climat polaire) ».
Pour produire l’espace scénographique, Philippe Rahm a imaginé de couvrir le sol, en suivant les lignes d’insolation naturelle, de différentes valeurs (blanc, gris clair, gris foncé et noir), et d’accentuer ainsi la lumière en la réfléchissant complètement, partiellement, très légèrement ou pas du tout. Les cimaises de chacun des « climats » sont peintes des mêmes valeurs et sont positionnées en fonction des zones d’insolation définies.
Considérant les impératifs de conservation préventive, ces espaces, que l’architecte définit comme des « paysages naturels », sont à la disposition des commissaires, pour y placer les œuvres selon leur projet curatorial.
L’espace scénographique que propose Philippe Rahm est particulièrement réussi. Original, utilisant le potentiel du bâtiment, attentif à la conservation des œuvres et au confort du visiteur, « Luminance » rompt avec la hégémonie souvent ennuyeuse du White Cube. Multipliant les perspectives, il semble offrir de multiples options aux commissaires. On suppose que le dispositif survivra à cette exposition inaugurale et on attend avec intérêt les usages qui en seront faits.
Si les aménagements de Selldorf Architects et la scénographie de Philippe Rahm sont très réussis, l’exposition laisse assez perplexe. On saisit assez mal la cohérence de l’ensemble. On perçoit plutôt l’exposition comme la juxtaposition de quatre propositions sans relations très évidentes. Et surtout, on comprend mal comment ces quatre projets réunis ou séparés répondent à la définition du projet annoncé…
« Somnyama Ngonyama » de Zanele Muholi
L’exposition « Somnyama Ngonyama » de Zanele Muholi est de loin le projet le plus réussi. L’accrochage utilise avec pertinence les espaces et les variations lumineuses proposés par la scénographie de Philippe Rahm. Le temps et l’attention accordés à la visite, les commentaires élogieux montrent l’intérêt du public et le succès de cette exposition, une des plus abouties de ces 47ème Rencontres de la Photographie. Une chronique particulière est consacrée à cette remarquable proposition.
Au-delà de la puissance des images de Zanele Muholi et de la qualité de son accrochage on peut s’interroger sur la manière dont l’exposition répond aux questions posées par « Systematically Open ? » et le Core Group Luma Arles. Certes, on peut voir dans engagement de l’artiste et la manière dont elle utilise son propre corps une nouvelle manière d’envisager la photographie politique… Mais en quoi l’exposition interroge-t-elle les nouvelles formes de production de l’image, ses modes d’exposition et de présentation ?
« Shutters, Frames, Collections, Repetition » de Collier Schorr
« Shutters, Frames, Collections, Repetition » de Collier Schorr occupe un espace similaire et fait écho à l’exposition de Zanele Muholi. Le projet repose sur un dialogue collaboratif entre les photographes Collier Schorr et Anne Collier. L’accrochage rapproche des gros plans et des portraits où le nu est souvent présent. On remarque plusieurs photographies où la présence de l’appareil photo semble interroger le visiteur sur « ce que c’est que de regarder et d’être regardé »… Faut-il y voir, comme le souligne le texte de présentation, « un nouveau dialogue possible entre le nu et l’appareil photo » ?
Si les images sont souvent remarquables, le propos semble s’évaporer dans un accrochage incertain et assez énigmatique. Toutefois, certains rapprochements sont fulgurants et particulièrement judicieux et/ou dérangeants.
Malheureusement, « Shutters, Frames, Collections, Repetition » exploite peu le potentiel de la scénographie de Philippe Rahm. L’utilisation de protections en verre, dont on doute qu’il soit anti-reflets, est particulièrement catastrophique. Trop souvent, il faut se contorsionner pour ne pas se voir dans les tirages et tenter d’éliminer les multiples reflets des images accrochés sur la cimaise en face.
On reste dubitatif devant une telle présentation et la comparaison avec l’exposition de Zanele Muholi laisse pantois. Ces tirages nécessitent-ils une telle protection ? Si oui, pourquoi les avoir accrochés dans cet espace ? Les projecteurs qui complètent la lumière naturelle ne peuvent-ils pas éliminer en grande partie ces reflets insupportables ? Était-il impossible de réaliser des tirages sur d’autres support ?
Par ailleurs, on comprend assez mal, ici aussi, comment l’exposition présentée par Collier Schorr répond au propos défini par le Core Group Luma Arles pour « Systematically Open ? »
« Untitled » par Elad Lassry
« Untitled », le projet présenté par Elad Lassry est déconcertant. Les clichés d’interventions dentaires et de très gros plans de dents et de gencives, alignés sur les cimaises de la Mécanique Générale, laissent au mieux le public indifférent et au pire semblent avoir un effet « repoussant »…
On reste très perplexe sur l’intérêt d’« examiner comment les qualités visuelles de l’imagerie médicale évoluent en fonction de leur contexte » ou de s’interroger sur les raisons historiques qui font que « la photographie clinique a été limitée aux mêmes principes optiques que pour n’importe quelle photographie : il est impossible d’examiner le corps sans en éclairer les contours et les cavités »…
« Picture Industry » de Walead Beshty
« Picture Industry » de Walead Beshty est peut être l’exposition qui tente de répondre réellement aux interrogations de « Systematically Open ? ». Ce projet a pour ambition d’interroger « la manière dont les images ont été diffusées depuis l’apparition de la photographie au 19ème siècle, au travers d’une série de photographies, de projections de diapositives, de journaux, de films et d’installations vidéo »… Son objectif est de montrer « que le sens d’une image dérive tout autant de son type de diffusion que de sa forme matérielle ».
L’accrochage est audacieux. Il multiplie les confrontations hardies qui interrogent, interpellent et parfois provoquent le visiteur. L’organisation semble suivre une certaine logique chronologique et le thème du rapport au travail semble assez récurent… Par certains aspects, « Picture Industry » pourrait évoquer « The Family of Man » d’Edward Steichen…
Malheureusement, le propos de cette exposition collective se dilue dans la multitude des propositions exposées. L’articulation et le sens de l’ensemble finit par échapper. Le regard se disperse et il est impossible d’accorder à chaque œuvre le temps et l’attention qu’elle mériterait. Le discours s’enlise et peu à peu la lassitude finit par se manifester…
C’est regrettable car l’ambition de « Picture Industry » semblait à la hauteur des enjeux de « Systematically Open ? ». Toutefois, nombreuses sont les œuvres ou les documents rassemblés par Walead Beshty qui méritent un regard attentif.
En savoir plus :
Sur le site des Rencontres de la Photographie
Sur le site de la Fondation LUMA Arles
Sur la page Facebook de la Fondation LUMA Arles
Zanele Muholi sur le site de la Stevenson Gallery et sur le site de Yancey Richardson Gallery
Collier Schorr sur le site de la 303 Gallery
Elad Lassry sur le site du White Cube et sur le site de la 303 Gallery
Walead Beshty sur le site de la Thomas Dane Gallery
Sur le site de Selldorf Architects
Sur la page Facebook de Philippe Rahm architecte