« Mers, Terres et Corps traversés » à La Traverse – Marseille


Avec : Malala Andrialavidrazana, Francis Alÿs, Shivanjani Lal, Louisa Marajo, Tuly Mekondjo, Otobong Nkanga, Jean-Paul Thibeau sous un commissariat de Cécile Bourne-Farrell.


Jusqu’au 21 mai 2023, Catherine Bastide accueille, dans l’espace galerie de La Traverse, « Mers, Terres et Corps traversés », une intéressante proposition de Cécile Bourne-Farrell où elle réunit des œuvres des sept artistes autour de « la question du déplacement des personnes et des biens suite aux conflits, mais aussi aux désastres écologiques que subissent les populations ».

Choisies avec minutie, les pièces de Malala Andrialavidrazana, Francis Alÿs, Shivanjani Lal, Louisa Marajo, Tuly Mekondjo, Otobong Nkanga, Jean-Paul Thibeau sont accrochées avec rigueur et précision en fonction des espaces singuliers de La Traverse.

Au centre de la salle principale, face à l’originale cuisine en béton conçue par Régis Jocteur Monrozier, Jean-Paul Thibeau a installé Méta-radeau de la Traverse, un dispositif créé pour l’occasion.

Jean-Paul Thibeau - Méta-radeau de la Traverse, 2023 - « Mers, Terres et Corps traversés » à La Traverse - Marseille Photo ®jcLett
Jean-Paul Thibeau – Méta-radeau de la Traverse, 2023 – « Mers, Terres et Corps traversés » à La Traverse – Marseille Photo ®jcLett

Plusieurs plateaux sont superposés et séparés par des boîtes de conserve dont d’inévitables boîtes de thon ou de sardines. L’ensemble monté sur roulettes chevauche des cannes de bambou. Des pommes de terre, certaines en kaolin, en pierre et peut-être en bois, sont présentées pour la plupart sur ce Méta-radeau de la Traverse

Jean-Paul Thibeau - Méta-radeau de la Traverse, 2023 - « Mers, Terres et Corps traversés » à La Traverse - Marseille Photo ®jcLett
Jean-Paul Thibeau – Méta-radeau de la Traverse, 2023 – « Mers, Terres et Corps traversés » à La Traverse – Marseille Photo ®jcLett

Celles et ceux qui connaissent le travail de Jean-Paul Thibeau retrouveront ici un des chantiers de méta-activités laissées en suspens et qui attendent d’être réactivées, modifiées selon les circonstances. Ils/elles constateront que les pommes de terre continuent d’être des acteurs essentiels de ses « Méta-activités ». Certaines se souviennent sans doute de sa participation aux 25 ans d’Art-cade, Galerie des grands bains-douches de la plaine avec son installation Potatoes cult / méta-activité et ses je-ne-sais-quoi (Marseille) et sa lecture performée « Adresse aux pommes de terre en parler marteau »…

Pour « Mers, Terres et Corps traversés », son Méta-radeau est à la fois «objet d’expérimentation, objet de procession, objet plateau. Il est également un promontoire-praticable qui permet différentes activités »

Un déjeuner intitulé « la pomme de terre dans tous ses états ! », une proposition de sofoodso good de l’artiste avec Céile Cau, a été suivi de Méta-Ikébana, une performance de Jean-Paul Thibeau le 7 mai.

Sur la droite, entre les deux portes-fenêtres qui ouvrent sur le patio, Cécile Bourne-Farrell a choisi d’accrocher une étude pour Alterscape stories : Uprooting the Past (2006) de Otobong Nkanga provenant d’une collection privée londonienne.

Les trois photographies ont été réalisées à partir d’une maquette faite de papier sculpté et de divers matériaux (bois, sable, découpes photographiques, argile, verre…). Ce paysage d’environ 350 cm de large sur 200 cm de profondeur et 65 cm de haut permettait à l’artiste d’être dans la sculpture et de produire une performance. Sa silhouette sur fond blanc était une « représentation de l’homme dans l’environnement, un créateur/destructeur » qui, tout en dominant un paysage, en manipulait les éléments à sa guise. Une fois la performance photographiée, la sculpture a été détruite.

Otobong Nkanga - Alterscape stories, Uprooting the Past, 2006 « Mers, Terres et Corps traversés » à La Traverse - Marseille Photo ®jcLett
Otobong Nkanga – Alterscape stories, Uprooting the Past, 2006 « Mers, Terres et Corps traversés » à La Traverse – Marseille Photo ®jcLett

Alterscape stories : Uprooting the Past et avec le diptyque Alterscape stories : Spilling Waste une des deux œuvres photographiques deAlterscape stories (2006). Elle évoque l’effacement du passé, l’installation du présent et la manière dont ces actions modifient le paysage. L’œuvre a été réalisée sous la forme d’un triptyque qui correspond à trois temporalités : le passé, le présent et le futur possible.
L’image de gauche concerne le passé. La nature évolue sans l’influence de l’homme. Le paysage est formé par une éruption volcanique, un processus naturel de transformation.
La photographie au centre montre l’implication de l’homme qui détruit une maison en ruine. Ce sont les vestiges du quartier des serviteurs d’une ancienne demeure seigneuriale du XVIIe siècle, La Casa del Coronels, à Fuerteventura dans l’archipel des Canaries.
L’image de droite fait référence à un futur possible où de grands bâtiments sont installés sans tenir compte de leur effet sur l’environnement. La fumée qui s’échappe de la montagne rappelle l’éventualité d’une éruption qui pourrait tout détruire.

En face, avec Meekulu tu tula omwenyo / Grandmother revive us (2021), Tuli Makondjo rend hommage à sa grand-mère qui, comme beaucoup de femmes Awaambo ont été stérilisées, éliminées ou déplacées en Namibie.

Tuli Makondjo - Meekulu tu tula omwenyo - Grandmother revive us, 2021 « Mers, Terres et Corps traversés » à La Traverse - Marseille Photo ®jcLett
Tuli Makondjo – Meekulu tu tula omwenyo – Grandmother revive us, 2021 « Mers, Terres et Corps traversés » à La Traverse – Marseille Photo ®jcLett

Cette œuvre textile où des photos d’archives transférées sur un assemblage de tissus en soie sont marquées à l’or et brodées de fil de coton est sans doute une des plus puissantes et émouvantes de l’exposition

À sa droite, Louisa Marajo présente Chaos, Souffle (2021) une œuvre captivante où dessins, grattages s’ajoutent à la superposition de plusieurs photographies.

Louisa Marajo - Chaos, Souffle, 2021 - « Mers, Terres et Corps traversés » à La Traverse - Marseille Photo ®jcLett
Louisa Marajo – Chaos, Souffle, 2021 – « Mers, Terres et Corps traversés » à La Traverse – Marseille Photo ®jcLett

Avec ce tirage, comme avec la vidéo J’ai traversé la Mer (2022), l’artiste originaire de Martinique évoque à la fois le désastre écologique de la prolifération des sargasses en colonies flottantes d’algues dans la mer des Caraïbes et le chaos migratoire actuel… « Comment accueillir ce que l’on rejette ? Comment surmonter l’entropie ? »

Louisa Marajo - J’ai traversé la Mer, 2022 - « Mers, Terres et Corps traversés » à La Traverse - Marseille Photo ®jcLett
Louisa Marajo – J’ai traversé la Mer, 2022 – « Mers, Terres et Corps traversés » à La Traverse – Marseille Photo ®jcLett

Face à la cuisine en béton de Régis Jocteur Monrozier, une fascinante fresque de plus de 4 mètres de Malala Andrialavidrazana vient épouser la cage de l’escalier en colimaçon. Rolling Figures 1.0 (2022) est une composition photographique foisonnante construite à partir d’illustrations extraites de billets de banques et de timbres-poste qui renvoient à l’exploitation coloniale…

Malala Andrialavidrazana - Rolling Figures 1.0, 2022 - « Mers, Terres et Corps traversés » à La Traverse - Marseille Photo ®jcLett
Malala Andrialavidrazana – Rolling Figures 1.0, 2022 – « Mers, Terres et Corps traversés » à La Traverse – Marseille Photo ®jcLett

Dans la véranda, face à la vidéo de Louisa Marajo, la commissaire a accroché un collage de Francis Alÿs (Untitled, 2007) qui, écrit-elle, « met en lumière la proximité deux continents séparés par seulement 13 km de mer qui porte dans ses eaux les migrants sur des embarcations de fortune »…

Francis Alÿs - Untitled, 2007 - « Mers, Terres et Corps traversés » à La Traverse - Marseille Photo ®jcLett
Francis Alÿs – Untitled, 2007 – « Mers, Terres et Corps traversés » à La Traverse – Marseille Photo ®jcLett

Trois œuvres de Shivanjani Lal (Lines Across a Horizon – Ba, 2021, I am remembering, 2021 et Paal, 2021) construisent, avec du fil de cerf-volant brodé sur une photographie, une carte et des sacs de sucre, les œuvres les plus énigmatiques de « Mers, Terres et Corps traversés ». L’artiste fidjienne et australienne considère ces paysages temporaires « comme des sites changeants de guérison diasporique, des lieux de transitions au cœur de sa pratique artistique ».

Shivanjani LalLines Across a Horizon – Ba, 2021, I am remembering, 2021 et Paal, 2021 – « Mers, Terres et Corps traversés » à La Traverse – Marseille Photo ®jcLett

À lire, ci-dessous, le texte d’intention de Cécile Bourne-Farrell

Visite sur rendez-vous au +33 (0)6 38 48 21 79 et office@catherinebastide.com

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« Mers, Terres et Corps traversés » : Texte de Cécile Bourne-Farrell

Chacun à leur façon, les œuvres des sept artistes scrupuleusement choisis pour La Traverse, évoquent la question du déplacement des personnes et des biens suite aux conflits mais aussi aux désastres écologiques que subissent les populations. Ces artistes offrent un regard unique, généreux et critique sur les conséquences du capitalisme sauvage et du dérèglement climatique. De la canne à sucre à la pomme de terre, de la construction de barrages à l’exploitation acharnée des sols et des personnes, nombreux sont ceux qui migrent aussi vers de meilleures contrées.

Dans ses compositions photographiques, Malala Andrialavidrazana développe un imaginaire riche, basé sur des illustrations extraites de billets de banques qui renvoient à l’exploitation coloniale. Otobong Nkanga, met en exergue des références à l’environnement mis en péril par la spoliation des terres et l’extraction des personnes autochtones. Jean-Paul Thibeau propose quant à lui de créer d’autres rapports entre art et vie, pour explorer une existence plus pertinente et plus attentive aux relations humaines. La pomme de terre est une denrée à partir de laquelle peuvent se croiser, se relier des récits riches et des expériences inattendues, elle fonctionne comme un médium commun. Shivanjani Lal construit des paysages temporaires qu’elle considère comme des sites changeants de guérison diasporique, des lieux de transitions au cœur de sa pratique artistique. Tuli Makondjo quand à elle rend hommage à sa grand-mère qui, comme beaucoup de femmes Awaambo ont été stérilisées, éliminées ou déplacées en Namibie. Louisa Marajo traverse mers et terres en quête de temporalités différentes qui ravivent par superpositions les flammes toxiques de nos déchets enfouis. Enfin, Francis Alÿs, dans ses collages met en lumière la proximité deux continents séparés par seulement 13km de mer qui porte dans ses eaux les migrants sur des embarcations de fortune.

Selon le portail des migrations, à la fin de 2022, environ 5,9 millions de personnes dans 84 pays et territoires vivent en déplacement à la suite de catastrophes survenues non seulement en 2020, mais également les années précédentes (IDMC, 2021)1. La majorité de la mobilité dans le contexte des changements environnementaux et climatiques y compris les déplacements dus à des catastrophes, se produit à l’intérieur des frontières des pays et contraint les populations à migrer. L’intensification des phénomènes climatiques et l’oppression des peuples les uns sur les autres conduisent au déplacement des personnes qui modifient drastiquement les trajectoires de vies du Soudan à l’Ukraine.

Ce projet Mers, Terres et Corps traversés se déroulera aussi sous le signe de la performance de Jean-Paul Thibeau et de la présentation unique d’œuvres déployées dans cet espace de tous les potentiels d’interactions imaginables.

Cécile Bourne-Farrell.

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