Frédéric Bazille, la jeunesse de l’impressionnisme au musée Fabre, Montpellier

Frédéric Bazille, la jeunesse de l’impressionnisme au musée Fabre - Naissance d’une vocation - de Montpellier à Paris
Frédéric Bazille, la jeunesse de l’impressionnisme au musée Fabre - Naissance d’une vocation - de Montpellier à Paris

L’exposition Frédéric Bazille, la jeunesse de l’impressionnisme, que le musée Fabre présente jusqu’au 16 octobre, est probablement une des plus belles réussites depuis sa réouverture, en 2007 et certainement un événement majeur de l’été 2016, à Montpellier et dans la région.

Frédéric Bazille, la jeunesse de l’impressionnisme au musée Fabre - Naissance d’une vocation - de Montpellier à Paris
Frédéric Bazille, la jeunesse de l’impressionnisme au musée Fabre – Naissance d’une vocation – de Montpellier à Paris

L’exposition est remarquable à plus d’un titre. Bien entendu, il faut souligner l’intérêt de son propos, la cohérence de son parcours, la pertinence de son accrochage et la qualité des dispositifs d’accompagnement à la disposition du public. Mais il faut surtout mettre l’accent sur l’importance du travail scientifique et documentaire qui a accompagné la préparation de cette exposition. L’exceptionnelle richesse du catalogue le démontre.

Le projet et le propos de l’exposition

Les expositions consacrées au peintre montpelliérain sont assez rares. En 1992, le musée Fabre avait présenté « Frédéric Bazille et ses amis impressionnistes », une importante exposition qui avait ensuite été montrée au Brooklyn Art Museum puis à Memphis. En 1994-1995, à Paris et à New York, « Impressionnisme : les origines » consacrait la place de Bazille dans la peinture d’avant-garde des années 1860. Le catalogue raisonné et la correspondance étaient publiés par Michel Schulman, en 1995. Fin 2003, le musée Marmottant exposait une vingtaine de toiles et quelques dessins, profitant de la fermeture de musée Fabre.

Kimberly Jones, Paul Perrin et Michel Hilaire - Frédéric Bazille, la jeunesse de l’impressionnisme au musée Fabre
Kimberly Jones, Paul Perrin et Michel Hilaire – Frédéric Bazille, la jeunesse de l’impressionnisme au musée Fabre

Le projet s’est construit autour d’une collaboration scientifique des trois collections les plus importantes du peintre :  le musée Fabre, à l’initiative du projet, le musée d’Orsay à Paris et la National Gallery of Art à Washington. Il a été porté par un comité scientifique composé de Michel Hilaire, directeur du musée Fabre, Conservateur Général du patrimoine, Paul Perrin, Conservateur des peintures au musée d’Orsay et Kimberly Jones, Associate Curator au département des peintures françaises de la National Gallery of Art de Washington, auxquels se sont joints, à Montpellier, Stanislas Colodiet et Florence Hudowicz, conservateurs au musée Fabre.

Les trois institutions ont partagé leurs recherches récentes. Elles ont engagé une campagne inédite d’examens scientifiques des œuvres avec la participation du Centre de Recherche et de Restauration des Musées de France (C2RMF) et des laboratoires de la National Gallery of Art de Washington. Ces études ont permis de mieux comprendre la méthode de travail de Bazille, ses liens avec Monet ou Renoir et de retrouver la trace de tableaux considérés comme disparus.

Frédéric Bazille, Jeune-fille au piano, 1865-1866. Huile sur toile - 138 x 202 cm Radiographie du tableau Ruth et Booz Photo : Paris, C2RMF
Frédéric Bazille, Jeune-fille au piano, 1865-1866. Huile sur toile – 138 x 202 cm Radiographie du tableau Ruth et Booz Photo : Paris, C2RMF

Avec 46 toiles, sur la soixantaine exécutée par Frédéric Bazille, l’exposition n’est ni une rétrospective ni une monographie. Construite autour de l’œuvre du peintre, elle propose de nombreux contrepoints qui permettent de comprendre le contexte dans lequel il évoluait, le contraste entre le monde artistique parisien et le milieu familial et provincial de Montpellier.

Elle permet de réévaluer son travail et son originalité dans les problèmes qui interrogent la peinture d’avant-garde des années 1860 : la vie moderne, le travail en plein air, le renouvellement des genres traditionnels (portrait, nu, nature morte) …

Les œuvres exposées à Montpellier

L’exposition présente 125 œuvres dont 46 peintures de Bazille, 22 œuvres graphiques et deux albums de dessins (numérisés). À ces œuvres de Bazille sont confrontées 42 toiles d’artistes souvent ses contemporains : ses maîtres (Delacroix, Courbet, Corot, Rousseau), ses amis (Manet, Monet, Renoir, Sisley, Fantin-Latour), mais aussi à des artistes qui lui sont plus rarement associés (Cézanne, Guigou, Scholderer).

L’essentiel de l’œuvre peint de l’artiste est donc présenté à Montpellier, Scène d’été, 1869-1870 qui n’était annoncée qu’à Paris et à Washington a finalement rejoint le musée Fabre début juillet. Plusieurs manuscrits, lettres et documents d’archives complètent cet ensemble.

Le parcours d’exposition et la muséographie

Le parcours s’organise de façon thématique, sans jamais perdre les repères chronologiques indispensables pour apprécier l’évolution du travail de Bazille.
Il s’articule en 12 séquences :

  • Naissance d’une vocation : de Montpellier à Paris
  • Aux côtés de Monet, sur le motif
  • Vies silencieuses
  • Amitiés d’atelier
  • Fleurs
  • Dans la lumière du Sud
  • « Peindre des figures au soleil »
  • Le nu moderne
  • Aux Batignolles
  • Dans le sillage de Manet
  • Nouveaux horizons

Chaque section permet de saisir clairement le contexte dans quel Bazille a évolué.
Pour la description de ce parcours, on revoit aux extraits du dossier de presse reproduits ci-dessous et aux commentaires des commissaires enregistrés lors de la visite de presse.

Frédéric Bazille, la jeunesse de l’impressionnisme au musée Fabre - Peindre des figures au soleil
Frédéric Bazille, la jeunesse de l’impressionnisme au musée Fabre – Peindre des figures au soleil

Dans la salle d’exposition temporaire qui ouvre sur le Hall Buren, les huit premières sections s’organisent autour d’un vaste espace central, éclairé par une lumière naturelle qui tombe depuis la cour Bourdon. Dans cette salle, « Peindre des figures au soleil », sont exposées les toiles réalisées par Bazille au domaine de Méric et en particulier deux œuvres maîtresses La réunion de Famille, 1867-1868 et Vue de Village, 1868.

Les quatre dernières sections occupent la salle Fournier au premier étage du musée.

Frédéric Bazille, la jeunesse de l’impressionnisme au musée Fabre - Aux Batignolles
Frédéric Bazille, la jeunesse de l’impressionnisme au musée Fabre – Aux Batignolles

Le parcours se termine dans les salles voûtées de l’ancien collège des Jésuites, où est habituellement exposée une sélection d’œuvres contemporaines, avec quelques objets qui ont appartenu à Bazille, une évocation de la réception posthume de son œuvre, un salon de lecture et une invitation à poursuivre la visite à l’Hôtel Sabatier d’Espeyran pour découvrir « Montpellier au temps des Bazille ».

Frédéric Bazille, la jeunesse de l’impressionnisme au musée Fabre - 11
Frédéric Bazille, la jeunesse de l’impressionnisme au musée Fabre – 11

La scénographie discrète de Loretta Gaïtis arrange des vues vers et depuis cet espace central, construisant ainsi des perspectives quelquefois intéressantes.

La couleur des cimaises alterne logiquement les tonalités claires ou plus sombres selon la nature des œuvres et le lieu où elles ont été réalisées ou imaginées.

Des ruptures de rythme pertinentes et un accrochage varié, mais toujours très lisible, maintiennent avec habileté l’attention du regardeur.

Frédéric Bazille, la jeunesse de l’impressionnisme au musée Fabre - Amitiés d’atelier
Frédéric Bazille, la jeunesse de l’impressionnisme au musée Fabre – Amitiés d’atelier

Les rapprochements entre les œuvres sont toujours très judicieux, cohérents avec le propos de l’exposition et utiles à sa compréhension. Ces confrontations, nombreuses au début du parcours, se réduisent peu à peu, à mesure que l’œuvre de Bazille s’affirme.

Comme toujours au musée Fabre, l’éclairage est pratiquement sans défaut. Les pointilleux remarqueront quelques rares reflets sur les toiles protégées par des caissons climatiques. Le choix de réutiliser, dans l’espace central de la salle d’exposition temporaire, les ouvertures zénithales sur la cour Bourdon est assez réussi. Les changements de la lumière du jour, selon l’heure et la couverture nuageuse, semblent assez bien corrigés par les projecteurs additionnels.

Les textes de salles ( en français et en anglais) introduisent chaque section. Clairs et pédagogiques, ils offrent au visiteur les clés de lecture essentielles.

Tous les cartels sont enrichis par un texte d’une quinzaine de lignes qui précisent les circonstances dans laquelle l’œuvre a été réalisée et donnent quelques éléments d’analyse. Uniquement en français (seul le titre de l’œuvre est traduit en anglais), ces textes proposent au visiteur un deuxième niveau de lecture. Quelques-uns sont accompagné d’un schéma permettant d’identifier les personnages représentés ( La réunion de Famille, 1867-1868, L’Atelier de la rue de la Condamine, 1869-1870)

Des extraits de la correspondance de Bazille ponctuent le parcours. Ils permettent de saisir le contexte dans il évoluait et de percevoir ce que pouvait être sa vie quotidienne. Plusieurs de ces lettres, ainsi que des carnets de croquis, sont présentés dans un cabinet dédié à l’œuvre graphique, après la section « Peindre des figures au soleil ». Un ensemble de ces lettres de Frédéric Bazille, acquises par le musée Fabre dans les années 1990, est disponible sur le site du musée. Ces fichiers téléchargeables contiennent les facs similés des originaux et leurs transcriptions.

Un guide visite, disponible gratuitement à l’accueil, reproduit l’ensemble des textes de salle, les cartels enrichis d’une vingtaine d’œuvres de Bazille et un plan succinct de l’accrochage pour chaque section.

Il faut saluer cet effort remarquable du musée qui offre ainsi une aide à la visite individuelle complète et pertinente.

À cet accompagnement textuel, il convient d’ajouter un audioguide, un livret-jeux à destination des enfants et disponible gratuitement à l’accueil et une Bazille Box, complément du livret-jeux, avec du matériel ludique adapté à tous les âges.

Enfin, le musée Fabre propose « Sur les pas de Frédéric Bazille », une application géolocalisée pour mobile qui propose une découverte de Montpellier en lien avec la vie du peintre. Disponible gratuitement sur iTunes et Google Play, son contenu se limite à un texte accompagné de quelques images pour chacun des 23 lieux dont l’intérêt est assez inégal et qui souvent ne sont pas ouvert au public.
Les utilisateurs de cette application qui arriveront devant les « méchantes » grilles qui interdisent l’accès à la maison du domaine de Méric seront probablement assez dépités. Toutefois, signalons que l’application avertit l’usager ; Fréquemment, la présentation s’achève par un « Accès privé » aux caractères gras. Ceci réduit notablement l’intérêt de cette application.

À mi-parcours, une table tactile propose un jeu où il faut retrouver Une jeune fille joue du piano et un jeune homme l’écoute, le premier envoi de Bazille au Jury du Salon en 1866. Cette application est l’occasion de présenter un ensemble de documents scientifiques et notamment des radiographies produits par le Centre de Recherche et de Restauration des Musées de France (C2RMF) et les laboratoires de la National Gallery of Art de Washington lors de la préparation de l’exposition.

Catalogue

Le catalogue de l’exposition est publié par le musée d’Orsay et Flammarion. L’ouvrage est réalisé sous la direction de Michel Hilaire et Paul Perrin. Dans un billet précédent, nous avons déjà souligné sa richesse et sa qualité exceptionnelle.

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L’ouvrage est organisé en trois parties.
La première rassemble des analyses et des essais de Michel Hilaire (Le paradis des grandes vacances de Frédéric Bazille), de Paul Perrin (La gloire de Frédéric Bazille commence à peine), de Kimberly A. Jones (Pratique et procédés dans l’œuvre de Frédéric Bazille), de Stanislas Colodiet (Bazille et la nature morte), de François-Bernard Michel (Frédéric Bazille : Claude Monet préféré à Hippocrate) de Jean-Claude Yon (Autoportrait en spectateur. Bazille et les spectacles parisiens d’après sa correspondance) et de Philippe Mariot (Une symphonie inachevée : Frédéric Bazille et la guerre de 1870 ).
La deuxième partie, catalogue des œuvres exposées, est un modèle du genre. Toutes les œuvres de Bazille sont analysées dans une notice signée par un des commissaires et complétée par un historique, la liste des expositions et d’une bibliographie. Pour les œuvres des autres artistes, le catalogue se limite à un cartel complet et à la mention du prêteur.
Les très riches annexes présentent une chronologie illustrée, des cartes de Montpellier de sa région et un plan de Paris avec la localisation des ateliers et lieux de vie de Bazille, des arbres généalogiques, une bibliographie, un index des noms propres et un index des œuvres de Bazille.
Le prix de 45 € pourrait apparaître comme élevé, mais l’ouvrage est exceptionnel. C’est réellement un élément de l’exposition. Il est sans comparaison avec les nombreux catalogues, souvent vendus 35 €, où la reproduction des œuvres exposées ( généralement sans notices) est accompagnée de trois ou quatre essais de quelques feuillets chacun.

En savoir plus :
Sur le site du musée Fabre
Sur la page Facebook du musée Fabre et sur son fil Twitter.
Dossier pédagogique disponible sur le site du Musée Fabre
Lettres de Frédéric Bazille disponibles sur le site du musée Fabre

Commentaires des commissaires enregistrés lors de la visite de presse :

Parcours de l’exposition
(extraits du dossier de presse)

Naissance d’une vocation : de Montpellier à Paris

« Je crains, mon cher père, que tu ne me voies avec déplaisir me livrer tout à fait à la peinture, […]. Tu me reproches de n’avoir pas poussé bien loin les études que j’ai faites jusqu’ici, […]. Quand à la peinture, c’est autre chose, je compte en faire aussi sérieusement que possible, et je m’y attache chaque jour de plus en plus.» (Bazille, lettre à son père, deuxième quinzaine d’avril 1864)

Frédéric Bazille, la jeunesse de l’impressionnisme au musée Fabre - Naissance d’une vocation - de Montpellier à Paris
Frédéric Bazille, la jeunesse de l’impressionnisme au musée Fabre – Naissance d’une vocation – de Montpellier à Paris

La première section s’attache à présenter la figure de Bazille, son milieu familial et le contexte artistique montpelliérain sous le Second Empire. Est notamment évoquée la figure d’Alfred Bruyas, amateur de peinture moderne dont la collection – riche en chefs-d’œuvre de Gustave Courbet ou d’Eugène Delacroix – a influencé le jeune Bazille. Voué d’abord à la médecine, Bazille se forme en parallèle au dessin dans l’atelier des sculpteurs montpelliérains Baussan père et fils. Au musée Fabre, Bazille fait l’apprentissage de la peinture en copiant les maîtres anciens, et notamment les grands coloristes comme Véronèse.

Frédéric Bazille, la jeunesse de l’impressionnisme au musée Fabre - Naissance d’une vocation - de Montpellier à Paris
Frédéric Bazille, la jeunesse de l’impressionnisme au musée Fabre – Naissance d’une vocation – de Montpellier à Paris

À la fin de l’année 1862, Bazille s’installe à Paris. Pour contenter ses parents, il continue de travailler sa médecine, tout en poursuivant sa formation artistique chez le peintre académique suisse Charles Gleyre, dans l’atelier duquel il fait la rencontre de Claude Monet, Pierre Auguste Renoir et Alfred Sisley, qui deviendront ses plus proches amis à Paris. Il réalise des académies d’après des plâtres antiques ou le modèle vivant. Au début de l’été 1864, Bazille décide d’abandonner définitivement ses études de médecine et de devenir pleinement artiste. Il peint son premier grand tableau, le Nu couché, mélange de son enseignement classique chez Gleyre et de l’influence de Courbet et de Manet, afin de montrer à ses parents ses progrès et leur faire accepter cette nouvelle carrière. cette nouvelle carrière.

Aux côtés de Monet, sur le motif

« Je viens ma chère mère de passer une semaine bien agréable. Comme je vous l’avais annoncé, je suis allé passer8 jours au petit village de Chailly près de la forêt de Fontainebleau. J’étais avec mon ami Monet, du Havre, qui est assez fort en paysages, il m’a donné des conseils qui m’ont beaucoup aidé. » (Bazille, lettre à sa mère, 22 avril 1863)

Frédéric Bazille, la jeunesse de l’impressionnisme au musée Fabre - Aux côtés de Monet, sur le motif
Frédéric Bazille, la jeunesse de l’impressionnisme au musée Fabre – Aux côtés de Monet, sur le motif

Aux côtés de Claude Monet, déjà maître de son art et plein d’ambition, et sans doute de Renoir et Sisley, Bazille voyage en forêt de Fontainebleau au printemps 1863. Il y réalise ses premiers paysages, influencé par l’art de Corot et de l’école de Barbizon.

Au printemps suivant, c’est sur la côte normande que Bazille accompagne Monet. À la Ferme Saint-Siméon, à Honfleur, il rencontre Boudin et Jongkind. Si aucun tableau de Bazille n’a été conservé pour ce séjour, certaines toiles que nous a laissées Monet, et que l’on retrouve parfois représentées accrochées aux murs des ateliers que partagent alors les deux amis, sont présentées.

Frédéric Bazille, la jeunesse de l’impressionnisme au musée Fabre - Aux côtés de Monet, sur le motif
Frédéric Bazille, la jeunesse de l’impressionnisme au musée Fabre – Aux côtés de Monet, sur le motif

Quelques mois plus tard, Bazille rejoint Monet à Chailly pour poser pour son monumental Déjeuner sur l’herbe, manifeste de cette nouvelle peinture claire et moderne. Bazille lui-même réalise alors plusieurs paysages dans lesquels se lit l’influence de son ami, mais aussi de Courbet et de la photographie. Sisley ou Renoir peignent également sur le motif, cette même année, de grands paysages.

Frédéric Bazille, Paysage à Chailly, 1865. Huile sur toile. 81 x 100,3 cm. Chicago, The Art Institute of Chicago, Charles H. and Mary F. S. Worcester Collection (1973.64). Photo The Art Institute of Chicago
Frédéric Bazille, Paysage à Chailly, 1865. Huile sur toile. 81 x 100,3 cm. Chicago, The Art Institute of Chicago, Charles H. and Mary F. S. Worcester Collection (1973.64). Photo The Art Institute of Chicago

Blessé accidentellement lors de ce séjour, Monet est alité quelques jours à l’auberge du Lion d’or. Bazille en profite pour faire le portrait de son ami dans un petit tableau, considéré à raison comme l’un de ses premiers chefs-d’œuvre.

Vies silencieuses

Dans une lettre à sa mère en 1866, dans laquelle il lui demande de l’argent afin de payer des modèles, Bazille écrit : « Ne me condamnez pas à la nature morte perpétuelle ». La nature morte ne serait-elle qu’un genre pour artiste sans le sou ? Bazille s’y est régulièrement confronté, pour des raisons financières mais pas seulement. Immobiles, simplement composées, les natures mortes sont souvent l’occasion d’exercices d’observation pure, sans enjeux.

Les natures mortes de poissons et notamment les Poissons de 1866, premier tableau de Bazille à être exposé au Salon, témoigne chez Bazille de l’influence combinée de la tradition hollandaise et des maîtres contemporains du réalisme que sont Bonvin, Vollon ou Manet. Dans d’autres tableaux, se lit le goût de Bazille pour la chasse, qu’il pratique autour de Montpellier, et l’influence des trophées de chasse peints des XVIIe et XVIIIe siècles (Oudry, Chardin), que l’on redécouvre alors.

Amitiés d’atelier

« Depuis ma dernière lettre, il y a du nouveau rue Visconti. Monet m’est tombé du ciel avec une collection de toiles magnifiques qui vont avoir le plus grand succès de l’Exposition. Il couchera avec moi jusqu’à la fin du mois. Avec Renoir, voilà deux peintres besogneux que je loge. C’est une véritable infirmerie. J’en suis enchanté, j’ai assez de place, et ils sont tous les deux forts gais. » (Bazille à sa mère, début mars 1867)

Frédéric Bazille, L'Atelier de la rue de Furstenberg, 1865 - 1866. Huile sur toile H. 0,800 ; L. 0,650 Achat de la Ville avec l'aide du FRAM Languedoc Roussillon, et avec l'obligeance de la famille Marchand-Leenhardt, 1985 Inv. : 85.5.3
Frédéric Bazille, L’Atelier de la rue de Furstenberg, 1865 – 1866. Huile sur toile H. 0,800 ; L. 0,650 Achat de la Ville avec l’aide du FRAM Languedoc Roussillon, et avec l’obligeance de la famille Marchand-Leenhardt, 1985 Inv. : 85.5.3

Dès son arrivée à Paris, Bazille ne cesse de réclamer à ses parents un atelier qui lui soit propre. Entre 1863 et 1870, l’artiste occupe six ateliers à Paris. Trois d’entre eux donnent lieu à de véritables « portraits », qui sont autant des exercices de composition que des manifestes de cette « vie d’artiste » que chérit Bazille. Au mur des ateliers, les œuvres de Monet ou Renoir rappellent la générosité de Bazille qui, jusqu’à sa mort, les hébergea quand ceux-ci en avaient besoin. Des vues d’atelier de Corot, Delacroix, Monet ou Cézanne permettent de questionner plus largement la place particulière de ce sujet dans l’imaginaire de l’époque.

On y lit dans les autoportraits de Bazille l’interrogation de l’artiste sur son propre statut, mais aussi son goût pour l’introspection. Dans l’atelier, les artistes et les amis de passage posent chacun à leur tour. Bazille travaille également d’après des modèles féminins anonymes, qu’il partage avec Renoir.

Frédéric Bazille, Autoportrait à la palette, 1865-1866. Huile sur toile 108,9 x 71,1 cm Chicago, The Art Institute of Chicago, restricted gift of Mr. and Mrs. Frank H. Woods in memory of Mrs. Edward Harris Brewer (1962.336)
Frédéric Bazille, Autoportrait à la palette, 1865-1866. Huile sur toile 108,9 x 71,1 cm Chicago, The Art Institute of Chicago, restricted gift of Mr. and Mrs. Frank H. Woods in memory of Mrs. Edward Harris Brewer (1962.336)

Fleurs

« Je vous annoncerai que j’envoie mon tableau de fleurs à l’exposition de Rouen, il y en a de bien belles en ce moment, malheureusement j’ai tellement à travailler à mes études de dehors que je n’ose pas me mettre à faire des fleurs, et pourtant je voudrais peindre ces belles marguerites. Faites-en donc car c’est, je crois, une excellente chose à peindre » (Lettre de Monet à Bazille, Honfleur, 26 août 1864)

Frédéric Bazille, la jeunesse de l’impressionnisme au musée Fabre - Fleurs
Frédéric Bazille, la jeunesse de l’impressionnisme au musée Fabre – Fleurs

Loin de se résoudre à un genre, Bazille et ses jeunes amis se confrontent à de nombreux sujets divers et variés. Dans les années 1860, la peinture de fleurs connaît un succès étonnant chez les adeptes de la Nouvelle Peinture. En rupture avec la tradition, ils abordent le genre avec un réalisme parfois cru et une mise en scène relativement dépouillée. Courbet en réalise une quinzaine l’année 1862 tandis que Fantin-Latour se spécialise dans ce genre particulièrement apprécié par sa clientèle outre-manche. Monet lui-même s’enthousiasme pour le sujet et empresse Bazille de s’y essayer.

Frédéric Bazille, la jeunesse de l’impressionnisme au musée Fabre - Fleurs
Frédéric Bazille, la jeunesse de l’impressionnisme au musée Fabre – Fleurs

Le sujet ne le laisse pas indifférent, lui qui a pu étudier de nombreuses essences au jardin des plantes de Montpellier qui jouxte la faculté de médecine et surtout à la propriété familiale de Méric. Ce sont justement des fleurs du domaine qu’il représente dans le Vase de fleurs sur une console qu’il offre à sa cousine Pauline des Hours, mariée à Eugène Teulon-Valio avec qui Bazille entretient des relations amicales. Cette composition magistrale témoigne de l’ambivalence de l’artiste par rapport au sujet : en même temps qu’il s’appuie sur une tradition picturale solide (la nature morte d’apparat et les riches compositions florales nordiques du XVIIIe siècle), il se permet de la modernité dans le cadrage de la composition. La peinture de fleurs est pour Bazille l’occasion de s’essayer à des audaces chromatiques somptueuses dans le sillage de Manet.
En 1866, il peint Pots de fleurs, dont les fleurs emballées dans du papier au premier plan sont un clin d’œil à Olympia de Manet. Convaincu par le résultat, il présente le tableau au jury du Salon de 1868 qui accepte la composition.

Frédéric Bazille, Pots de fleurs, 1866. Huile sur toile. 97 x 88 cm. Collection particulière. Photograph Courtesy of Sotheby’s, Inc. © 2004
Frédéric Bazille, Pots de fleurs, 1866. Huile sur toile. 97 x 88 cm. Collection particulière. Photograph Courtesy of Sotheby’s, Inc. © 2004

Dans la lumière du Sud

« Dès que je serai à Montpellier, je compte aller à Aigues-Mortes voir le pays et comment il m’est possible de m’installer. Je voudrais y rester un mois à peu près. J’y ferai une toile assez grande. Après quoi, je commencerai à Méric un grand tableau qui durera tout l’été. Je regrette un peu de partir d’ici sans voir l’exposition générale de Courbet et celle de Manet, mais elles ne seront probablement prêtes qu’à la fin du mois, et je perdrais trop de temps […] Je retournerai encore une fois à l’exposition universelle et puis je m’enfoncerai avec bien plus de plaisir dans le fin fond de la Camargue où je n’entendrai pas parler peinture. » (Bazille à son père, 11 mai 1867)

Frédéric Bazille, Les Remparts d'Aigues-Mortes, du côté du couchant, 1867. Huile sur toile. 60 x 100 cm. Washington, National Gallery of Art, Collection of Mr. and Mrs. Paul Mellon (1985.64.1). © Courtesy National Gallery of Art, Washington
Frédéric Bazille, Les Remparts d’Aigues-Mortes, du côté du couchant, 1867. Huile sur toile. 60 x 100 cm. Washington, National Gallery of Art, Collection of Mr. and Mrs. Paul Mellon (1985.64.1). © Courtesy National Gallery of Art, Washington

La vie de Bazille est fortement structurée autour des deux pôles Paris-Montpellier. D’un côté la trépidante vie parisienne et les amitiés artistiques, de l’autre la propriété familiale de Méric et les paysages du Languedoc. La série des paysages d’Aigues-Mortes, haut lieu de la culture protestante languedocienne, peinte au début de l’été 1867, apparaît comme un moment fort de la courte carrière de Bazille. Confronté à la lumière éblouissante du midi, Bazille, l’exemple de Monet en tête, adopte une palette plus claire et une manière plus libre. Avec cet ensemble, Bazille fait aussi entrer dans la peinture moderne le paysage languedocien, comme le fait au même moment Guigou avec le paysage provençal.

Le projet original mais inachevé des Vendanges permet notamment d’évoquer la place de la vigne dans le milieu familial de Bazille et en Languedoc à cette période-là.

« Peindre des figures au soleil »

« Le grand Bazille a fait une chose que je trouve fort bien : c’est une petite fille en robe très claire, à l’ombre d’un arbre derrière lequel on aperçoit un village : il y a beaucoup de lumière, de soleil, il cherche ce que nous avons si souvent cherché : mettre une figure en plein air ; cette fois, il me paraît avoir réussi. » (Berthe Morisot à sa soeur Edma Pontillon, 5 mai 1869)

Frédéric Bazille, La Vue de village, 1868. Huile sur toile . 137,5 x 85,5 cm. Montpellier, musée Fabre. © Photo Frédéric Jaulmes
Frédéric Bazille, La Vue de village, 1868. Huile sur toile . 137,5 x 85,5 cm. Montpellier, musée Fabre. © Photo Frédéric Jaulmes

Suivant l’exemple de Courbet et de Monet, Bazille, dès 1863, pense à « peindre des figures au soleil ». La représentation des figures modernes dans des paysages observés sur le motif est un des grands sujets de recherche de la période, autour duquel se cristallisent des enjeux multiples (le plein air, le renouvellement du portrait et de la scène de genre…). Cela est notamment visible dans La Robe rose, en 1864, son premier tableau de figure en plein air, et aussi dans son premier portrait d’un membre de sa famille dans le cadre du domaine de Méric, face au village de Castelnau.

 

Pour le Salon de 1867, Bazille peint La Terrasse à Méric, une conversation lumineuse et moderne, refusée par le jury. Monet, Renoir et Bazille, l’année suivante, poursuivent ces recherches sur la figure et le paysage.

La Réunion de famille, préparée par plusieurs dessins, acceptée au Salon de 1868, est l’aboutissement de ces premières années de recherche et le chef-d’œuvre du peintre. Avec ce premier grand portrait de groupe en plein air, Bazille s’inspire mais aussi prend ses distances avec les Femmes au jardin de Monet, autre icône controversée de la période, dont le premier propriétaire n’est autre que Bazille lui-même.

Le nu moderne

« J’ai des migraines presque incessantes, compliquées de toutes sortes de maux. De plus, je suis dans un moment de découragement profond. Je viens de commencer un tableau que je me promettais de faire avec un vif plaisir, voilà que je n’ai pas les modèles qu’il me faudrait. Ça va mal et je ne sais contre qui être furieux. Si je suis forcé de m’arrêter j’arriverai à Paris avec un seul tableau que vous allez peut-être trouver atroce, car je ne sais pas du tout où j’en suis. C’est mes hommes nus. » (Bazille à Edmond Maître, juillet 1869)

Frédéric Bazille - Scène d'été 1869, huile sur toile, 161 x 161 cm - Harvard University Art Museums, Fogg Art Museum, Cambridge
Frédéric Bazille – Scène d’été 1869, huile sur toile, 161 x 161 cm – Harvard University Art Museums, Fogg Art Museum, Cambridge

La représentation du corps nu est au cœur des recherches des artistes réalistes pendant les années 1860. Dans le fil de ses recherches sur les figures modernes en plein air, Bazille, avec Le Pêcheur à l’épervier, ou l’étude de jeune homme nu, immerge harmonieusement – et non sans un certain érotisme – le corps de l’homme dans le paysage. Cabanel, compatriote montpelliérain de Bazille et qui connaît alors la gloire, peint aussi des nus masculins dans la nature, mais il s’agit toujours d’académies étudiées en intérieur pour de plus grands tableaux à sujet historique. À l’inverse des peintres académiques du Second Empire, Bazille choisit de peindre un simple pêcheur anonyme, observé dans la clarté d’un sous-bois.

Frédéric Bazille, la jeunesse de l’impressionnisme au musée Fabre - Le nu moderne
Frédéric Bazille, la jeunesse de l’impressionnisme au musée Fabre – Le nu moderne

Audacieuses, ces peintures comptent parmi les plus personnelles et troublantes de l’œuvre de Bazille et préfigurent l’intérêt de Cézanne, autre artiste méridional, pour le même thème.
Par contraste, le nu féminin de La Toilette, conçu comme le pendant de la Scène d’été – situé en intérieur – apparaît plus convenu, hommage à l’orientalisme de Delacroix et à Olympia de Manet.

Aux Batignolles

Au début de l’année 1868, Frédéric Bazille s’installe au 9 rue de la Paix dans le quartier des Batignolles, alors en pleine mutation. Cette section témoigne de l’intérêt de Bazille pour la vie moderne et de sa passion pour la musique contemporaine.

La Petite Italienne chanteuse des rues est l’unique scène urbaine peinte par l’artiste, étonnante de modernité dans la facture et le sujet. Établi dans un atelier plus spacieux que les précédents, à la mesure de ses ambitions croissantes, Bazille est au cœur de l’avant-garde artistique et littéraire. Il fréquente alors le café Guerbois, où il retrouve entre autres Manet, Degas, Astruc, Cézanne, Duranty, Zola et participe aux nombreux débats qui animent ce haut lieu de rencontre artistique.

Henri Fantin-Latour, Un Atelier aux Batignolles, 1870. Huile sur toile. 204 x 273,5 cm. Paris, musée d'Orsay. Photo (C) RMN-Grand Palais (musée d'Orsay) / Hervé Lewandowski/ Service presse/musée d’Orsay.
Henri Fantin-Latour, Un Atelier aux Batignolles, 1870. Huile sur toile. 204 x 273,5 cm. Paris, musée d’Orsay. Photo (C) RMN-Grand Palais (musée d’Orsay) / Hervé Lewandowski/ Service presse/musée d’Orsay.

Manet, parmi les plus âgés du groupe, est une figure d’autorité dont l’influence sur Bazille est de plus en plus notable. Fantin-Latour le représente au centre, en véritable chef d’école, dans le tableau manifeste Un atelier aux BatignollesBazille, droit et élégant, a le regard concentré sur le poignet du maître.

Frédéric Bazille, L'Atelier de Bazille, 9 rue de la Condamine à Paris, 1869-1870. Huile sur toile. 98 x 128,5 cm. Paris, musée d’Orsay, legs de Marc Bazille, 1924. © Photo (C) RMN-Grand Palais (musée d'Orsay) / Hervé Lewandowski/ Service presse/musée d’Orsay.
Frédéric Bazille, L’Atelier de Bazille, 9 rue de la Condamine à Paris, 1869-1870. Huile sur toile. 98 x 128,5 cm. Paris, musée d’Orsay, legs de Marc Bazille, 1924. © Photo (C) RMN-Grand Palais (musée d’Orsay) / Hervé Lewandowski/ Service presse/musée d’Orsay.

À nouveau, dans L’atelier de la rue La Condamine, c’est Manet qui reçoit l’honneur d’être représenté face au chevalet, le pinceau à la main, par Bazille. Dans cette composition, Bazille, en pleine possession de ses moyens, est représenté entouré de ses amis mais aussi des compositions audacieuses que le groupe soumet alors au jury du Salon, souvent impitoyable à leur égard. Au printemps 1870, Bazille déménage au 8 rue des Beaux-Arts, dans l’immeuble où Fantin-Latour a son atelier, et près du nouvel appartement de son ami Edmond Maître.

Dans le sillage de Manet

À la fin de la carrière de Bazille, l’influence grandissante de Manet remplace peu à peu celle de Monet. L’installation de Bazille dans le quartier des Batignolles en 1868 a certainement rapproché les deux peintres. La figure charismatique de Manet, grand bourgeois parisien et dandy, correspond mieux à celle de Bazille, esprit vif et cultivé. Contrairement à la méthode de Monet reposant sur l’observation pure, l’art de Bazille, comme de Manet, s’oriente vers un mélange de réalisme et de méditation des maîtres anciens. Les deux peintres se rencontrent autour de 1863-1864 dans le Salon des Lejosne, des parents éloignés de Bazille installés à Paris.

Tout au long de sa brève carrière, on retrouve alors dans les compositions de Bazille plusieurs détails rappelant Olympia, le chef-d’œuvre de Manet que Bazille connaît certainement depuis les premières années de son apprentissage à Paris.
Tout d’abord la figure de la servante noire tenant des fleurs est le sujet de deux compositions magistrales, Négresse aux pivoines, dans laquelle Bazille associe figure et nature morte. Les pivoines étant l’un des sujets de prédilection de Manet dans les années 1860, le choix des fleurs n’est pas anodin.

Frédéric Bazille, Négresse aux pivoines, 1870. Huile sur toile. 60 x 75 cm. Montpellier, musée Fabre. © Photo Frédéric Jaulmes
Frédéric Bazille, Négresse aux pivoines, 1870. Huile sur toile. 60 x 75 cm. Montpellier, musée Fabre. © Photo Frédéric Jaulmes

C’est avant tout le sujet de la grande composition préparée pour le Salon de 1870, La Toilette, qui fait écho à l’œuvre du maître des Batignolles. Bazille se confronte avec brio à l’exercice du nu féminin dont le résultat permet de mesurer les progrès réalisés par l’artiste depuis le premier essai de nu en 1864. On mesure la maîtrise atteinte aussi bien dans l’évocation des matières, fort contrastée, que dans l’éventail de couleur audacieux de la composition. Que ce soit des fleurs ou des figures, Bazille en peint avec intensité les volumes et semble arrêter la course du temps.

Frédéric Bazille, La Toilette, 1870. Huile sur toile Don Marc Bazille, frère de l'auteur, 1918 Inv. : 18.1.2
Frédéric Bazille, La Toilette, 1870. Huile sur toile Don Marc Bazille, frère de l’auteur, 1918 Inv. : 18.1.2

Ami fidèle, c’est Manet qui insistera pour que Bazille soit présent à la seconde exposition impressionniste de 1876 à travers son portrait exécuté par Renoir, Frédéric Bazille peignant à son chevalet : « J’avais trouvé juste, au moment où un groupe d’artistes faisait une protestation, qu’un hommage fût rendu par l’exposition de son portrait au modeste et sympathique héros qu’ils avaient compté dans leurs rangs. Mon idée avait du reste été acceptée avec enthousiasme par les amis de Frédéric Bazille, dont le souvenir est toujours présent parmi eux. »

Nouveaux horizons

« J’aimerais seulement restituer à chaque objet son poids et son volume, et ne pas seulement peindre l’apparence des choses. » (Bazille à Edmond Maître, 25 août 1868)

La dernière section se penche sur les deux dernières œuvres réalisées par Frédéric Bazille avant son engagement à la guerre pendant l’été 1870.

Frédéric Bazille, la jeunesse de l’impressionnisme au musée Fabre - Nouveaux horizons
Frédéric Bazille, la jeunesse de l’impressionnisme au musée Fabre – Nouveaux horizons

Avec Ruth et Booz, qui illustre aussi bien la Bible que les vers de Victor Hugo dans La Légende des Siècles, le peintre s’éloigne de l’exigence réaliste, introduit l’Histoire et la littérature dans son œuvre, et regarde plus volontiers vers Millet ou Puvis de Chavannes, dont il a admiré Le Sommeil au Salon de 1867. Le tableau est préparé, fait inhabituel chez Bazille, par un grand nombre de dessins et pastels. Il est intéressant de comparer ce tableau à celui que donne Cabanel sur le même sujet.

Frédéric Bazille, la jeunesse de l’impressionnisme au musée Fabre - Nouveaux horizons
Frédéric Bazille, la jeunesse de l’impressionnisme au musée Fabre – Nouveaux horizons

Dans le Paysage au bord du Lez se lit aussi bien l’expression de « la chaleur [qui] fait tout évaporer et règne tranquille et seule » (Bazille à son père, lettre du 19 ou 26 juin 1870) que l’exemple du paysage classique de Poussin ou Corot, plus grand paysagiste vivant selon Bazille.

Ruth et Booz est laissé inachevé lorsqu’en août 1870 Bazille décide, contre toute attente, de s’engager dans un conflit qui lui sera fatal. Sur son acte d’engagement volontaire du 16 août 1870, on peut lire : « Le Sieur Bazille Jean Frédéric âgé de 28 ans révolus, exerçant la profession de peintre d’histoire ».

La gloire de Bazille commence à peine

« Mon cher, mon vieil ami, Je reçois votre lettre, à l’instant : vous êtes fou, archi-fou, je vous embrasse de tout mon coeur ; que Dieu vous protège, vous et mon pauvre frère. Tout à vous. Ed. Maître / Pourquoi ne pas consulter un ami ? Vous n’avez pas le droit de prendre cet engagement. Renoir rentre à l’instant, je lui donne ma plume ». (Lettre d’Edmond Maître à Bazille, août 1870)

Le 16 août 1870, contre toute attente et contre la volonté de ses amis, Bazille s’engage dans un régiment de zouaves et part en guerre contre les Prussiens. Après quelques semaines passées en Algérie, où il retrouve son cousin le commandant Lejosne, il rentre en France et est envoyé au combat avec son régiment à Besançon puis près d’Orléans, à Beaune-la-Rolande. Il y trouve la mort lors de son premier assaut le 28 novembre, quelques jours à peine avant d’avoir pu fêter son 29ème anniversaire, et quatre ans avant la première exposition des « impressionnistes ».

Un monument est élevé par ses parents à Beaune-la-Rolande et un autre au cimetière protestant de Montpellier. Pour sa tombe, ils choisissent un buste par Auguste Baussan et La Jeunesse, figure sculptée par Chapu pour le monument à Henri Regnault et aux élèves de l’école des Beaux-Arts morts à la guerre en 1870-1871.

À l’inverse de Regnault, dont la disparition est vécue comme un drame pour l’école française, celle de Bazille passe inaperçue, et il faut attendre les premières années du XXe siècle pour qu’à la faveur de quelques critiques d’art (Roger Marx), conservateurs de musée (André Joubin) et la générosité et l’action des membres de la famille Bazille, la figure de Frédéric passe progressivement de l’ombre à la lumière.

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