Jusqu’au samedi 26 mars, Maupetit, côté galerie présente à Marseille une très belle exposition de la photographe Loeïza Jacq.
Dès les premiers pas dans la galerie, on est immédiatement captivé par les univers que la photographe propose dans un accrochage soigné et pensé, une mise en espace d’une rare efficacité.
Pour chaque série, l’exposition présente un dispositif singulier, parfaitement adapté aux images, à leur enchaînement et à leur occupation de l’espace.
Tout semble rigoureux, précis, millimétré. Rien n’est laissé au hasard… et en même temps, tout est parfaitement naturel, évident et léger. L’ensemble offre au visiteur un parcours fascinant, un rythme précis, fluide, délicat, et tout l’espace nécessaire pour investir les images.
Un texte bref et pertinent permet d’entrer dans le propos de l’artiste pour chacune de ses séries.
Un éclairage discret et efficace, des tirages sans protection (dibond et dos bleu) procurent un excellent confort au visiteur.
L’engagement de l’artiste dans la préparation, le montage et l’accrochage de son exposition doit être salué. Le travail de Loeïza Jacq est remarquable d’intelligence et de sensibilité. Il serait regrettable de ne pas lui accorder toute l’attention qu’il mérite !
Quelques mots empruntés au portfolio disponible sur son site, pour présenter la démarche artistique de Loeïza Jacq :
« Dans l’image que je cherche à faire, il n’y a presque rien ; très peu. Lorsque le cerveau rencontre un espace, un blanc, il s’engouffre dedans et invente le reste. J’essaie de faire des photographies qui soient assez vides pour que le regardeur puisse mentalement les investir. Ce qui m’intéresse, c’est de proposer une matière susceptible de déclencher l’imaginaire; que les personnes qui voient les photographies puissent les relier à leurs vies, réelles ou fictives.
Ma recherche plastique gravite essentiellement autour du corps. La monstration du corps peut évoquer son éventuelle disparition et ainsi peut survenir la question de ce que nous faisons de notre incarnation, que le temps transforme et puis efface. En ne quittant pas les corps des yeux, mes axes de recherche sont 1. le passage du temps et 2. notre vie onirique et la manière dont elle s’inscrit dans notre quotidien.
Dans mes projets en général, il y a une notion de transit; je cherche une zone où nous serions entre deux états, déjà plus ici et pas encore ailleurs. Ce qui m’intéresse, c’est le moment où les choses peuvent se transformer ».
En savoir plus :
Sur la page Facebook de Maupetit, côté galerie
Sur le site de Loeïza Jacq
Le poids du corps – Compte rendu de visite
et puis –
Tout commence par trois photographies de sa série et puis – (2005) qui évoque, écrit-elle « le corps dans ses présences mais aussi dans son absence. Elle décrit une femme dans un espace, entre présence physique et disparition, et les traces qu’elle y laisse peut-être (…) ».
Yuko, l’Y et Passages
Une première cimaise présente Yuko, l’Y et Passages, « images qui tentent de parler du temps qui passe en nous et de notre passage dans le temps. Tempus fugit ».
Au centre, une des quatre photographies de L’(endroit) Y, issue d’une collaboration avec la danseuse Yendi Nammour en 2011.
À gauche, sur deux rangs, en décalage, six images de la série Yuko, une collaboration « photo-chorégraphique » avec la danseuse Yuko Mori, en 2009.
À droite, les trois images rapprochées de Passages, une autre série « choré-photographique » avec la danseuse Marion Alzieu, en 2011. Elle prolongement de et puis – et vient conclure cette première séquence.
Le poids du corps
Cette série, ou plutôt cette installation, donne son nom à l’exposition. Elle introduit la longue cimaise qui fait face au visiteur quand il pénètre dans la galerie.
Elle débute par trois images d’une série nommée Noir Nuit et sous-titrée Où partons-nous la nuit ? dans le portfolio de la photographe…
Liées par un fil qui tombe en souplesse du plafond, ces images montrent les fragments d’un corps endormi dans un lit blanc. Elles conduisent le regard vers un vêtement sombre, déchiré, fixé au mur et encadré par de larges morceaux d’adhésif noir… Un fruit desséché (une grenade ?) précède deux photographies superposées qui s’opposent : L’une montre un drap blanc froissé sur un lit vide, l’autre un vêtement sombre abandonné sur un plancher gris… Avec un peu d’attention, on perçoit une respiration… Peut-être celle de la chemise.
Tout semble nous convier vers un ailleurs onirique. Cette proposition illustre la volonté de Loeïza Jacq « de proposer une matière susceptible de déclencher l’imaginaire; que les personnes qui voient les photographies puissent les relier à leurs vies, réelles ou fictives ».
Loin sous la vague
Au centre de la cimaise, dans un accrochage symétrique, sept photographies de la série Loin sous la vague qui appartient à la collection des « Rêves prêt-à-rêver ». L’artiste propose explicitement de « s’immerger dans un rêve et de se l’approprier »…
Dresde 45
Le rêve semble se briser ou se transformer en cauchemar avec l’installation suivante. Le cartel précise que le projet Dresde 45 est né de la lecture d’un livre de Jonathan Safran Foer et plus particulièrement d’un passage qui décrit le cauchemar des habitants de Dresde la nuit du 13 au 14 février 1945…
Cette installation, complexe et mystérieuse présente successivement :
- Un tourbillon de feuilles d’automne… la dernière, en cours de décomposition, est conservée dans un cadre…
- Trois images au format polaroïd où tremble une flamme indécise.
- Une envolée des pages 293 à 303 d’Extrêmement fort et incroyablement près », le roman de Jonathan Safran Foer.
- Quatre photographies sombres et énigmatiques où l’on semble discerner des traces de cendres terminent le dispositif.
Une bande son diffuse le texte de Jonathan Safran Foer, lu par Loeïza Jacq.
Et lentement je suis tombé
Une vingtaine d’images, à la suite les unes à la suite des autres, encadrées par un tissu noir donnent l’illusion d’une pellicule de film… Ce deuxième « rêve prêt-à-rêver » de l’exposition propose de « traverser les espaces figurés, arpenter les longs couloirs, passer les portes, faire de cette matière visuelle une expérience personnelle »…
Je vole, Souterraine, Souterraine, le film et Météo du corps
De l’autre côté de la fenêtre, dans une sorte d’alcôve, trois séries s’entrechoquent un peu.
Je vole rapporte, dans trois boîtes sonores, les témoignages de personnes qui ont rêvé qu’elles volaient dans l’espace.
Souterraine tapisse le mur du fond de cette alcôve d’une dizaine d’images et de textes où l’on retrouve certaines photographies de sa série Edge. Au travers de photographies abstraites, paysages qui « évoquent nos entrailles, nos recoins intérieurs », l’artiste pose une question « Qu’est-ce qu’être l’habitant de son propre corps ? »
Un écran propose une boucle vidéo avec Souterraine, le film et Météo du corps.
Des histoires dans ton oreille
Le parcours se termine avec une installation… Un lit, un oreiller qui chuchote une histoire, renouvelée chaque jeudi…
À propos de Loeïza Jacq (extrait de son portfolio)
Loeïza Jacq est diplômée de l’École Nationale Supérieure de Photographie (ENSP) d’Arles, en 2013.
Ce sont les agrandisseurs poussiéreux des Beaux-Arts de Rennes qui l’ont révélée à la photographie à une époque où elle cherchait justement à photographier la poussière.
Loeïza dispose également d’un master sur le théâtre britannique contemporain et un diplôme sur Shakespeare de la Royal Academy of Dramatic Art de Londres ; elle a, avant d’être photographe, exercé comme comédienne à Glasgow et metteur en scène à Paris.
Ces dernières années, elle a photographié l’Asie occidentale et centrale (Iran, Afghanistan, Ouzbékistan, Kirghizstan) pour des ONGs mais aussi pour elle-même. Elle est membre de l’agence photo Rapho (Gamma-Rapho).