Sous titrée « Picasso et les arts et traditions populaires », cette exposition présentée par le MuCEM, du avril 2016 au 29 août 2016, sera très certainement un des événements majeurs de la saison estivale à Marseille et au bord de la Méditerranée.
Picasso, un génie sans piédestal a l’ambition de mettre en miroir des chefs-d’œuvre de l’artiste avec des objets-références issus des collections du MuCEM pour monter « comment Picasso, tout à la fois inscrit dans son époque et attaché à ses racines, a nourri son travail d’influences issues des arts et traditions populaires ».
La scénographie signée par Jacques Sbriglio et l’accrochage sont remarquables. La sélection des objets dans les réserves du MuCEM est particulièrement pertinente et évite parfaitement le piège de confrontations exagérées. Enfin, il faut saluer le travail des trois commissaires Joséphine Matamoros, Émilie Girard et Bruno Gaudichon.
Une exposition indispensable !
Le parcours de visite s’organise en quatre sections :
- Picasso et la vie quotidienne : racines
- Des objets et des thèmes fétiches
- Les techniques et leurs détournements
- L’objet matériau
Les commissaires en présente ainsi l’articulation :
« Après avoir évoqué l’aspect sacré de ces sources, essentiellement espagnoles, le propos met en évidence cette présence des souvenirs dans l’inspiration de l’artiste. Sont ainsi illustrés des thèmes et des motifs mémoriels récurrents chez Picasso, fasciné en particulier par l’univers de la parure, de la musique, du cirque, de la tauromachie et du jouet, par exemple.
L’exposition est ensuite construite autour de rencontres faites par Picasso avec des personnalités ayant affirmé un savoir-faire artisanal qui pouvait nourrir sa propre expérience et ses propres recherches. Sont alors successivement développées les incursions de l’artiste dans la connaissance du travail du bois (Paco Durrio), de la céramique (Suzanne et Georges Ramié et l’atelier Madoura), de l’orfèvrerie (François Hugo), de la linogravure (Hidalgo Arnéra), du cinéma (Robert Picault), du textile (Marie Cuttoli) et de la tôle découpée (Lionel Prejger).
La question de l’utilisation du quotidien dans sa dimension la plus prosaïque (les objets de rebut), mais aussi la plus personnelle, s’exprime dans un très bel ensemble de sculptures d’assemblage (La Guenon et son petit) dans lesquelles se lisent aisément les objets glanés et les matériaux recyclés.
L’art au XXe siècle a souvent joué avec ses origines pour construire un nouveau rapport au monde. Les racines de Picasso sont multiples. Parmi ces fondations, l’environnement de son enfance fut un terreau très fertile. Les objets du quotidien auxquels Georges Henri Rivière rend hommage au sein du musée des arts et traditions populaires, qu’il crée en 1937, font infiniment partie du bagage affectif et esthétique de l’artiste. Les collections du MuCEM qui jalonnent le parcours ont été choisies parmi les objets acquis par Georges Henri Rivière, comme autant d’échos au travail de Picasso. Fort de cette connaissance à la fois intime et universelle, Picasso s’affirme alors lui-même comme le véritable signal d’une nouvelle culture populaire ».
Le commissariat général est assuré par :
- Joséphine Matamoros, conservateur en chef du patrimoine, directrice honoraire du Musée d’art moderne de Céret, directrice du Musée d’art moderne de Collioure
- Bruno Gaudichon, conservateur en chef du patrimoine, conservateur de La Piscine-Musée d’art et d’industrie André Diligent de Roubaix
- Emilie Girard, conservateur du patrimoine, responsable du Centre de Conservation et de Ressources du MuCEM.
La scénographie a été confiée à Jacques Sbriglio, architecte et scénographe. On se souvient de son intervention très réussie pour l’exposition « LC au J1 – Le Corbusier revient à Marseille – La Question du Brutalisme », en 2013
Le catalogue est coédité par le MuCEM et Gallimard, sous la de Joséphine Matamoros et Bruno Gaudichon. Avec des textes de : Jacques Durand, Clare Finn, Philippe Forest, Émilie Girard, Cécile Godefroy, Salvador Haro González, Brigitte Léal, Teresa Ocaña, Virginie Perdrisot, Eduard Vallès et Sylvie Vautier.
Picasso, un génie sans piédestal bénéficie du soutien exceptionnel du Musée national Picasso-Paris
On reproduit ci-dessous un entretien avec Joséphine Matamoros et Bruno Gaudichon, extrait du dossier de presse, dans lequel ils expriment leurs objectifs.
À lire également ci-dessous un texte de Jacques Sbriglio où il explique les axes majeurs de la scénographie qu’il a imaginé pour « Un génie sans piédestal , Picasso et les arts & traditions populaires ».
L’exposition est particulièrement intéressante et apporte un autre regard, une « nouvelle grille de lecture » sur le travail de l’artiste.
En savoir plus :
Sur le site du MuCEM
Sur la page facebook du MuCEM
Entretien avec les commissaires de l’exposition Joséphine Matamoros et Bruno Gaudichon (extrait du dossier de presse)
En quoi les arts et traditions populaires trouvent-ils un écho dans l’œuvre de Picasso ?
Bruno Gaudichon et Joséphine Matamoros— Picasso était très marqué par ses racines. Cette pérennité des sources populaires intervient de deux façons : par des thèmes récurrents dans son œuvre, liés à des pratiques populaires et culturelles (la mantille des femmes espagnoles, les instruments de musique, le cirque, la tauromachie, la colombophilie, etc.), mais aussi par cette préoccupation qui l’anime au sortir de la guerre, celle de faire évoluer son œuvre par des incursions dans des domaines nouveaux comme l’artisanat d’art (la céramique, l’orfèvrerie, la linogravure, etc.). Enfin, il nous a semblé important de montrer quelle fut son approche de la sculpture, notamment après-guerre, dans une période faste de recherches : il crée alors des sculptures d’assemblage avec des objets trouvés, des objets simples, populaires. L’une des plus célèbres est la Tête de taureau (1942), créée avec un guidon et une selle de bicyclette. Ce qui est intéressant, c’est qu’il ne part pas de l’œuvre à faire ; c’est l’objet trouvé qui en devient le stimulus. Il ne s’agit pas pour lui de faire du bricolage, mais de traduire le pouvoir évocateur de l’objet.
Dans l’exposition, de quelle façon va s’opérer la mise en miroir des œuvres de Picasso avec les objets issus des collections du MuCEM ?
B.G. et J. M. — Montrer les objets ayant directement inspiré Picasso s’avère impossible, car ceux-ci sont avalés par l’artiste dans les oeuvres elles-mêmes. Mais nous avons pu trouver dans les collections du MuCEM des objets pouvant tout à fait illustrer ses préoccupations. Ainsi, dans chaque salle de l’exposition, seront présentés, d’abord, quelques objets en écho avec le thème abordé. Ajoutons enfin qu’il existe des liens entre Picasso et le MuCEM : il ne faut pas oublier que Picasso a bien connu Georges Henri Rivière, le fondateur du Musée des arts et traditions populaires (dont les collections ont rejoint celles du MuCEM, ndlr) ; à une époque où l’on a justement reconsidéré l’objet populaire : muséifié par Rivière et sacralisé par Picasso, qui l’intègre dans ses œuvres.
Cette exposition propose une nouvelle grille de lecture de l’œuvre de Picasso…
J.M. et B. G. — Une rétrospective pour des artistes comme Picasso, cela n’a plus vraiment de sens aujourd’hui. Nous proposons donc, en effet, une nouvelle grille de lecture de son travail, qui n’a encore jamais été explorée. Cette question de l’importance des arts et traditions populaires dans l’œuvre de l’artiste nous permet de créer un fil nouveau dans la découverte de Picasso.
L’exposition mêle chefs-d’œuvre et pièces inédites. Quelques exemples ?
J.M. et B. G. — Nous avons en effet des œuvres importantes et célèbres, notamment dans la salle des sculptures d’assemblage avec La Guenon et son petit, dont la tête est constituée de deux petites voitures que Picasso avait piquées à son fils : c’est une icône. Sans parler du tableau l’Acrobate, œuvre magnifique, très ancrée dans sa passion pour le cirque. Quant aux pièces inédites ou peu montrées, elles sont nombreuses : citons par exemple l’ensemble de carreaux créés par Picasso avec Derain, présenté en France pour la première fois ; ou les trois compotiers en argent faits avec François Hugo, qui devraient étonner beaucoup de monde. Sans oublier la série des affiches en linogravure créées pour les expositions annuelles de céramique de Vallauris. On les a toutes, c’est une première. Et puis ces grands tableaux tauromachiques absolument extraordinaires, et très peu vus… Nous avons bénéficié d’un grand nombre de prêts de collections particulières, ce qui nous permet d’avoir des pièces très rares.
Qu’est-ce qui vous a le plus marqués durant vos recherches pour cette exposition ?
J.M. et B. G. — Le fait, justement, que cette nouvelle grille de lecture devenait une vérité. Nous avons pu vérifier que cette question des arts et traditions populaires avait du poids dans l’œuvre de Picasso. Au fil de nos recherches, en défaisant la pelote, certaines choses prenaient un sens nouveau. Nous avons relu les textes de Sabartès : il y évoque notamment un tableau peint par le père de Picasso, Le Pigeonnier, comme un élément très marquant pour l’artiste ; et sa passion pour la colombophilie se verra d’ailleurs illustrée par une magnifique suite d’œuvres. La preuve que ce côté matriciel de son enfance prend une importance immense et transparaît dans ses thèmes et ses techniques. Ce Pigeonnier, Picasso ne l’avait jamais revu depuis son enfance (il s’était engagé à ne plus revenir en Espagne tant que Franco était au pouvoir). Nous l’avons retrouvé, et il sera dans l’exposition.
Entre cirque, musique et tauromachie, et de l’artisanat d’art à la sculpture, cette exposition explore l’oeuvre de Picasso dans toute sa richesse. Et réserve son lot de surprises !
J.M. et B. G. — Cette capacité à rebondir sur tout ; de faire, de tout, les pièces d’un puzzle plein de surprises, c’est le génie de Picasso. Nous espérons proposer une exposition dynamique et jubilatoire… Tout en restant sérieux dans notre propos ! La scénographie proposée par Jacques Sbriglio et son équipe devrait d’ailleurs aider à cet émerveillement que nous souhaitons. Cette part du jeu est très importante dans la construction de l’œuvre de Picasso, qui savait allier distance et profondeur avec une facilité déconcertante
Jacques Sbriglio à propos de la scénographie :
Exposer Picasso à Marseille et qui plus est, dans le Musée des civilisations de l’Europe et de la Méditerranée, recouvre plus d’une signification. D’abord autour de la biographie de ce peintre qui, de Malaga en passant par Barcelone et la Côte d’azur, aura choisi cette terre d’élection, la Méditerranée et sa lumière, pour y développer une partie importante de son œuvre. Ensuite parce que, comme l’indique Pierre Daix, un lien particulier lie Picasso avec Marseille où en compagnie de Braque il vient au cours de l’année 1912, visiter les nombreuses boutiques coloniales présentes dans cette ville afin d’acheter des masques africains et autres objets d’art nègre, dont on va retrouver les influences dans la peinture qu’il va mettre en œuvre au cours des années qui vont suivre.
Mais au-delà de ce préambule, imaginer une scénographie autour de l’œuvre de Pablo Picasso réclame quelques exigences tant cette œuvre, célébrissime par-delà les années, requiert, pour être exposée, un cadre dans lequel aucune extravagance formelle n’est permise de même que tout effet de matières ou de couleurs. En effet, la force d’expression de ces œuvres est telle que celles-ci parlent d’elles-mêmes, obligeant ainsi le contenant à s’effacer derrière le contenu. Pour ce faire, la scénographie proposée ici autour du thème “ Picasso et les arts et traditions populaires“ prend son sens autour de trois idées clefs. La première construit un parcours en résonance avec l’architecture du MuCEM conçue sur le principe d’une ziggurat reliant le port à la ville. La deuxième séquence se déroule au fil des différentes sections de cette exposition à partir de la mise en place d’une série d’icônes spatiales définissant le cadre de chacune de ces sections. La troisième organise une sorte de portrait croisé entre les œuvres de Pablo Picasso et les objets référents issus des collections du MuCEM, sans que jamais le visiteur ne puisse les confondre.
Quant à l’ambiance lumineuse de cette scénographie, elle exalte le blanc en opposition avec les ambiances crépusculaires des espaces du MuCEM mais également en référence à l’œuvre de Picasso qui a parcouru toutes les étapes et même au-delà, de ce qu’il est convenu d’appeler aujourd’hui : l’Art Moderne.
Quatre sections rythment la visite de cette exposition.
La première, qui correspond à la séquence d’entrée, intitulée : “Racines sacralisées”, rappelle les liens existant entre l’œuvre de Picasso et les rites et traditions populaires. Elle est symbolisée ici par un espace pensé comme un petit oratoire.
La deuxième, “Objets et thèmes fétiches” en référence aux thèmes de la musique, du cirque ou de la tauromachie… si présents dans l’œuvre du peintre… est dominée par la figure circulaire de l’arène et/ou de la piste qui vient s’inscrire comme le centre de gravité de la composition d’ensemble de cette scénographie.
La troisième, nommée “Les techniques et leurs détournements”, enchaîne une suite d’espaces ordonnée autour de la céramique qui constitue, de par le nombre d’objets présents, un des espaces majeurs de cette exposition.
Enfin la quatrième et dernière section, “L’objet matériau” se présente sous la forme d’une grande galerie de sculptures, ouverte sur la Méditerranée visible depuis cette salle au travers de la résille de la façade du MuCEM, comme un dernier clin d’œil à la mantilla, si chère à la mémoire de la culture hispanique.
Jacques Sbriglio – Architecte scénographe