Jusqu’au 18 septembre 2016, Carré d’Art présente Becoming Soil, une exposition qu’ Ugo Rondinone a imaginé comme d’une œuvre d’art total, une expérience kinesthésique proposée au visiteur.
Cet artiste suisse, est connu en France comme commissaire d’exposition au Palais de Tokyo avec The Third Mind, en 2007 et la rétrospective I Love John Giorno, l’hiver dernier. Becoming Soil est son premier grand projet en France.
Ugo Rondinone a une pratique artiste très large de la vidéo aux installations, en passant par la peinture, le dessin et la sculpture… L’exposition à Carré d’Art rassemble des œuvres qui relèvent de ces pratiques traditionnelles. Pour la plus part ont été réalisées par lui-même, sa main est très présente dans l’exposition, appartiennent à des séries, parfois commencées depuis plusieurs années. L’idée du temps chronologique, de cycle naturel et de recommencement est fortement présente dans Becoming Soil.
La traduction de ce titre Becoming Soil a, semble-t-il, posé quelques problèmes à Jean-Marc Prevost, directeur de Carré d’Art et à Corinne Rondeau qui signent les textes du catalogue.
Pour Ugo Rondinone, une exposition idéale doit transformer le spectateur, en proposant une transition de la réalité du dehors vers la réalité de l’exposition.
Pour Becoming Soil, il a souhaité modifier la logique architecturale qui structure les salles d’exposition temporaire. En occultant les vues vers l’extérieur et l’intérieur, conçues par Norman Foster, il réunit les deux ailes nord et sud. Créant ainsi un espace et un temps « suspendu », un univers particulier, Ugo Rondinone propose au visiteur une expérience sensible…
Carré d’Art a récemment publié sur You Tube cette Interview où Ugo Rondinone explique longuement le projet de Becoming Soil. Plusieurs scènes du montage de l’exposition et des vies des salles illustrent son propos :
Que l’on soit très sensible ou plus indifférent à l’univers et aux propos de Rondinone, il faut souligner la très grande cohérence de son projet et l’articulation remarquable du parcours qu’il propose au visiteur. L’accrochage, comme l’éclairage sont particulièrement aboutis.
Le projet se dispense évidemment de textes de salle « explicatifs », à l’exception des cartels réduits à leur état d’identification.
Le service des publics propose des visites commentées les samedis et les dimanches à 16h30.
Un document d’aide à la visite est disponible à l’accueil et téléchargeable sur le site de Carré d’Art.
Un dossier pédagogique est également disponible en ligne sur le site du musée.
Catalogue bilingue français/anglais, en coédition avec Hatje Cantz. Textes de Corinne Rondeau et Jean-Marc Prevost.
À lire ci-dessous Contre Nature de Corinne Rondeau, extraits du catalogue de l’exposition.
À lire écouter, les commentaires de Ugo Rondinone, enregistrés lors de la visite de presse :
Par sa cohérence, par son appropriation de l’espace, par son authenticité et son engagement, Becoming Soil est une exposition originale qui mérite un passage par Carré d’Art.
En savoir plus :
Sur le site de Carré d’Art
Sur la page Facebook de Carré d’Art
Sur le Scoop-it ! de Carré d’Art
Le centre de documentation de Carré d’Art a rassemblé une bibliographie et une webographie disponible en ligne.
Contre Nature de Corinne Rondeau
[…] Les expositions d’Ugo Rondinone ressemblent à des constellations, elles appellent la circonférence d’un horizon, à l’image d’un regard scrutant un paysage, convoquent le repli, provoquent la suspension, l’incompréhension face à un monde où deux et deux ne ferait plus quatre. Ne cessant de se développer dans l’espace de leur clôture, où aucune lumière naturelle ne filtre, les oeuvres déjouent toute accumulation par combinaison, permutation, résonnance. Séries qui prolifèrent, rayonnent en leur propre sein, dégagent de nouvelles constellations qui font de chaque exposition le renouvellement d’un lieu. […]
Becoming Soil ressemble une nouvelle fois à l’exploration d’un voyage initiatique, à l’invention de visions qui auraient leurs forêts, leurs nuits étoilées, leurs ciels lavés de bleu, entraînées par des créatures, des vides, des courants d’air doux ou parfumés, le repos descendant avec son ombre à même la terre, comme Virgile dédaignant les richesses du monde extérieur. […]
Figuratives ou abstraites, ouvertes ou fermées, les séries de Becoming Soil engendrent la circulation selon des rythmes binaires entre des salles de sculptures et de tableaux, et des surfaces et des volumes au sein d’une seule salle en usant de rappels et de relances.
Il n’est pas inutile de rappeler que depuis une trentaine d’années, la forme « installation » soumet tous les médiums à des rapports spatiotemporels, faisant de l’exposition un enjeu d’inclusion/exclusion du spectateur. L’exposition n’expose plus les oeuvres, peut-être même plus l’art ; elle expose un spectateur, dans tous les sens du terme. […]
Becoming Soil. Puissances artificielles de la nature : Humus, encens, couleurs, flocons, oiseaux, chevaux, souffle, paysages, nuits étoilées, lune, poissons, nuages, main. Il y a l’eau, l’air, la terre. Manque le feu, peut-être.
Lire avec attention le titre de l’exposition Becoming Soil.
Seulement deux mots pour combiner changement et déplacement. L’action première, première à la Terre, évoque formellement une terre sans origine, et pour toute origine un recommencement. Becoming est le recommencement même. Quant à Soil, le mot n’appelle pas l’idée de nature, plutôt la matière où s’inscrit toute action. Une Terre sans valeur d’achèvement et d’aboutissement, dont l’origine se perd par reprise incessante, inépuisable. Or l’action de dépossession de l’origine emporte celui de la possession du recommencement. Action de reprise qui ne cesse de vider ce par quoi on possède. La Terre est incessamment déplacée et le Devenir en perpétuel changement. Devenir Terre est un mouvement d’auto-engendrement, comme si la Terre s’autonomisait dans un principe d’action et de création, une natura naturans, nature médium et lieu de l’appropriation même de l’action. Devenir Terre comme ce qui devient en devenant l’autre Terre, l’Étrangère. Et ses créatures archaïques : Oiseaux Primitiv, Chevaux Primal, Poissons Primordial… […]
Les dessins et peintures, paysages, étoiles, nuages sont inséparables d’un cartel qui indique la date en lettres capitales tout attachées, ZWANZIGSTERJUNIZWEITAUSENDUNDFÜNFZEHN. La date est l’unité minimale d’espace-temps dans l’ordre d’une succession chronologique. Elle est ici inscription du temps dans la langue allemande, et date extraite de la succession des jours, des mois, des années. De sorte à devenir séries discontinues de temps, petites morts. À côté de cette ligne de lettres sans espacement, de grands formats du paysage à l’espace, d’un genre pictural à un type d’étendue de la surface. Les paysages par leur apparence préromantiques appellent les temps anciens et un certain classicisme, les étoiles appellent l’infini cosmique, les nuages sans matière appellent l’azur qui, depuis Mallarmé, hante le poète face à l’éternel1, et tous ont un effet de transparence. Leur qualité première et dernière est d’étendre le regard, comme une main pour sonder une profondeur inaccessible. De s’étendre puis se replier sur le cartel, manière de manifester qu’une surface est l’image d’une temporalité. Manière encore de contempler autre chose que le paysage, les étoiles aux confins, et l’azur. Méditer davantage sur la promenade, l’immobilité du corps couché dans la majesté de la nuit ; le silence du bleu. […]