Jusqu’au 7 janvier 2024, Aurélie Piau occupe le cabinet d’arts graphiques du Mrac avec « Va y’avoir du sport », une exposition décapante et iconoclaste dont l’humour grinçant et ravageur est absolument indispensable pour se préparer aux JO 2024…
Celles et ceux qui se souviennent de Roger love in prolo (2021), son installation détonante pour la première édition de SOL ! La biennale du territoire au MOCO Panacée, retrouveront dans « Va y’avoir du sport » l’esprit corrosif et moqueur de cette artiste inclassable, souvent présentée comme une activiste engagée socialement. Son soutien aux damnés de la terre qu’un chant appelle parfois encore à se soulever est sans équivoque. En témoignent ses actions, ses expositions comme Love in prolo au château d’Assas du Vigan en 2020 ou son engagement dans O.S Édition, un atelier de céramique ouvert au public au sein de la coopérative culturelle La Tendresse, dans le quartier des Grisettes à Montpellier.
Pour planter son décor, Aurélie Piau a tapissé la cimaise en « L » au centre du cabinet d’arts graphiques avec un papier peint qui n’est pas sans évoquer celui qui couvrait un des murs de La Panacée il y a deux ans. Sur un fond jaune criard, un motif étoilé canari et noir alterne avec des feuillages stylisés entre acanthe et artichaut qui rappellent à la fois les années 1970 et la tradition du papier peint damassé… Derrière ces ornements floraux, on devine l’image d’une explosion qui pourrait être celle d’un cocktail Molotov… En regardant avec un peu d’attention, on repère aussi les mains croisées de Roger Gicquel qui annonçait en 1976 « la France a peur » à l’ouverture au journal télévisé de 20 heures. La figure du présentateur est un des motifs récurrents dans le travail d’Aurélie Piau.
Ce papier peint évoque un club house ringard ou plutôt un bar de supporters vieillot et poussiéreux comme semble le confirmer la photographie volontairement floue qui accueille les visiteurs·euses…
Une quinzaine d’étagères exposent des trophées désopilants et sarcastiques qui mettent en parallèle compétitions sportives et compétitivité des entreprises. Un ballon de football crevé, une batte de baseball flasque moquent par leur mollesse les pratiques sportives des plus « musclées » et « viriles ». Deux drapeaux à damier sont posés dans une coupe ornée d’une photographie d’un cabriolet probablement carbonisé par les gilets jaunes. Ces trophées sportifs voisinent avec des coupes ornées d’un collier de langues, de « couilles en or », de dentiers édentés aux chicots dorés. Plantée dans son socle, une licorne surmontée d’un de ces dentiers moque évidemment les récompenses remises aux startups valorisées à plus d’un milliard de dollars.
La serpillère abandonnée dans une coupe ridiculise sans doute les stratégies opportunistes du marketing washing…
À la hauteur des yeux, une paire de chaussettes noires et usagées en céramique se distingue par sa sobriété de celles qui les entourent. Son aspect sombre et pauvre contraste avec le côté bling-bling, la peinture dorée et l’extravagance des autres coupes et trophées.
Avec cette céramique, Aurélie Piau rend hommage au geste de Smith et Carlos, deux sprinteurs afro-américains qui montent déchaussés sur le podium lors de la remise des médailles du 200 mètres aux JO de Mexico en 1968. Ils saluent le poing levé et ganté, la tête baissée pour dénoncer la discrimination raciale dans le monde, notamment aux États-Unis et en Afrique du Sud. Ils payeront ce geste par leur exclusion définitive de toute compétition sportive.
En face, dans les grandes vitrines du cabinet d’arts graphiques, Aurélie Piau a installé des haltères, une paire de gants de boxe dérisoires et une autre batte dont l’érection a laissé place à une molle débandade.
Sur le côté, trois têtes de club de golf discrètement posées au sol se confondent avec le socle. Cette évocation du loisir préféré d’un certain Donald incite-t-elle à se saisir de ces objets pour les utiliser comme pavés ? Au-dessus, une collection de Frisbees précède un filet de ballons dégonflés, décorés avec l’image d’un viseur holographique pour LBD… L’artiste moque-t-elle le manque de précision des footballeurs ? Ou veut-elle nous interpeller sur les arguments peut-être fallacieux avancés par les forces de l’ordre lors des actions en justice pour leur emploi dangereux de ces armes ?
La figure omniprésente du poulet dans l’exposition pourrait être entendue comme un écho à un des multiples sobriquets attribués aux policiers… Mais avec un regard malicieux, Aurélie Piau explique qu’il s’agit de s’interroger sur les hypothèses des futurs archéologues quand ils découvriront les ossements de ces volailles – viande la plus consommée dans le monde – marqueurs de l’ère géologique actuelle que certains nomment capitalocène, en référence aux conséquences du système capitaliste.
On remarque également d’autres volatiles en céramique blanche ici ou là. Leurs yeux proéminents paraissent s’étonner de ce qui les entoure…
Plusieurs dessins de grands formats complètent l’accrochage des céramiques d’Aurélie Piau.
À côté d’une imposante sculpture qui embroche une vingtaine de volailles en faïence blanches, quatre feuilles sont utilisées pour tracer au fusain et au crayon le portrait monumental d’un poulet hagard, perché sur la plus haute marche d’un podium.
Un peu plus loin, sur une cérémonie protocolaire de remise de médailles se superposent des carcasses de poulet suspendues dans un marché et une cage thoracique qui paraît être celle d’un humain.
Le joueur de football américain et sa carotte monstrueuse à la place du ballon illustre certainement l’expression « marcher à la carotte » ou celle « jouer à la carotte » ? Peut-être Aurélie Piau dénonce-t-elle aussi les salaires astronomiques de certains sportifs…
Au revers de la cimaise aux trophées délirants, l’artiste a accroché un peu moins d’une dizaine de petites huiles sur carton de sa série « Les Poulettes ». Des images de femmes pratiquant une activité sportive ont été récupérées sur internet avant d’être détourées, imprimées et collées sur une toile. Sur un fond rose, un halo verdâtre produit une étrange lumière nimbant les figures qui sautent sur le corps d’un poulet mort…
Au-dessus du meuble à tiroirs du cabinet d’arts graphiques, un ensemble de plaques de faïence sérigraphiées, réalisées avec les élèves du lycée Marc Bloch à Sérignan au cours d’une résidence, imposent aux visiteure·euses d’applaudir aux exploits de celles et ceux qui les méritent (ou pas)…
Commissariat : Anaïs Bonnel & Clément Nouet.
Un passage par le Mrac s’impose pour partager cette interrogation d’Aurélie Piau : « Les artistes sont-ils destinés à décorer le désastre ? » et pour méditer avec elle « sur nos sociétés qui célèbrent le plus violent et pas forcement le plus fort »…
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