Roro circus in Cévennes – Carte blanche à Rodolphe Huguet invité par Maison Rouge


Jusqu’au 21 août 2022, Rodolphe Huguet, invité par Maison Rouge pour une carte blanche, a installé son « Roro circus in Cévennes » dans tous les espaces du Musée des vallées cévenoles depuis les extérieurs jusqu’aux salles d’exposition temporaire en passant par les collections permanentes.

« Roro circus in Cévennes » est certainement un des projets les plus engagés et engageants que l’on puisse voir actuellement dans la région.

On connaît la démarche artistique de Rodolphe Huguet qui se nourrit de voyages et du partage d’expériences. Le travail est toujours au cœur de sa réflexion qui observe les savoir-faire et les techniques propres à chaque activité sans jamais en oublier le contexte social et politique. On se souvient de son exceptionnelle exposition « Bon Vent » au Frac Provence Alpes Côte d’Azur en 2018/2019 à la suite d’un travail en immersion avec la tuilerie Monier à Marseille. On en retrouve quelques traces ici comme à la Villa Datris à L’Isle-sur-la-Sorgue. À l’été 2019, à Arles, Rodolphe Huguet présentait dans « Stone Power » un ensemble d’œuvres réalisées suite à plusieurs voyages à Ouro Preto et à Belo Horizonte, dans la région du Minas Gerais au Brésil entre 2011 et 2014.

La production artistique de Rodolphe Huguet est toujours étroitement liée aux multiples rencontres qu’il a faites en France et à travers le monde au Népal, en Inde, en Colombie, au Maroc ou au Japon…

Rodolphe HuguetLa croisière printanière du contrebandier, 1997. Photographie argentique d’une action dans les ruelles de la médina de Fès ; Les quinze erreurs, 2012. Verre cassé, quinze fragments de verre lapidés ; Bon Vent, 2018. Barque en tuile pliée, terre cuite brute émaillée, cailloux de schiste. « Roro circus in Cévennes » à Maison Rouge – Musée des vallées cévenoles.

Dans son introduction à la monographie RoRo Manifesto publiée à la fin des années 2000, Pascal Beausse résumait ainsi et avec beaucoup de pertinence la démarche de cet artiste nomade dont in situ et in vivo, le globe est son atelier :

« L’art de Rodolphe Huguet consiste en un pragmatisme poétique du “faire avec”. Faire avec la Terre et ses habitants. Faire avec la jubilation de la trouvaille, de l’invention et de la débrouille. Faire avec les rêves et le hasard heureux. Faire avec la vie. Le travail de l’artiste, c’est de créer des formes qui disent le monde dans lequel elles apparaissent. Mieux qu’un ouvrage de théorie culturelle : une œuvre de Rodolphe Huguet — un tissage, un pliage, un bricolage. Extension du domaine de l’activité artistique : la vie continue. Un shoot de réel, c’est ce qui donne une bonne pièce ».

Originaire des Cévennes, où il a passé jusqu’à douze ans ses vacances dans une maison familiale de la Vallée Française, Rodolphe Huguet souhaitait travailler autour des vers à soie qui ont compté parmi les « compagnons de jeux » de son enfance. Depuis très longtemps, il portait également attention aux pratiques artisanales des poteries d’Anduze…

« Roro-Bernard », 1974. Photographique argentique ; Deux films Super 8 de mon enfance en Cévennes : Le Cochon, 1976, Les Baumelles, vallée de Trabassac et Le Feu, 1976, vallée de Trabassac ; « Mon bureau de primaire », 1975-2022. Ancien pupitre scolaire cévenol, feutres squattés par les vers à soie. « Roro circus in Cévennes » à Maison Rouge – Musée des vallées cévenoles.

En 2020, Rodolphe Huguet participait à « Sauvages ? », une des premières expositions d’art contemporain proposées par Maison Rouge. Ses arrière-trains empaillés faisaient alors un curieux écho à deux trophées de chasse (Têtes de sanglier en cape) issus des collections…

Les échanges entre l’artiste et l’équipe du musée se sont peu à peu transformés en un projet de carte blanche avec notamment le soutien de la Drac Occitanie dans la cadre du programme Art et Monde du travail et du département du Gard.

Le savoir-faire de la société l’Arsoie-Cervin, installée à Sumène ne pouvait laisser Rodolphe Huguet indifférent. Sa réputation internationale dans la production de vêtements sans couture et surtout dans la fabrication de bas de soie de luxe n’est plus à faire. Seul établissement au monde à posséder des métiers à jauge, elle est équipée de machines d’une précision d’horloger qui lui permettent une finesse de maillage exceptionnelle.

Rodolphe Huguet« Le Bal », 2021-2022 (détail) – « Roro circus in Cévennes » à Maison Rouge – Musée des vallées cévenoles. Gabarits en aluminium pour bas de soie de la société l’Arsoie-Cervin.

La rencontre de l’entreprise Sericyne ouvrait d’autres perspectives. Installée à Monoblet, la manufacture a l’objectif de réintroduire la sériciculture dans la région en élaborant une soie naturelle et non-tissée. Les vers à soie tissent leur fils sur des formes en deux ou trois dimensions sur lesquels ils sont directement posés.

Les artisans de la poterie Le Chêne vert à Anduze ont offert à Rodolphe Huguet l’occasion de découvrir et d’apprendre la technique du tournage à la corde.

Rodophe Huguet tournage à la corde Photo DR ; Trois boîtes de conserve en terre cuite émaillée, (technique à la corde) pour le potager – « Roro circus in Cévennes » à Maison Rouge – Musée des vallées cévenoles.

Pendant un an, Rodolphe Huguet s’est familiarisé avec les savoir-faire de ces entreprises pour concevoir et produire plusieurs des pièces de « Roro circus in Cévennes ».

Commissaire de sa propre exposition, Rodolphe Huguet a imaginé un projet qui s’articule en deux grandes séquences.

Dans les salles de la collection permanente, « Roro circus in Cévennes » propose des conversations discrètes, poétiques et politiques, quelquefois empreintes de gravité, parfois teintées d’humour, mais toujours très pertinentes entre les objets exposés et une sélection d’œuvres réalisées entre 1997 et 2018.

Rodolphe HuguetLe cri, 2003. Photographie d’un détail de l’installation « Suicide de bouteilles d’eau », 2003 – Sans titre, 2005-2006. Bouteille de Volvic en bronze – Concept intemporel de l’économie agricole, 2012. Terre, vieux outils (version no 2) – Fossiles (version no 2), 2010-2011. Bouteilles d’eau minérale népalaises sculptées dans des pierres de rivières himalayennes – Faire danser l’anse du panier (Autoportrait), 2010 – L’économie de marché(r), 1997. Vannerie en doum – Sans titre, 2005. Cinq arrière-trains de mouton taxidermisés – Bon Vent, 2018. Barque en tuile pliée, terre cuite brute émaillée, cailloux de schiste

Aucune de ces pièces n’a été produite pour l’occasion. Ce premier ensemble est construit avec beaucoup de tact et d’intelligence. Il permet aussi à travers la vingtaine de pièces choisies de comprendre la démarche et la pratique singulière de Rodolphe Huguet.

Rodolphe HuguetForêt, 2010. Paniers géants en osier brut – Sans titre, 2009. Scie et bûche en chêne sertie d’osier blanc – Pièges à eau, 2014. Verre soufflé dans grillage – Water/War, 2014. Carafe en verre et or 24 carats cuit – Water/War, 2014. Bouteille en verre soufflé avec poussières et or 24 carats cuit – Les quinze erreurs, 2012. Verre cassé, quinze fragments de verre lapidés

Les espaces d’exposition temporaire rassemblent des œuvres récentes, souvent produites pour le projet. Dans la démarche de l’artiste, la plupart sont fortement liées à ses rencontres et échanges avec les entreprises et les artisans du territoire. Certaines empruntent parfois à son histoire personnelle et à ses souvenirs dans les Cévennes. Elles sont complétées par quelques pièces plus anciennes, notamment sur le palier intermédiaire et en haut des cimaises de la grande salle.

Rodolphe HuguetSans titre, 2021. Photomontage d’un roncier – Sans titre, 2010. Bûches de chêne serties d’osier blanc – Cyma (cimaises), 2009. Ronces en bronze, peinture de carrosserie – Bronze no 2780 et no 3120, 2005. Bronze patine noire (caméra)

C’est dans cette première salle que le « Roro circus » déploie son spectacle dans un accrochage inspiré et acrobatique.

À l’entrée, une corde de poings en terre cuite semble attendre l’arrivée des trapézistes, alors qu’un tronc de châtaignier brûlé exécute une lente pirouette.

Rodolphe Huguet« Plus tu montes – Plus tu fais voir ton cul », (proverbe cévenol), 2018-2022. Poings en terre cuite engobée – « Le Trop est de Trop » (proverbe), 1976-2022. Châtaignier brûlé, béton, moteur

Au centre, huit boîtes de conserve évoquent une partie de chamboule-tout au jeu de la misère.

Rodolphe Huguet – « Les couleurs de la Misère », 2021-2022. 8 boîtes de conserve, terre cuite émaillée, lumière intérieure, cercle chromatique

Sur la droite, des ronces et des orties poussent tranquillement dans des boites de conserve plus petites, mais tout aussi étincelantes. En d’autres temps, hippies et babas y auraient cultivé d’autres herbes.

Rodolphe Huguet« Pour manger des mûres – Il faut mettre la tête sous le buisson » (proverbe cévenol). Boîtes de conserve en terre cuite émaillée, ronces, bancel en châtaignier – « Chaque petite herbe – Fait sa petite pointe », (dicton cévenol), 2021-2022. Boîtes de conserve en terre cuite émaillée, orties, socle en châtaignier

Sur la gauche, un sombre escalier sculpté à la tronçonneuse est posé en équilibre. À son sommet, le dompteur aurait-il oublié une cage de barbelé aujourd’hui squatté par des vers à soie ?

Rodolphe Huguet« Chaque héritier – Change son escalier », (proverbe cévenol), 1977-2022. Châtaignier sculpté à la tronçonneuse en 1977 par Mr. Bonal. Barbelé squatté par des vers à soie

Au fond, un manège de jambes en aluminium est suspendu au plafond. Accrochées à une poulie de la filature Maison Rouge par de la laine mèche, ces gabarits pour bas de soie sont couverts de confettis multicolores avec la complicité de milliers de Bombyx…

Rodolphe Huguet« Le Bal », 2021-2022. Gabarits en aluminium pour bas de soie, tissés par des milliers de Bombyx, confettis, laine mèche, poulie de la filature Maison Rouge, Saint-Jean-du-Gard

Les cimaises noires qui occultaient les ouvertures ont opportunément été déposées. La lumière du jour entre abondamment par de grandes fenêtres cintrées de l’ancienne filature. Socles, supports et menuiserie en châtaigner ont été réalisés par les élèves du lycée Jean-Baptiste Dumas d’Alès. Ici, ils évoquent les bancels, là ils répondent à la forme des huisseries.

Ici, les titres des œuvres sont souvent inspirés de proverbes cévenols dont certains pourraient être imaginés par un certain Roro…

Une porte et une fenêtre improbables sont elles aussi couvertes par les confettis, des cocons enfermés sous une soie non tissée… Elles conduisent le visiteur vers une salle plus petite dont les murs restés en noir rappellent les sombres cuisines des maisons cévenoles.

Ici, Rodolphe Huguet raconte plus intimement sa relation à l’histoire et à la culture des Cévennes. Quelques objets personnels (films super 8, pupitres de classe…) évoquent des souvenirs tels que l’incendie dans la vallée de Trabassac en 1976 d’où provient le tronc de châtaignier brûlé (« Le Trop est de Trop ») ou l’installation sauvage de vers à soie dans les casiers de son école le temps d’un week-end pour qu’ils recouvrent les cahiers…

Rodolphe Huguet« Roro-Bernard », 1974. Photographique argentique ; Deux films Super 8 de mon enfance en Cévennes : Le Cochon, 1976, Les Baumelles, vallée de Trabassac et Le Feu, 1976, vallée de Trabassac ; « Mon bureau de primaire », 1975-2022. Ancien pupitre scolaire cévenol, feutres squattés par les vers à soie.

Tout autour, lauze, ruche, crâne, grillage à moutons et à poules, barbelé, sabots ou encore tôle ondulée et carte IGN sont envahis d’une soie non tissée qui parfois emprisonne confettis et cocons…

Rodolphe Huguet« Il est tout d’une pièce, comme un sabot » (comparaison cévenole), 2021-2022. Monolithe de sabots, tissés et squattés par des vers à soie – Autoportrait Carbone, 1975-2022. Crâne et lauze investis par les Bombyx, confettis noirs, pierre fossile de lichens, ruche cévenole sur socle alvéolé en châtaignier – « Jeu du cerceau », 2021-2022. Cerceau de barbelé squatté par des vers à soie, bâton de ronce en bronze brut – Sans titre, 2021-2022. Grillage à moutons, à poules, vers à soie, cocons, ruches cévenoles – Sans titre, 2021-2022. Tôle ondulée, vers à soie, confettis – « Il vaut mieux être petit maître – Que grand valet », (proverbe cévenol), 2021-2022. Menuiserie châtaignier, carte IGN 3D de 1970 du Parc national des Cévennes, recouverte par les Bombyx.

À l’extérieur, Rodolphe Huguet a installé un potager cévenol dans de grandes boites de conserve en terre cuite émaillée posées sur des palettes. Tomates, haricots, cornichons, aubergines sont tuteurés avec des branches de châtaigniers alors que les courgettes et les courges s’étendent vers le sol…

Rodolphe HuguetGraine de conserve, 2021-2022 (jardin potager no 1 dans le parc). Dix boîtes de conserve en terre cuite émaillée, (technique à la corde). A l’entrée du musée Goulu, 2010-2022 (version no 2). Goulottes de chantier en osier blanc peintes en orange fluorescent

Un second jardin potager se développe sur la terrasse entre l’ancienne filature et le nouveau bâtiment.

Rodolphe Huguet complète ainsi le jardin ethnobotanique de Maison Rouge où les espèces potagères étaient curieusement ignorées…

Les plus aventureux ne manqueront pas de jeter un coup d’œil du côté du salon de thé construit dans le parc de Maison Rouge au XIXe siècle. Trois tapis de laine taillée et ciselée de sa série Fondations les y attendent pour une sarabande où Éros et Thanatos en écho aux danses macabres s’essayent à quelques exercices inspirés du Kama-sutra…

Afin de ne pas alourdir l’exposition et la présentation des collections permanentes, aucun cartel n’est présent le long du parcours. Ils sont reproduits sur une feuille de salle disponible à l’entrée du musée. Les visiteurs y trouveront également un texte signé par Maya Trufaut.

Une partie des masques en tuiles déformées, frappées, perforées, criblées d’impacts de balles qui étaient suspendues au plateau expérimental du Frac Paca en 2019 sont toujours en cours de migration entre Marseille et Saint-Jean du Gard… À leur arrivée, elles devraient s’installer au-dessus du vide entre la terrasse de l’ancienne filature et l’extension inaugurée en 2017.

On espère qu’un catalogue de l’exposition sera très vite disponible.

« Roro circus in Cévennes » est une découverte absolument incontournable qui impose un passage par Maison Rouge avant le 21 août prochain.

À lire ci-dessous, le texte de Maya Trufaut. Un compte rendu de visite complètera prochainement cette chronique.

Rodolphe Huguet présente à la Galerie Telmah de Rouen un solo Show « les gens pressés sont déjà morts » jusqu’à la fin du mois de juin.
Il participe à une exposition du projet Superfish avec Mor Badiane, Ndeye Gaye, Mar Gningue et Benoît Laffiché à Yoff Tonghor dans le cadre de la biennale off de Dakar.
Il est également présent dans « Hors d’œuvres » au Musée des Maisons Comtoises avec Jean-Marc Chapoulie et Claude Closky jusqu’à la fin septembre.
Plusieurs de ses pièces sont exposées dans « Toucher Terre » à la Villa Datris à L’Isle-sur-la-Sorgue jusqu’au 1er novembre.

En savoir plus :
Sur le site de Maison Rouge – Musée des vallées cévenoles
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Suivre l’actualité de Rodolphe Huguet sur Instagram.

« Roro circus in Cévennes » par Maya Trufaut

Artiste invité à Maison Rouge, Rodolphe Huguet s’est vu offrir une carte blanche au sein des espaces du Musée des vallées cévenoles. Les collections du musée, liées au patrimoine matériel et immatériel des Cévennes, ont su faire écho à l’histoire personnelle de l’artiste, qui y a passé son enfance. Après l’évasion, et les voyages entrepris ces dernières années – au Népal, en Inde, en Colombie, au Maroc ou au Japon – à la recherche de nouveaux territoires, il vient alors un temps de recentrage, comme un retour aux sources. Il s’agit d’une autre forme d’exploration, plus intime : celle des terres où il a grandi.

De son titre gai aux sonorités enfantines, Roro circus in Cévennes, l’exposition est présentée comme une sorte de déambulation récréative et presque circassienne dans l’ensemble du musée. Rodolphe Huguet investit les lieux comme en terrain conquis, à la manière d’un équilibriste. Des salles temporaires à celles consacrées aux collections, ses œuvres sont accrochées un peu partout, sous une multitude de formes, de supports et de matériaux. Elles s’invitent même dans le jardin ethnobotanique cévenol où l’artiste prend la liberté de créer un potager au sein de ses géantes Graines de Conserve, boîtes de conserve en terre cuite. Commissaire de sa propre exposition, il jongle entre les espaces, intérieurs ou extérieurs, jusqu’à trouver la place adéquate à chaque pièce, récente et plus ancienne.

Certains travaux, disposés dans les salles permanentes, sont troublants tant ils viennent dialoguer avec les objets de la collection, tant leur résonance est singulière. On pourrait les penser produits pour l’occasion, mais pourtant, dans cette partie du musée, il a fait le choix de n’exposer que des œuvres réalisées de 1997 à 2018. Ainsi, son œuvre Concept intemporel de l’économie agricole (2012) faite d’une accumulation de vieux outils aratoires, se fond complètement dans la salle 4, consacrée aux paysages construits des Cévennes et aux outils. Ou encore, dans la salle 8 « Sabotiers, foires et marchés », sa pièce L’économie de marché(r) (1997), réalisée en vannerie de doum, prend une dimension particulière, jusqu’à son titre. A chaque espace, une proposition; à nous de chercher l’intrus. Ces œuvres, déjà exposées auparavant, s’adaptent parfaitement au contexte, comme si elles étaient imprégnées de ses souvenirs d’enfance et que ce nouvel accrochage, finalement, permettait de les révéler.

Ces temps passés dans les Cévennes, à observer et apprendre le langage de la nature, ont en effet indéniablement marqué sa création. Revenir sur ces terres en tant qu’artiste et investir Maison Rouge, ancienne filature de soie, c’était donc avant tout reprendre les chemins de la connaissance. Pendant un an, Rodolphe Huguet s’est familiarisé aux savoir faire locaux en travaillant avec des entreprises du département: La Poterie Chêne Vert, pour l’apprentissage du tournage à la corde, et Sericyne, pour l’élevage de vers à soie. En conjuguant ces techniques traditionnelles à son style personnel, l’artiste a produit de nouvelles pièces et nous livre son interprétation, tantôt légère et enfantine, tantôt profonde – toujours sensible – de la culture cévenole.

Ces travaux ont été rassemblés à l’écart, dans la grande salle à l’étage. Ils n’ont plus besoin de dialoguer avec la collection, car racontent à eux seuls des histoires. Ils forment un tout offrant une vision déroutante, comme un spectacle: c’est le cirque, tant attendu, de Poro. Dans cet espace réapproprié, l’accrochage a quelque chose d’acrobatique. Un escalier trônant au beau milieu de la pièce, des jambes suspendues au plafond, une estrade, une porte posée au sol, des confettis et des boîtes de conserve rappelant le jeu du Chamboulle tout. Rodolphe Huguet nous donne sa version des Cévennes dont les références se cachent dans les moindres détails et matériaux, comme la forme bancèl de l’estrade, le châtaignier brûlé, l’ancienne poulie de filature ou encore la soie tissée par les vers. Même les titres reprennent des dictons locaux, tel que Chaque héritier change son escalier ou Le Trop est de Trop!

Mais pour vraiment comprendre sa relation avec cette culture, il faut se rendre dans le dernier espace, volontairement délimité au fond de la salle. Laissé en noir pour donner l’aspect sombre et intimiste des vieilles demeures cévenoles, le lieu a été réaménagé en atelier/bureau. L’artiste s’y dévoile en présentant des œuvres mémorielles liées à son histoire personnelle, comme le sanctuaire préservé des souvenirs. Si les films Super 8 (numérisés, visibles sur tablette) ont su en capturer l’essence, il va jusqu’à reconstituer des scènes de son passé. Ainsi, dans les pupitres d’un vieux bureau sont entreposés ses Architectures de feutres tissées par des vers à soie, en hommage à ce jour où il en avait caché dans tous les casiers de la classe pour que les cocons envahissent les cahiers le temps d’un week-end. Cette fascination, conservée, pour ces vers transparaît d’ailleurs nettement; les fils de soie sont omniprésents, tissant un lien brut, filandreux, fragile aussi, entre les séquences de son enfance.

Cette salle noire, sombre, révèle alors un pan plus autobiographique mais également plus vulnérable de son travail. Ainsi, son crâne jonché de vers, Carbone (autoportrait), incontestable vanité, sonne le glas de l’innocence et rappelle le caractère éphémère de l’existence et du temps qui file irrémédiablement. Car Rodolphe Huguet, en dépit de l’aspect clownesque de ses pièces, c’est aussi ça. Une sensibilité, une subtilité, une profondeur à saisir derrière la mascarade. Au-delà du cirque et de la dérision, Roro circus in Cévennes prête à l’équivoque. A l’image de l’affiche de l’exposition, tirée de sa photographie Faire danser l’anse du panier, l’artiste dissimule son visage dans un panier, comme une énigme adressée au spectateur. L’indice est là, tendu, à qui voudra l’interpréter.

Maya Trufaut

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