Rodolphe Huguet – Bon Vent au FRAC PACA – Marseille

Jusqu’au 24 février 2019, le Frac Provence Alpes Côte d’Azur présente « Bon Vent », une remarquable et inévitable exposition de Rodolphe Huguet.

Rodolphe Huguet - Bon Vent au FRAC PACA - Plateau expérimental
Rodolphe Huguet – Bon Vent au FRAC PACA – Plateau expérimental

Invité au Frac Paca dans le cadre d’une résidence croisée avec le Frac Franche-Comté, Rodolphe Huguet a développé un travail en immersion avec la tuilerie Monier.
Après en avoir adopté les horaires et les règles de fonctionnement, collaborer avec les ouvriers et assimiler les contraintes techniques des différentes étapes de fabrication, il a réalisé plusieurs séries d’œuvres dont la tuile est l’élément central.

Rodolphe Huguet a imaginé un projet à partir des usages essentiels de l’objet : s’abriter, se protéger, être en sécurité. Interpellé par ceux qui migrent à la recherche d’un peu de protection, il a choisi de travailler la tuile elle-même. Il la pile, la déforme, la frappe, la transperce… pour en faire des sculptures qui évoquent les situations de vie de ceux qui arrivent épuisés et meurtris de ce côté de la méditerranée.

Originellement prévu au Plateau expérimental, « Bon Vent » déborde largement pour occuper avec pertinence les espaces vacants et les recoins parfois oubliés du Frac Paca.

Des barques échouées dans le bassin du Frac…

Rodolphe Huguet - Bon Vent au FRAC PACA - Barques dans le bassin
Rodolphe Huguet – Bon Vent au FRAC PACA – Barques dans le bassin

Dans le hall d’entrée, le bassin du Frac, ordinairement à sec, est à nouveau en eau. Réalisées par simple pliage de tuiles romaines, des barques vides sont échouées, parfois brisées sur des rochers, composant un paysage de naufrage qui n’exige guère de commentaires…

Maisons-valises et Pièges à rêves

Les circulations vers de deuxième et le troisième plateau, les sas vers la terrasse en cœur d’ilot ou vers celle qui ouvre sur la ville sont occupés par d’étranges maisons-valises. Composées de tuiles déformées, de couvertures, de sangles et de poignées, elles semblent avoir été abandonnées dans l’urgence d’un départ.

Aux murs, d’émouvants pièges à rêves, fragments de terre cuite malaxée, sont accrochés dans des morceaux de clôture grillagée… comme des bouteilles à la mer.

Rodolphe Huguet - Bon Vent au FRAC PACA - Pièges à rêves
Rodolphe Huguet – Bon Vent au FRAC PACA – Pièges à rêves

Warchitectures

Rodolphe Huguet - Bon Vent au FRAC PACA - Warchitectures
Rodolphe Huguet – Bon Vent au FRAC PACA – Warchitectures

Au fond de la terrasse en ilot, 22 architectures de guerre attendent avec défi le visiteur qui s’est aventuré jusqu’ici. Assemblages disjoints de tuiles diverses, elles témoignent à la fois d’habitats précaires construits dans l’urgence, de souffrances hurlantes, de blessures insupportables… mais aussi peut-être de résistance et de dignité.

Masques et cris au Plateau expérimental.

À l’aide de fers à béton et de cintres, Rodolphe Huguet a transformé le Plateau expérimental en une installation captivante et effrayante qui immerge / submerge le visiteur.

Des dizaines de masques, tuiles déformées, frappées, perforées, criblées d’impacts de balles, sont suspendues… Ces visages tordus, mutilés semblent crier leur douleur, leur martyre, leur angoisse, leur désespoir, leur effroi…

Spectaculaire et saisissante, cette installation ne peut laisser indifférent.

Rodolphe Huguet - Bon Vent au FRAC PACA - © Jeanchristophe Lett
Rodolphe Huguet – Bon Vent au FRAC PACA – © Jeanchristophe Lett

À ne pas manquer !!!

À lire, ci-dessous, les textes de Pascal Neveux, directeur du Frac Paca et Guillaume Mansart, directeur, responsable de Documents d’artistes Paca à propos du projet de Rodolphe Huguet.

La librairie du Frac présente plusieurs ouvrages de Rodolphe Huguet et un ensemble de sculptures réalisées par l’artiste à la tuilerie Monier à Marseille. Intitulée Warchitectures, cette édition est composée de 50 exemplaires uniques et 10 EA numérotés et signés par l’artiste.

Rodolphe Huguet - Bon Vent - Edition à la librairie du FRAC PACA - © Jeanchristophe Lett
Rodolphe Huguet – Bon Vent – Edition à la librairie du FRAC PACA – © Jeanchristophe Lett

DU 12 janvier au 17 février 2019, Rodolphe Huguet sera en compagnie de Hervé Bréhier, Barbara Noiret et Hans Segers dans « Ceremony » au Palais de l’Archevêché à Arles. une projet coproduite par la Galerie Quatre et la Ville d’Arles.

Un projet d’exposition avec Rodolphe Huguet est en cours de préparation, pour l’été prochain, au CACN – Centre d’Art Contemporain de Nîmes

À voir également au Frac Paca « Une histoire de la collection du Fonds régional d’art contemporain » et « Maya Dunietz, Five Chilling Mammoths – The Infinite Decimal » qui feront l’objet de prochaines chroniques.

En savoir plus :
Sur le site du Frac Paca
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L’exposition « Bon Vent » de Rodolphe Huguet présentée au Plateau expérimental s’inscrit dans le cadre des résidences croisées initiées en 2013 avec le Frac Franche-Comté.

Invité en résidence en 2017, Rodolphe Huguet a su dans ce contexte développer un lien privilégié avec la tuilerie Monier à Marseille, dont les œuvres présentées aujourd’hui rendent compte avec générosité.
Au-delà d’une résidence et d’une rencontre avec l’univers mécanique d’une tuilerie contemporaine, Rodolphe Huguet a pu découvrir un élément architectural a priori assez banal et produit à des millions d’exemplaires, la tuile. Intéressé à la fois par la forme et la fonction de ce matériau de construction, sa fabrication mécanisée et sa matière même, il a, au fil de ses séjours dans cette tuilerie, développé un univers de formes où chaque tuile devient une sculpture unique à l’identité singulière. Au gré de ses expérimentations et trouvailles, il les a malaxées, trouées, contraintes pour les transformer en de véritables objets chargés d’une dimension plastique et politique nouvelle. La tuile n’est plus et n’a certainement jamais été pour Rodolphe Huguet un simple objet manufacturé réduit à sa fonction première produit à grande échelle mais voit sa valeur fonctionnelle originelle qui est de protéger, de mettre à l’abris, s’enrichir d’une valeur sociale et politique, qui nous en dit plus sur notre société contemporaine que n’importe quel manifeste.

Ces œuvres réalisées à Marseille nous interpellent et nous posent directement cette question à laquelle nous apportons peu de réponses engagées aujourd’hui hélas : est-ce dans ce monde-là que nous vivons ?

Dans le vertige de ce nouveau corpus riche d’inventions conceptuelles et plastiques originales, Rodolphe Huguet nous rappelle que le monde est ce que nous nous en représentons. Ces nouvelles sculptures accumulent, suscitent, évoquent, induisent des manières différentes de voir le monde. Chaque artiste repousse les limites de notre perception du monde. Comment ne pas penser dès lors que la fréquentation de ses sculptures ne donne du poids aux mots, que chacune de ses constructions de terre cuite deviennent des récits avec leurs souffrances, leurs joies, leur humour, leurs rêves et leurs détresses où fiction et réalité ne font plus qu’un.

Le travail de Rodolphe Huguet s’ancre dans une mythologie locale et globale qu’il fabrique, modifie, invente au service de ses propres réalisations, trouvant dans l’hybridation et la réutilisation d’objets usées, patinés par le temps et la vie, le moyen de faire œuvre. Barques en tuile, maisons-valises, masques, architectures de guerre, toutes participent de cette nécessité de fabriquer un répertoire de formes et de récits sans frontières. Arpenteur insatiable, Rodolphe Huguet donne à penser, donne à voir avec générosité, utilisant cette frénésie à imaginer et produire de nouvelles œuvres comme un véhicule qui nous transporte d’un continent à l’autre, d’une tragédie à l’autre, d’un mythe à l’autre, d’un récit à l’autre. Il nous entraine à modifier notre vision du réel avec la force émotionnelle qui convient, juste, toute en retenue, convoquant la mémoire, qui par la nécessité de savoir, nous permet ainsi d’inventer notre présent et parfois de le réinventer.

C’est en effet le regard personnel, subjectif, qu’il porte sur les grands défis et enjeux de nos sociétés mondialisées, qui fait la valeur de chacune de ces nouvelles productions. Nous y trouvons à la fois la générosité du geste qui imagine et façonne, la poésie qui caractérise sa démarche et une attention aux êtres, quels qu’ils soient, dans l’existence que la société leur impose au quotidien, des existences anonymes, des événements parfois minuscules, parfois tragiques mais toujours significatifs du monde dans lequel nous vivons aujourd’hui.

Rodolphe Huguet nous invite à faire des efforts réels pour approcher autrui, tenter de le comprendre.

Inventeur et expérimentateur hors-pair, alliant une dimension sociale et politique assumée à une inventivité plastique débridée, Rodolphe Huguet nous interpelle, nous transforme et sans doute nous régénère. Nulle surprise dès lors de le retrouver sur tous les fronts et dans plusieurs espaces du Frac pour l’occasion avec humour et poésie, avec un sens inné du partage et de l’amitié. Mais il est sans doute avant tout nécessaire de souligner la force de son œuvre, d’autant plus prégnante qu’elle s’offre à nous dans une infinité de formes et de matériaux, riche de mille métamorphoses, précaire et profonde à la fois. Il y a là matière à réfléchir et sans doute à agir !

Pascal Neveux, novembre 2018

L’œuvre de Rodolphe Huguet, depuis plus de vingt ans, semble guidée par l’incessante nécessité de s’ouvrir à de nouveaux horizons. À l’autre bout du monde ou à côté de chez lui, l’artiste est attentif aux communautés humaines qui l’entourent. Bronziers, tanneurs, tisserands, vanniers, mineurs… il s’engage dans le travail à côté d’ouvriers et d’artisans afin de comprendre les règles qui régissent leur pratique autant que leur vie. Rodolphe Huguet dévoie les savoirs, il les met à l’épreuve. Au travers de gestes simples, souvent empreints d’humour, et en pleine conscience de son époque, il construit une œuvre dans laquelle l’expérience formelle recèle le politique. Sa production protéiforme reflète la multitude des chemins qu’il a empruntés avec tel ou tel, pourtant chacune de ses sculptures se fait l’écho de sa sensibilité à l’égarement du monde.

Invité au Frac en 2017 dans le cadre d’une résidence croisée avec le Frac Franche-Comté, il entame à Marseille un travail de recherche avec la tuilerie Monier. Son projet tient d’abord dans la compréhension du fonctionnement de l’entreprise, le règlement, les codes, les usages… Rodolphe Huguet arpente inlassablement la chaîne de production, dialogue avec les ouvriers, s’adapte à leur rythme et à leurs outils de travail avant de s’aventurer dans de nombreuses expérimentations. Celles-ci permettent la réalisation d’un imposant ensemble de sculptures dont l’élément central, malmené, plié, troué, moulé, malaxé, est la tuile. Parce qu’il convoque des notions de protection, d’abri, d’architecture, l’artiste choisit de travailler avec l’objet lui-même plus qu’avec sa matière première. Il fait d’une tuile une sculpture. L’ensemble des propositions qu’il présente invalide la nature protectrice de l’objet. Ici, à l’image de tout ce qui pouvait faire abri dans la société, la tuile est transpercée, échouée, gisante. À la sécurité ou la pérennité s’opposent l’instabilité, la mobilité, les migrations. Dans le bassin du Frac, un ensemble de barques réalisées par simple pliage est disséminé, il compose un paysage de naufrage évocateur. Plus loin, des maisons-valises, dépouillées de toutes fioritures, comme construites dans l’urgence avec des tuiles trouées, s’alignent sur la terrasse. Un bloc après l’autre elles semblent figurer une précarité qui s’organise. Enfin, l’installation qui habite le plateau expérimental impose une présence. Des dizaines de masques, tuiles détournées, criblées d’impacts de balles, sont réunies, elles pourraient à elles seules porter la souffrance d’une humanité entière. L’exposition de Rodolphe Huguet, déborde, court-circuite, elle se répand, contamine les territoires laissés vacants. À partir de la manipulation d’un unique matériau nu, l’artiste livre son regard sur les dérèglements d’un monde dont la toiture a été définitivement éventrée.

Guillaume Mansart

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