Tissage / Tressage… quand la sculpture défile à la Villa Datris – L’Isle-sur-la-Sorgue

Jusqu’au 1er novembre 2018, la Villa Datris propose « Tissage/Tressage… quand la sculpture défile ». Avec la centaine d’œuvres rassemblées, cette huitième exposition de la fondation présidée par Danièle Kapel-Marcovici, renoue avec l’équilibre magique de « Sculptrices » qui nous avait éblouis en 2013.

Aude Franjou, Le Coeur du figuier, 2018 - Tissage / Tressage... quand la sculpture défile à la Villa Datris
Aude Franjou, Le Coeur du figuier, 2018 – Tissage / Tressage… quand la sculpture défile à la Villa Datris

« Tissage/Tressage… quand la sculpture défile » est sans aucun doute une des expositions majeures à ne pas manquer dans le midi cette année.

Depuis 2011, les projets conçus et exposés à la Villa Datris explorent différents modes d’expression de la sculpture contemporaine. Ils ont toujours démontré leur ambition et leur générosité. Cependant, indépendamment de la qualité des œuvres présentées, et de la pertinence des intentions, plusieurs nous ont laissé un sentiment d’inachevé… Une sélection parfois trop prodigue nuisait à la lisibilité et à la cohésion du propos.

Ici, rien de tout cela ! Et, c’est avec bonheur que l’on retrouve la magie et la cohérence de Sculptrices. Le parcours de « Tissage/Tressage… quand la sculpture défile », construit avec beaucoup d’intelligence, est d’une grande fluidité.

La mise en espace des œuvres est particulièrement réussie. Les rapprochements et les oppositions ont été conçus avec beaucoup de finesse et d’à-propos.
Jamais l’œil du visiteur ne papillonne et ne sait trop où se poser. Tout semble limpide. Toutefois, l’accrochage réserve quelques surprises heureuses et bâtit d’habiles ruptures et changements de rythme.

La scénographie simple et discrète reste avant tout au service des œuvres et de leurs dialogues.
L’éclairage utilise avec pertinence la lumière naturelle, un des atouts majeurs de la Villa Datris.

Anne Laval, Paysage de poussières, 2012 - Exposition Tissage - Tressage à la Villa Datris
Anne Laval, Paysage de poussières, 2012 – Exposition Tissage – Tressage à la Villa Datris

Chaque salle aborde une thématique singulière sans avoir de lien très marqué avec les précédentes ou les suivantes. Cet ensemble qui pourrait être hétérogène réussit par magie à construire un parcours étonnamment intelligible et sensible qui laisse à chacun sa place pour y faire émerger émotions et souvenirs et y tisser ses propres histoires.

Exposition Tissage - Tressage à la Villa Datris - Folie du fil
Exposition Tissage – Tressage à la Villa Datris – Folie du fil

Un bref texte introduit chaque espace. Il offre au visiteur des repères chronologiques utiles et explique avec pertinence le choix des artistes et des pièces sélectionnées.
Chaque œuvre est accompagnée d’un cartel développé, en français et en anglais, rédigé avec simplicité et qui la replace dans son contexte.

Neuf œuvres ou installations ont été produites spécialement pour l’exposition par : Olivier Bartoletti, Lilian Bourgeat, Aude Franjou, Mireille Fulpius, Amélie Giacomini & Laura Sellies, Rodrigo Matheus, Edith Meusnier, Elena Redaelli, Yzo

Commissariat d’exposition : Danièle Kapel-Marcovici, aidée de Jules Fourtine, Constance Dumas et Henri-François Dumont
La scénographie est confiée une nouvelle fois à Laure Dezeuze / Studio Bloomer.

« Tissage/Tressage… quand la sculpture défile » est accompagné par une programmation (visites commentées, conférences, ateliers…) dont le détail est disponible sur le site de la Villa Datris.

Comme pour chaque exposition, le site de la Villa Datris propose dans sa section vidéo, des entretiens tournés in situ avec les artistes. Ces documents enrichissent notablement l’expérience de visite.

Un catalogue de 168 pages présente les 72 artistes et 104 sculptures sélectionnées.

À noter l’amabilité remarquable des personnes qui assurent l’accueil du public.

À lire, ci-dessous, un compte rendu photographique et les textes de salle du parcours thématique imaginé pour les espaces de la Villa Datris et pour le jardin des Pénélopes.

En savoir plus :
Sur le site de la Villa Datris
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Tradition et modernité : un artisanat élevé au rang d’art

L’art textile, en particulier la tapisserie, a brillé du Moyen Âge aux arts décoratifs du XIXe siècle. Toutefois, son introduction dans le monde moderne débute dans les années 20, avec des pionnières comme Sonia Delaunay, en France, ou Anni Albers, en Allemagne puis aux États-Unis. Elles s’approprient les savoir-faire traditionnels (gestuelles, techniques, couleurs, textures) pour les sortir des arts décoratifs et les inscrire dans une réflexion artistique abstraite. Dès la fin des années 50, Sheila Hicks, pétrie des enseignements du Bauhaus, ou encore Magdalena Abakanowicz vont l’introduire dans la sculpture. Leurs visions sont renouvelées par des artistes contemporains comme Dewar & Gicquel et Caroline Achaintre, Odile de Frayssinet et Ariana Nicodim.

Intimités exposées : les arts féministes dans l’art contemporain

Dans les années 60-70, les femmes artistes comme Raymonde Arcier et Annette Messager entrent en lutte pour être reconnues au même titre que les hommes. Pour proposer leur vision de la féminité, elles vont privilégier les arts de faire considérés comme mineurs par la culture artistique essentiellement masculine.

Annette Messager, Tentation - Collection privée- ©Annette Messager/Adagp 2018 photo © Rebecca Fanuele
Annette Messager, Tentation – Collection privée- ©Annette Messager/Adagp 2018 photo © Rebecca Fanuele

Les pratiques de tisser et tresser, liées autrefois à l’intime et au domestique, entrent dans l’espace d’exposition, et au-delà, dans le vocabulaire artistique contemporain. Les artistes jouent sur la narration d’un quotidien inquiétant comme Laure Prouvost ou Romina De Novellis et sur une féminité sexuée affirmée et dérangeante, comme Elodie Antoine, Céleste Castelot, Cécile Dachary et Sonia Gomes.

Cécile Dachary, Hum ! - Courtesy de l'artiste, photo© Cécile Dachary
Cécile Dachary, Hum ! – Courtesy de l’artiste, photo© Cécile Dachary

Sur le fil : les années 50

L’art textile sort de la tapisserie décorative pour brouiller les pistes entre 2d et 3d. Depuis les années 50, les femmes artistes abordent l’art minimaliste et abstrait avec une pratique épurée du fil. Elles dessinent l’espace – Pierrette Bloch, en (dé)nouant la délicatesse du fil, Marinette Cueco en mettant en tension des tiges végétales.

Marinette Cueco, Tondo - © Galerie Univer / Colette Colla
Marinette Cueco, Tondo – © Galerie Univer / Colette Colla

Fil organique

Sous la main des artistes, le textile prend vie grâce à sa souplesse et sa porosité et part à la conquête de l’espace, grâce aux travaux d’artistes, comme Josep Grau-Garriga et Jagoda Buic, figures de la « Nouvelle Tapisserie ».

Le textile devient organe objet chez Fabrice Hyber, se plisse en sculpture chez Simone Pheulpin, et devient chez Agnès Sebyleau et Hanne Friis une membrane organique.

Identités textiles

Le textile, en devenant habit, symbolise le corps et son travestissement. Il danse avec Nick Cave, porte en mémoire des événements avec Meschac Gaba, transforme en chasseur avec Jacin Giordano.

Au-delà du corps, l’art textile permet des glissements sémantiques d’objets familiers, locaux ou identitaires pour racommoder le monde, comme chez Faig Ahmed, Joana Vasconcelos, Pascale-Marthine Tayou ou encore El Anatsui.

Vernaculaires

De tous temps, l’homme célèbre la nature en reproduisant ses formes. Les tressages de nids, de toiles ou encore de lianes inspirent les artistes comme Maria Nepomuceno, Ernesto Neto, Rina Banerjee et Adeline Contreras. Ils invoquent des mystiques séculaires et les cultures premières, proche de l’animisme pour trouver un nouvel ordre au monde.

Cordées : minimalisme et art pauvre

Le fil et la corde proposent une gestuelle et un tracé épurés. Présentées brutes, prises dans une gestuelle quotidienne et minimaliste chez Claude Viallat ou Christian Jaccard, les cordes s’entrelacent et se figent chez Judy Tadman et Phyllida Barlow. Renouer avec ces matériaux pauvres s’inscrit dans le folklore et les traditions et forme l’éloge du ralentissement du temps et de la décroissance.

Folie du fil : l’influence de l’art brut

Le fil s’enroule ou se tricote. On retrouve déjà des objets enveloppés de textiles dans les cultures anciennes, de l’Egypte Antique à la culture vaudou. Pour Pascal Tassini et Judith Scott, l’acte d’emmailloter est une manifestation de leurs troubles obsessionnels.

Ces gestes d’Art Brut, entre l’embrasse et l’étouffement, entre la protection et l’appropriation sont repris par les artistes tels que Cathryn Boch, Manish Nai, ou Alice Anderson. Ils appellent à la catharsis, à la magie ou l’acte mystique.

Cathryn Boch, Sans titre, 2016 - Exposition Tissage - Tressage à la Villa Datris - Folie du fil
Cathryn Boch, Sans titre, 2016 – Exposition Tissage – Tressage à la Villa Datris – Folie du fil

Tisser le monde

Tisser et tresser multiplient les dimensions, croisent le passé avec le présent et nous font revoir nos interfaces au monde. De l’art figuratif d’Alexandra Kehayoglou aux objets mis en tension de Chiharu Shiota, de la fenêtre au monde d’Ifeoma Anyaeji au tissage narratif de Amélie Giacomini & Laura Sellies et Françoise Giannesini, du costume de Stéphanie-Maï Hanuš aux figures tressées de Nicole Dufour, le travail artistique du fil met la théorie des cordes, qu’utilise la physique quantique, à l’oeuvre. Voir les trajectoires en forme de surface tubulaires et non de lignes bidimensionnelles a transformé notre perception de l’Univers et en intègre toute sa complexité.

Les jardins de la Villa Datris permettent aux artistes de donner libre cours à leur imagination en leur proposant une topographie animée de bosquets et de végétation enchanteresse, associé au murmure des eaux vives de la Sorgue. Certains artistes sont même invités à produire in situ leurs installations ou compositions, en symbiose étroite avec les arbres et la belle nature de la Villa. Cette année, 14 artistes sont exposés en extérieur : dans les jardins, au bord de la Sorgue ou sur les façades de la Villa.

L’art de tresser, sorti du carcan de l’intime, devient monumental avec Elena Redealli, Mireille Fulpius et Lilian Bourgeat. Tisser peut être une trame à l’infini comme dans le travail d’Olivier Bartoletti ou de Rodrigo Matheus. Cette pratique devient une manière de renouer avec le monde naturel. Empreintes des traditions religieuses de par le monde, Awena Cozannet, Aude Franjou et Véronique Matteudi inscrivent leur travail dans ou avec le végétal. Les œuvres métalliques de Nadya Bertaux, Elizabeth Grasset, Odile de Frayssinet, Adrienne Jalbert, Véronique Wirth et Antonella Zazzera condensent, en immersion dans le jardin, la force d’un art-de-faire féminin, venu briller en art majeur. Dans ce jardin de sculpture accueillant et à taille humaine, une scénographie particulière sera présentée cette année, composée d’installations in situ intégrées dans un univers végétal et soumises au climat provençal.

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