Instemps à la Chapelle de la Vieille Charité, Marseille

instemps (1)_1Instemps, regards de six artistes photographes sur le patrimoine

La proposition du CICRP (Centre interdisciplinaire de conservation et de restauration du patrimoine) de faire dialoguer Patrimoine et Création dans le cadre d’une exposition de Marseille-Provence 2013 était un projet très séduisant.

Six commandes publiques ont été proposées à six photographes sur les problématiques qui sont au cœur de l’activité du CICRP. Le choix de la photographie s’est imposé comme une évidence. En effet, le travail du service d’imagerie scientifique du CICRP est essentiel  dans la production des dossiers photographiques, éléments importants dans le processus d’étude et de restauration des œuvres. La restauration de peintures de très grand format est une des spécialités CICRP. En conséquence, il a été demandé aux photographes de proposer également des œuvres de grand format.

Depuis l’automne 2009, un dialogue s’est instauré entre les artistes et les acteurs du CIRCP. Le projet artistique s’est ainsi construit autour de six thèmes. Antoine d’Agata a travaillé autour de l’altération, José Ramon Bas a évoqué la transmission et Lisa Ross l’apparenceAlfons Alt a reflechi sur le thème du passageMatthias Olmeta a traié celui de l’investigation et Lucie et Simon ont travailler autour du temps suspendu.

Les six œuvres originales sont présentées dans l’exposition Instemps, regards de six artistes photographes sur le patrimoine à la Chapelle de la Vieille Charité jusqu’au 5 janvier 2014.

Malheureusement, il faut bien convenir que la scénographie mise en place est loin d’offrir une présentation à la hauteur du travail réalisé.
Certes l’édifice de Puget n’est pas un lieu facile, mais il est difficile à admettre que l’éclairage puisse être aussi approximatif ! Une fois sur deux, on a la surprise de voir son ombre se profiler sur l’œuvre à mesure que l’on s’en approche.
La lecture des cartels, dont le contenu est très intéressant, est souvent rendue difficile une fois encore par les ombres portées, mais aussi par des impressions sur fonds colorés. Leur position horizontale sur des poteaux de bois n’arrange guère le confort du visiteur.
L’installation de « chevalets de restauration » en bois brut, dans les quatre chapelles et deux bars du transept, évoquent, on le suppose, le travail au CICRP… Mais sont-ils vraiment indispensables dans ces espaces exigus ?  Ne réduisent-ils pas la profondeur disponible pour éclairer les photographies et offrir un meilleur confort au regardeur ?

L’abside et le vestibule sont réservés à la présentation du travail des équipes du CIRCP. Ici aussi, on regrette le peu d’imagination mise en œuvre… Fallait-il se limiter à l’installation de panneaux très institutionnels et assez peu attractifs ? Lors de notre visite, des dispositifs audio-visuels occupaient la première chapelle en entrant à gauche dans le vestibule, mais rien de ne fonctionnait et l’accès en était interdit par une corde…

Les photographies étant strictement interdites, il est impossible d’illustrer notre propos avec quelques clichés.

Ces conditions d’exposition ne doivent cependant pas décourager les amateurs. Le travail réalisé par les artistes est souvent très intéressant et mérite attention.

L’altération

Ce thème a été retenu par Antoine d’Agata , dont on a gardé le souvenir de sa récente exposition, Odysseia au MuCEM. Dans un assemblage d’images réalisées au Cambodge, il présente une vision de l’altération humaine qu’il confronte à celle du patrimoine.
Plutôt intriguant…

Antoine d’Agata, Sans titre, 2010. 100 x 180 cm
Antoine d’Agata, Sans titre, 2010. 100 x 180 cm

La transmission

José Ramon Bas propose une réflexion sur  la manière dont le patrimoine perdure en Afrique. C’est au travers des enfants qu’il choisit de mettre en scène un patrimoine oral qui se transmet de génération en génération.
Une belle évidence !

José Ramon Bas, Bango, 2011, photographies, dessins et résine, 120 x 180 cm
José Ramon Bas, Bango, 2011, photographies, dessins et résine, 120 x 180 cm

« J’ai traité la thématique de la mémoire et du patrimoine. Mon trav ail a toujours été tourné vers la mémoire, il n’a donc pas été difficile pour moi de m’en rapprocher. Dans mes précédents travaux, j’ai parlé de ma mémoire, de mes voyages, et j’ai essayé de jouer avec le mélange, la perception du temps.
Dans le présent projet, je donne la voix aux enfants qui sont la mémoire. Une mémoire future.
Mémoire et patrimoine sont toujours liés, notre mémoire fait partie de notre patrimoine, ils vont main dans la main, il est impossible de les séparer sans causer de dommages irréparables. Il nous faut les préserver, c’est notre devoir, sinon nous serons condamnés à un vide, à une superficialité terrifiante.
Le patrimoine d’Afrique et celui d’Europe sont très différents. Nous avons régi pendant longtemps les ressources du continent africain. Puis nous lui avons donné une indépendance irréelle, mais nous n’avons pas pris la peine de nous préoccuper de son patrimoine ou de sa mémoire et ce sont les Africains eux-mêmes qui auront à se prononcer sur leur mémoire et sur leur patrimoine.
Ce travail est donc un cri des sans-voix dans les pays sans voix, le Congo-Brazzaville et la république Démocratique du Congo ». José Ramon Bas (extrait du dossier de presse)

L’apparence

La conservation-restauration n’a pas pour objectif de restituer à une oeuvre son apparence d’origine, mais d’assurer sa pérennité et de permettre qu’elle soit  compréhensible. Les restaurations, réversibles, ne sont plus illusionnistes. La main du restaurateur ne doit pas être confondue avec celle de l’artiste…
Ce thème de l’apparence a conduit l’artiste américaine, Lisa Ross a proposer une réflexion sur des portraits gravés sur pierres tombales dans un cimetière d’Azerbaïdjan…
Peut-être, l’association la moins convaincante…

« En réfléchissant au thème de l’apparence, les portraits gravés sur pierres tombales me sont venus à l’esprit. J’avais eu l’occasion de marcher dans un cimetière d’Azerbaïdjan, avec le sentiment de marcher parmi les vivants. À travers les regards de chaque homme, chaque femme, enfant ou adolescent, je reconnaissais Bakou, le portrait d’une ville, d’un pays. Tel était le but des nouveaux projets de restauration et de conservation dont j’avais pris connaissance sur le site internet du Ministère de la Culture azerbaïjanais : aider à définir l’identité d’un pays en transition, indépendant mais libéré de la domination soviétique.
Les portraits funéraires portaient des strates d’histoire, celle d’une nation ou d’un peuple. Comment elles avaient pu se maintenir tout ce temps. La lumière du soleil se reflétant chaque jour sur les surfaces scintillantes allait du blanc diaphane à l’orange vif et semblait avoir un effet physique sur les pierres tombales. Le vent et la pluie aussi. Certaines images étaient usées, d’autres s’écaillaient ou se craquelaient à la surface. Le lichen grimpant à l’extérieur posait également problème.
L’été d’avant, en Toscane, j’ai passé du temps dans des ruines étrusques, à observer les visages et les sarcophages datant de plusieurs siècles. Certaines, restaurées, disparaissaient dans le paysage vert et vallonné. Alors je me suis demandée à propos des portraits funéraires d’Azerbaïdjan : dans cinq ans, à quoi ressembleront-ils ? Que suggéreront-ils ? Résisteront-ils au temps ? » Lisa Ross (extrait du dossier de presse).

Le passage

Dans les ateliers de restauration du CICRP,  ce sont les interventions qui « transforment »  l’œuvre, qui conduisent d’un état à un autre… Alfons Alt a choisi d’illustrer ce « passage » par un « altotype » sur le site d’Arenc /La Joliette, image d’ « renouveau » marseillais. Un rapprochement trop facile ? Fallait-il un absolument un sujet marseillais ? Ceci dit le travail de Alfons Alt reste interessant…

Alfons Alt, 19,21, 2013, altotype (héliogravure), 120 x 200 cm
Alfons Alt, 19,21, 2013, altotype (héliogravure), 120 x 200 cm

« Marseille subit des grands changements depuis ces dernières années… La photograph ie est un marqueur dans l’histoire d’une ville. Elle est pour moi un moyen d’investigation pour la comprendre.
Le site d’Arenc/Joliette est le théâtre du « renouveau » de Marseille. C’est à cet endroit que Mar seille se re-invente et pose ses marques pour l’avenir. « Observer et manipuler ces données », représente un objet passionnant pour un photographe plasticien. J’utilise le réel et je ré-invente en recomposant la façade maritime de Marseille.
Je choisis les couleurs avec soin. Le bitume de Judée (gris-brun très foncé) est un pigment qui est empreint d’une certaine nostalgie. Je traite le passé avec cette matière et couleur.
Le bleu d’Indanthren est une couleur de transcendance. Elle est appliquée sur des éléments de constructions contemporaines. Le regard vers l’avenir est ainsi traité ». Alfons Alt (extrait du dossier de presse).

L’investigation

L’investigation scientifique est essentielle dans le travail des équipes du CICRP. Matthias Olmeta a reproduit une expérience scientifique de la fin du XIXème, pour réaliser 77 figures de  Trouvelot.  Probablement, la proposition la plus en phase avec le projet.

Matthias Olmeta, Yo tengo tantos hermanos que no los puedo contar, 2011, étincelles électriques directes dans une émulsion collodionnée, tirage numérique, 178 x 280 cm
Matthias Olmeta, Yo tengo tantos hermanos que no los puedo contar, 2011, étincelles électriques directes dans une émulsion collodionnée, tirage numérique, 178 x 280 cm

« Pour traiter le thème de la science, j’ai reproduit une expérience d’Étienne Léopold Trouvelot qui en 1888 mettait en évidence la circulation de l’électricité dans l’émulsion d’une plaque photosensible, produisant une œuvre, connue sous le nom de figure de Trouvelot. L’électricité, phénomène invisible, est donc révélée.
La figure de Trouvelot éveille en moi l’origine, l’énergie de vie et fait écho à mon étincelle intérieure, ma connexion au vivant – au divin.
Cette figure s’est imposée à moi comme une inspiration évidente, une référence obsédante et qui m’a suivie tout au long de ce travail. C’est avec l’aide de Pascal Lauque, maître de conférences à l’Université Paul Cézanne et d’Hervé Dallaporta, chercheur au CINaM (Centre Interdisciplinaire de Nanoscience de Marseille)/CNRS, que j’ai réalisé un dispositif permettant de fixer les décharges électriques, afin de reproduire ces figures de Trouvelot. Ces images sont donc générées directement par contact de l’étincelle sur la plaque, sans appareil photographique.
Les 77 figures qui constituent l’œuvre expriment, à travers leur réalité physique et scientifique, les connexions que nous avons les uns avec les autres comme celles que nous avons avec les oeuvres d’art qui font partie de la mémoire collective ». Matthias Olmeta (extrait du dossier de presse).

Le temps suspendu

La restauration d’une œuvre d’art suspend l’effet du temps pour lui permettre de durer…
Lucie & Simon ont figer le temps dans quatre villes symboliques : Rome, Paris, New York et Pekin…
Très belles illustrations de ces temps suspendus…

« Dans le projet Silent world, il a été question pour nous d’aborder le rapport au temps. En créant un espace-temps suspendu sur les places symboliques du monde, nous avons souhaité créer un univers imaginaire et inconnu dans ces lieux connus de tous.
Le temps d’exposition de la photographie rend ces images possibles, et laisse pour unique témoin d’une présence humaine les vestiges architecturaux anciens et modernes, qui ont passé les époques et donnent une identité si particulière à chaque lieu, à chaque culture, en révélant leur histoire.
Nous avons choisi quatre villes différentes mais symboliques, afin de pouvoir représenter le monde d’aujourd’hui et mettre en confrontation quatre histoires, quatre cultures, quatre métropoles à des in stants très différents de leur importance à venir ou passée sur l’échiquier mondial.
Rome comme symbole d’une civilisation ancienne et ses ruines datant de l’Empire.
Paris avec son architecture romantique, royale et historique.
New York comme symbole du XXe siècle et de sa modernité frénétique.
Enfin, Pékin et son histoire ancienne ef facée pour faire place à une modernité actuelle et une puissance nouvelle au XXIe siècle ». Lucie & Simon (extrait du dossier de presse).

En savoir plus :
Sur le site du CICRP
Antoine d’Agata sur documentsdartistes.org
Le site de José Ramon Bas  et José Ramon Bas sur le site de la Galerie VU
Matthias Olmeta sur le site de la Galerie Detaille
Le site de Lucie & Simon
Le site de Lisa Ross
Le site d’Alfons Alt 

Articles récents

Partagez
Tweetez
Enregistrer