Exposition Jean Azémard à la Galerie AL/MA et au FRAC

L’exposition Jean Azémard,  que propose le FRAC Languedoc-Roussillon, en coordination avec  la Galerie AL/MA, est un événement majeur de ce riche printemps à Montpellier.

Depuis l’exposition au Musée d’art moderne de Collioure en 1999, un an après sa mort, c’est la première présentation importante pour cet artiste dont la forte personnalité et les engagements ont donné à sa vie et à ses œuvres une originalité et un caractère puissant.

Amateurs et collectionneurs (re)découvriront une œuvre fragile et puissante, cohérente et  émouvante.  À ne pas manquer !

Les deux expositions ont bénéficié du soutien d’Achouak Azémard, d’amis très proches (Jean-Marc Andrieu, François Lagarde et Patrick Saytour)  et de collectionneurs.

Au FRAC Languedoc-Roussillon.

Une sélection d’œuvres conservées dans les collections publiques, au FRAC et au musée Fabre, est complétée par un ensemble de sculptures issues de collections particulières, dont celle d’Achouak Azémard.

Cette salle aux dimensions imposantes, et qui n’offre guère de surprise dans la découverte des expositions, «  écrase » souvent les propositions artistiques qui y sont présentées.

Curieusement, les sculptures de Jean Azémard, avec leur fragilité et leurs dimensions modestes, trouvent dans cet environnement, un espace à leur mesure. Elles y respirent merveilleusement et avec une force qui fait complètement oublier le caractère intimidant du lieu.

Jean Azémard, Sans titre, aquarelle, s. d. Photo François Lagarde
Jean Azémard, Sans titre, aquarelle, s. d. Photo François Lagarde

L’aquarelle (Sans titre, s.d.) qui inaugure le parcours représente les cabanes de l’étang de l’Or, dont celle fondée par le grand-père de Jean , au XIX°siècle. Au confluent du Canal de Lunel et de Canalette du Languedoc, le lieu porte le nom de « Cabane d’Azémard ». C’est ici que travaillait Jean Azémard, et là où il décida de passer les dernières années de sa vie… Mais cette aquarelle évoque aussi un modèle d’utopie architecturale dans lequel il s’était engagé, dans les années 70, moment où il avait choisi, pour un temps, de s’éloigner des arts plastiques.

Jean Azémard, Sans titre, 1969 - Musée Fabre, Montpellier
Jean Azémard, Sans titre, 1969. Acrylique sur toile, 193 x 130 cm. Don de l’auteur, 1998 – Musée Fabre, Montpellier

La seule œuvre qui témoigne de sa production artistique avant cette rupture est une toile (Sans titre, 1969) prêtée par le musée Fabre, unique peinture de l’exposition.  Datée de 1969, l’œuvre est contemporaine des engagements politiques à la fin des années 60, de la création du Groupe ABC Production avec Tjeerd Alkema, Vincent Bioulès et Alain Clément et de l’exposition 100 artistes dans la ville dans les rues de Montpellier.

Les autres œuvres exposées sont des sculptures postérieures à 1983, année où Jean Azémard reprend une activité de plasticien.  Il réalise alors des volumes et utilise le béton comme matériau principal. Si le moulage de la sculpture est conduit par un projet  bien défini,  les hasards liés au  séchage laissent aussi l’objet se forger lui-même. Souvent, Azémard  ajoute des cartons, du plomb, des sangles ou d’autres matériaux récupérés dans les cabanes sur la pièce en béton moulé. Il renforce ainsi les contrastes et donne à ses sculptures dynamisme et souplesse. La teinte du béton, gris ou coloré dans la masse, s’harmonise avec les couleurs souvent pastel et délavées des autres éléments.

L’accrochage associe les sculptures murales du FRAC (Sans titre,1983-84 et Sans titre, 1984) celles du musée Fabre (Sans titre-Hommage à Matisse, s.d. et Sans titre, s.d. )à celles plus nombreuses des collections particulières qui à une exception sont toutes datées des années 90.

À la galerie AL/MA

 La galerie de la rue Aristide Ollivier présente un très bel ensemble de volumes des années 1985 à 1998 dans la veine des œuvres proposées au FRAC.

Les pièces exposées ici, comme au FRAC, offrent à l’imaginaire du regardeur des interprétations multiples toujours renouvelées. Les sculptures de Jean Azémard nous donnent  l’impression  de toujours les voir pour la première fois.  Comme l’écrit René Pons, « À chaque regard, l’œuvre se recommence et c’est bien ainsi. »

Une intéressante sélection d’œuvres sur papier montre à la fois spontanéité et la maîtrise de son travail graphique.

Jean Azémard Galerie AL/MA
Jean Azémard Galerie AL/MA

On regrette l’absence au FRAC des dessins préparatoires conservés par le musée Fabre qui auraient offert un éclairage intéressant sur son travail. On contentera donc de les consulter via la base d’œuvres du musée, disponible sur Internet.

On trouvera ci-dessous quelques repères biographiques extraits du dossier de presse. Mais nous ne pouvons que conseiller la lecture, souvent émouvante,  des propos recueillis par Chantal Creste, aux Cabanes de Lunel, quelques mois avant la mort d’Azémard. Ils sont publiés par Hors-Œil Éditions et disponibles dans les deux lieux d’exposition. On lira également le très beau texte de Réné Pons, que l’on peut consulter en ligne.

Souhaitons que le travail de collecte entrepris puisse aboutir rapidement à la publication d’un ouvrage sur Jean Azémard et sur son œuvre.

 En savoir plus :
Sur le site du FRAC LR
Sur le site de la galerie AL/MA
Lire Le je-ne-sais-quoi, texte de René Pons, ami de Jean Azémard :

Repères biographiques (extraits du dossier de presse) :

Né à Lunel (Hérault) en 1938, fils et petit-fils de pêcheur, décédé le 17 octobre 1998, Jean Azémard a fait ses études à l’École supérieure des beaux-arts de Montpellier de 1957 à 1960 et à l’École nationale supérieure des beaux-arts de Paris en 1961 et 1962. Après des années d’enseignement à l’École d’architecture de Montpellier, il exerça comme professeur à l’École supérieure des beaux-arts de Nîmes de 1972 à 1996.

Jean Azémard, photographie de François Lagarde
Jean Azémard, photographie de François Lagarde

Avec les artistes de Montpellier, Nîmes (et Nice) qui formeront le groupe Supports/Surfaces, il participe à l’effervescence critique de la fin des années 1960 : invité par Jacques Lepage, André-Pierre Arnal et Claude Viallat, il participe au Festival des arts plastiques de la Côte d’Azur, fin 1967 ; à l’exposition de la galerie La Gerbe, au début 1968, à Montpellier ; et crée, avec Tjeerd Alkema, Vincent Bioulès et Alain Clément le Groupe ABC Production qui sera présent dans les rues de Montpellier (100 artistes dans la ville, en 1969) puis de Coaraze (au Nord de Nice en 1970).

Les années qui suivent le reflux de la lutte révolutionnaire, après 1970, seront celles d’une distance avec les arts plastiques : il se consacre alors à la photographie, à la musique (« la Fanfare bolchevique ») et à l’architecture qui lui semblent mieux répondre à ses engagements politiques. Habitant la « cabane » familiale au bord de l’Étang de l’Or (Mauguio), il en fait un modèle d’utopie à la fois pour l’auto-construction et pour l’affirmation d’un espace commun, mettant en avant la démarche de leurs constructeurs : précarité des matériaux, économie des moyens, adaptation au milieu, esthétique sans ostentation, par détournement des fonctions des objets rendus à leurs qualités premières de formes ou de couleurs, dimension expérimentale d’un bâti sans cesse en devenir. Qualités qui seront pour une part aussi celles de son travail d’artiste.

En 1983, il reprend son activité d’artiste plasticien au travers de volumes qui ont le béton comme matériau premier. Moulé, il est travaillé pour prendre la souplesse d’une feuille de papier, s’enroulant sur lui-même : « il lui invente un univers de spirale, de branche, d’os, de coeur, de vague »[1]. Sur la pièce en béton, viennent s’ajouter des cartons, du plomb, des sangles qui en compliquent le dynamisme et les volutes, accentuant les contrastes entre plein et vide, rigidité et souplesse. Sa couleur, soit grise soit teinte dans la masse, s’accorde aux couleurs, adoucies, comme pastellisées des autres éléments de l’assemblage.

À partir de 1995, le carton peint et les peintures sur papiers déchirés vont prendre une place croissante dans l’œuvre de Jean Azémard.

Les nombreux dessins, préparant ou non ces oeuvres en relief, conservent l’immédiateté du trait, à la fois décidé et aventureux. Paysages de Collioure ou des étangs et formes abstraites sont traités avec la même liberté du trait, la même transparence et précision du regard. Les couleurs y sont souvent décrites et posées, ainsi que la date voire le destinataire – rappelant que le dessin comme les autres œuvres est un processus ouvert, en devenir dans ses phases successives.

Expositions personnelles

  • 2014 Galerie AL/MA et FRAC Languedoc-Roussillon, Montpellier
  • 1999 Musée d’art moderne de Collioure. Catalogue, textes de Muriel Lepage et Jacques Durand
  • 1996 Espace Aldébaran création contemporaine, Baillargues. Catalogue, texte de Bernard Salignon
  • 1992 Galerie des Arènes, Nîmes. Catalogue, textes de Muriel Lepage et Jacques Durand
  • 1986 Galerie Thérèse Roussel, Perpignan
  • 1985 Galerie Noëlla Gest. Catalogue, texte d’Helga Muth
  • 1970 Galerie Haffner, Montpellier
 Expositions collectives
  • 1997 Galerie Beau Lézard, Sète
  • 1996 Curiosités du monde, Baillargues
  • 1994 Création contemporaine en Languedoc, Musée Fabre, Montpellier (catalogue)
  • 1990 FIAC, Galerie Wentzel, Paris
  • 1989 FIAC, Petit salon, Galerie Jean Fournier, Paris
  • 1988 Galerie Carreton-Laune, Nîmes
  • 1986 Art Basel, Galerie Noëlla Gest et Galerie Wentzel, Bâle
  • 1985 Art Basel, Galerie Noëlla Gest, Bâle
    Estimes, Centre lotois d’art contemporain, Bretenoux et Figeac
    Aquaprim, Galerie des Arènes, Nîmes
  • 1983 Köln Art Fair, Galerie Wentzel, Cologne
  • 1970 Salon de la Jeune Peinture, Halles Baltard, Paris
    ABC Production. Rencontres poétiques, Coaraze
    ABC Production. Cent artistes dans la ville, Montpellier
    ABC Production, Perpignan
    ABC Production. Aux arts Citoyens, Limoges
    ABC Production. Environ II, Tours
  • 1969 ABC Production : dans un jardin…, Montpellier
    ABC Production. Square de l’Esplanade, Montpellier
  • 1967 5e Festival des arts plastiques : Musée Picasso, Bastion Saint-André, Antibes
    Galerie A, Nice

Pour terminer cette chronique, nous reproduisons cet extrait de Le je-ne-sais-quoi de  René Pons, un texte qui évoque avec beaucoup de justesse et de délicatesse le travail de Jean Azémard :

Strette : Pour finir et résumer ce que je viens de dire, de façon capricante, ce texte sur le travail de Jean, publié en juin 1982 dans le numéro 34/35 de la revue Textuerre, et qu’il m’avait dit aimer parce qu’il s’écartait de l’obscur jargon critique encore à la mode en ces temps-là, parce que, sans doute, il y trouvait une manière de complicité.

Ne pas peser
faire pour le plaisir de faire
pouvoir mouvoir ses doigts autour des matériaux
assembler
froisser
colorer
abandonner
laisser faire le temps
reprendre
abandonner
laisser faire le temps
l’apparente immobilité du temps
germination de l’invisible
lents palus à midi
ce rien apparent
comment parlerais-je de lui ?
ridicule soudain le mot analyse
et pourtant
critique par-dessus bord
je me laisse porter
balancer par la lumière
mots komboloï entre les doigts
parole sporadique au fil de l’eau
je flâne
j’ai envie de flâner
comme lui sait le faire
flâner c’est-à-dire être à l’écoute sans en avoir l’air
Azémard ou la flânerie intelligente
ce je-ne-sais-quoi capable de transformer le récupéré
le de guingois
en harmonie
temps perdu et retrouvé
étang bleu et jaune obsédant
cabanes
esthétique de la casse et de la précarité
l’œuvre devient déchet puis
récupérée
redevient oeuvre
ou bien outil
ou bien matériau de construction
ou bien ce que l’on voudra
cycle cycle cycle
travail biologique
un faire et une thésaurisation
un nomadisme intellectuel mais à l’intérieur d’un territoire bien précis
géographique et mental
ça vient de très loin
hors des modes
sans pour autant ignorer le kaléidoscope artistique mondial
toute idée sort de là et revient là
se développer
se transformer
se combiner
eau
cabanes
bleu
jaune
rose
béton
carton
ombre et lumière
flânerie
douce énergie
énergies douces
spores fragiles
éparpillées
pour regermer
ad
li
bi
tum

[1] Muriel Lepage, catalogue de l’exposition Jean Azémard au Musée d’art moderne de Collioure, 1999.

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