Patrice Palacio JE_X à l’Espace Bagouet, Montpellier

Jusqu’au 19 avril 2015, l’Espace Bagouet présente avec JE_X , le travail de Patrice Palacio. C’est la première fois que cet artiste est exposé à Montpellier, la ville où il vit et où il travaille…

L’exposition rassemble 23 œuvres, une sélection dans 15 années de production. Le choix s’est fait, selon l’artiste,  « autour du « Je » : Entre le moi, une réflexion sur notre propre destin, comment est-ce que l’on vit son individualité, et le rapport au hasard, au « Jeu » qui intervient tout le long de notre vie ».

Patrice Palacio Je-X © Marie-Caroline Lucat 09_1
Patrice Palacio Je-X © Marie-Caroline Lucat

À écouter Patrice Palacio parler de sa peinture, on perçoit assez vite que l’homme aime jouer avec les références (qu’il affirme assumer pleinement), avec les mots, avec le temps et surtout avec l’image et ce qu’elle représente. Dans son propos, quelques traits d’humour laissent entrevoir une probable volonté de maintenir sa peinture à une certaine distance d’autres expressions contemporaines…

Il y a dans les tableaux de Patrice Palacio, une maîtrise technique indéniable. Depuis le départ, il a fait le choix d’être « dans le registre quasi exclusif du noir et blanc ». La principale raison de cette palette restreinte est, dit-il, « de ne pas être dans rapport d’imitation à la nature. Quand je veux de la couleur, je l’incorpore telle quelle, directement prise dans la nature… Le choix du noir et blanc, c’est positionner le travail dans le registre de l’image, de l’image mentale, de la photographie, avec un rapport temporel… Avec le noir et blanc, il y a le problème de connotation chronologique… Il y a un rapport différé au réel qui m’a toujours questionné. Comment perçoit-on le réel ? Finalement, on le perçoit toujours avec différé».

Les rares couleurs qui viennent rechauffer ces nuances de gris appartiennent à des objets collés dans les œuvres (grilles de loto, tickets de jeu à gratter, plaquettes d’anxiolytiques…) et aux sept litres de colorant rouge qui s’écoulent d’EGO, 2006…

Patrice Palacio, EGO, 2006. Tableau en plexiglas, miroir, robinet, liquide rouge, 130 x 97 cm. Collection de l’artiste
Patrice Palacio, EGO, 2006. Tableau en plexiglas, miroir, robinet, liquide rouge, 130 x 97 cm. Collection de l’artiste.

Opportunément, un rouge « musée » couvre les murs du hall d’accueil et la cimaise isolée dans la salle d’exposition…
L’accrochage, sans être strictement chronologique, permet toutefois de saisir quelques éléments de  progression dans le travail de l’artiste. Dans la proximité ou dans le face-à-face, la mise en place cherche à établir des conversations ou des oppositions entre les œuvres.

Patrice Palacio Je-X © Marie-Caroline Lucat
Patrice Palacio Je-X © Marie-Caroline Lucat

 

Un probable autoportrait (33,3 de la série « 102 ») accueille le visiteur dans le hall d’entrée. Dès que l’on pénètre dans la salle, le regard est immédiatement attiré par Fate, 2010, une toile qui représente la main de l’artiste sur une mosaïque de tickets de jeu à gratter. Au sol, devant ce tableau isolé sur sa cimaise rouge, 38 quilles en porcelaine blanche (l’âge de l’artiste) semblent  attendre la fin de l’exposition pour recevoir la boule de bowling en porcelaine noire qui les précède…

 

Face à cette main, qui attend  sa chiromancienne, on remarque, à droite de l’entrée, un LotoPortrait, 2010, portrait de l’artiste réalisé avec des points et des croix, tracés au feutre, sur des grilles de Loto. À gauche, EGO, 2006… et ses sept litres de liquide rouge (le volume du sang d’un adulte) qui s’écoulent goutte à goutte, faisant apparaître dans un miroir de portrait des visiteurs…

Avec ces trois œuvres, le propos de l’exposition est clairement défini… On comprend aussi que chez Palacio, si le tableau est miroir, il est aussi écran.

Le parcours de visite est libre. La place du texte d’introduction incite à commencer par la gauche. Cependant, on peut conseiller de débuter par la droite, après EGO, afin de suivre l’évolution du travail de l’artiste.

Patrice Palacio Je-X © Marie-Caroline Lucat
Patrice Palacio Je-X © Marie-Caroline Lucat

La première toile, 14 : 26, 2002 appartient à une série intitulée « 102 », composée de 102 tableaux, exécutés entre 2000 et 2005. Ils reprennent selon Palacio  de nombreux clichés… Avec une certaine espièglerie, il affirme que « travaillant sur la photographie, le cliché m’intéressait,  avec son double sens  en français… Cette série prenait tous les clichés d’une vie, de la naissance à la mort et tous les archétypes de la photo de baptême, à la photo de mariage, etc.  On a tous un fond commun d’image dans nous albums de famille. On a aussi un fond commun culturel, d’où ce Chaplin… Tous les tableaux ont la même taille, le même format et se développent sous forme de séquences. Pourquoi  14 : 26 ? Il n’y a pas de raison particulière, mais il y a du temps partout ! Et je voulais intégrer de façon anecdotique, sur une image populaire, ce rappel au temps… et le suspendre, parce que la peinture ça suspend le temps ! »

Patrice Palacio Je-X © Marie-Caroline Lucat
Patrice Palacio Je-X © Marie-Caroline Lucat

Le tableau suivant,  so, everything is written ?, 2010 appartient lui la série « 203 », qui comprend… 203 tableaux de format identique, réalisés entre 2005 et 2010. Chaque toile contient un fragment de dialogue…  L’ensemble finit par construire une série/fiction, dans une vidéo, « jamais 203 », où le bloc texte devient sous-titre d’une narration … Patrice Palacio montrait alors une volonté de construire un pont entre peinture et vidéo…

On retrouve ensuite deux œuvres de la série « 102 »,volontairement accrochées  l’une au-dessus de l’autre. Les Urinoirs du musée Paul Valéry, 2002 sont un évident clin d’œil à Fountain de Duchamp. Temps-objet, 2005,un disque vinyle est aussi une allusion aux cibles de Jasper Jones. Le rapport aux références est entièrement assumé par l’artiste qui affirme « quand on crée aujourd’hui, on ne peut que faire des références… »  Il ajoute avec malice : « J’ai mis en perspective l’urinoir de Duchamp, parce qu’aujourd’hui on met en perspective Duchamp ! »

Patrice Palacio, Urinoirs (musée Paul Valery – Sète).Huile sur toile, 130 x 89 cm. Collection de l’artiste_1
Patrice Palacio, Urinoirs (musée Paul Valery – Sète).Huile sur toile, 130 x 89 cm. Collection de l’artiste

 

Dans ces œuvres, mais aussi dans les suivantes, on peut difficilement ne pas voir un lien très étroit avec les « photo-peintures » de Gerhard Richter. Dans les années 60, le peintre allemand montrait, avec ces toiles, une alternative au Pop Art américain et à l’Art informel européen et affirmait son désaccord avec les déclarations de Duchamp sur la fin de la peinture dans l’art contemporain…

Quand on lui pose la question, Palacio revendique volontiers cette « proximité » avec le peintre allemand.

L’œuvre suivante Nuage, 2014, peint sur quatre panneaux de bois marque une suspension dans la présentation globalement chronologique du travail de Palacio. La volonté de faire écho au Cloud  qui lui fait face explique probablement son accrochage ici… Comment ne pas voir dans ce polyptyque, une autre résonance, avec la série « Wolke (Nuage) » que Gerhard Richter a peint en 1969-1970 ?

Patrice Palacio,Nuage, 2014. Peinture à l’huile sur 4 panneaux de bois, 240 x 160 cm. Collection de l’artiste
Patrice Palacio,Nuage, 2014. Peinture à l’huile sur 4 panneaux de bois, 240 x 160 cm. Collection de l’artiste

Suit un Bouddha sous anxiolytiques, Sans titre, 2010 qui fait formellement le lien avec Fate et LotoPortrait que nous avons déjà évoqués…

Patrice Palacio, Sans titre, 2010 . Huile sur toile, Anxiolytiques sous blisters, résine, 195 x 130 cm. Collection R.Castang - Perpignan
Patrice Palacio, Sans titre, 2010 . Huile sur toile, Anxiolytiques sous blisters, résine, 195 x 130 cm. Collection R.Castang – Perpignan

On retrouve alors, une logique chronologique dans l’accrochage… avec les séries « Rien de personnel », 2011 et « 100 Figure(s) », 2012 :  Un inquiétant portrait JF,2012, fruit d’une collaboration avec le photographe Emmanuel Louis précède un Bolobolo, 2011 qui montre, à nouveau, combien le peintre apprécie le jeu avec les mots.

Patrice Palacio Je-X © Marie-Caroline Lucat
Patrice Palacio Je-X © Marie-Caroline Lucat

S’enchaîne ensuite un Rose léger, 2011 troublant, puis un KO, 2012, explosif et Alice, 2011, enchaînée à un radiateur. Utilisée pour l’affiche et le carton de l’exposition, cette image aurait dérangé quelques consciences…

À propos de ces séries, Patrice Palacio confie « Le noir & blanc, c’est aussi un moyen d’explorer la nuance et essayer de développer le tableau en tant que luminance. Le rapport aux écrans est très présent, c’est aussi ce que j’essaye de faire en traitant la surface du tableau en pixellisation. C’est aussi parfois une citation de l’origine du tableau, des images numériques issues d’Internet ».
Pour le site de la Galerie Castang, à Perpignan, il écrivait au sujet de la série « Rien de personnel » : « Le tableau est pris comme un écran de diffusion. Travail sur la couleur. Paradoxal. Avec systématiquement, le même tube de noir et de blanc utilisé pour tous les tableaux, on peut faire vibrer des sensations de couleur subtiles (rose, bleuté, vert…). Comme la lumière colorée qu’émettent les écrans sur les murs. C’est une autre catégorie de couleur. L’image du tableau provient de Mass média comme les films ou internet, le vrai sujet du tableau c’est la peinture prise dans un tableau / écran ». Quant à son agent, Bernard Saint-Paul,  il souligne : « Paradoxe. Cette distance à la matière, ce juste point de netteté, cet endroit où “ça se passe” deviennent vite avec le temps une obligation perplexe pour absorber un Palacio. Car dans son cas, étrangement…“plus on s’approche, moins on  voit, plus on recule, plus on se voit.” » (extrait du site de Patrice Palacio)

Patrice Palacio, Flashpainting, 2011. Huile sur toile, 55 x 46 cm. Collection de l’artiste
Patrice Palacio, Flashpainting, 2011. Huile sur toile, 55 x 46 cm. Collection de l’artiste

Au revers de la cimaise au rouge éclatant, on peut voir, accompagné d’un dessin, un de ces Flashpainting, référence affirmée et assumée  à la croix de Malevitch, qui fonctionne comme un Flashcode qui affiche sur l’écran du smartphone le portrait d’Alice, image trouvée sur internet ! L’artiste avoue un certain plaisir à cette trouvaille « Forme abstraite qui renvoie à un contenu figuré,  et qui aussi un rapport au différé et aux écrans »

Patrice Palacio, Cloud, 2013. Peinture à l’huile sur fragments magnétiques sur cuivre, 125 x 95 cm. Collection Idate
Patrice Palacio, Cloud, 2013. Peinture à l’huile sur fragments magnétiques sur cuivre, 125 x 95 cm. Collection Idate

Ces toiles aux images troubles, pixelisées, conduisent assez logiquement vers Cloud, 2013, une œuvre de sa série « Fragmentale ».  À propos de ce travail, Palacio a rédigé un « Manifeste de l’Art Fragmental » qu’il définit  comme « un pont entre l’ère moderne et l’ère contemporaine ».  Dans ce texte, il affirme :

« La peinture fragmentale est née de la constatation suivante : que reste-t-il aujourd’hui au XXIe siècle à changer dans la peinture ? la réponse est claire et simple : la fixité de l’image.
Dans notre monde actuel des images tout bouge, tout change, rien n’est immuable, pourquoi alors la peinture ne serait-elle pas ainsi ?
La peinture fragmentale est née d’une rencontre entre deux univers artistiques, celui de Xavier Llongueras artiste protéiforme qui a inventé la mosaïque magnétique et celui de Patrice Palacio, peintre, qui depuis longtemps pixellise la surface de ses tableaux pour les faire devenir écrans achromes.
Les deux univers se percutent et fusionnent. Ils créent une peinture qui lie la mosaïque, la peinture et le pixel autour d’un dénominateur : le fragment ».
(extrait du site de Patrice Palacio)

L’exposition se termine avec un ensemble de trois diptyques récents  (2014), Nymphéas 2, 2 et 3 qui côtoient le texte d’intention du commissaire.

Patrice Palacio Nymphéas 1, é et 3, huile sur toile, 195 x 130 cm. Collection de l’artiste.
Patrice Palacio Nymphéas 1, é et 3, huile sur toile, 195 x 130 cm. Collection de l’artiste.

Avant de sortir, on ne manquera pas de méditer devant  Kilo d’espoir, 2006… Au sujet de ces 3 kilos, Palacio déclarait : « Je prends le contre-pied du pop : prendre des codes populaires de masse et les rendre individuels. Par exemple, 1 kilo d’espoir en porcelaine : chacun est tourné et façonné à la main (y compris les lettres de « 1 kilo d’espoir ») mais tous semblent quasi identiques. L’idée est de les faire les plus ressemblantes possibles, de donner l’impression d’une fabrication de masse (la boite de conserve) mais en réalité elles sont toutes uniques. Quand on observe de plus près, il n’y a pas de « masse », c’est mon espoir. D’où le rapport poids (un kilo) et masse (production de masse, la boîte de conserve). Et, donc, la pièce représente un kilo d’espoir : espoir que la vie, le monde ne soit pas uniforme au-delà des apparences. » (extrait de « Rencontre avec Patrice Palacio, un peintre… hors genre », Blog de Culture et cie).

Patrice Palacio Je-X © Marie-Caroline Lucat
Patrice Palacio Je-X © Marie-Caroline Lucat

Les céramiques présentées dans l’exposition ont été réalisées en collaboration avec par Julia Simonot Palacio.

Partice Palacio est représenté par plusieurs galeries pariennes (Seine 51, Mark Hachem et Art Cube) et par la galerie Roger Castang à Perpignan qui le soutient depuis ses débuts. Il participe régulièrement à plusieurs foires d’art contemporain.

La découverte de travail de cet artiste montpelliérain, jamais présenté dans la ville, mérite attention.

Comme d’habitude, les conditions d’exposition qu’offre l’Espace Bagouet sont excellentes.
Cet espace remplit ici la mission définie par la ville de Montpellier, montrer les artistes du patrimoine régional et les artistes contemporains régionaux.

En savoir plus :
Sur la page de l’Espace Bagouet sur le site de la ville de Montpellier.
Sur la page Facebook de l’Espace Bagouet
Sur le site de Partrice Palacio
Sur la page Facebook de Partrice Palacio.

Texte d’intention du Commissaire d’exposition

La peinture de Patrice Palacio, né en 1977 à Montpellier, s’articule en premier lieu autour de la volonté de faire d’un tableau un écran, des notions de pixellisation et de projection, d’un regard sur le monde vécu et assumé comme un simple reflet. Alors que beaucoup d’artistes ont décidé d’entrer en lutte contre les images en quantité infinie nées de la technologie et de leur diffusion sans limites, Patrice Palacio part de l’intuition que leur signification va bien au-delà de la seule anecdote, ce que nous nommons le Réel n’étant en fait qu’une projection holographique. Son travail ressemble alors à une tentative de réconciliation entre la peinture, cet archaïsme hérité du fond des âges, et notre espace contemporain balayé par les outils nouveaux de communication et de création d’images. Le temps y est sans cesse interrogé dans ses paradoxes, lorsque par exemple l’instant, comme au cinéma, devient éternité. Formellement, la palette de Patrice Palacio explore les cinquante nuances de gris, les jeux d’aller-retour entre le blanc et le noir, la couleur n’apparaissant que pour les souligner, le plus souvent par l’incorporation d’éléments de matière extérieurs à la peinture.

 Nous avons choisi, pour son exposition dans l’Espace Dominique Bagouet, de ne pas privilégier une présentation sérielle, mais de montrer la cohérence qui unit son travail depuis une dizaine d’années, malgré la variété des approches. De l’autoportrait classique à L’égo liquide se dévoilant, le « je » est un thème artistique incontournable. Un sujet que l’on connait par cœur et dont on ne parvient pourtant jamais à lever l’intrigue mystérieuse. Sans distinction, Patrice Palacio pioche son inspiration dans les grandes icônes universelles et dans sa propre histoire. Quant aux « jeux », ils sont aussi une manière de s’approprier le monde. Ils peuvent être sexuels avec Alice, amoureux, ils peuvent être d’argent ou artificiels, drogues pour survivre ou s’échapper quelques heures. Ils peuvent être familiaux et partagés, le cirque de nos enfances, ou sportifs et brutaux. La peinture n’est-elle pas un jeu elle aussi ? C’est, parait-il, ce que l’on dit souvent de la vie, ce jeu de quilles sculpté qui nous rappelle que nous ne resterons pas debout bien longtemps.

Commissariat : Numa Hambursin

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