Le Musée des Anges – Donation Lena Vandrey à Carré d’Art


Depuis le 5 mars dernier, Carré d’Art présente « Le Musée des Anges — Donation Lena Vandrey», une exposition incontournable, hommage à cette figure singulière de l’art qui a vécu de nombreuses années à la Bastide des Planes, près de Barjac.

Amie de Monique Wittig et Niki de Saint Phalle, collectionnée par Dubuffet, mannequin pour Ungaro, Lena Vandrey a participé aux mouvements féministes avec Monique Wittig, mais aussi en compagnie d’Hélène Cixous, d’Antoinette Fouque, ou encore de Christine Delphy. Dès les années 1970, elle expose en Allemagne, en Suisse et en France et notamment à la Galerie Iris Clert dans « Grandes femmes, Petits formats » avec entre autres Shirley Goldfarb, Meret Oppenheim, Marcelle Cahn, Louise Nevelson, Marta Pan… La même année, elle présente le Cycle des Amantes Imputrescibles, accompagné d’un texte de Monique Wittig qui retrace l’odyssée du Mouvement pour la Libération des Femmes. Suivent les cycles des Amazones, Figures Originelles, Martriarques, Anges… « Le mouvement féministe a été la grande aventure de ma vie », affirmait-elle.

Le Musée des Anges - Donation Lena Vandrey à Carré d’Art
Le Musée des Anges – Donation Lena Vandrey à Carré d’Art

En 2002, elle fonde avec sa compagne Mina Noubadji-Huttenlocher un musée qu’elle imagine comme un lieu d’accueil pour les femmes d’art et de culture à la manière d’une Académie Médicis. Le Musée-Lena-Vandrey, ou « Musée des Anges » s’installe à Bourg-Saint-Andéol, dans un hôtel particulier du XVIIIe siècle où elle exposait 900 de ses œuvres.

En 2022, quatre ans après sa disparition, le château d’Hauterives présentait sous le titre « Insomnia » – surnom que lui avait donné Dubuffet – une relecture de l’œuvre de Lena Vandrey.

Le Musée des Anges - Donation Lena Vandrey à Carré d’Art
Le Musée des Anges – Donation Lena Vandrey à Carré d’Art

Des échanges avec Mina Noubadji-Huttenlocher ont permis de concevoir une donation autour de quatre ensembles choisis pour faire sens dans la collection du musée.

L’entrée des œuvres de Lena Vandrey dans le fonds de Carré d’Art s’inscrit dans un vaste ensemble de donations à destination du Centre Pompidou, du Musée Cantini de Marseille, du MAC de Saint-Étienne, du MASC des Sables-d’Olonne, du Musée Estrine de Saint-Rémy de Provence, du FRAC Nouvelle-Aquitaine à Bordeaux, du Palais Idéal du Facteur Cheval à Hauterives et de la Collection de l’Art Brut à Lausanne.

Le Musée des Anges - Donation Lena Vandrey à Carré d’Art
Le Musée des Anges – Donation Lena Vandrey à Carré d’Art

Les trois premières salles de l’étage consacré au nouvel accrochage des collections présentent une remarquable sélection d’œuvres, souvent fragiles, appartenant aux Anges, aux Rêves, à la série des Cut-out et aux Paradis produites à partir de la fin des années 1990. L’ensemble est complété par de nombreuses et passionnantes archives qui témoignent de la vie, des engagements et des amitiés de l’artiste.

Le Musée des Anges - Donation Lena Vandrey à Carré d’Art
Le Musée des Anges – Donation Lena Vandrey à Carré d’Art

Les œuvres exposées ici montrent la créativité et l’inventivité d’une artiste exceptionnelle qui mérite d’être (re)découverte avec urgence. Nul doute que « Le Musée des Anges – Donation Lena Vandrey» marquera la première édition de la Contemporaine de Nîmes…

On trouvera ci dessous quelques regards sur l’exposition accompagné des textes de salle.

En savoir plus :
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Le Musée des Anges – Donation Lena Vandrey : Regards sur l’exposition

Sans le petit salon qui ouvre dans l’atrium de Carré d’art, le parcours commence avec un texte d’introduction et la diffusion d’un court film sur le musée Lena Vandrey à Bourg-Saint-Andéol suivi d’une discussion passionnante entre Mina Noubadji-Huttenlocher et Frédéric Legros (directeur du Palais Idéal) avec Laurie Cheval (curatrice), réalisés à l’occasion de « Insomnia », la rétrospective proposée par Palais Idéal du Facteur Cheval au château d’Hauterives en 2022.

Pour celles et ceux qui ne connaissent pas Lena Vandrey, il faut prendre le temps de visionner ces vidéos. 

La première salle résume la donation avec une sélection d’œuvres appartenant aux Anges, à la série des Cut-out et aux Paradis. L’accrochage est introduit par un petit assemblage dans les tonalités vertes (Construction, 2003) qui répondent à celles des Paradis qui lui font face.

Le Musée des Anges - Donation Lena Vandrey à Carré d’Art
Le Musée des Anges – Donation Lena Vandrey à Carré d’Art

La première présence des Anges, se manifeste avec la silhouette d’un buste découpé dans un carton posé sur un chevalet ( Ange 1, 2004). Son corps est couvert de lignes spiralées et en pointillés tracées avec des pastels à l’huile et à l’acrylique. Cet Ange fait partie du cycle des Cut-outs.

Le Musée des Anges - Donation Lena Vandrey à Carré d’Art
Le Musée des Anges – Donation Lena Vandrey à Carré d’Art

Un peu plus loin, un deuxième Ange ( Ange Incipit, 1976) appartient lui au cycle des Anges Matiéristes. Plus complexe, l’œuvre mêle toile, cire, tissus, craies, fragments de miroir, gouache, acrylique et des pigments de couleurs sur un châssis bois.

Le Musée des Anges - Donation Lena Vandrey à Carré d’Art
Le Musée des Anges – Donation Lena Vandrey à Carré d’Art

Entre ces figures, deux textes de Lena Vandrey évoquent ce que ces esprits aériens représentaient pour elle :

Qui est l’Ange ? Il est-Il Elle ? Illes est la projection d’une nécessité au coin de ta rue, et Illes te sourient du haut d’une Officine symbolique, créée Tout-Là-Haut, pour nous sauver de toutes les officines et de tous les Là-Hauts. N’aie aucune crainte, tu Les verras. Leurs visages sont les tiens, les Leurs. Qui n’a pas de tombes, a assurément l’amitié des Anges. La représentation de l’Ange est la relation qui unit le Possible-Impossible dans l’être humain. C’est la force qui fait se dresser, mais aussi se retirer. Elle flotte dans les airs, vole, elle est la présence de l’absence. Elle est ce que, nous tous, nous pourrions être.

Lena Vandrey, Paradigmes de la Beauté Inconfortable, 1986


Les Anges sur le Rhône. Corps-à-corps avec les Anges dans les clous, la laine et les colliers ; toiles, voiles, racines et verres, bribes du primordial langage muet à travers le Voyage dans la Pierre : les figures se créent, s’ornementent, retiennent, donnent, laissent et partent. Certaines sur des pieds que l’on ne voit pas. Les Bas-Reliefs viennent du Haut- Relief du bâtiment. Dans les jointoiements des fortifications logeaient les Esprits du Pont, et, comme des colombes, je les pris dans mes mains et les fis voler avec mes poudres et poussières d’ocre rouge et jaune au-dessus du Rhône.

Lena Vandrey, Une Adolescence avec les Anges sur le Rhône, 1985

Le Musée des Anges - Donation Lena Vandrey à Carré d’Art
Le Musée des Anges – Donation Lena Vandrey à Carré d’Art

L’accrochage se poursuit sur le long pan de mur avec quatre pastels sur carton de la série des Cut-out réalisés en 2008 (Artichaut sombre, 2008, Nature morte I, 2008, Nature morte II, 2008, Spirale, 2008, Spirale, 2008).

Ils sont précédés par un texte de l’artiste écrit en 2010 :

Voici une histoire de l’œil : D’aucuns sont en contemplation, les yeux clos. C’est un signe de leur temps. L’œil est un poisson d’or, ou un carré, ou bien il se munit d’une double pupille, ou encore se réduit à un point, un trait. L’œil du monde est vieux, il n’est plus miroir. Il essaie, par les battements de cils de son destin, de donner vie à l’esprit… Aucune mystique, aucune mythologie, mais des choses toutes simples, vues autrement, c’est tout.

Les personnages et leurs objets sont montrés presqu’en abstraction dans un grand silence, rarement des figures entières dans ce théâtre, ce sont des découpages « dans » les découpages. Des têtes gigantesques et des figures petites, dans cet ensemble où personne n’est ensemble, les profils ne se rencontrent pas, même quand ils se retrouvent face à face, car il n’y a pas de regard, de réciprocité, d’identification, de communauté. Ou alors la seule communauté de la méconnaissance, source de toutes les formes.

La thématique se résout dans une sorte d’oubli ; l’objet prend sa place, se serre sur lui-même et se tait dans un silence apprécié par qui doit vivre avec ces milliers d’êtres à la vocation indéfinie et subir leur mystère.

Lena Vandrey, Epures, Ausrisse, Cut-Outs, 2010

Le Musée des Anges - Donation Lena Vandrey à Carré d’Art
Le Musée des Anges – Donation Lena Vandrey à Carré d’Art

Le troisième mur expose six paysages du début des années 2000 qui appartiennent au cycle Les Paradis (Du Paradis, 2004, Apparaît comme l’épure du Tout, 2004, Paysage I, II, III, 2005 [Triptyque], Les essences s’ancrent en prairie, 2004).

Ils sont accompagnés de ce texte de Lena Vandrey :

Cette Provence, la nôtre, le rivage, la frange Rhodanienne a posé pour les Portraits d’Eden… Ne voudrais-tu devenir le grand vivant fleuve ? Non, on m’assèchera. Et l’arbre séculaire ? Non, on m’abattra…

Les visions du Paradis trouvent aussi peu de suffrages que les Enfers d’Enguerrand Quarton, comme mes Anges qui, pour d’aucuns, ne sont pas des Anges, comme mes Paradis ne seront pas des Paradis. Les fragments d’une mystique moderne seront à considérer avec prudence – l’innocente beauté étant plus hérétique qu’on ne le croit, ces parcelles du grand tumulte d’antan proposées par les élus d’un instant de grâce divine entre la couleur et le carton : Si Dieu a tout bien fait – ce dont personne ne doute – Il est aussi l’Auteur de mes Jardins, comme Il est l’Auteur de la parole de celles et de ceux qui la refusent.

A leur dire en toute modestie que la nuit ne tombera pas sur les Paradis.

Après de longs vols, j’arrivais au Jardin d’Eden et n’y trouvais personne.

Lena Vandrey, Le Maître d’Yeux, Cycle Les Paradis, 2005

Le Musée des Anges - Donation Lena Vandrey à Carré d’Art
Le Musée des Anges – Donation Lena Vandrey à Carré d’Art

La seconde salle du parcours est en grande partie consacrée à des documents d’archives qui évoquent la vie, les engagements et les amitiés de Lena Vandrey

Deux collages sur papier rassemblent des dessins à la plume, à l’encre de Chine, et des découpages de papier journal sur des lettres manuscrites des années de l’après-guerre (Album de Famille 1 et 2, 2006).

Ils précèdent une frise chronologique qui retrace brièvement les grandes étapes de la vie de l’artiste.

1941
Lena Vandrey nait le 23 avril 1941 à Breslau (aujourd’hui Wroclaw) dans une Pologne alors annexée par l’Allemagne nazie. De son nom complet Marie Gesine Hillena Vandrey de Thoyre et de Saint Rémy, elle est la fille d’un descendant de baron huguenot réfugié en Prusse après la Révocation de l’Édit de Nantes et d’une mère issue d’une dynastie praticienne de la Hanse. Elle connaît dans l’entre-deux-guerres une jeunesse dorée, fréquentant l’intelligentsia autour des enfants de Thomas Mann, le peintre Lyonel Feininger et son fils Andreas.

1945-1958
Après la débâcle de l’Allemagne, c’est le retour à Hambourg auprès de sa grand-mère maternelle, héritière démunie d’une lignée aristocratique, jadis industriels et banquiers. La survie au milieu des ruines et la succession de scolarités chaotiques dues aux multiples gagne-pains imposés aux enfants marquent une enfance surdouée dont témoignent d’innombrables dessins et écrits dans la pénurie et les privations.
L’adolescente est confrontée à la séparation de ses parents et se réfugie dans le monde des spectres dont elle dessine, dans ses nuits d’insomnie, les visages et les destins d’horreur ont la craie sanguine et au noir fusain. Malgré un diplôme d’École de Commerce, elle ne fera pas carrière dans la banque. Dans l’hiver 1939, elle décide de quitter le pays de l’amnésie et du miracle économique, afin de rejoindre la France, et le Paris des années soixante.

1967-1972
En 1967, Lena quitte la capitale pour s’installer sur les hauts plateaux du Gard, non loin de Barjac. C’est l’exil dans l’exil. Elle s’installe aux Planes dans une maison où tout est à faire. Le travail impératif de reconstruction pour habiter ces espaces est vécu comme une bénédiction pour cette « génération blanche » née pendant la guerre. Elle y vit sans électricité pendant de nombreuses années. C’est la naissance des figures matièristes, Amazones et Anges-Sentinelles et des manuscrits de prose lyrique en allemand et en français.

1972-1979
Ce sont les années d’expositions à Paris, Iris Clert, Atelier Jacob, Genève, Lausanne, Lyon. La correspondance entre Jean Dubuffet et Lena Vandrey témoigne de leur point de vue réciproque sur l’Art Brut et sa finalité. Mais la dynamique de cette époque est essentiellement politique. C’est la rencontre avec le combat féministe et ses figures de proue, telles Monique Wittig, la psychanalyste Antoinette Fouque, les romancières Marie Chaix et Maren Snell… Toutes ont échangé des centaines de lettres avec Lena Vandrey et ont séjourné aux Planes.

1980-2000
Ces années marquent le retour à la langue allemande par la voie médiatique de films, d’émissions culturelles pour la télévision, de conférences et lectures publiques, ainsi que des rétrospectives à Berlin, Hambourg, Brême, Tübingen, Düsseldorf. C’est l’époque de nombreuses parutions en allemand et en français, dont les catalogues du Musée d’Art Sacré du Gard, pour des expositions thématiques sur le travail pictural et littéraire de Lena Vandrey.

2001-2018
La rétrospective conjointe de la Collection de l’Art Brut à Lausanne et de la Halle St-Pierre à Paris ouvre une décennie novatrice et créatrice. L’acquisition à Bourg-Saint-Andéol, au bord du Rhône, d’un hôtel particulier du XVIII siècle, scelle la volonté de l’artiste de créer son propre musée. C’est la période fructueuse d’une restauration d’esprit classique, avec la naissance de sculptures, peintures et assemblages, intégrant, dans leur mise en scène, les objets, collections et œuvres des cycles antérieurs. Le Musée Lena Vandrey se voit parallèlement inscrit au répertoire de la Fédération Nationale des Maisons d’Écrivain et Patrimoines Littéraires, et une partie importante de manuscrits inédits et correspondances de l’artiste se trouve archivée à la bibliothèque Marguerite Durand à Paris.

Celle-ci surmonte une vitrine où sont rassemblés des photographies, un texte, une palette et ses boites de couleurs et de pastels.

Au fond un grand tirage photographique montre l’atelier de Lena Vandrey.

Le Musée des Anges - Donation Lena Vandrey à Carré d’Art
Le Musée des Anges – Donation Lena Vandrey à Carré d’Art

Il est précédé par une sculpture reliquaire (Cycle Fleurs, 1998) qu’accompagne un texte titré Les dons pharaoniques & Les boîtes de Pandore :

Un jour lointain, un singulier personnage sortit comme un beau Diable d’une ville qui était une boîte, pour se rendre dans un pays où tout était mis en boîtes et emballages. Ce personnage était le moi qui parle ici de rencontres et de découvertes, emballé en transfiguration d’Ange.

Les Provençales, avec leur ordre impeccable, mettaient en boîtes leur culture intime pour préserver et conserver les signes de leur vie. Les Provençaux avaient leurs boîtes à outils, paysans, cordonniers, apothicaires, notaires, coiffeurs, enfin tout le monde.

Ainsi, j’ai eu l’idée de construire un ensemble de cinq cents œuvres avec la bonne maniaquerie nécessaire, en y mettant toute ma science des volumes, toute ma connaissance des couleurs et toute mon expérience des matières : Fleurs, clous, bois, pierres, fossiles, animaux naturalisés, papiers, écritures, recréant ainsi une Antiquité humble en miniature. Chaque Reliquaire s’ouvre sur un monde qui appartient à lui seul, pour offrir le spectacle silencieux d’un cerveau hors du corps, et, par-là, la preuve d’une vie éternelle
.

Lena Vandrey, Exp. Les Boîtes de Pandore, Paris, Lausanne, 2001

Face à la première vitrine, deux tables présentent d’autres documents qui témoignent de ses engagements, de ses relations avec les artistes, de ses expositions chez Iris Clert et à l’Atelier Jacob, de sa vie à la Bastide des Planes et du Musée des Anges à Bourg-Saint-Andéol.

Au dessus des ces deux tables, on découvre deux dessins réalisés par Lena, adolescente, durant ses nuits d’insomnie (Ces visages, que moi j’entendais, alors que tous vous dormiez…, 1954).

Le Musée des Anges - Donation Lena Vandrey à Carré d’Art
Le Musée des Anges – Donation Lena Vandrey à Carré d’Art

Avant de quitter cette salle, au dessus d’un texte de Lena Vandrey sur ces lien avec Niki de St Phalle, on remarque, accroché en hauteur, un petit pastel sur carton intitulé Hommage à Niki de St Phalle (2004) qui appartient au cycle des Cut-outs. La silhouette qui se détache du châssis semble être un hybride entre un Ange de Lena et un Nana de Niki…

Le Musée des Anges - Donation Lena Vandrey à Carré d’Art
Le Musée des Anges – Donation Lena Vandrey à Carré d’Art

La dernière salle propose un superbe accrochage où se mêlent Les Anges, les Rêves, avec une forte prédominance de la série des Cut-out, mais où se révèlent aussi des pièces appartenant au cycle des Dessins, à celui des Tableaux Votifs ou encore à l’ensemble Artisanat – Sculpture – Reliquaire.

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