Victoire Barbot – Cendrer ses sculptures – Vidéochroniques à Marseille


Jusqu’au 4 mai 2024, Vidéochroniques présente « Cendrer ses sculptures » de Victoire Barbot, une exposition magistrale et très aboutie au titre énigmatique et mystérieux.
Avec une élégante sobriété et une parfaite maîtrise des lieux, elle s’est approprié les espaces singuliers de Vidéochroniques pour exposer en quatre volets une importante sélection de son travail.

Misensembles

Dans la grande salle, Victoire Barbot propose un peu plus d’une dizaine d’œuvres qui appartiennent à l’important corpus des Misensembles. Celui-ci fait l’objet de recherches engagées depuis la fin de ses études à l’École Nationale Supérieure des Beaux-Arts de Paris, en 2014.

Victoire Barbot - Cendrer ses sculptures - Vidéochroniques
Victoire Barbot – Cendrer ses sculptures – Vidéochroniques

La mise en espace s’articule autour de sculptures réalisées en 2014 à l’exception des deux dernières nées pendant le montage de l’exposition. Toutes assemblent dans un équilibre précaire des objets manufacturés, jamais modifiés et rarement fixés. Pour celles de 2014, les matériaux semblent issus de magasin(s) disparu(s)… Dans un texte sobre et émouvant, disponible à l’accueil de la galerie, Victoire Barbot explique :
« Mes sculptures ne partent pas de dessins préparatoires, ni même d’images mentales ou de quelconque autre objet.
Une seule image me reste, c’est celle d’un magasin.
Les objets et les images le remplissant, je les ai tous perdus.
Tout comme je n’ai pas gardé leurs représentations mentales.
De ce magasin, je puise une banque d’outils matériels que sont les matériaux de présentation.
Ils ont été conçus pour la manipulation rapide d’un seul manutentionnaire. Ces matériaux avaient le rôle ambiguë de montrer quelque chose tout en se faisant eux même invisibles.
Mes ressources s’étendent du cadre au socle, en passant par les grilles, les rails, les équerres, mais aussi les étagères, les vitrines, les tissus. Autant de matériaux de rayonnage, qui se sont retrouvés orphelins de ce qu’ils étaient censés présenter ».

Victoire Barbot - Cendrer ses sculptures - Vidéochronique
Victoire Barbot – Cendrer ses sculptures – Vidéochronique

Elle précise ensuite le processus qui conduit à la sculpture :
« J’analyse ces matériaux par un temps de mise à plat proche de l’inventaire. Ordinairement utiles les uns aux autres, j’en réinvente leur fonction.
Pour faire naître une forme, je ne cherche pas à produire l’image mentale d’un objet mais l’image motrice d’une action, celle qui nait de l’envie de manipulation des outils qui me font face.
La sculpture est le résultat de cette posture.
C’est un art de l’expérience.
L’action, le processus d’équilibre vient en lieu et place de l’image passée, comme méthode pour fabriquer du présent.
Rarement fixés, les matériaux combinés finissent par s’autogérer dans un équilibre précaire.
J’appelle ces assemblages des Misensembles ».

Dans le texte qui accompagne « Cendrer ses sculptures », Édouard Monnet, commissaire de l’exposition et directeur de Vidéochroniques souligne que ce travail est « d’abord ancré dans une histoire familiale », avant d’ajouter qu’il est « non dénuée d’une portée critique qui se rapporte plus largement à notre histoire industrielle ou, plus précisément, à celle d’une petite industrie héritière d’une période allant de la fin du XIXe à l’immédiat après-guerre »…

Victoire Barbot - Misensemble 1, 2014 - Cendrer ses sculptures - Vidéochroniques
Victoire Barbot – Misensemble 1, 2014 – Cendrer ses sculptures – Vidéochroniques

On peut aussi voir ces sculptures précaires comme les derniers vestiges d’un monde qui s’écroule tout doucement depuis la fin des trente glorieuses. Les Misensembles de Victoire Barbot font resurgir de multiples souvenirs et sensations qui se sont peu à peu estompés avec la disparition des boutiques, des artisans, des ateliers et des petites entreprises qui faisaient vivre les centres urbains au profit des grandes surfaces en périphérie, puis des délocalisations et du commerce en ligne…

Victoire Barbot - Misensemble 79, 2024 et Misaplat, 2024 - Cendrer ses sculptures - Vidéochroniques
Victoire Barbot – Misensemble 79, 2024 et Misaplat, 2024 – Cendrer ses sculptures – Vidéochroniques

En 2014, les Misensembles connaissent deux premiers états : ils peuvent être déployés ou rangés. Toutefois, Victoire Barbot souligne : « Pour moi, ce ne sont pas vraiment deux choses distinctes, mais plutôt une même chose, la sculpture est une qu’elle soit déployée, ou repliée ». Puis elle précise : « L’état déployé pré-existe, l’état rangé naît après. Indissociables pourtant, ils forment une seule entité ». Sophie Delhasse ajoute : « L’ordre est ainsi, précis. L’état second de la sculpture ne pourrait pas exister sans le premier, puisque c’est la trouvaille de l’équilibre qui fait Sculpture et qui fait naitre le rangement ».

Mais le concept des Misensembles comprend l’enchainement de traitements protocolaires qui dérivent de la mise en espace. Chaque sculpture du corpus connaît ainsi sept états : un dessin de son assemblage, sa version démontée et rangée, le dessin de sa misenboite, la boite, sa misaplat de la boîte et la misenligne addition des périmètres de chaque élément de la misaplat.
Cependant pour Victoire Barbot, les sept états d’une Misensemble sont une seule et même pièce. En conséquence, il est impossible d’exposer en même temps plus d’un état d’une même œuvre…

Ainsi aux huit Misensembles déployés dans l’exposition, s’ajoutent l’état rangé de Misensemble 55 (2016), le dessin de Misensemble 13 (2014), un dessin de Misenboite 11, la Boite 71 (2024), la Misaplat 67 (2024) et la Misenligne 10 (2024)…

Pour la première fois, « Cendrer ses sculptures » offre à Victoire Barbot l’opportunité d’opérer le changement des états pour trois de ses sculptures. Misensemble 80, Misensemble 7 et Misensemble 5 prendront « sept états distincts, mouvant chaque semaine » pendant la durée de l’exposition… L’artiste a ainsi la possibilité de rendre « visible » le protocole qui existe depuis 10 ans, à la condition de passer régulièrement par la galerie.

Victoire Barbot - Misensemble 5, 2014-2024 - Cendrer ses sculptures - Vidéochroniques
Victoire Barbot – Misensemble 5, 2014-2024 – Cendrer ses sculptures – Vidéochroniques

Comme le souligne Édouard Monnet, le travail de Victoire Barbot s’appuie sur de « solides fondements conceptuels et artistiques ». On pense en effet à certaines approches minimalistes et conceptuelles de la seconde moitié du XXe siècle. Toutefois, sa démarche artistique montre une incontestable originalité et une cohérence remarquable, même si, ici ou là, on songe aux Ready-made de Duchamp, aux Combines de Rauschenberg ou encore à certaines pièces d’Abraham Cruzvillegas et parfois même à Tatiana Trouvé…

JEAN(S)

Victoire Barbot - JEAN(S) 1-74, 2017-2024 - Cendrer ses sculptures - Vidéochroniques
Victoire Barbot – JEAN(S) 1-74, 2017-2024 – Cendrer ses sculptures – Vidéochroniques

La salle qui ouvre à droite de l’accueil de Vidéochroniques accueille une impressionnante et mystérieuse installation composée de 74 éléments appartenant à une série intitulée JEAN(S), 2017-2024. Chaque Jean est constitué par l’assemblage de tubes en cuivre dont deux segments plus couts forment une base et un pied. Dans un troisième morceau plus long, parfois plié et coudé sont insérés quelques épis de blé. Entre les tiges de ces derniers sont glissées une ou plusieurs cartes à jouer de Baraja española, toutes sont à l’enseigne des bâtons. La mise en scène de ces Jeans semble suivre un plan précis, mais difficile à lire et déchiffrer. Le visiteur est invité à déambuler avec précaution dans cet énigmatique « champ de céréales »…

Victoire Barbot - JEAN(S) 1-74, 2017-2024 - Cendrer ses sculptures - Vidéochroniques - Photo Thibaut Aymonin
Victoire Barbot – JEAN(S) 1-74, 2017-2024 (Détail) – Cendrer ses sculptures – Vidéochroniques – Photo Thibaut Aymonin

La naissance de ces Jeans est liée au deuxième séjour de l’artiste au Mexique. Elle participait alors à une résidence à SOMA (Mexico), un espace créé par des artistes pour des artistes avec l’ambition de « stimuler le dialogue et la collaboration entre les artistes et les agents culturels de différents contextes et générations et d’analyser collectivement les conséquences esthétiques, politiques et sociales de la production artistique ». Leur première apparition à Mexico en 2018 était titrée Silence is sexy

Si elle est fascinante, l’installation interroge. Quel sens donner à ces épis de blé ? Quels rapports ont-ils avec le cuivre ? L’artiste veut-elle signaler l’importance de cet élément sur le rendement et la qualité de la production pour les céréales ? Pourquoi ces cartes à jouer ? Et pourquoi des bâtons ? Sont-ils là pour évoquer le battage des épis ? Qui est Jean ou qui sont les Jeans ?
Lors d’un échange avec l’artiste, celle-ci levait un peu le voile sur cette série énigmatique : « En effet, derrière ce travail autour de la question de la série et de la reproductibilité de matériaux non unique, de la disparition et de la faillite de l’agriculture se pose discrètement la question de la masculinité. Les cartes choisies sont modifiées, elles effacent les distinctions de genre dans tous les personnages, les rendant presque androgynes. Elles veulent gommer la présence de la figure masculine, car étonnement la figure de femme n’existe pas dans ce jeu de cartes »…

Des portes du Paradis…

Victoire Barbot - Sans titre pour paradis, 2024 - Cendrer ses sculptures - Vidéochroniques
Victoire Barbot – Sans titre pour paradis, 2024 – Cendrer ses sculptures – Vidéochroniques

Dans l’espace en alcôve qui précède les bureaux de Vidéochroniques, Victoire Barbot a installé une imposante œuvre dont les reflets dorés attirent l’œil. Les formes que l’on y distingue et son architecture générale évoquent inévitablement des souvenirs à celles et ceux pour qui l’histoire de la Renaissance italienne et la porte du Baptistère de Florence ne sont pas inconnues.

Avant d’être réalisée pour « Cendrer ses sculptures », elle faisait partie de De-vine Comédie, un projet imaginé en 2020.
L’artiste en fait la description suivante : « Sans titre pour un paradis est une adaptation contemporaine de la Porte du Paradis de Lorenzo Ghiberti, réétudiée d’après l’Ancien Testament et reflétant une histoire collective du 21e siècle dans laquelle je grandis. Aux dimensions réelles de la Porte du sculpteur, 520 x 310 cm, elle est réalisée en plaques d’aluminium dorées et embossées. »

… aux portes de l’Enfer

Victoire Barbot - Touchée, coulée, V4, 2024 - Cendrer ses sculptures - Vidéochroniques
Victoire Barbot – Touchée, coulée, V4, 2024 – Cendrer ses sculptures – Vidéochroniques

Dans la fosse, on découvre une quatrième version de Touchée, coulée (2024), autre élément du projet De-vine Comédie de 2020 qui était alors conçu comme « une réflexion sur la sculpture, le bas-relief comme sur les sujets intrinsèquement contemporains aux récits littéraires qu’elles empruntent ». Victoire Barbot expliquait ainsi ses intentions : « Touchée, coulée est une adaptation contemporaine de la Porte de l’Enfer de Rodin, réétudiée d’après La Divine Comédie de Dante et mon histoire personnelle. Aux dimensions réelles de la Porte du sculpteur, 600 x 400 cm, elle est réalisée en mousse florale verte, plaquée à l’aide de clous sur une cimaise en bois ».

Victoire Barbot - Touchée, coulée, V4, 2024 - Cendrer ses sculptures - Vidéochroniques
Victoire Barbot – Touchée, coulée, V4, 2024 – Cendrer ses sculptures – Vidéochroniques

Nombreux sont celles et ceux qui ont croisé le travail de Victoire Barbot à Marseille ou ailleurs.

On se souvient de sa remarquable participation aux expositions « Les tomates fleurissent aussi en hiver » à la Galerie de la Scep et « Extraction diffuse » à Buropolis en 2022 ou encore d’une version horizontale de Touchée, coulée à la Friche dans « Sur pierres brûlantes», l’exposition des quatorze artistes travaillant dans les ateliers de la Ville de Marseille à la rentrée 2020. On se rappelle également sa présence comme artiste invitée à Pareidolie en 2020 avec « Bouche à booth», mais aussi des dessins présentés par la Galerie Eva Meyer pour le salon de 2017. Plus rares sont celles et ceux qui gardent en mémoire son travail dans « Hasard Heureux » à la Salle des Machines lors du PAC 2016 à la Friche alors qu’elle était résidente à Astérides.

Son étonnant projet culot13 – 13 expos, tous les 13 du mois pendant 13 mois de 2022 à 2023, dans une vitrine cachée au 13 de la rue de Rome – a incontestablement marqué les esprits et le monde de l’art contemporain à Marseille.

Mais jusqu’à présent, aucun projet d’ampleur n’avait permis d’apprécier toute la richesse, l’originalité et la puissance de l’œuvre de Victoire Barbot. Il faut donc remercier Édouard Monnet et Thibaut Aymonin de lui avoir offert les espaces de Vidéochroniques.

Faut-il ajouter que « Cendrer ses sculptures » est une exposition indispensable et incontournable à voir et à revoir jusqu’au 4 mai 2024. C’est sans doute une des propositions majeures de ce début d’année à Marseille ? Elle devrait sans doute marquer le week-end d’ouverture de la 16e édition du festival Printemps de l’Art Contemporain-PAC 2024.

À lire, ci-dessous, le texte de présentation d’Édouard Monnet.

En savoir plus :
Sur le site de Vidéochroniques
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Le dossier de Victoire Barbot sur documentsdartistes.org

« Cendrer ses sculptures » : Texte de présentation par Edouard Monnet

Derrière ce titre mystérieux, retenu par Victoire Barbot pour intituler son exposition, se cache une œuvre discrète autant que féconde, d’abord ancrée dans une histoire familiale. Loin de ne constituer qu’une anecdote, cette attache séminale et située, non dénuée d’une portée critique d’autre part, se rapporte plus largement à notre histoire industrielle ou, plus précisément, à celle d’une petite industrie héritière d’une période allant de la fin du XIXe à l’immédiat après-guerre. C’est-à-dire, en effet, qu’elle nous renvoie à cette industrie déclinante depuis plusieurs décennies, parce qu’incapable de faire face à l’évolution du marché et des besoins qu’il accompagne ou détermine, à la progression à son détriment de secteurs d’activités plus porteurs, aux modifications législatives et aux nouvelles priorités politiques, ainsi qu’à l’inflation des contraintes réglementaires, parmi d’autres paramètres. Cette allusion en appelle dans le même temps à une certaine catégorie de territoires,concernés par ce phénomène et ses conséquences démographiques, économiques et sociales : souvent des localités de taille moyenne, pour beaucoup simultanément limitrophes d’agglomérations très fortement urbanisées et peuplées, et de zones rurales.

Il reste de ce contexte le souvenir de matériaux et de couleurs, d’équipements et d’outils, de techniques et de méthodes, de sites et de populations (habitants, ouvriers, usagers). Il en demeure aussi la mémoire d’un âge d’or conjoint de réalités plus prosaïques : celles de l’obsolescence, de la faillite, de l’échec ou de l’abandon. C’est à tout cela que l’artiste porte la plus sincère attention. Entendons-nous d’ailleurs à ce stade : l’œuvre commise par Victoire Barbot ne constitue aucunement une forme d’appropriation ou d’instrumentalisation d’une ressource qui s’offrirait à elle, et qui supposerait que l’objet de son attention (la ressource) soit inerte et passif. Bien au contraire dans le travail accompli, celui-ci agit aussi bien qu’il fait agir, au point d’affecter la personne qui le manipule autant qu’il affecte ses destinataires.

S’appuyant de surcroit sur de solides fondements conceptuels et artistiques (en particulier consignés par certaines avant-gardes historiques et de la seconde moitié du XXesiècle, et empruntées au constructivisme, au ready-made, aux combine paintings, à l’art conceptuel, etc.), le vocabulaire plastique et les processus auxquels Victoire Barbot recourt témoignent explicitement de cet ancrage. Hormis la nature des éléments récupérés constitutifs de ses sculptures précaires, suffisamment suggestives de leur origine, il y est question en creux ou plus explicitement d’inventaire, de classement, de stockage, de transport, de notice et de schéma, de maquette, de conditionnement, d’assemblage, etc. La force de cette évocation de l’économie industrielle tient précisément au fait qu’elle constitue aussi, pour elle, une puissante métaphore de l’économie de l’art, et de celle de l’artiste, notamment confrontée à l’encombrement physique que la pratique de l’art manque rarement d’induire, à moins de lui préférer des formes de projections mentales, telles que Victoire Barbot nous le propose.

C’est sur les bases de ce récit qu’une importante partie du corpus proposé se déploie, bâti depuis 2014 à partir d’une série de travaux primordiaux nommés misensemble. Ce titre générique désigne d’abord une série de combinaisons d’éléments disparates et plus ou moins intègres, au nombre de trois a minima, sur lesquels l’artiste n’intervient qu’aux stades de la collecte puis de l’assemblage, toujours accompli sans le moindre renfort de systèmes de fixations rapportés (tels que colle, vis ou autre quincaillerie). À quelques exceptions près relatives à des souvenirs d’enfance, ces éléments ont cependant en commun d’être manufacturés, d’avoir généralement servi de racks ou d’étagères de stockage ou de présentation dans des magasins et des entrepôts d’entreprises, avant d’être laissés pour compte çà et là, puis récupérés et finalement réemployés. En outre, les compositions sculpturales qui résultent de ces gestes initiaux sont seulement justifiées par les équilibres obtenus en fonction des caractéristiques physiques et formelles des ressources issues de cette matériauthèque de circonstance, tandis que le corps de l’artiste s’y confrontant en détermine l’échelle.

Cela étant, les interventions relatives à cette partie du corpus, quoique toujours extrêmement mesurées, ne s’arrêtent pas à ce stade. Pas plus que l’intitulé choisi ne s’y limite. De fait, et dans une perspective plus générique encore, la formule misensemble désigne une succession de traitements protocolaires autrement complexes, dérivée de cette phase initiale. Victoire Barbot la décline ainsi en six états complémentaires comprenant le dessin de l’assemblage, sa version démontée et rangée (de manière à occuper un espace et un volume minimum), le dessin de sa misenboite (représentant l’état rangé dans un emboitage adéquat), ladite boite, sa misaplat sous les traits d’un plan, puis la misenligne de cette dernière obtenue par l’addition des périmètres de chaque polygone figurant sur le plan. Sans entrer plus avant dans le détail de chaque état, et parce que les sept états sont une seule et même pièce, la monstration de l’un d’entre eux, selon la logique suivie par l’artiste, est inévitablement exclusive de tous les autres et conditionne en conséquence leur invisibilité à ce stade.

L’ensemble se présente au surplus comme une chaine d’opérations éminemment codifiées, évoquant immanquablement les méthodes de rationalisation technico-stratégiques funestement prospère au cours du siècle dernier quoiqu’elles se soient déjà brutalement manifestées à « l’âge des révolutions ». C’est cette rationalité des moyens que dénoncèrent tour à tour Weber, Adorno puis Marcuse, plus que suspecte en raison de ses conséquences. Absolument distincte d’une louable rationalité morale et pratique portant sur la question des fins et non sur celle des faits, fondamentalement liés à l’activité communicationnelle, critique et dialectique, elle ne constitue que la traduction, en termes opérationnels, de concepts empruntés à la tradition intellectuelle, laquelle n’a d’autre effet que de « réduire la tension entre la pensée et les faits en diminuant le pouvoir négatif de la pensée ». Malgré les apparences, qui la laissent croire toute entière tournée vers la fonction, l’œuvre de Victoire Barbot se nourrit manifestement de ce « pouvoir négatif de la pensée », et de son salutaire inconfort critique. En témoignent, par exemple, ces boites sans fond ni couvercle dont les volumes sont figurés par leurs seules arrêtes, en attestent encore ces misenlignes rigoureusement absurdes, en font état, surtout, l’inutilité des opérations accomplies et l’incohérence de leur enchainement, dès lors que le prototypage ou la modélisation succèdent à la réalisation.

Edouard Monnet

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