Jusqu’au 12 mai 2024, la Collection Lambert présente une quarantaine d’artistes résident·e·s à POUSH pour « Revenir du présent, Regards croisés sur la scène actuelle » à l’Hôtel de Montcalm.
Cette proposition s’ajoute aux multiples initiatives de l’institution avignonnaise qui témoignent de l’actualité de la création contemporaine, depuis le programme « Rêvez ! » jusqu’aux « Rendez-vous, sous-sol », en passant par l’accueil de plusieurs éditions du « Festival ¡ Viva Villa ! »…
En effet, pour les deux commissaires, « Revenir du présent s’envisage comme une une chambre d’écho dans laquelle résonnent les œuvres issues d’une multitude d’artistes et de gestes, témoins de l’art en train de se faire ici – en France – et maintenant ».
On attendait avec intérêt de découvrir comment Stéphane Ibars et Yvannoé Kruger « se sont attachés à organiser une triangulation entre les nouveaux territoires parisiens, les quartiers de l’agglomération d’Avignon et les projets qu’ils animent ».
Avec une évidente complicité, ils ont conçu un parcours « comme une traversée au long cours » avec la volonté d’« inviter celles et ceux qui en font l’expérience à éprouver une succession de climats où se déploient les représentations possibles de nos rapports au monde. Rituels, chapardages, fables, rêves et autres transformations spatiales s’infiltrent dans les salles de la Collection Lambert pour déjouer par avance la réalité d’un futur forgé dans la noirceur »…
Construit avec beaucoup d’intuition et d’imagination, « Revenir du présent » enchaine quatre séquences qui sont titrées :
• À l’orée du bois – Fables, rites et autres souvenirs du présent
• Rose is a rose is a rose is a rose
• Les choses de la vie
• Si ce monde vous déplaît…
L’accrochage à quatre mains que propose Stéphane Ibars et Yvannoé Kruger est d’une étonnante fluidité et il multiplie les moments saisissants, poétiques, inattendus, parfois débridés et tumultueux, quelquefois sombres et angoissants. On ne revient pas de ce sombre présent tout à fait indemne.
« Revenir du présent » est sans aucun doute une des propositions les plus abouties que l’on peut voir dans le midi en ce début d’année 2024. Elle impose un passage par Avignon…
Au-delà de ce que « Revenir du présent » offre aux visiteurs·euses, pour les deux institutions, « l’exposition est le fruit d’une réflexion commune sur le soutien à la création, à la production et sur le soin porté non seulement à la plus juste inscription des œuvres dans leur contexte d’exposition, mais aussi à l’accueil des artistes et aux conseils qui leur sont proposés dans le cadre de leurs réflexions »…
Avec les artistes : Carla Adra, Mathilde Albouy, Estèla Alliaud, Hugo Avigo, Abdelhak Benallou, Djabril Boukhenaissi, Apollinaria Broche, Grégory Chatonsky, Salomé Chatriot, Gaëlle Choisne, Max Coulon, Morgan Courtois, Xolo Cuintle, Marlon De Azambuja, Marie De Villepin, Cyril Debon, Julian Farade, Cledia Fourniau, Laura Garcia Karras, Gerard & Kelly, Célia Gondol, Pascal Hachem, Arash Hanaei, Michel Jocaille, Nika Kutateladze, Anne Le Troter, Matisse Mesnil, Daniel Otero Torres, Margot Pietri, Luca Resta, Edgar Sarin, Ugo Schildge, Laura Sellies, Erwan Sene, Félix Touzalin, Dune Varela, Ittah Yoda.
Commissaires de l’exposition : Stéphane Ibars et Yvannoé Kruger
À lire, ci-dessous, quelques impressions sur le parcours de l’exposition accompagnées des textes de salle et de brèves notes biographiques à propos des artistes extraites du dossier de presse.
En savoir plus :
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« Revenir du présent, Regards croisés sur la scène actuelle » : Quelques impressions sur le parcours de l’exposition
Après les deux sculptures en béton de Max Coulon qui attendent les visiteur·euses dans la cour de l’hôtel de Caumont, le parcours débute par les deux salles situées à gauche du hall d’accueil.
À l’orée du bois
Fables, rites et autres souvenirs du présent
Une installation de Laura Sellies (Soit je suis morte soit je deviens oiseau, 2022) annonce avec poésie aux visiteur·euses qu’ils/elles sont au seuil d’une aventure, au début d’une histoire que proposent les deux commissaires…
Sur trois mobiles en acier qui évoquent des branches d’arbre ou des ailes sont suspendus sept haut-parleurs qui remplissent la salle de chants d’oiseaux, des cris d’enfants, des comptines…
Avant d’atteindre l’orée du bois, il faut traverser l’espace que certains appellent la « chapelle ». Elle abrite une installation permanente de Niele Toroni peinte sur les deux murs de l’abside. Selon la volonté de l’artiste et d’Yvon Lambert, le lieu ne peut accueillir une autre œuvre en même temps. En conséquence, un dispositif de cloisons mobiles masque le travail de Toroni, chaque fois que cela est nécessaire…
Originaire d’Avignon et familière de la Collection Lambert, Estèla Alliaud brise cette règle avec une sculpture créée pour l’exposition. S’inspirant des cloisons amovibles qui masquent occasionnellement l’installation de Toroni, elle choisit d’implanter une fragile cimaise courbe au milieu de l’espace. Ce geste iconoclaste et audacieux est d’une force étonnante.
Avec élégance, Estèla Alliaud oblige les habitué·es de la Collection Lambert à re-regarder avec plus d’attention l’œuvre de Toroni.
On imagine l’effet que produisait Sans titre (huis clos) (2024) quand on arrivait de la salle où étaient accrochés avec les toiles de Brice Marden, Robert Mangold et Robert Rayman lorsque l’exposition « La peinture est morte, vive la peinture ! » était encore en place…
Avec malice, Estèla Alliaud accompagne sa sculpture avec une petite œuvre sur papier (Sans titre [déposé], 2016), passant définitivement outre aux instructions du collectionneur…
Au-delà, elle nous interroge sur ce que l’on croit voir, sur ce qui est visible et caché, sur ce que l’on ne voit plus à force de l’avoir sous les yeux…
La séquence À l’orée du bois Fables, rites et autres souvenirs du présent ne commence réellement qu’avec la première salle au rez-de-chaussée de l’Hôtel de Montfaucon…
Un texte d’introduction annonce aux visiteur·euses ce qui les attend…
« Les histoires commencent souvent à l’orée de la forêt.
Des mythes ancestraux aux contes pour enfants, la clairière est le lieu où l’on s’arrête un instant pour tenter d’apercevoir, à travers les branches, les êtres qui vivent là et ceux que, tels des mirages, notre esprit s’invente.
En invitant les visiteur·euse·s à franchir une frontière invisible, là où la matière se ritualise pour devenir œuvre et où chaque proposition se pense en rituel, les artistes ouvrent les portes de mondes alternatifs possibles, comme autant de sanctuaires où le tangible côtoie le transcendant.
Ici, chaque œuvre se présente sous une forme initiatique qui embarque avec elle les récits de nos vies présentes et à venir. Comme dans un conte ancestral, l’entrée dans la forêt marque le début d’une quête intérieure. Commence alors une traversée vers des territoires de l’âme où l’œuvre est une fenêtre ouverte sur un monde peuplé d’animaux mythiques qui se dissimulent parmi les ombres et les silhouettes d’arbres ». (Texte de salle)
Sur la droite, une grande œuvre quasi abstraite à l’huile et à l’encre sur velours de Julian Farade (Abyssal Memories, 2023) laisse apparaitre d’étranges et mystérieuses bestioles.
En face, sur un imposant quadriptyque fait de plaques d’acier, Matisse Mesnil (Le Marais, 2023) a dessiné à l’arc électrique un paysage marécageux à la fois naïf et délicat. Une branche, précairement posée sur deux pièces métalliques, paraît avoir été coupée dans cette curieuse roselière…
Max Coulon – Joseph, 2023 ; Prey, 2023 ; Strange Priest, 2024 – Revenir du présent à la Collection Lambert
Sur le sol, trois personnages en béton peint et sculpté de Max Coulon semblent attendre avec malice le moment opportun pour surprendre les visiteur·euses avec quelques farces, pitreries ou blagues. Joseph, Prey et Strange Priest sont sans doute les petits frères de ceux qui assurent l’accueil dans la cour de l’Hôtel de Caumont…
Affalée dans un coin, une curieuse et inquiétante figure en velours de Julian Farade (Based on Alexis, 2021) ne paraît pas vouloir ou pouvoir participer au jeu… En a-t-elle été exclue ? Cela la rend-elle boudeuse ?
Sur le grand mur, on remarque plusieurs sculptures en béton du duo Xolo Cuintle que l’on avait découvert lors de la dernière édition d’Art-o-rama. Entre deux bas-reliefs, un rocking-chair dessiné par Thonet, en béton et en kit est « épinglé » comme un papillon. Annonce-t-il une histoire de chaise que l’on entendra plus loin ?…
Plusieurs superbes pièces en bois de Mathilde Albouy occupent également l’espace. Elles évoquent des peignes, des aiguilles ou des accessoires démesurés. Certaines, ornées de mystérieuses sphères hérissées de piquants en argent ou en étain, paraissent à la fois séduisantes et toxiques… Leurs titres, quand ils existent, sont aussi étranges et inquiétants (The liar, What do they want from you?)…
Au centre, deux œuvres (Can you hear (me)?, 2024), créées pour l’exposition, descendent délicatement du plafond jusqu’au sol. Est-ce des gouttes de pluie qui traversent la surface d’un étang ou d’une mare ? Les ondes circulaires qui s’y propagent suggèrent-elles que nous sommes immergés ?
Une remarquable œuvre de Daniel Otero Torres (La Révolución del maíz, 2021) apparaît un peu décalée dans cet ensemble. N’aurait-elle pas pu trouver sa place dans une autre séquence de « Revenir du présent » ?
On quitte cet univers grisâtre et un peu dérangeant attiré par une histoire dont on perçoit des bribes et par d’éclatantes couleurs que l’on distingue au fond de l’enfilade des salles…
Dans la petite pièce qui suit, Anne Le Troter présente avec Le corps living room (2023) une des installations les plus troublantes et réussies de l’exposition.
La proposition d’Anne Le Troter est imaginée à partir de Antic Meet (1958), une chorégraphie majeure de Merce Cunningham. Sur le concerto pour piano et orchestre de John Cage avec crécelles, sifflets et piano « préparé », avec des costumes et décors de Robert Rauschenber, le chorégraphe réglait sans doute ses comptes avec Martha Graham. Il décrivait Antic Meet comme une série de situations absurdes qui n’ont rien à voir les unes avec les autres. Merce Cunningham y portait une chaise attachée à son dos servant de point d’appui à Carolyn Brown.
Dans Le corps living room, on retrouve les bancs qui sont souvent présents dans l’univers d’Anne Le Troter. Il faut prendre le temps de s’y assoir pour écouter au travers des œuvres graphiques et des sculptures sonorisées les dialogues surréalistes de cinq acteurs qui reprennent les « rôles » très adaptés par Anne Le Troter des danseurs qui ont créé Antic Meet en 1958 avec Merce Cunningham : Carolyn Brown, Viola Farber, Cynthia Stone, Marilyn Wood et Remy Charlip.
Au début de cette pièce sonore, Eva-Remy plante le décor :
« On est là dans la forêt à fumer des clopes. Tu vois moi j’aime lâcher de puissants ronds de fumé qui s’entortillent aux branches. Je m’applique parce que ça me plait d’aromatiser les banches en expulsant la fumée de mes Vogues aux senteurs de menthe poivrée. Tellement je kiffe que j’allume d’autres clopes. Voilà, je poursuis avec des Camel que je teinte de mon rouge à lèvres avant de l’écraser du bout du pied.
Là dans les bosquets, les mégots de mes cigarettes écrasées là, on dirait un… tas de petits tampons périodique, des tampons colorés pour Barbies. Des tampons dans les buissons. Je crache dessus et étouffe le feu dont mes cigarettes se souviennent. Regarde, mes clopes, elles s’entrouvrent. Ils fleurissent mes mégots tout en copiant le style de nos marées noires. À côté des clopes, il y a une chaise. C’est la copie conforme d’une autre qu’on a vu sur YouTube dans “Antic Meet”, une chorégraphie de Merce Cunningham de 1958.
Au début, c’est Robert Rauschenberg qui a eu l’idée de mettre deux sangles au mobilier pour que le chorégraphe puisse s’en faire un sac à dos dans son spectacle. On a fait un double, une copie, qui elle pourra terminer ces jours à l’endroit où elle les a commencés : dans la forêt. On a fait un double de la chaise comme on fait un double des clés, pour pouvoir rentrer dans ce spectacle comme on veut, oui parce que cette chaise c’est un peu le début de notre appartement-forêt.
Voilà, on est dans la forêt parce que c’est la maternité des chaises, c’est de là que toutes les chaises viennent, les originales et les copies. Les bois c’est l’utérus de nos appartements dans lesquels nous dansons ivres devant nos frigos. On danse devant des vidéos de chaton sur YouTube dans nos 30 m2. On danse comme des suricates et c’est mignon et ici va danser “Antic Meet” ».
Résumer la suite du propos est un défi inatteignable… Le cartel réussi en quelques mots à en traduire l’esprit en présentant Le corps living room comme « une installation sonore dans laquelle les parlants cherchent à s’extraire de la société et choisissent l’immobilisation comme acte de résistance ».
Cette pièce justifie à elle seule un passage dans « Revenir du présent »…
Rose is a rose is a rose is a rose
Après la « notion de corps-enceinte, caisse de résonance autant que forteresse assiégée » explorée par Anne Le Troter d’une et la grisaille de la forêt où bruissaient « fables, rites et autres souvenirs du présent », on entre dans l’univers coloré, mais parfois piquant de « Rose is a rose is a rose is a rose »…
« Silencieux, naturels, inanimés, parfois morts, les végétaux, légumes, gibiers, poissons et autres compositions florales ont imprégné les peintures des siècles passés avec la force insidieuse d’un genre mineur. Celle qui avance masquée derrière la banalité du quotidien et qui, embarquée dans l’érudition d’un geste et l’observation acharnée de l’artiste dans son atelier, révèle la complexité abyssale du monde qui nous entoure.
Derrière le kitsch, l’outrance ou le refus d’embrasser les codes imposés par le goût de l’époque, les natures mortes qui peuplent l’exposition ont en commun d’initier un pas de côté et d’engager une conversation ouverte et soutenue sur les rapports que nous entretenons avec des éléments sensibles que nous considérons trop souvent à tort comme inanimés.
On pense ici à la rose dont le nom se répète dans les vers de Gertrude Stein ou la montagne sacrée japonaise dont l’image se renouvelle à travers les cent vues du Mont Fuji du grand Hokusai.
Ici la récurrence de motifs triviaux pourrait ainsi s’énoncer comme une nécessité de réinventer quotidiennement les rapports que nous entretenons — ensemble et un·e par un·e — avec ce qui nous constitue ». (Texte de salle)
Le titre de cette seconde séquence cite un vers de Gertrude Stein dans le poème « Sacred Emily » de 1913, paru dans le recueil Geography and Plays en 1922 et qui fut l’entête de son papier à lettres quand elle habitait au 27 de la rue Fleurus… Parfois interprété comme « les choses sont ce qu’elles sont », ce célèbre vers de Stein est plus souvent compris comme une idée tourne en boucle et se répète…
L’accrochage tapissier, baroque et délirant de la première salle n’est pas sans évoquer celui du mythique salon de Gertrude Stein, rue Fleurus, où voisinaient les Matisse et les Picasso… Mais ici, les toiles sont à priori et pour le moment moins célèbres.
Le genre de la Nature morte y est exclusif et se répète comme un motif qui tourne en boucle sous le regard de quelques chauves-souris en céramique émaillée de Cyril Debon qui se sont suspendues en haut d’une cimaise…
Pour Yvannoé Kruger, la genèse de cette salle remonte à la création de POUSH à Clichy dans une ancienne tour de bureau qui ne permettait pas de produire des œuvres volumineuses et pesantes. La pratique de la peinture y était donc majoritaire et elle correspondait alors à un retour de la peinture figurative. La nature morte était un des genres les plus fréquemment choisis par les artistes pour la simplicité de sa mise en œuvre et ses couts réduits…
Les nombreuses peintures rassemblées dans cette salle montrent la diversité des pratiques depuis les compositions minutieuses aux inspirations classiques d’Abdelhak Benallou, jusqu’au Bouquet (2022) de Djabril Boukhenaïssi ou aux deux toiles de Marie de Villepin, toiles expressives à la frontière de l’abstraction…
Les « pochades » de Cyril Debon (All you can eat, 2023) – portraits de légumes à l’huile sur bois encadrés de céramique – dialoguent à plusieurs occasions avec des petits formats dessinés à l’arc électrique sur acier de Matisse Mesnil (Mazzolin, 2023).
Stéphane Ibars souligne que ce thème de la nature morte doit être aussi perçu comme une interrogation des artistes sur nos rapports au vivant.
En témoigne, au centre de la salle, la sculpture de Morgan Courtois (Devoring Fantasy, 2023). Dans cette installation, les verres brisés et seaux de champagne en porcelaine s’empilent en évoquant les fins de soirées et leur « potentiel de l’excès ». Les petites roses du vernissage finissent d’y faner et de mourir. Déjà figée, la superbe rose en bronze et céramique d’Apollinaria Broche (I’ll Be So Lonely I Could Die, 2023) ne peut être qu’indifférente à leur sort…
Trois superbes tableaux d’Ugo Schildge nous interpellent sur les impacts de l’homme sur la nature, sur nos rapports au temps et la dualité entre le vivant et l’immortel, avec ses motifs de fruits et de fleurs insérés dans le béton et ses engrenages…
Ugo Schildge – L’empreinte, 2023 ; Champs de fleurs, 2024 ; Nature morte mécanique, 2023 – Revenir du présent à la Collection Lambert
Quant aux œuvres de Michel Jocaille, elles affirment haut et fort leur esthétique kitsch et revendiquent, « avec une extravagance théâtrale, une écologie queer égalitaire », si l’on en croit le cartel…
Dans la galerie qui ouvre sur la cour de l’Hôtel de Montfaucon, l’artiste géorgien Nika Kutateladze réactive To protect my house while I’m away, une installation créée en 2018 à partir de branches de citronnier épineux, de meubles et d’objets usagés, ramassés, échangés ou achetés dans les vide-greniers et les brocantes de la région. Il y a ajouté son manteau, deux huiles sur toile et une photographie de footballeur…
Nika Kutateladze – To protect my house while I’m away, 2018 – Revenir du présent à la Collection Lambert
La grande salle à éclairage zénithal a été utilisée comme atelier par Edgar Sarin pour y peindre Post Razzle-Dazzle (2024) une imposante toile à partir de pigments naturels récoltés dans la région et pour y édifier Monument (2024), une construction en torchis et canne de Provence.
Dans un coin, on remarque une des figures amorphes de Julian Farade (When my fear take over, 2022).
Au centre de cet espace, Dust to Dust (2023), une sculpture en béton de Xolo Cuintle, tente d’équilibrer l’ensemble en s’appuyant sur six céramiques de la série Power Outlet (2023) disposées au niveau des plinthes.
La cour accueille un édicule de Matisse Mesnil (Lasciate ogne speranza, voi ch’entrate, 2022). Celles et ceux qui ne se seront pas pris les pieds dans les bloques-portes qui cernent cette petite « chapelle » pourront y entrer après avoir abandonné tout espoir et enjamber un des vers de l’Enfer de Dante qui marquent les seuils. Ils/elles y allumeront sans doute une bougie flottante après avoir laissé quelques piécettes…
Matisse Mesnil – Lasciate ogne speranza, voi ch’entrate, 2022 – Revenir du présent à la Collection Lambert
Les choses de la vie
Cette troisième séquence se développe à l’étage de l’Hôtel de Montfaucon dans le vaste espace en « L » traversé par la lumière abondante et changeante qui arrive de l’extérieur.
Daniel Otero Torres – Bailando en la oscuridad, 2023. Crayon, crayon de couleur sur inox poli miroir, bronze, acrylique, technique mixte et Pascal Hachem – Spoonism, 2013. Cuillères, farine – Revenir du présent à la Collection Lambert – Photo : David Giancatarina
En préambule, sur le palier, une œuvre de Daniel Otero Torres (Bailando en la oscuridad, 2023), couverte de papillons de nuit en trompe-l’œil, dialogue avec une première pièce de Pascal Hachem (Spoonism, 2013) dont les autres œuvres ponctuent avec dérision le parcours de « Les choses de la vie »… Sans doute faut-il attendre un peu avant l’éclosion des œufs d’Ephestia kuehniella dans la cuillère de Pascal Hachem pour voir quelques papillons de farine tenter une impossible rencontre avec ceux dessinés par Daniel Otero Torres.
« En investissant physiquement les espaces d’exposition depuis plus d’un siècle, les choses du quotidien ont nourri de nombreuses révolutions artistiques – cubisme, ready-made, pop art, art conceptuel et minimal, etc – et modifié en profondeur nos rapports à l’oeuvre d’art.
Dans cette salle baignée de lumière, les choses s’accumulent et s’agencent en des installations aussi complexes que poétiques. Les matériaux de construction, structures, outils, téléviseurs, bouteilles, cartons de sauce japonaise, de mozzarella et autres fourchettes de pique-nique constituent autant de trophées d’un monde voué au culte de l’objet de consommation.
Ritualisés et combinés en des formes hybrides qui les détournent de leur utilisation première, ils deviennent les armes sensibles d’une résistance salutaire face à l’insoutenable tourbillon de la consommation béate.
Là s’invite le pouvoir de l’artiste de transformer de simples artefacts en objets merveilleux ; sa capacité à dialoguer en permanence avec le banal et de révéler l’inattendu dans l’ordinaire ». (Texte de salle)
La mise en espace dans la première galerie du « L » commence avec une imposante et captivante installation de Marlon de Azambuja (Brutalismo, 2024) que l’on peut comprendre comme une interrogation sur l’architecture et l’urbanisme et plus particulièrement sur le brutalisme. Ce style architectural minimaliste et austère du milieu du siècle dernier a souvent été associé à Le Corbusier. Chaque réitération de cette œuvre assemble avec des serre-joints des matériaux de construction trouvés localement, ici dans une grande enseigne spécialisée dans l’habitat d’Avignon. À chaque réactivation, l’installation est supposée être un « portrait architectural qui révèle la matérialité de chaque ville à partir de sa structure interne »…
Erwan Sene – A.U.E 3 (Answering Unlimited Equipment 3), 2023. Aluminium, bois, peinture, speakers, amplificateur et Hunter Balancing Park 3, 2023. Aluminium, mobilier urbain, amplificateur, peinture, plâtre, PVC, résine polyuréthane, vernis – Revenir du présent à la Collection Lambert – Photo : David Giancatarina
Autour de cette nouvelle expression de Brutalismo, deux étranges et inquiétantes sculptures d’Erwan Sene (A.U.E 3 (Answering Unlimited Equipment 3), 2023 et Hunter Balancing Park 3, 2023 ) diffusent un environnement sonore parfaitement adapté. On retrouvera dans la dernière séquence de l’exposition une œuvre « jumelle » de celle qui « trône » au centre de cette première galerie et qui fait le lien avec l’installation suivante.
En effet, au fond de la galerie, la tour d’Arash Hanaei (Foggy Memo, 2023) répond à l’horizontalité de Brutalismo. Dans une musique techno de Nima Aghiani, on y découvre plusieurs images fixes ou animées extraites de A Wash for Intimate Brain Parts, un des chapitres de son triptyque vidéo Cyclothymia of a Land /Free Adaptation : Cityscape qui, pour Morad Montazami, « ressemble à un collage punk de séquences de rue, de cauchemars technologiques et de fantômes commerciaux ». De son côté, le cartel précise : « Avec son installation Foggy Memo, l’artiste se penche sur l’esthétique des périphéries et invite les spectateurs à interpréter les utopies dans le paysage des villes inachevées »…
Autour de Brutalismo et Foggy Memo, les commissaires ont fait le choix d’accrocher trois toiles abstraites de Clédia Fourniau (130 rouille, 2024 ; 2419 green, 2021-2024 et 130 jaune, 2024), réalisées avec des peintures industrielles utilisées dans la construction navale. Une troisième sculpture d’Erwan Sene (Amaranthine Grey Brown Datacombe Kiosk Cabinet, 2023) cloture cette première galerie.
Clédia Fourniau – 130 rouille, 2024 ; 2419 green, 2021-2024 ; Clédia Fourniau – 130 jaune, 2024. Préparation polymérique, encre et peinture acrylique, colorant, mica, peinture vinylique et résine sur tissu – Revenir du présent à la Collection Lambert
Entre les fenêtres du côté cour, plusieurs petites mise en scène saugrenues et surréalistes de Pascal Hachem (Enjoy #1, 2013 ; Held by a thread, 2013 et Just Democracy, 2013) jouent avec des objets du quotidien et conduisent les visiteur·euses vers la seconde galerie du « L ».
Pascal Hachem – Enjoy #1, 2013. Fourchette, couteau, acier, verre ; Held by a thread, 2013. Couteau, bobine de fil blanc, acier, verre ; Just Democracy, 2013. Casserole, acier, verre – Revenir du présent à la Collection Lambert
Posé au sol, un ensemble d’outils, emmanchés avec humour et sans doute un peu de causticité par Pascal Hachem (Blue Collar/White Collar, 2013), interpelle et interroge… Puis, ils finissent par provoquer un éclat de rire ou au moins un sourire.
Sagement alignés, ces outils détournés orientent les regards vers des étagères métalliques semblables à celles utilisées dans les réserves alimentaires…
En s’en approchant, on reconnaît, un pack de bouteille d’eau, un carton de produits asiatiques, deux emballages en plastique, une boite de mozzarella…
Avec un peu d’attention, on remarque que ces objets paraissent avoir une étrange texture… avant de découvrir qu’ils sont tous en marbre. On comprend alors pourquoi Luca Resta a choisi de titrer cette installation Monuments ! La lecture des étiquettes réservent quelques surprises…
Sur la gauche, une autre étagère regroupe les éléments d’une armure bricolés à partir de bouteilles en plastique… Luca Resta joue à nouveau sur l’aspect de la matière. Ces protections réalisées en résine époxy et en mousse expansée donnent le sentiment d’être en céramique et d’en avoir la fragilité… Intitulée Ciao mamma, io esco/Salut maman, je sors, cette installation rappelle l’équipement de celles et ceux qui se sont affrontés aux forces de l’ordre lors des manifestations qui ont tourné à l’émeute pendant le contre-sommet anti-G8 à Gênes en juillet 2001…
Au milieu de ces Armatura, Luca Resta expose Golden Gods, une collection de touillettes réalisées à partir de la fonte de pièces de 10 centimes d’euro…
En face, entre deux fenêtres, Bud Brancusi (2023), taillé dans un marbre de Naxos en reproduisant des packs de bière, évoque la célèbre colonne sans fin…
Enfin, sur le mur du fond, une fourchette en plastique édentée, sculptée dans un bloc de marbre blanc de Carrare (Tools #3, 2020) semble nous faire un doigt d’honneur !
Devant les fenêtres, côté « jardin », Célia Gondol, danseuse et artiste plasticienne, a installé sur un socle en bois clair trois aquariums de verre remplis d’eau déminéralisée dans lesquels elle a placé trois fascinantes sculptures en verre soufflé d’une série intitulée Ice Memories (2022-2023). Ses mémoires de glace évoquent les reliefs du désert de Platé, un des plus grands lapiaz d’Europe situé en Haute-Savoie. Les roches calcaires de ce site, issues des sédiments déposés au fond de l’océan Téthys, se sont élevées en surface lors de la formation des Alpes, il y a environ 25 millions d’années…
Célia Gondol – Ice Memories, 2022-2023. Verre soufflé, trois aquariums de verre extra clair, eau déminéralisée, bois, lumière – Revenir du présent à la Collection Lambert
En descendant l’escalier de l’atrium, on suit les trajets d’une petite cabine d’ascenseur (Cabins, 2024 et Lift taker, 2024) imaginée par Hugo Avigo avec l’intention, parait-il, d’exorciser sa phobie des ascenseurs et sans doute d’interroger notre perception du lieu…
Certains ne manqueront pas de songer à l’elevator qui se déplaçait avec peine dans Eraserhead, le premier film de David Lynch… Pour conjurer ses démons, Hugo Avigo a déménagé et collé au mur une paroi de la cabine de l’ascenseur du bâtiment (Untitled, 2024).
Si ce monde vous déplaît…
La quatrième et dernière séquence de « Revenir du présent, Regards croisés sur la scène actuelle » se développe au sous sol de l’hôtel de Montfaucon. Elle emprunte son titre à Si ce monde vous déplaît… et autres écrits, un recueil de quatre essais et conférences de Philip K. Dick publié en 1998. Celles et ceux qui connaissent Stéphane Ibars et/ou qui ont suivi avec attention les diverses expositions qu’il a imaginées pour la Collection Lambert ne seront pas surpris par cette référence à l’auteur américain.
« Dans un contexte particulier fait d’incertitudes sur un avenir possiblement voué à la catastrophe et d’injonctions faites aux individus de s’adapter en permanence, la figure de Philip K. Dick apparaît comme le fil conducteur des dernières salles de l’exposition.
En 1998, les éditions de l’éclat publient la traduction d’un recueil de conférences données par l’auteur de science-fiction intitulé Si ce monde vous déplait. Il y raconte son rapport à l’espace et au temps, dégagé de la linéarité qui nous est enseignée par la science. Il questionne le devenir même de la nature humaine dans des sociétés embarquées de force dans la course au progrès technologique. Il redit la nécessité de résister pour que le monde qui se répète, scenario après scenario, offre à l’individu la possibilité d’une vie libérée de toute contrainte, de tout état de tutelle.
Ainsi se déploient dans les salles de la Collection Lambert autant de gestes de résistance, de tactiques critiques, de détournements et d’appropriations, de combinaisons créoles qui invitent au mélange des êtres, des genres et des espaces. Ils racontent et amenuisent, œuvre après œuvre, l’inéluctable domination technologique ». (Texte de salle)
Dans l’alcôve, en regard au texte d’introduction, une sculpture de Pol Taburet (Fork Melody, 2023) donne le ton… À lire le cartel, ses « clous rouillés, mais toujours acérés, refléteraient nos traumatismes et notre force intérieure face au temps »…
La première salle est dominée par un remarquable ensemble d’œuvres de Gaëlle Choisne dont la plusieurs avaient été présentées à l’Acacias Art Center durant Paris + par Art Basel, suite à l’invitation par Lorna Simpson pour former le duo « Mentor et Jeune Talent » 2023 de Reiffers Art Initiatives.
La récente sélection de Gaëlle Choisne pour le prix Marcel Duchamps 2024 confirme la place essentielle qu’elle a prise dans le paysage de l’art contemporain.
Gaëlle Choisne – Corps étherique, 2023. Laiton – Revenir du présent à la Collection Lambert
Trois œuvres de sa série Anathem (Anathem – polydactylie, 2022 ; Anathem – magician, 2022 et Anathem – unity, 2022) et deux panneaux de Safe space for a passing History sont accrochés autour de Corps étherique (2023), un captivant tissage en fil de laiton.