Jusqu’au 4 mai 2024, Christian Laune accueille à nouveau Samuel Spone à la Galerie chantiersBoiteNoire. Cette fois-ci, il lui offre la petite salle carrée et voûtée d’ogives qui ouvre en contrebas sur la cour de l’hôtel Baudon de Mauny. Cette proposition fait suite aux sept grands formats verticaux qui avaient été exposés fin 2022 sous le titre « ARP 2500 ». Une magnifique petite œuvre réalisée sur un velours rose fané avait remplacé, peu avant son finissage, le dessin accroché face à la porte de la galerie…
Pour cette nouvelle invitation, Samuel Spone présente une sélection d’œuvres récentes avec notamment quatre toiles envoûtantes avec lesquelles il prolonge l’expérimentation sur des velours. L’une d’elles, « Pétrichor », donne son titre à l’exposition.
Ce mot rare ne peut qu’interloquer et troubler les visiteur·euses. À la fin du texte de présentation du projet, on trouvera la définition qu’en donne l’encyclopédie Wikipédia.
Le pétrichor est souvent associé aux effluves qui émanent des pavés mouillés et des sols terreux après la pluie. Ce néologisme issu du grec signifie littéralement « sang de pierre ». Il a été choisi par la chimiste Isabel Joy Bear, et le minéralogiste Roderick G. Thomas, deux scientifiques australiens qui ont tenté d’expliquer les odeurs de pluie en 1964. Le phénomène est lié à une multitude de facteurs. Au sens strict, le pétrichor est un liquide huileux sécrété par les plantes, déclenché par le choc thermique du contact des gouttes d’eau avec le sol sec. Il se combine ensuite avec une molécule volatile synthétisée par des bactéries présentes dans la terre, la géosmine. Ces deux substances se mêlent alors à l’ozone sous forme d’un aérosol qui produit une odeur forte qui se disperse rapidement dans l’atmosphère.
Quand on connaît de l’artiste à base d’eau de Javel, d’encres, d’huiles et d’aérosols, on comprend que les effluves de ce mélange pétrichor, géosmine et ozone ne pouvaient qu’éveiller son intérêt…
Samuel Spone – Pétrichor, 2024 (Détail) et Closed, 2024 (Détail). Javel, pigments, aérosol sur velours, 56 x 42 cm – « Pétrichor » à la Galerie Chantiers BoîteNoire
Exécuté sur un velours de soie, Pétrichor est une œuvre fascinante à regarder. Le lustre du tissu modifie subtilement la perception du tableau selon la position où on le contemple… Avec cette nouvelle série, le trait de Samuel Spone s’adoucit et perd de son tranchant. Les contrastes s’atténuent, les teintes s’estompent et se dispersent dans l’épaisseur de l’étoffe. La lumière vibre et change imperceptiblement à mesure que l’on s’approche ou que l’on s’éloigne de la peinture, mais aussi en fonction de l’angle entre l’œil et la toile. Les plus hardis et irrespectueux – ou le galeriste – effleureront la surface du velours pour jouer avec les moires de la soie, faire scintiller et palpiter le dessin et les couleurs.
Au-delà du support, on pourrait aussi percevoir un changement du trait de l’artiste. Le contraste avec les autres œuvres exposées, dont certaines ont été montrées cet hiver à l’église des Frères prêcheurs à Arles est saisissant.
Samuel Spone, Target 1, 2023. Javel, pigment, acrylique sur toile, 80 x 60 cm et Edweard, 2023. Javel, pigments, acrylique sur toile, 90 x 130 cm
L’utilisation d’un format plus petit, un dessin moins acéré, une palette moins cuivrée annoncent-ils une évolution du travail de Samuel Spone ? Des silhouettes évanescentes, un peu plus humanoïdes, mais encore spectrales, semblent prendre la place des chimères rutilantes qui surgissent du noir intense. Il y a quelque chose de moins urbain, de moins industriel et de plus végétal et « biologique » dans ces quatre œuvres sur velours. Les échos à la science-fiction se mêleraient-ils à des influences psychédéliques ?
Samuel Spone – Sid’s garden, Vega et Closed, 2024. Javel, aérosol, encre et huile sur velours, 52 x 42 cm – « Pétrichor » à la Galerie Chantiers BoîteNoire
Faut-il interpréter dans ce sens la citation de l’Éloge de l’ombre de Tanizaki Junichirô qui introduit le texte de présentation de « Pétrichor » ? Dans cet essai, l’auteur japonais défend une esthétique de la pénombre où les reflets adoucis et les patines s’imposent en réaction au goût occidental de l’éclat, du brillant, de la netteté…
À noter également la présence de deux études chimériques où l’on ne sait pas trop si l’eau de Javel précède ou suit l’impression numérique sur toile. Préfigurent-elles de nouvelles œuvres ?
De résidences en expositions, Samuel Spone s’affirme comme un des artistes parmi les plus intéressants de la jeune scène contemporaine en Languedoc. Son travail mériterait sans doute d’être vu ailleurs… En attendant, un passage par la Galerie chantiersBoiteNoire avant le début du mois de mai !
À lire, ci-dessous, le texte de présentation de « Pétrichor ».
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Samuel Spone – « Pétrichor » à la Galerie Chantiers BoîteNoire : texte de présentation
(…) Parfois le poudroiement d’or, qui jusque-là ne renvoyait qu’un reflet atténué, comme assoupi, à l’instant précis que l’on passe sur le côté s’illumine d’un soudain flamboiement, et l’on se demande, stupéfait, comment a pu se condenser une lumière si intense dans un lieu aussi sombre. (…)
Tanizaki Junichirô, Éloge de l’ombre
Comment renouveler l’art du tableau, l’adapter aux enjeux formels contemporains, sans lui ôter sa dimension poétique garante d’une inscription durable dans l’histoire ? Comment inventer de nouvelles paraboles capables de graver la chair d’une toile qui précède notre mémoire ?
Habité par l’esthétique de l’environnement urbain et industriel, par les chantiers et les terrains vagues, par l’expérience interlope du graffiti, Samuel Spone construit une oeuvre complexe et savante bien plus riche de références qu’il n’y paraît au premier regard. Puisant aux sources du cinéma, de la littérature de science-fiction et de la musique, sa « peinture » propose une immersion visuelle dans des univers dystopiques étranges et pourtant familiers.
Mais s’agit-il bien de peinture ? Ou d’alchimie ? A l’aide de produits chimiques, comme la javel, l’artiste oscille de la calligraphie à la coulure, du dessin à la projection, avec une précision du geste – et donc du trait – qui convoque à notre étonnement la minutie et le métier d’une pratique picturale traditionnelle.
Bien que le mystère d’une substance énigmatique attire d’abord l’attention, le procédé formel est vite éclipsé par la puissance poétique de son imagination et – osons le mot – par la beauté de ses compositions.
Pétrichor. (Rare) Odeur de la terre après la pluie . Liquide huileux sécrété par certaines plantes, puis absorbé par les sols et roches argileux pendant les périodes sèches. Il imbibe également les graines de plantes en période de germination, ce qui permet aux végétaux de mieux supporter les périodes de sécheresse …
Diplômé en 2019 de l’Ecole supérieure des beaux-arts de Montpellier, MOCO Esba, Samuel Spone vit et travaille à Sète. Il a exposé notamment à la galerie Chantiers BoîteNoire à Montpellier en 2021 et 2022, au Château Capion à Aniane, au Kiasma de Castelnau-le-Lez, aux Ateliers de la Ville de Marseille. Il participait à SOL ! la biennale du territoire au MOCO Panacée, ainsi qu’à La chapelle Haute à Sète en 2023. La galerie Edouard Manet de Genevilliers et le Palais de l’Archevêché d’Arles l’accueillent en 2024.